samedi 13 décembre 2014

Les Krostons : une bande dessinée oubliée qui pourrait refaire prochainement surface.


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Bienvenue dans le monde d'Hayek (une publicité ultralibérale et ultra mensongère).

L'exclusion du poche constitue une forme majeure d'exclusion littéraire (aphorisme d'un écrivain rebelle).

Tout commença en le ci-devant numéro de Spirou 1589 du 26 septembre 1968. Une histoire à suivre assez déroutante débutée, signée d'une plume inconnue, se réclamant du réalisme : Max Ariane. Or, les esprits et les yeux attentifs, les personnes perspicaces (pas forcément parmi le lectorat le plus jeune), toutes celles qui sont expertes à déceler les styles graphiques, ne pouvaient être dupes, surtout s'il s'agissait de lecteurs familiers fréquentant Spirou depuis plusieurs années. Celui qui avait dessiné ces planches, c'était sans conteste Arthur Piroton (1931-1996), dont le dessin réputé froid avait déjà fait merveille dans Michel et Thierry, série consacrée à l'aéromodélisme scénarisée par Charles Jadoul (1930-1996), que Piroton venait juste d'abandonner. L'auteur cherchait à lancer une nouvelle bédé, et hésitait entre plusieurs projets et essais, dont Martin Lebart, qui ne connut qu'un épisode, paru à cheval entre 1967 et 1968. 
Piroton se retrouvait donc orphelin de héros dont il s'était lassé. Ce fut alors qu'une nouvelle sollicitation originale se fit : mettre ne scène un auteur de bédé, en une sorte d'autofiction (le terme n'était pas encore usité), auteur confronté aux affres de la création. Il allait de soi que les planches seraient signées par ce personnage fictif, par ce pseudonyme, Max Ariane. 
Il n'était nullement besoin en 1968 d'être un exégète pointu pour déceler, aussi bien dans le nom de l'auteur que dans son apparence physique, une caricature du chanteur de variétés Marc Aryan (1926-1985), qui avait plus que visiblement inspiré Arthur Piroton. 
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Cet excellent artiste (qui lui aussi mériterait d'être redécouvert),rencontra paradoxalement le succès au lancement des Krostons.
Ces Krostons, qui sont-ils ? La création de papier de Max Ariane, des lutins maléfiques, vêtus de longs manteaux verts, coiffés d'interminables chapeaux pointus cabossés dont la boucle est en forme de tête de mort. Leur carnation est verdâtre, leur nez gros, et c'est, avec leurs yeux, l'unique partie décelable de leurs visages que l'on suppose hideux et repoussants. De même, l'on pourrait penser que leurs trognes pourrait se dissimuler sous un masque semblable à celui de Zorro, ou des Rapetou, ou encore des conspirateurs du Schtroumpfissime. Extirpés à l'origine d'un grimoire médiéval dans lequel on les avait reclus puis oubliés, Max Ariane, en les dessinant, leur donne pour ainsi dire la vie : étrange et déroutante illustration de la création en bédé, quoique somme toute classique. Les Krostons sont maléfiques : ils parviennent à s'affranchir de leur créateur, s'échappent de la planche de bédé, acquérant une réalité charnelle en trois dimensions. Ils conservent la faculté de redevenir bidimensionnels, lorsque nécessité s'impose, lorsqu'il y a pour eux danger. Car ces trois lutins vilains caressent un rêve : devenir les maîtres du monde. Leur chimérique projet foireux et fumeux échoue toujours, cela va de soi. Leur insignifiance de gnomes contraste avec leurs ambitions démesurées et inassouvies.
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 A noter, fait capital : Arthur Piroton n'était pas son propre scénariste. Max Ariane était double, dual : Paul Deliège (1931-2005), créateur de Bobo, avait commis le scénario.Deliège délaissa un temps sa série phare pour se consacrer aux Kroston, abandonnant durant quelques années dessin et scénario de Bobo à Maurice Rosy, qui, étonnamment - lorsqu'on sait qu'il fut le créateur de Monsieur Choc - en fit une bédé plutôt gentillette, dépourvue de toute causticité.
Cependant, Deliège insuffla aux Krostons un humour troublant que le réalisme originel de la série ne laissait pas supposer. C'est sans doute la raison pour laquelle la sauce ne put pas prendre dès le départ. La problématique se résolut d'elle même avec l'abandon de Piroton, qui se consacra à plein temps à une série correspondant enfin à ce qu'il recherchait, série digne des meilleures productions télévisées américaines policières des années 1960-70 : Mannix, Kojak, L'Homme de Fer, Serpico etc. Cette série fut Jess Long, lancée avec fracas dès 1969 et scénarisée jusqu'à sa mort en 1978 par Maurice Tillieux, qui y recycla plusieurs scénarios de son ancien héros Félix. 
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Deliège fit donc cavalier seul. Il commença par publier divers récits complets, qui ressourçaient les Krostons dans un Moyen Âge originel et fabuleux, sarcastique cependant.

