mardi 14 mai 2013

Ce qui sera : le sultan Radouane et Daniel Wu. Uchronie d'un futur faisant suite au "Dernier village".

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Deux hommes dissemblables dialoguaient: un adolescent aux cheveux en bataille, un adulte au teint olivâtre.

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 Le sultan Radouane s’exprima le premier en un arabe abâtardi.
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 Tout opposait les deux protagonistes, jusqu’à leur vêture. L’un portait de la soie et était coiffé d’un turban serti de pierreries ; l’autre arborait une simple tunique usée jusqu’à la trame. La conversation se tenait en un palais se prétendant somptueux, mais qui n’était qu’un pâle succédané de l’Alhambra.
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 Toutefois, ses colonnes torsadées dorées, ses arcs outrepassés en fer à cheval, ses murs en stuc et ses dalles régulières suffisaient à rendre cette demeure remarquable si on la comparait à la médiocrité des bâtisses de la ville.  La résidence offrait également de nombreux agréments : des cours intérieures, des patios aux fontaines glougloutantes, des pergolas fleuries, des bassins dans lesquels venaient s’ébattre des tanches, des carpes et des anguilles, des volières habitées par des perroquets du Gabon, des oiseaux-mouches, des colibris et des paons et des portiques sculptés de bas-reliefs et ornés de faïences azulejos. Des eunuques au crâne rasé et à la taille massive constituaient la garde personnelle et dévouée du sultan. Chacun arborait un cimeterre à la lame parfaitement aiguisée. Les soldats ne se plaignaient pas de rester ainsi tête nue en plein soleil. Comme il se devait, le palais recelait une salle destinée à la prière avec un mihrab pour le prêche. 
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Radouane ne voulait point se commettre avec le commun, inculte, puant et débraillé.
Le noble seigneur, assis nonchalamment sur un siège bas, une chicha à portée de ses lèvres,
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 interpellait l’adolescent qui lui faisait face. Ses yeux noirs lançaient des éclairs, incapables de dissimuler son ressentiment.
« Ah, je peux dire que ce n’est pas grâce à toi que je me trouve dans cette situation ! Mon pouvoir, je le tiens de moi-même, de mes faits d’armes, de mon courage, de mon opiniâtreté.
- Puisque tu le dis, seigneur. Mais permets-moi de te rappeler une chose : les hommes ont été laissés libres, ils ont pu à loisir choisir leur destin, user de violence.
- Pfff ! Je suis heureux. J’ai tout ce que je désire : les femmes les plus belles et les plus délicieuses, la nourriture la plus succulente, l’adoration de mes sujets…
- Tu te mens à toi-même, cela, tu ne peux le dissimuler. Certes, tu ne me crains point. Il est vrai que je n’ai rien d’effrayant. Ce n’est pas ainsi que tu te figurais… Cependant, au fond de ton cœur, une sourde inquiétude se tapit. Les syrros…
- Comment as-tu pu permettre une telle abomination ?
- Je n’ai rien permis du tout. Ma curiosité m’a conduit jusqu’ici. Tu peux bien comprendre cela. Je ne suis en rien l’auteur ou le créateur des syrros. Mais toi, en connais-tu bien l’origine ? Pourquoi ont-ils vu le jour ? Dans quel but, quand ?
- J’ai ouï-dire que les syrros étaient l’œuvre des infidèles. Au moment où tout sombrait lors de leur débâcle finale, alors que leurs ultimes navires s’engageaient sur les flots tumultueux pour un périple sans retour, ils abattirent leur dernière carte, ils jouèrent leur va-tout. C’était il y a un peu plus de trois cents ans.
- Le père des syrros prétendait répondre au nom de Shiran.
- Naturellement, tu connais son nom, tu connais tout le monde.
- Je l’ai fréquenté autrefois, avant qu’il ne dévie. C’était un jeune homme courageux, fier, risque-tout, au cœur généreux. On avait du mal à canaliser son énergie. Il écoutait peu la voix de la sagesse. Je l’aimais tant que je fermais les yeux sur son défaut rédhibitoire, l’orgueil. Ses amis furent impuissants à lui conseiller de rester. Geoffroy en pleure encore ; Pacal refuse d’y penser. Son véritable nom est tabou dans ma cité.
- Oseras-tu me donner son identité ?
- Pourquoi pas ? Il a longtemps roulé sa bosse sous le nom d’Odilon d’Arbois. Et quand je dis longtemps, je ne songe point aux années mais aux siècles.
- Serait-il immortel, tout comme toi ?
- A l’aune de la vie des humains, oui, mais Kulm lui-même le crut mort.
- Je crois avoir tué ce Kulm. Une créature peu ragoûtante. J’étais fort jeune alors, et plein d’ambition.
- Qui n’a pas tué Kulm ! Mais revenons aux syrros. Dis-moi ce que tu sais exactement sur eux.
- Ils sont apparus dans l’ancienne province d’Andalousie. C’était vers l’an 1543-44 de mon calendrier. J’ai appris que les derniers îlots de résistance de l’Amazonie tombèrent dans l’escarcelle de mes compatriotes vers 1521. Puis, un petit pays montagneux, aux sommets enneigés, fut aussi ravagé par les saints jihadistes, alors que les océans grondaient leur colère sur toute la terre.
- En l’an 1529 du Prophète.
- Tu y étais.
- En esprit. Pas physiquement.
- Ces syrros maudits continuèrent leurs méfaits, s’en prirent à mes compatriotes, mes coreligionnaires, et se répandirent sur la planète tout entière. Les reasets étaient en train de gagner. Quelle engeance ils avaient jetée sur le monde ! Les syrros vampirisaient tout, se nourrissaient de l’effroi, de la chair, du sang, des os et des âmes. Me diras-tu encore que tu n’as pas voulu cela, que tu n’y es pour rien ? Tu es comme ce gouverneur romain qui se lava les mains dans ce faux livre que l’Occident révérait ! 
