jeudi 26 novembre 2020

Daniel Cordier et Jacques Secrétin versus Diego Maradona.

 ... ou l'art d'engendrer de nouveaux Prokofiev nécrologiques face aux nouveaux Staline ultra médiatisés. 


Par Cyber Léon Bloy.

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Nos chaînes d'information - ou qui se prétendent telles - ont adopté depuis belle lurette cette hideuse manie du différentiel de traitement nécrologique, en fonction de la prétendue popularité de tel ou telle défunt ou défunte. Deux personnalités d'une importance considérable, historique et sportive, viennent cette dernière semaine de faire les frais d'une non-médiatisation honteuse lorsqu'on mesure l'impact télévisuel de leur disparition à l'aune de celui, assourdissant, d'une star (déchue ?) du ballon rond. Les champions, selon leur spécialité et leurs exploits passés, ne se valent pas tous selon ces médias-là, souventes fois autoproclamés tandis que l'Histoire sombre proprement dans le néant mémoriel de journalistes aux souvenirs fort courts et limités et aux connaissances en ce domaine inférieures à celles de nos aînés. 

Doit-on nous faire accroire que ni Jacques Secrétin,

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 ni, pis encore, Daniel Cordier,

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 avaient de l'envergure et possédaient de la notoriété lorsqu'on les confrontait au footballeur argentin tonitruant et exubérant - dans l'acception d'un empereur Commode sculpté sous l'aspect du héros mythologique Hercule, jà propre à susciter l'hilarité de ses opposants contemporains ? Un bandeau défilant tôt ôté pour les deux premiers, une insistance indigeste et vomitive pour le troisième de ces messieurs : ainsi peut-on résumer le choix scandaleux de nos anti-chaînes instituées, adeptes du minimalisme affligeant pour les uns et de la tumescence outrée pour l'autre. 

Il me faut encore évoquer la célèbre problématique du 5 mars 1953. Sergueï Prokofiev

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 eut la mauvaise idée de mourir le même jour que Staline, du moins, si l'on retient cette date comme l'officielle du trépas du Tsar Rouge. Avant cette date, on aurait pu parler de syndrome Marcel Cerdan - Ginette Neveu,

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 le célèbre boxeur et la violoniste virtuose ayant péri dans la même catastrophe aérienne aux Açores le 28 octobre 1949, mais tout cela a fait l'objet d'un excellent roman d'Adrien Bosc, Constellation, qui nous conte par le menu le destin fatal des trente-sept passagers du vol Air France Paris-New-York avec les onze membres d'équipage que cet avion comptait. Ajoutons les présences de Jean Neveu, le frère pianiste de Ginette Neveu et du peintre Bernard Boutet de Monvel, sans omettre ces malheureux cinq bergers basques qui escomptaient faire fortune au Texas... 

Depuis 1953, nous pourrions multiplier les épisodes (Roba versus Raymond Devos, Betsy Blair versus Alain Bashung, André Lwoff versus Pierre Sabbagh, Farrah Fawcett versus Michael Jackson, Jean-Claude Bouillon versus Jeanne Moreau). Seul Jean d'O échappa au carnage Johnny ! 

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Dans un article récent paru dans l'hebdomadaire Marianne, Régis Debray a évoqué avec justesse le fait que les hommages nationaux à Daniel Cordier et à Maurice Genevoix (cérémonie de panthéonisation du 11 novembre 2020) sont passés inaperçus. Je reviendrai ultérieurement sur le cas Genevoix,

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 dont les romans s'avèrent toujours aussi difficiles à se procurer dans les grandes enseignes culturelles ayant pignon sur rue, malgré plusieurs rééditions récentes. Par contre, Jean Giono, en veux-tu, en voilà ! 

Soyons pointilleux et vétilleux par défaut de polémisme ; disputons davantage du cas Daniel Cordier. Paradoxe : Diego Maradona, quoiqu'on puisse penser de ses exploits sportifs, n'a pas interféré sur la dénécrologie du pénultième Compagnon de la Libération : c'est la pandémie de Covid-19 qui, invasive, gargantuesque, a télescopé sans espoir de rattrapage le traitement informationnel du trépas de ce noble sire de la Résistance française. Il fut réduit a un bandeau, sans nulle répercussion de traitement détaillé à l'exception d'Arte, seule à réagir en cette morne soirée peu vespérale. Les citoyens ordinaires furent a-posteriori éberlués par la captation furtive d'images de l'hommage national à ce grand homme occulté quelques jours auparavant. Quant au Monde, l'on sait qu'il attendit que les survivants de l'ordre de la Libération fussent tombés sous la dizaine pour enfin s'en préoccuper à leur juste mérite. 

Prochainement : il sera question des horaires de diffusion exagérément tardifs des derniers documentaires d'Arte consacrés à Friedrich Engels et Ludwig van Beethoven. 

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jeudi 19 novembre 2020

Ces peintres dont on ne veut plus 7 : les Carrache.

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Ils furent trois, comme après eux la fratrie des Le Nain. Il y eut deux frères, Annibal Caracci (1560-1609) et Agostino son aîné (1557-1602) et un cousin, le plus âgé d'entre eux, Lodovico Caracci (1555-1619), qui mourut le dernier.

Ils constituèrent un pont entre maniérisme et baroque, une étape de la Renaissance terminale vers l'âge classique, une rupture avec les excès picturaux précédents, et de profonds novateurs en matière de naturalisme et de traitement du paysage. Ils réformèrent la peinture, comme Malherbe la poésie française. Or, de nos jours, presque nul n'en veut plus au profit du Caravage... 