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En outre, Deliège crut bon, en 1971, de tout reprendre plus ou moins à zéro, prolongeant les mésaventures de Max Ariane en une espèce de remake et à la fois de suite au récit initial de 1968, Les Krostons sortent de presse, qui avaient encore besoin de faire-valoir réalistes.
Il reprit donc les mêmes personnages. De plus, tout comme en 1968, la figure tutélaire de Jean Rostand fut sollicitée via sa caricature en Monsieur Flamberge, sans que notre biologiste et académicien renommé s'offusquât de l'utilisation que notre pseudo Max Ariane fit de lui.
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Cette prétention au semi réalisme vouait Les Krostons à une impasse certaine. Dès 1973, Deliège révisa les fondements de la série pour la redémarrer dans une autre optique, plus humoristique, tout en conservant le caractère intrinsèque des trois petits ambitieux égocentriques. Balade pour un Kroston (1973) est le fruit de cette évolution et connaît enfin la consécration de l'album dans une collection normale aux éditions Dupuis.
Le deuxième épisode, La Maison des Mutants (1977) est remarquable à plus d'un titre. Paul Deliège y annexe en les détournant, en les pastichant, les thématiques et les décors, les atmosphères de la littérature gothique et du cinéma fantastique. Il s'inspire ouvertement du film Willard de Daniel Mann (1971) et de sa suite Ben de Phil Karlson (1972) dont on sait que la chanson superbe, interprétée par un Michael Jackson adolescent, fut nominée aux oscars et reprise en guise d'hommage dans la seconde version de Willard de Glen Morgan (2003) avec Crispin Glover. A ma décharge, je ne goûtai à la version originelle de Willard que quelques mois après la publication de La Maison des Mutants lorsque la télévision programma ce film horrifique et traumatisant dans l'émission L'Avenir du Futur en 1978. Cela signifie que je n'avais pas pu détecter les références de Deliège.
Les Krostons affrontent des rivaux conséquents : des rats mutants, devenus intelligents, commandés par un de leurs congénères albinos, sorte de Ben revu et corrigé. Ces rats possèdent un robot déguisé en monstrueux moine fantôme qui terrorise et éloigne les importuns de la demeure mystérieuse où ils fomentent leur conspiration de domination mondiale.
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Malheureusement, Deliège mit toujours plus de temps à élaborer et dessiner les épisodes des Krostons, parce que Bobo, qu'il avait recommencé à animer en 1973, lui prenait de plus en plus de temps et fonctionnait mieux auprès des lecteurs de Spirou. Il ne produisit plus que deux épisodes de la série : La Vie de château (1981) et L'Héritier (1983) avant de jeter définitivement l'éponge. Certes, l'on peut parler pour Les Krostons d'un humour noir, nauséeux, déconcertant, semi adulte (enfant, il me fut déconseillé de lire la série publiée alors dans un Spirou dirigé par Thierry Martens !), humour d'une ironie mordante, mais moindre que celle de Franquin.
Ce qui est regrettable, c'est que la série tomba par la suite dans un relatif oubli qui fit que les éditions Dupuis en abandonnèrent les droits. Divers éditeurs indépendants, notamment les éditions Hibou, essayèrent de ressusciter Les Krostons en publiant plusieurs intégrales à partir de 2005, année du décès de Paul Deliège. Ce fut alors qu'on commença à envisager une adaptation ou transposition cinématographique de l'univers de ces lutins malfaisants et fort bêtes.
Ainsi, les sites de la presse anglo-saxonne (Variety, The Guardian) annoncent la prochaine production d'un long métrage que dirigerait le réalisateur belge Frédérik du Chau, avec (rien que cela !) Salma Hayek et Jean Reno dans les rôles principaux ! Ce sera Salma Hayek la dessinatrice, Maxinne, qui remplace Max Ariane. L'on sait que les adaptations, les transpositions, aiment à trahir, à dénaturer les originaux, mais peu importe ici, puisque cette cure de jouvence annoncée au profit de nos trois vilains lutins permettra de les extirper salutairement d'un injuste oubli.
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La prochaine fois, je reprendrai la série d'articles consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus dans un volet numéro trois sur le poète Paul Fort.


