samedi 30 avril 2022

Ces écrivains dont la France ne veut plus 39 : Claude Manceron.

 Une lecture amusante est aussi utile à la santé que l'exercice du corps. (Emmanuel Kant)

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Au commencement, il y eut Napoléon Bonaparte. Il y eut un écrivain de gauche, opposé à la guerre d'Algérie mais fasciné par la figure de Napoléon, auquel il consacra l'essentiel de ses livres publiés dans les années soixante (Austerlitz, Le Dernier choix de Bonaparte, L'épopée de Bonaparte, Napoléon reprend Paris, Le Citoyen Bonaparte etc. : Mame et Robert Laffont furent ses principaux éditeurs). Un homme qui souffrit de handicap à cause d'une poliomyélite, un de ces historiens non universitaires qu'on disait du dimanche, qui savait vulgariser et captiver le lectorat. Un homme injustement oublié qui, à partir de 1968, s'attela à l'entreprise démesurée de nous raconter le destin des hommes de la Révolution française. J'ai nommé : Claude Manceron (1923-1999).

 Claude Manceron - Babelio

Il publia chez Robert Laffont, sans  cependant qu'il pût achever l'épopée, Les Hommes de la Liberté, à compter de 1972. S'enchaînèrent :

- Les Vingt ans du Roi (1774-1778) (1972) ;

 Amazon.fr - Les Vingt Ans Du Roi 1774 - 1778 - Manceron - Claude Manceron -  Livres

- Le Vent d'Amérique (1778-1782) (1974) ;

- Le Bon Plaisir (1782-1785) (1976) ;

- La Révolution qui lève (1785-1787) (1979) ;

 - Le Sang de la Bastille (1787-1789) (1987).

Claude Manceron projetait d'aller jusqu'en 1799 avec le 18 Brumaire an VIII. Il avait le génie de rendre sympathiques les figures les plus antipathiques comme Fouché et Fouquier-Tinville.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b9/Antoine_Quentin_Fouquier-Tinville_%281746-1795%29%2C_French_revolutionary.jpg

 Nous suivions les destinées hautes en couleurs des personnages de la Révolution à compter de 1773, destinées colorées s'il en était. Hélas, l'on sait que l'inachèvement de l'entreprise nous priva du dénouement qui, bien que connu, aurait revêtu le cachet personnel, épique et tragique de l'écriture du vulgarisateur de génie que fut Claude Manceron, sans doute un des meilleurs épigones d'Alexandre Dumas.

Les premiers titres parus des Hommes de la Liberté jouirent d'un succès et d'une popularité indéniables, au point que l'écrivain-historien eut les honneurs d'Apostrophes de Bernard Pivot : le 23 novembre 1979 il fut du plateau d'un numéro consacré à la violence dans l'histoire. 

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Des rumeurs folles coururent après la victoire de la gauche en 1981, car les sympathies socialistes de Claude Manceron étaient connues. On fit accroire à une adaptation télévisée des Hommes de la Liberté. Bien sûr, rien n'en fut, car cette entreprise trop ambitieuse se heurta au manque d'argent des chaînes publiques mais aussi au retournement idéologique pro-européen du gouvernement de l'époque. Juste le temps de spéculer sur la distribution des rôles, de plaisanter sur des acteurs improvisés dépourvus de toute ressemblance avec les personnages réels (par exemple, un comédien trop gras qui serait engagé pour jouer Saint-Just !) et tout était enterré sans cérémonie... 

Amer, déçu, malade - il souffrait toujours depuis l'enfance des séquelles de la poliomyélite au point d'avoir exercé comme éducateur spécialisé dans un centre pour paralysés - Claude Manceron n'écrivit presque plus. Il mourut dans un silence médiatique digne de celui qui avait oeuvré à la disparition de Guillevic

 Eugène Guillevic (auteur de Terraqué) - Babelio

 et qui entourerait au début de notre siècle l'académicien Goncourt André Stil. Nous étions le 23 mars 1999 et l'ignorance intentionnelle de la triste nouvelle fut telle que la primeur de l'annonce nécrologique fut détenue par The Independent !

Prochainement : quatre dessinateurs oubliés.

Logo des Bébés Disney : Claude Marin fut parmi les dessinateurs français de la série.

samedi 16 avril 2022

Ces écrivains dont la France ne veut plus 38 : Joyce Mansour.

 Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire. (Friedrich Wilhelm Nietzsche)

Trois jours de repos

Pourquoi pas la tombe

J’étouffe sans ta bouche

L’attente déforme l’aube prochaine

Et les longues heures de l’escalier

Sentent le gaz

À plat ventre j’attends demain

Je vois luire ta peau

Dans la grande trouée de la nuit

Le balancement lent d’un beau clair de lune

Sur la mer intérieure de mon sexe

Poussière sur poussière

Marteau sur matelas

Soleil sur tambour de plomb

Toujours souriant ta main tonne l’indifférence

Cruellement vêtu incliné vers le vide

Tu dis non et le plus petit objet qu’abrite un corps de femme

Courbe l’échine

Nice artificielle

Parfum factice de l’heure sur le canapé

Pour quelles pâles girafes

Ai-je délaissé Byzance

La solitude pue

Une pierre de lune dans un cadre ovale

Encore un poignard palpitant sous la pluie

Diamants et délires du souvenir de demain

Sueurs de taffetas plages sans abri

Démence de ma chair égarée

Joyce Mansour : Le Soleil dans le Capricorne.

