vendredi 26 février 2021

Le cinquantenaire de la disparition de Fernandel intégralement occulté.

 


J'entame la rédaction de cet article alors que nous sommes le 26 février. Cette date vous dit-elle quelque chose ? Le 26 février 2021 constitue un triste anniversaire : cela fait cinquante ans que Fernand Contandin, plus connu sous son nom d'artiste Fernandel, nous a quittés. Qui s'en soucie ? Pas l'a-télévision ! Elle a intégralement zappé cette commémoration, comme elle le fit déjà en septembre dernier pour Bourvil, François Mauriac, Nasser et le maréchal Koenig... Et sans nul doute zappera-t-elle une fois de plus d'autres anniversaires de naissances et de disparitions, tels Baudelaire, Flaubert, Saint-Saëns etc. 


Depuis l'affaire Corneille en 2006 et la non-panthéonisation de Denis Diderot en 2013, je ne me fais plus la moindre illusion sur l'état culturel de la France tant celui-ci s'apparente à un champ de ruines en cours d'arasement final. 

Dois-je l'écrire ? L'omission intégrale de Fernandel (comme par exemple, celles de Bourvil ou de Fellini en 2020), témoigne d'un inquiétant syndrome à propos duquel je me suis à maintes reprises préoccupé en ce même blog depuis près de dix ans, au fil des multiples turpitudes des médias sans trêve répétées et dénoncées (Arte France n'étant pas plus "innocente" que France Télévisions).

Fernandel fut longtemps un des représentants majeurs d'une certaine culture populaire cinématographique. Certes, ses films sont loin d'être tous des chefs-d'oeuvre, mais pourquoi cacher à nos yeux que des perles superbes émergent çà et là dans la filmographie de notre acteur marseillais ?

Lorsque mourut Fernandel, j'avais à peine six ans, et je savais qui il était, je le savais tant que j'ai abondamment pleuré à cette mort tant sa voix, son visage, m'étaient familiers. Pleurer à la mort d'un comique ! Absurde et impensable ! Cela ressemble à un oxymore, à de la sensiblerie mal placée, au point que mon chagrin suscita la moquerie de ma famille, comme plus tard pour Fernand Raynaud et Louis Salvérius, le premier talentueux dessinateur des Tuniques bleues, fauché à à peine 44 ans. Car, désormais, depuis l'occultation de Roba en 2006 au profit de Raymond Devos (un scandale absolu selon moi), ce ne sont plus les disparus dont j'appris l'existence au cours de mes études supérieures qui sont les principales victimes d'un oubli médiatique, télévisuel, soigneusement entretenu (surtout depuis 1986), mais l'essence même des gens dont je connaissais déjà le nom, la renommée et le talent dès mes primes années... 

Occulter le souvenir de Fernandel, c'est mépriser le peuple, la culture antérieure du peuple, celui des générations de mes parents et de mes grands-parents.

Parmi les films de Fernandel que j'estime et apprécie le plus, il y a L'Armoire volante (1948), comédie macabre injustement méconnue, du non moins insuffisamment connu Carlo Rim (1902-1989).