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samedi 6 décembre 2014

Bonnes Adresses du Passé et les Cent Livres des Hommes : deux émissions littéraires de l'ORTF injustement oubliées.

Si Arte avait existé en 1884, elle eût été pour Des Esseintes parce que ce dernier personnage romanesque incarnait une sorte de chébrantude d'époque (Chroniques désinvoltes de Moa).

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Pourquoi placer ce texte sous le patronage de Frédéric Chopin ? Parce que le générique inoubliable de l'émission Bonnes Adresses du Passé (à laquelle l'on adjoint souvent l'article défini "les") était illustré par la mazurka opus 33 numéro 2. 
Du milieu des années 1960 à la disparition de l'ORTF fin 1974, le duo Roland-Bernard et Jean-Jacques Bloch officia pour le plus grand bonheur des téléspectateurs cultivés de ce temps pas si ancien.
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Paradoxe : tandis que des émissions comme Lectures pour tous de Pierre Desgraupes, Pierre Dumayer et Max-Pol Fouchet ou encore Portrait Souvenir de Roger Stéphane paraissent s'être davantage imposées dans la mémoire collective, Bonnes Adresses du Passé me semble bien plus oubliée, au point que sur le site Ina.fr, les émissions intégrales proposées se comptent sur les doigts d'une main. Cette émission se trouve réduite à la portion congrue, au contraire de celle de Roger Stéphane (qui suivait une optique patrimoniale littéraire proche et la précéda de quelques années) dont une part non négligeable est commandable sur le même site.
Ainsi, alors que, dès ma petite enfance (suis-je exceptionnel ?), mes sens ouverts à tout avaient perçu l'existence remarquable de Bonnes Adresse du Passé et ma mémoire retenu à vie la musique du générique, Ina.fr demeure chiche, avaricieuse, ne rentrant les opus qu'au compte-gouttes infinitésimal; infime, au rythme d'environ un numéro par an, et encore ! Je veux bien croire que ces émissions sont par trop endommagées, abîmées, mais la mission de l'Ina depuis 1975 n'est-elle pas la conservation, la préservation, la restauration d'un patrimoine télévisuel dont j'apprends et réalise que des parts et périodes entières ne sont même pas détenues par cet éminent institut ?
En ce cas, nous n'allons tout de même pas en être réduits à une extrémité telle qu'il faudrait privatiser l'Ina, le faire racheter, tenez par exemple par Serge Bromberg, patron génial de Lobster Films, qui, lui, ne se gênerait aucunement pour restaurer jusqu'aux plus infimes émissions rares et incongrues, car il a toujours fait preuve de professionnalisme, animé qu'il est par cet esprit chineur, de rat de cinémathèque nécessaire à la redécouverte de trésors filmiques enfouis que l'on croyait disparus ! L'Ina aux mains de Serge Bromberg pour s'assurer que l'intégralité des Bonnes Adresses du Passé sera enfin disponible sur Ina boutique ! On croit rêver ! Allez, retroussez vos manches ! Il y a du boulot en perspective !
Faute de mieux, j'en suis réduit à découvrir à la marge, par la bande, l'existence de tel ou tel numéro de cette émission, dont je doute qu'ils seront de sitôt gravables ou téléchargeables ! Jugez plutôt : Gérard de Nerval, Jacques Coeur, Guy de Maupassant, George Sand, eurent l'honneur des Bonnes Adresse du Passé. Savez-vous que j'ai le souvenir personnel d'avoir regardé, en 1971, le numéro des Bonnes Adresses du Passé consacré au Palais Idéal du Facteur Cheval ? C'est donc grâce à cette émission que je connus l'existence de ce formidable architecte autodidacte, précurseur de l'art brut !