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- Tout de même pas. Tu omets un élément essentiel. Tes ancêtres combattants instrumentalisèrent eux-mêmes Ebliss afin d’être sûrs de l’emporter. Primo, leur victoire fut facilitée par le naufrage de la Chine.
- Peuh ! Bien sûr, l’enfance de l’art ! Elle était rongée de l’intérieur par de multiples maux : corruption, nationalisme, impérialisme sans limites, achats non contrôlés des « terres rares », adoration du dieu Mammon, inégalités sociales scandaleuses, matérialisme à outrance des nantis, athéisme, pollution des eaux et de l’air, mutations des organismes, gérontocratie. Nous avions placé les nôtres à des posters clefs. C’étaient des taupes parfaites. Ils se gobergeaient et accentuaient la décadence de cet Empire du Milieu. L’épidémie finale qui le sapa ne fut en fait qu’un non événement car la Chine était déjà moribonde.
- Oui, le virus H12N9. Il frappa aveuglément les vieillards, les jeunes gens, les femmes enceintes, dont les fœtus à l’intérieur des ventres pourrirent, comme tous les organes des contaminés. Lorsque les symptômes étaient visibles, c’était déjà trop tard. Les corps bouillaient de l’intérieur puis éclataient, aspergeant leur entourage d’un immonde liquide à la fétidité atroce.
- Oui, nos savants en ce temps-là étaient remarquables.
- Ah, tu avoues donc !
- Bien sûr, je n’ai rien à cacher. Mon seul regret, vois-tu, c’est que les miens durent abandonner l’Indonésie à son funeste sort.
- Oui, une broutille, plus de deux cent cinquante millions de victimes du « bon camp » ! Le virus eut à son actif deux milliards trois cent mille personnes. Qui joue avec le feu ici, toi ou moi ?
- Je pleure de fausses larmes. Ce n’étaient que des victimes collatérales. Notre véritable cible, tu la connais : l’Occident dévoyé, dépravé. Les infidèles qui le peuplaient avaient sans cesse besoin de nouveaux jouets pour oublier la vacuité de leur existence. Mais ces jouets n’arrivaient plus. Qui les fabriquait ? La Chine et ses satellites ! Les « cafres » étaient tous morts. Ces Occidentaux hautains, emplis de morgue, n’avaient plus une seule usine ! Ils n’étaient même plus capables de fabriquer un fil d’acier. Depuis longtemps, leurs hauts-fourneaux étaient éteints. Depuis des lustres, leurs jeunes se complaisaient dans les Paradis artificiels. Ils ne savaient plus ni lire, ni écrire ; à peine étaient-ils capables de presser le bon bouton de leur petit joujou électronique. Ah, oui, ils communiquaient : qu’est-ce que j’ai chié aujourd’hui, avec qui j’ai baisé, as-tu écouté ce morceau, tu as vu cette beauté, cette star, elle est « has been » (en anglais dans le texte). L’avant-garde de nos armées résidait dans ces « cailleras » méprisés, violents, prêts à tout pour conserver le pouvoir. Sevrés de leur crack, de leur ecstasy, de leurs kalachnikovs, de leurs lance-roquettes, ils se hâtèrent de nous rendre hommage et retournèrent leur colère contre les bonnes cibles dont les arches de fuite, les Cythère, furent des plus dérisoires. 
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- J’ai vécu tout cela ; j’y étais sur Cythère. Mais tu te montres bien méprisant, toi qui sais à peine ânonner le Coran.
- Je suis poète ! Lis donc ce que j’écris : il y est question d’amours trompées, de parfums d’Arabie, de jasmin, de gazelles et de sable foulé.
- Certes, mais ton arabe littéraire est farci de fautes. Revenons à nos moutons. Ce complot - sans être paranoïaque - vous a pris une centaine d’années, pour aboutir à quoi, aujourd’hui, en cet an 1941 ?
- Je sais. Nous avons dû écrémer nos rangs.
- Ne parle pas par euphémisme. Les tiens se sont débarrassés de cette engeance encombrante.
- La Lune des Cimeterres… Mon cœur en saigne encore. La Nuit du Doute. 1538...
- Quelle erreur ! Odilon d’Arbois sut en profiter. Il accéléra le projet syrros et se montra sans pitié. Toutefois, il ne prévit pas ce qui advint. Les êtres sans corps se retournèrent contre leurs créateurs, tout en ne s’alliant pas avec leurs victimes désignées qui pourtant avaient leurs origines.
- C’étaient des jihadistes fidèles qui avaient servi de cobayes. Les marqueurs génétiques permettaient de séparer la mauvaise ivraie de la bonne semence. Les syrros détectaient ainsi leurs proies.
- Mais la faim fut trop forte, trop puissante, et ils frappèrent sans distinction génomique. La haine de toute chair les avait corrompus.  C’était cela la faille cachée dans la faille visible.
- Nieras-tu que tu n’as pas voulu cela ?
- Au fin fond de moi-même, celui que je refuse, celui qui m’a réduit à cet aspect, oui, il l’a voulu, pour me lier, pour anéantir l’humanité qu’il n’a jamais acceptée. Or, moi, je me suis épris de vous. Jamais je n’ai souhaité pareilles souffrances, pour vous, petites vies, si attachantes, si remarquables, mais si pitoyables. Radouane, tu leur ressembles. Tu es sublime dans ton ignorance et dans ta candide cruauté.
- Ne me provoque pas Dana-El !
- Je ne réponds qu’au nom de Dan El ! »
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Par Jocelyne et Christian Jannone.

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