 Joyce Mansour : cruelle et crue – MondesFrancophones.com

Voilà une écrivaine singulière, dont hélas on ne parle plus suffisamment de nos jours ! Née Joyce Patricia Adès à Bowden (Angleterre), le 25 juillet 1928,  elle appartint à la mouvance surréaliste et fut considérée comme une poétesse égyptienne d'expression française. Elle portait le nom de son second mari, Samir Mansour, issu de la colonie française du Caire. Son premier recueil de poèmes, Cris fut publié en 1953 chez Seghers. Aussitôt remarquée par la revue surréaliste Médium, elle est adoubée par André Breton

 André Breton — Wikipédia

et, fixée définitivement à Paris en 1954, participe aux activités littéraires et artistique surréalistes, fréquentant Pierre Alechinsky, Wilfredo Lam, Mata, Henri Michaux,

Henri Michaux — Wikipédia

 André Pieyre de Mandiargues etc. Du beau gratin. Elle a pas mal publié : seize recueils de poésies en tout, plus du théâtre, de la prose etc. Ses recueils furent souvent illustrés par Alechinsky, Mata, Lam, Enrico Baj

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et bien d'autres encore. 

Son omission nécrologique, survenue l'un des pires mois de non couverture des morts par les infos télé (août 1986) puisqu'elle disparut dans les mêmes eaux que Germaine Acremant, déjà évoquée dans ce blog, laisse à penser que la négligence culturelle de l'audiovisuel venait déjà d'atteindre un point de non-retour. Cependant, l'archivage salutaire entrepris par Le Monde sur le net permet de découvrir d'une part l'article nécrologique que Pierre Drachline lui consacra le 30 août 1986 (elle mourut d'un cancer le 27 août) et d'autre part une archive de Christian Descamps en date du 5 avril 1982. Ces deux articles, indispensables, sont malheureusement payants. 

Les éditions Actes Sud eurent l'intelligence, en 1991, de rassembler l'intégralité de l'oeuvre de Joyce Mansour en prose comme en vers. Cette édition n'est malheureusement plus disponible. Comme de nombreuses oeuvres poétiques, les écrits de cette autrice pourtant majeure sont dans l'ensemble difficiles à se procurer de nos jours. C'est là le lot commun de nombre d'écrivains du XXe siècle qui ne sont pas muséifiés ! 

 Photo of Joyce Mansour.jpg

En 2014 sonna l'heure d'une petite résurrection fort bienvenue. Joyce Mansour eut enfin droit aux honneurs posthumes d'une réédition chez Michel de Maule de ses oeuvres complètes, remplaçant le travail auparavant accompli par Actes Sud. Le 16 octobre 2014, chez France-Empire, parut la biographie de la poétesse par sa belle-fille Marie-Francine Mansour : Une vie surréaliste : Joyce Mansour, complice d'André Breton préface de Philippe Dagen. Enfin, le musée du Quai Branly, parfois injustement décrié, organisa une exposition du 18 novembre 2014 au 1er février 2015 : Joyce Mansour, poétesse et collectionneuse. Une  exposition certes mineure, mais qui permit de découvrir que, en plus des figures tutélaires bien connues comme André Breton, Joyce Mansour s'intéressa aussi aux arts premiers, en particulier les arts d'Océanie, Papouasie Nouvelle-Guinée. 

 

Regain éphémère, insuffisant hélas pour que Joyce Mansour rentrât durablement en lumière dans le panthéon des grands écrivains ! Le Quotidien de l'Art, dans son article du 12 janvier 2015, la qualifie avec justesse de Surréaliste oubliée. 

Achevons ce texte assez frustrant par un ultime poème de Joyce Mansour : Bleu comme le désert.

 

Heureux les solitaires
Ceux qui sèment le ciel dans le sable avide
Ceux qui cherchent le vivant sous les jupes du vent
Ceux qui courent haletants après un rêve évaporé
Car ils sont le sel de la terre
Heureuses les vigies sur l'océan du désert
Celles qui poursuivent le fennec au-delà du mirage
Le soleil ailé perd ses plumes à l'horizon
L'éternel été rit de la tombe humide
Et si un grand cri résonne dans les rocs alités
Personne ne l'entend personne
Le désert hurle toujours sous un ciel impavide
L'œil fixe plane seul
Comme l'aigle au point du jour
La mort avale la rosée
Le serpent étouffe le rat
Le nomade sous sa tente écoute crisser le temps
Sur le gravier de l'insomnie
Tout est là en attente d'un mot déjà énoncé
Ailleurs.

 

Prochainement : enchaînons directement avec le 39e écrivain dont la France ne veut plus : l'historien (merveilleux conteur) Claude Manceron. 

 claude manceron - les vingt ans du roi - AbeBooks