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Cet Angkor Vat français, cette fantasmagorie surréaliste et baroque !
On pourrait reprocher aux Bonnes Adresses du Passé une certaine bien-pensance gaullienne et pompidolienne, des vaticinations conservatrices, une autocensure parfois fâcheuse (rien sur l'homosexualité thème central de la Recherche dans l'émission consacrée en 1971 à Marcel Proust)...
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Avouez qu'il est frustrant de constater sur le site de l'Ina la réduction de l'émission consacrée à Boris Vian à un extrait, un fragment, comme s'il n'en restait que cela, comme pour un film muet forain dont il ne demeurerait que quelques photogrammes vinaigrés.
Il y a un cas pis : les Cent Livres des Hommes (1969-1973), du regretté Claude Santelli. Cette émission se voulait éducative, à l'attention d'un public plus jeune. Qu'en reste-t-il sur le site de l'Ina ? Nada ! Juste le générique, ce fascinant et mélancolique générique constitué d'une succession de gravures illustrant des grands classiques (Les Misérables, Gargantua, Don Quichotte, Robinson Crusoé et j'en passe). Ce générique à la musique inoubliable et jamais oubliée qui, lorsque autour de septembre, en ces commencements des années 1970, elle se faisait entendre à mes oreilles sensibles, à l'occasion de la bande annonce de reprise de l'émission, annonçait fatalement la rentrée des classes. Ô thème triste et beau !
Et j'aimais grandement cette musique des Cent Livres, m'en souvenant à tout jamais sans en connaître le compositeur, découvrant sa préexistence dès 1965 dans l'épisode des Cinq Dernières Minutes, Bonheur à tout prix lors d'une rediffusion sur la défunte Cinq en juillet 1987. Dès lors, je m'engageais en la quête du nom du compositeur, ce durant des années. Cette prétendue marche traditionnelle allemande, telle qu'annoncée par la radio dans Bonheur à tout prix, dont l'identité créatrice fut débattue bien plus tard dans les forums d'Internet s'avéra une illustration musicale de Betty Willemetz, disparue en 2010.
Pourquoi donc ce mépris absolu pour cette émission savante et vulgarisatrice de Claude Santelli, ce génie de l'ancienne télé détruite par les bourdieusants ? Pour quelle raison l'unique numéro disponible quelques temps sur le site de l'Ina, consacré à Quatre-vingt-treize de Victor Hugo, que j'eus le réflexe de commander, la prescience de me hâter d'acquérir, disparut-il du site après seulement une poignée de mois ? Scandale ! Négligence aussi s'il s'avère qu'à peu près tous les Cent Livres sont à jamais gâchés, perdus !
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Il existe une multitude de numéros des Cent Livres introuvables, consacrés à Werther, à Madame Bovary, à Alice au pays des merveilles ! Aberration ! Stupidité digne de la perte de la majeure partie des oeuvres littéraires de l'antiquité gréco-romaine alors que les expressions de l'esprit dont il est ici question furent mes contemporaines !
Du fait que Les Cent Livres des Hommes pourrait s'apparenter à nos modernes docu-fictions, le site IMDB répertorie une partie des émissions en mentionnant la distribution, les interprètes ayant contribué aux scènes reconstituées émaillant tel ou tel épisode. Il demeure regrettable que nous n'en sachions pas davantage sur cette série superbe, injustement boudée par l'Ina lui-même !
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la prochaine fois, il sera question d'une bande dessinée remarquable apparue à la fin des années 1960 : Les Krostons, signée à l'origine du pseudonyme de Max Ariane, qui mit en scène un personnage haut en couleurs inspiré de Jean Rostand.