A ma connaissance, ce film à l'humour grinçant a peu fréquenté le petit écran, et c'est dommage. Résumons le film en quelques lignes. Monsieur Puc (Fernandel), neveu de Madame Lobligeois, une octogénaire têtue (Berthe Bovy), ne parvient pas à dissuader sa tante d'entreprendre un déplacement périlleux à Clermont-Ferrand, par un froid glacial, afin de récupérer quelques meubles pour les ramener à Paris avec l'aide de deux déménageurs. La vieille dame meurt de froid sur le chemin du retour. Les deux déménageurs s'affolent et abandonnent le corps caché dans une armoire à glace. Ils rentrent à Paris prévenir Monsieur Puc, mais on vole leur camion. Commencent alors d'extravagantes aventures à la recherche de l'armoire "volante" qui contient le cadavre de Madame Lobligeois. Fernandel se trouve précipité dans des péripéties rocambolesques et savoureuses au bout desquelles tout cela ne s'est avéré qu'un cauchemar épouvantable et extravagant. Or, à la fin, la tante s'en va effectivement, et tout peut effectivement survenir... 
Toute une brochette de comédiens français a participé au film de Carlo Rim, souvent dans de petits rôles. Parmi ceux-ci, on remarque Edmond Beauchamp (1900-1985), qui, dans les années 1960, participa à Rocambole et Belle et Sébastien (dans le rôle de César, au titre duquel sa nécrologie télé insista à sa mort survenue le 3 juin 1985), Annette Poivre (1917-1988), qui fut l'épouse de Raymond Bussières et Jean Daurand (1913-1989), rendu célèbre pour son rôle de l'inspecteur Dupuy, adjoint de Bourrel alias Raymond Souplex dans Les Cinq dernières Minutes
Il existe pas mal de films estimables de Fernandel. Ainsi, ni les films de Marcel Pagnon auxquels notre acteur de renom participa, ni François premier, ni L'Auberge rouge et les deux premiers Don Camillo ne sont à dénigrer. 
Irénée Fabre, commis épicier à Eoures, dans Le Schpountz (1937),
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 est, avec son frère cadet Casimir (Jean Castan) l'inénarrable inventeur des anchois des Tropiques, le fada qui déboule dans le tournage d'un film comme un chien dans un jeu de quilles, muni d'un faux contrat d'acteur professionnel. Sa tirade autour de "Tout condamné à mort aura la tête tranchée", vaut celle du nez de Cyrano de Bergerac. Tout le monde dans le studio se joue de lui et de sa naïveté. Le film comporte certes des longueurs, mais il demeure malgré tout attrayant, moins toutefois que le formidable François premier de Christian-Jaque, qui date également de 1937. 
Il y a aussi bien sûr L'Auberge rouge, de Claude Autan-Lara (1951),
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 comédie macabre basée sur une histoire criminelle authentique qui défraya la chronique ardéchoise au XIXe siècle : l'affaire de l'auberge de Peyrebeille, dans la commune de Lanarce. Cet excellent moment de cinéma, outre ses interprètes (en plus de Fernandel, on y compte Françoise Rosay, Julien Carette, jacques Charon, Jean-Roger Caussimon, Grégoire Aslan et Lud Germain, cet acteur d'origine haïtienne, emblématique de la diversité française, auquel il faudra bien un jour rendre justice), se caractérise par la musique géniale de René Cloërec (1911-1995), futur compositeur de l'inoubliable mélodie pastiche du générique du feuilleton télévisé de 1971 Le voyageur des siècles. 
Enfin, je ne puis résister à une évocation de Topaze, seconde adaptation de la pièce, en 1951 par Marcel Pagnol en personne (la première, par Louis Gasnier en 1933, avec Louis Jouvet dans le rôle titre, n'avait pas satisfait l'écrivain et cinéaste d'origine aubagnaise). Les inénarrables leçons de morale de notre instituteur de la pension Muche, chahuté pour son originelle naïveté, valent le détour, lorsqu'on sait comment il tordra les principes qu'il enseigne. Bien mal acquis ne profite jamais ! Il est amusant de rapprocher notre Topaze du début de l'intrigue au fameux Monsieur Rectitude, l'instit de la bédé Génial Olivier, du regretté Jacques Devos.
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Avec un art consommé, notre Fernandel, au sommet, joue avec brio, muni d'une barbe, celui qui deviendra un escroc patenté, expert en magouilles municipales (ah, ces arroseuses brevetées au système Topaze !), mettant à bas toute la morale scolaire qu'il prodigua en vain. Certes, le film ne fait pas toujours l'unanimité et Louis Jouvet garde ses chauds partisans. Quant aux moutons de la dictée...
On pourrait multiplier les films de Fernandel à loisir, comme les incontournables Regain et Naïs, piqûres de rappel de l'existence d'un Fernandel dramatique. Je reconnais que la majorité de ses rôles postérieurs à 1952 me plaisent moins. Cependant, ce n'était pas une raison pour oublier un hommage télévisuel - à moins qu'hypocritement, nos chaînes médiocres aient perdu l'ensemble des droits de diffusion des longs métrages où brilla Fernandel, par hostilité patente au noir et blanc empêcheur d'audience, donc d'annonceurs ! 

Prochainement : Jacques Champreux : une disparition dans une discrétion médiatique terminale.
 
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samedi 13 février 2021

Ces écrivains dont la France ne veut plus 34 : Lesage.

 














L'arbre n'est pas dangereux pour l'humanité ; c'est l'humanité qui constitue un danger pour l'arbre. (Maxime du philosophe écologiste inconnu).

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. (Jean de La Fontaine : Les animaux malades de la peste)

Commençons ce nouvel article par l'exposition d'anecdotes révélatrices. Il y a quelques années, la médiathèque de ma commune de résidence conservait en ses rayons en libre accès un roman que nul n'empruntait : Histoire de Gil Blas de Santillane, roman picaresque d'Alain-René Lesage. Désormais, il n'y figure plus. En moi, ce titre avait fait tilt, comme on dit familièrement. J'eus souvenance de vieilles coupures de magazines télé remontant à 1974, en lesquelles étaient imprimés les programmes de la toute première mouture de la troisième chaîne , encore à l'époque de l'ORTF. La notice de ce feuilleton oublié et invisible - il n'est pas le seul !- figure dans un site consacré à la télé des années 1970. Outre la confirmation qu'il s'agissait bien d'un feuilleton qui passait sur la 3 originelle, nous apprenons son découpage en treize épisodes de vingt-six minutes et son passage à l'antenne du lundi au vendredi entre 18h50 et 19h20, du 2 au 25 avril 1974... Autant dire que ce feuilleton, réalisé par Jean-Roger Cadet, dut passer inaperçu, sa diffusion coïncidant avec la mort du président Pompidou et les péripéties politiques électorales qui s'ensuivirent. Mises à part Marion Game et Brigitte Rouan, encore fort peu connue, la distribution aligne des acteurs qui ne disent désormais plus grand chose au public dont Gérard Giroudon dans le rôle titre. Ah si, j'oubliais Robert Vattier, l'ex Monsieur Brun de la partie de cartes de Marcel Pagnol, qui venait de briller dans le mythique et génial Voyageur des siècles trois ans auparavant. Le site dit que Robert Vattier fut l'adaptateur du roman. 