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Je cherche à connaître la raison pour laquelle les Carrache sont autant négligés, ne sont pas à la mode, bref, indiffèrent. Par exemple, notons que l'exposition qui fut organisée au Grand Palais du 9 mars au 6 juin 2011 et qui avait pour intitulé "Nature et idéal, le paysage à Rome 1600-1650" comportait, outre des oeuvres de Poussin et du Lorrain, une toile d'Annibal Carrache intitulée Paysage fluvial. Je suis obligé d'écrire que cette exposition fut un des pires fiascos du Grand Palais en nombre de visiteurs et n'intéressa aucun média mainstream. Il y a corrélation entre son absence de couverture médiatique, sa thématique, porteuse chez les seuls spécialistes et ses entrées ridiculement basses... alors que, pour une fois un des Carrache y était exposé ! Le Paysage fluvial incriminé est reproduit ci-dessous.


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Les mentions des Carrache à la télévision sont fort rares, pour ne pas dire inexistantes. Je pense que presque plus personne ne sait qu'ils ont existé, comme l'ensemble des peintres italiens entre le maniérisme et les Vénitiens du XVIIIe siècle, exceptés Le Caravage et Artemisia Gentileschi. Cela rappelle le fameux hiatus de la musique anglaise entre la mort de Haendel et Edward Elgar, hiatus inventé de toutes pièces par pure paresse intellectuelle. 
 
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Je crois qu'in n'existe en français nul reportage, nul documentaire consacrés aux Carrache. Certes, nous pouvons compenser cette absence cruelle par les vidéos intéressantes disponibles sur telle ou telle plate-forme, dont bien sûr YouTube. Quelles furent les oeuvres les plus marquantes des Carrache, s'il en existe toutefois quelques unes susceptibles d'attirer le regard et de susciter l'attention et l'intérêt de nos contemporains ? Cela n'est guère évident, la culture religieuse et mythologique s'étant largement estompées de nos jours. Des toiles profanes auraient davantage de chances de nous séduire. Des peintres jamais traités dans les mass media sont des peintres s'effaçant irrémédiablement de la mémoire humaine, hormis parmi les spécialistes, sauf un hypothétique regain de faveur (celui-ci existe désormais pour des écrivains comme Julien Green et Anna de Noailles, contrairement à ce que j'avais affirmé trop péremptoirement lorsque je rédigeais des articles de ce blog consacrés à ces gloires alors en passe d'être oubliées). 

Quelles oeuvres remarquables des Carrache peuvent-elles encore intéresser au XXIe siècle ?

Citons La Bacchante alias Vénus, Satyre et Cupidons, huile sur toile d'Annibale Carraci, datée de 1588-90, conservée de nos jours à la Galerie des Offices de Florence. L'influence vénitienne manifeste de l'oeuvre a permis sa datation, puisqu'elle ne fut mentionnée pour la première fois qu'en 1620. Sa charge érotique est si manifeste qu'elle pourrait de nos jours encore choquer des âmes pudibondes et féministes... 

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Attardons-nous un peu sur Le Mangeur de Haricots, ou de Fèves, huile sur toile conservée à la Galleria Colonna de Rome. Annibale Caracci en est une fois de plus l'auteur, et il s'agit selon moi de la seule oeuvre un peu iconique du trio, en cela qu'elle doit être un peu plus familière au péquenot sans que ce dernier sache qui en est l'auteur. Scène de genre, sujet profane, plébéien, naturaliste s'il en est, mais un naturalisme déjà baroque, de pacotille, qui traduit davantage l'idée que les élites se faisaient alors du peuple qu'une restitution de la manière dont ledit peuple se voyait, se ressentait... Le tableau peut être daté de 1584-1585. Ce tableau peut être rapproché de La Boucherie, du même peintre, conservée à Oxford. 

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Encore plus ancienne (1580), ladite boucherie existe en deux versions. Ceci laisse de côté les oeuvres collectives des deux frères et du cousin. Par exemple, à Bologne, la fresque de La Conquête de la Toison d'or. 

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L'un des plus beaux ensembles du trio est constitué par d'autres fresques remarquables et édifiantes, au Palazzo Magnani, toujours à Bologne. Il s'agit des Histoires de la fondation de Rome de 1590-91. 

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Tout cela résume un rendu post-maniériste, pré-baroque, de l'Antiquité romaine, de ses mythes...Au Palazzo Sampieri se trouve, toujours à Bologne, le cycle de l'histoire d'Hercule, réalisé par le trio entre 1593 et 1594. 

Il y eut également l'oeuvre en duo, au Palais Farnèse de Rome, où collaborèrent Annibale et Agostino Carraci. On discute encore de la part à attribuer à tel ou tel. Disons que les Carrache sont synonymes de l'école bolognaise, dont on parle insuffisamment en France. 

Guido Reni et Le Guerchin, qui sont postérieurs au trio mais furent les élèves des Carrache, sont plus couramment cités chez nous... comme si la postérité comptait plus que les géniteurs. 

Je ne prétends pas faire oeuvre de spécialiste et mon article, aussi sommaire qu'il puisse paraître, est là simplement pour donner envie d'en voir et savoir davantage sur un collectif familial (non pas un dynastie, les dynasties musicales, comme les Bach et les Couperin, emblématiques, étant bien plus nombreuses).

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Prochainement : je traiterai de la surmédiatisation de la mort de Diego Maradona, comparée à la sous-exposition informationnelle des décès de Jacques Secrétin et de Daniel Cordier.