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samedi 22 novembre 2014

Ces écrivains dont la France ne veut plus 2 : Charles Péguy.

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 Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis murs et les blés moissonnés.
(Charles Péguy : Eve 1913)
Sources :
- Henri Guillemin : Charles Péguy (éditions du Seuil 1981) ;
- Alain Finkielkraut : Le Mécontemporain (Gallimard 1991) ;
- Jean-Jacques Bloch et Roland-Bernard : Bonnes adresses du passé : Charles Péguy (ORTF 5 septembre 1973, Ina.fr).

La strophe servant de frontispice à cet article est souventes fois citée, mise en avant. Elle dérange, paraît désuète, outrancière même. Cent ans après sa mort, la personnalité plurielle de Charles Péguy fait encore l'objet de controverses. La conversion religieuse de ce personnage fluctuant indispose, bien plus que celle de Paul Claudel, car l'on sait qu'il ne fut guère pratiquant : il ne communiait pas, n'allait pas à la messe. Son style a le don d'agacer, parce que répétitif, parce qu'il assène les mêmes mots, les mêmes phrases, abuse des anaphores, donne l'impression de marteler ses idées, de bourrer le crâne des courageux lecteurs s'aventurant dans son oeuvre. Il se dégage de ses écrits une impression de scansion, d'oralité de griot africain.
Péguy, de plus, souffre de son parcours idéologique incohérent (il n'est pas le seul qu'on pourrait citer !) : il est donc sujet à polémique, à rejet, à annexions multiples aussi. Ecrivain protéiforme ! Dérangeant ô combien ! Loué par Vichy, par de Gaulle, par la Résistance, réhabilité par Alain Finkielkraut, repris à gauche lorsqu'il fut dreyfusard, repris à droite parce qu'il flirta à la fin de sa vie avec Barrès et Maurras, sans que ceux-ci parvinssent à l'enrôler intégralement ! Péguy est un indépendant irréductible, instable aussi. 
Cependant, les silences contemporains dont Charles Péguy est en 2014 l'objet me paraissent tout autant injustifiés que la célébration excessive dont l'entourèrent divers camps politiques douteux, notamment à Vichy. Nul ne pouvait préjuger du parcours qui eût été le sien s'il avait survécu., connaissant les cheminements tortueux du bonhomme. Aurait-il fait comme Georges Valois (1878-1945) qui le connut, fut un pionnier du fascisme français avant d'entrer en résistance et de mourir dans les camps nazis ? Gustave Hervé, comme lui antimilitariste, devint un patriote chauvin. Les adulateurs et laudateurs posthumes de Péguy me font songer à des récupérateurs de cadavres.
Dans l'actuel contexte politiquement correct où tout doit demeurer lisse, parfait, étale, où rien ne doit faire de vague, Charles Péguy incarnait le parfait personnage à oublier d'urgence. Il n'avait donc aucune chance qu'on le commémorât à l'occasion du centenaire de sa mort au champ d'honneur le 5 septembre 1914. La télévision le cita incidemment, au passage, dans un documentaire consacré à Jaurès, diffusé en juillet dernier, rappelant sa haine du tribun qu'il avait brûlé après l'avoir adoré, tel le fameux Sicambre du baptême d'Epinal de Clovis. Il existe une dichotomie, un divorce profond, entre l'époque de Charles Péguy et la nôtre.
Il était conséquemment logique que la célébration de Charles Péguy se réduisît à moins qu'un minimum syndical : un timbre, mais pas n'importe lequel  : la reproduction d'un dessin admirable du grand artiste expressionniste rebelle Egon Schiele. 
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A l'origine, ce dessin servit en octobre 1914 de couverture à la revue engagée Die Aktion, fondée par Franz Pfemfert (1879-1954), qui sera spartakiste. Cette revue défendit le mouvement expressionniste.
Dois-je rappeler qu'Egon Schiele fut une des coqueluches d'Arte et de France 5, à l'occasion d'un documentaire consacré à une fameuse exposition tenue en 2006 au Grand Palais et consacrée à quatre peintres de la sécession viennoise, Klimt, Schiele, Moser et Kokoschka, le deuxième se taillant la part du lion tandis que Koloman Moser (1868-1918) faisait figure de parent pauvre car totalement dédaigné chez nous, tel un peintre académique pompier qu'il ne fut point ?
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Péguy trublion ? Péguy instable fou d'anticléricalisme, de dreyfusisme, de socialisme, puis fou de Dieu, de Jeanne d'Arc, du drapeau, de la Patrie ? Un peu tout cela mais pas seulement. Ce serait bien trop simple, alors que la réception de cet écrivain, ainsi qu'avait pu le constater Henri Guillemin dès une fameuse émission historico-littéraire suisse des années 1970, s'est fortement atténuée. Péguy est devenu pour la masse un illustre inconnu (ce qu'il fut sa vie durant car peu lu de son vivant) que l'on a banni (comme Anatole France) des programmes scolaires officiels. On ne l'étudie plus ; on ne le lit plus. De toute façon, de son vivant, on ne le lisait pas non plus... Toute sa gloire, constituée de malentendus, fut post-mortem.