Autre anecdote, fort contrariante : à l'époque d'Ina premium, on trouvait la version filmée en 1968 de la pièce Turcaret. Bien que tournée en vidéo et non sur pellicule, cette version était en excellent état de conservation. Je la vis de justesse, le premier jour du premier confinement. Dès le lendemain, envolé Ina premium au profit de Madelen... Parti aussi Turcaret (définitivement ?). Ceci est une autre histoire, dont j'ai déjà parlé l'an passé... Désormais, pour voir Turcaret sur Internet, il faut accepter la version feuilletonnesque italienne en noir et blanc, disponible sur une chaîne YouTube transalpine. 















Alain-René Lesage naquit la même année que François Couperin, plus précisément le 8 mai 1668 à Sarzeau dans le Morbihan actuel. Comme Voltaire, il était fils de notaire. Comme Voltaire, il fut mis en pension chez les Jésuites. Comme Voltaire, il dut étudier le droit mais là s'arrête un peu la ressemblance des destinées (ou plutôt, des parcours tracés) car Lesage, qui lui aussi, voulait vivre de sa plume à défaut (financièrement parlant) de pouvoir exercer la profession d'avocat, se débattit dans la pauvreté laborieuse, le succès tardant à venir, les protections aussi. Enfin vint l'abbé de Lyonne, qui lui assura une pension annuelle de 600 livres. Après vint enfin le succès et son corollaire, la notoriété. Rien n'avait laissé présager la réussite littéraire et dramaturgique de Lesage lorsque Turcaret triompha en 1708. L'auteur avait déjà quarante ans. 

L'Histoire de Gil Blas de Santillane parut en plusieurs étapes. Se référant au roman picaresque sans toutefois se soumettre en entier à ses codes (ainsi, Gil Blas, contrairement au picaro espagnol de référence, connaît une ascension sociale certaine), Lesage divisa son grand oeuvre en douze livres dont la publication s'échelonna, par groupes, sur diverses années. Il y eut trois phases : 1715 pour la sortie des livres I à VI, 1724 pour les VII à IX et enfin 1735 pour les X à XII. Après maintes péripéties dont la longueur peut rebuter le lectorat contemporain désaccoutumé aux récits s'étirant à loisir, Gil Blas, qui à sa manière a observé et étudié la société (d'où l'occasion s'offrant à Lesage de dresser moult portraits corrosifs), finira pat épouser Dorothée, une noble désargentée (je ne puis écrire "décavée"). 


Si l'on dresse le bilan de la survivance contemporaine de Lesage au XXIe siècle (en se basant du critère de la disponibilité en poche de ses oeuvres, à condition d'avoir bien sûr affaire à un excellent libraire), seuls trois de ses textes surnagent encore, sil l'on adjoint la courte comédie en un acte Crispin rival de son maître, qui date de 1707. Le reste est difficile à se procurer. Cependant, au XIXe siècle, Lesage servait encore de référence littéraire : Alexandre Dumas ne consacra-t-il pas un court et méconnu roman en 1851 Un Gil Blas en Californie réédité tout récemment ?
De même, je ne peux passer sous silence le célèbre journal Gil Blas, quotidien fondé en 1879 par Auguste Dumont et disparu en 1940, dans lequel plusieurs plumes notoires excellèrent : Alfonse Allais, Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Tristan Bernard, Georges Courteline, Claude Debussy, Guy de Maupassant, Jules Vallès, Maurice Leblanc, Octave Mirbeau, Séverine et bien sûr Emile Zola. Enfin, pourquoi ne pas rappeler que Lesage n'était pas un inconnu à l'étranger, puisque Charles Dickens en personne se réfère à Gil Blas de Santillane dans une de ses nouvelles portées sur les revenants, Capitaine Meurtre et le pacte avec le Diable on découvre le passage suivant :
"Jamais je ne me suis trouvé dans la cave des brigands où vivait Gil Blas ; pourtant j'y retourne souvent et j'y retrouve la fameuse trappe, toujours aussi lourde à soulever (...)" (Histoires de fantômes. Folio 2016. Traduction Isabelle Gadoin). Cet extrait fait allusion au chapitre III du livre premier de Gil Blas.

Prochainement : le cinquantenaire de la disparition de Fernandel intégralement occulté.