Péguy se débattit durant toute son existence dans les difficultés, familiales, pécuniaires, et de célébrité. Il souhaitait, avait ardemment soif de notoriété, de reconnaissance, car son ego souffrait : il se pensait un grand de la littérature, était imbu de son talent et il n' avait pas tort. Il ne reniera jamais son dreyfusisme (lisez Notre Jeunesse) bien qu'autour de 1910, il louvoyât ambigument en direction de l'Action française et de Maurice Barrès (qui n'aimait pas Charles Maurras) afin d'obtenir un convoité prix de l'Académie française (opposé à Romain Rolland, il sera recalé en 1911 : nul n'obtint de prix cette année-là).
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On dit sa conversion nationaliste intervenue en 1905 avec l'affaire de Tanger. On dit qu'il se ruina avec ses Cahiers de la Quinzaine. De fait, c'est avec le congrès socialiste de la salle Japy de décembre 1899 que les choses commencèrent à s'envenimer, Charles Péguy se pensant exclu, lui qui aspirait à jouer un grand rôle lors de ce même congrès. Au point qu'il accusa les partisans de Jules Guesde d'avoir comploté pour l'exclure.
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Dans sa biographie précitée, Henri Guillemin a fort bien dépeint le processus qui entretint la rancune de Péguy à l'encontre de Jaurès, sa rupture avec les socialistes et avec Lucien Herr. Il espérait l'unité des socialistes, comme nous le savons fortement divisés entre jaurésiens et guesdistes, sans omettre les tendances de Jean Allemane et de Paul Brousse (les broussistes étaient appelés "possibilistes"). Certes, en 1902, Jaurès parviendra en un premier temps à fusionner avec Brousse et Allemane (fondation du Parti socialiste français alias le PSF) auquel continua à s'opposer trois années encore le Parti socialiste de France où s'étaient réunis le POF de Jules Guesde, le Parti socialiste révolutionnaire d'Edouard Vaillant et l'Alliance communiste révolutionnaire. L'unification définitive se fera en 1905 avec la SFIO mais d'ores et déjà, Charles Péguy avait tourné casaque, rancunier comme pas deux.
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Il n'est donc pas surprenant que cet homme pluriel, multiple, insaisissable, cet écrivain excessif dans ses amitiés comme dans ses inimitiés (capable, par exemple, de se sentir proche de Psichari avant d'en dénoncer le côté calotin, catholique exalté parce qu'un vieux fond d'anticléricalisme demeurait en l'esprit du poète et polémiste - il fustigea même Léon Bloy !) ne puisse de nos jours susciter l'engouement. Péguy chrétien, Péguy cocardier... Péguy trouvant la rédemption, l'accomplissement dans le sacrifice suprême au champ d'honneur. A défaut de devenir un homme d'Eglise, il fut un homme de foi...hétérodoxe. Péguy as du "retournement de veste" (tel Talleyrand ?), mangeur "à tous les râteliers" ?  Péguy versatile. Adulateur de Napoléon après l'avoir haï. Contempteur de Jean Jaurès dont il souhaita l'exécution publique digne de la Terreur robespierriste après qu'il l'eut soutenu dans la lutte dreyfusarde. Jamais à gauche on ne lui pardonna une telle odieuseté . Péguy contestable, Péguy contesté. Henri Guillemin parla même de Péguy "teigneux", tel ce fameux personnage des dessins animés d'Albert Barillé... On pourrait ajouter (mais là, je me ferais médisant) qu'à force de vouloir être partout, il finit par se retrouver nulle part.
Nous trouvons un Charles Péguy en quête de pureté chrétienne primitive, originelle, avec Le Porche du Mystère de la deuxième vertu , Le Mystère des Saints Innocents et Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc. Péguy visionnaire, Péguy mystique, Péguy antimoderne. Un Charles Péguy influencé aussi par Bergson, qu'il défendit contre la cabale antisémite montée à son encontre lors de son élection à l'Académie française en 1914.
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Chacun trouvera en Péguy son fond de commerce, et l'on comprend qu'il demeure inacceptable pour beaucoup. On ne parviendra à trancher le cas Péguy qu'en l'étudiant, l'analysant à fond. C'est déjà ce que tenta Henri Guillemin. Peut-être Charles Péguy fut-il un homme médiéval égaré au commencement du XXe siècle (d'où l'usage chez lui du mot "mystère"), un homme qui rejetait tous les dogmatismes institutionnalisés de son temps, inclassable à cause de cela : dogmatismes socialistes, dogmatismes normaliens, dogmatismes monarchistes,  dogmatismes de l'Eglise instituée avec ses rites, son culte encore issu alors du Concile de Trente. Vatican II eût-il plu à Péguy ?  Nous ne le saurons jamais. J'aurais pu intituler ce billet "Charles Péguy, un mystère qui ne passe pas", paraphrasant l'historien Henry Rousso. Péguy l'exclu, le banni, l'ostracisé...par sa faute ?

Prochainement, je consacrerai sur ce blog un texte en l'honneur d'émissions littéraires injustement oubliées : Bonnes adresses du passé et les Cent Livres des Hommes.

samedi 8 novembre 2014

Annabelle ne sera jamais belle.

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Monsieur d'Eon est devenu sa propre veuve. (Lord Mount Edgecumbe, à propos du chevalier d'Eon)

Timeo Danaos et dona ferentes. (Virgile)

J'ai connu un bonhomme extraordinaire et déséquilibré qui se prenait pour un homme de Néandertal. Sans doute sa laideur expliquait sa croyance, du fait qu'un abominable bourrelet défigurait ses arcades sourcilières, encore faut-il savoir si l'on peut juger le mot "défigurait" approprié. Ce type déménageait complètement tellement il était persuadé vivre au Paléolithique Moyen. Il avait adopté la vêture des néandertaliens, du moins l'interprétait-il à sa manière. Il arborait nuitamment des peaux de bêtes jetées avec négligence sur ses épaules, telle la pelure du lion de Némée sur Hercule, sans oublier son espèce de pagne de fourrure et ses ridicules chaussons fourrés. Il m'avait dit que ses modèles de prédilection étaient Onkr, l'homme des cavernes de la bédé des années 1960 qui fit les beaux jours du "Journal de Mickey", dessinée par Tenas et scénarisée par Malac et Yvan Delporte, et Uruhu, le chef pilote K'Tou des romans de science fiction mettant en scène le commandant Daniel Wu, notamment "La Gloire de Rama." Il avait pour coutume de brandir une quelconque massue de bois en poussant des grognements inarticulés imitant son héros de papier de l'âge de pierre. Sa panoplie, en plus du ridicule, frisait l'indécence, d'autant plus que ce malheureux taré ne se lavait jamais. Il puait à cent mètres, et les dépouilles mal tannées dont il se revêtait étaient infestées de vermine. Par conséquent, il laissait un sillage particulier et suffocant, qui avertissait de son approche, ou informait qu'il venait de passer par-là. (Souvenirs d'un anonyme sain d'esprit du XXIe siècle)
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Tous les littérateurs, plumitifs et intellectuels contemporains se meuvent et se complaisent dans l'euphémisme, la litote et l'évitement. Moi, je pratique l'hyperbole. (Réflexions d'un anti-écrivain engagé et enragé)

"Bois II", chez POL, appartient à cette catégorie de livres, de romans, qu'il faut d'abord lire pour ensuite les acheter (et non pas les acheter pour les lire) tant leur titre, leur maquette de présentation et leur quatrième de couverture ne relèvent rien de leur contenu, n'en préjugent pas. A la limite, l'austérité de la présentation de ces livres confine à l'absence d'envie d'acquisition. "Bois II" est donc un roman "anti-marketing" dans lequel il faut pouvoir et vouloir entrer. Il est le moins explicite possible et se refuse à tout succès parmi les cuistres et les ignorantins qui ont besoin qu'on leur mette les points sur les "i". (Une anthologie de la critique littéraire fictive au XXIe siècle)

Annabelle, de John R. Leonetti, dérivé mercantile de Conjuring : les Dossiers Warren, de James Wan, sorti en 2013, incarne ce que je qualifierai de pire film d'horreur de tous les temps, non seulement du fait de sa vacuité, de son absence totale d'intérêt artistique, mais à cause de l'impact qu'il a eu auprès d'un certain public, dont le comportement incivique dans les salles obscures, pourtant point inédit, a bénéficié d'une caisse de résonance médiatique sans précédent à l'occasion des projections de ce pitoyable nanar dans nos salles obscures hexagonales. On dirait que le phénomène s'est enfin révélé à nos journalistes ignares, coupés des tristes réalités déglinguées, tel Ananie ou Ananias, dans Les Actes des Apôtres, lorsqu'il recouvra la vue  après qu'il eut rencontré Jésus (l'on parle des écailles qui tombèrent de ses yeux (Actes, 9).
L'on sait par le net, mais aussi par la presse écrite, qu'Annabelle a suscité remous, émotions (dans le sens presque similaire à celui des émotions ou commotions populaires d'Ancien Régime et l'on connaît la stérilité de ce type de convulsions), réactions, déprédations, chahut etc. Au point que certains complexes cinématographiques à Marseille, Strasbourg et Montpellier, ont jugé préférable de le déprogrammer afin d'éviter de nouveaux incidents, que dis-je, des désordres dignes du XVIIe et du XVIIIe siècle !
Rien de bien neuf. Mais le problème a ses explications, à défaut de résolutions claires. Comment voulez-vous prévenir un tel chaos lorsque, intentionnellement, vous réduisez sans trêve et immuablement les films dits "de genre", aux seuls méga complexes, à à peine deux cents copies et des poussières dans toute la France, de façon systématique, ce qui entraîne un fourmillement, une surfréquentation de salles bondées où les "djeuns" s'écrasent pour huer le navet, papoter, dégrader, souiller, jouer avec leur smartphone ? 
En réalité, en classe, ils font strictement la même chose ! Ces zappeurs invétérés ont acquis une incapacité de concentration pathologique, d'attention, inférieure à celle des chiens (chez les canidés, elle est en moyenne de cinq à sept minutes).
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A ce compte, on comprend la raison pour laquelle ces cerveaux de jeunes demeurent incapables de se concentrer sur quelque matière, objet ou sujet que ce soit, en cours comme dans un cinéma tant ils surfent à chaque seconde sur autre chose.
De plus, le fait qu'Annabelle,
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 malgré son affligeante médiocrité, fasse salle comble, traduit non seulement cette propension des adolescents de tourner les interdits, de les transgresser (ici, se faire peur, ailleurs, le sexe), mais aussi la disparition dramatique du tissu urbain des salles de quartier, de proximité, qui autrefois, se vouaient à la projection de tout ce cinéma de genre, quelle qu'en fût la qualité. Rappelez-vous l'émission culte d'Eddy Mitchell, La Dernière Séance (1982-1998), qui fit les beaux soirs de la Trois. Souvenez-vous aussi de Cinéma de quartier de Jean-Pierre Dionnet sur Canal + entre 1989 et 2007.
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Or, nous le savons, la concurrence de la télévision tua d'abord ces petites salles de cinéma vouées aux nanars, cela, en tendance lourde, dès la fin des années 1960. A compter de la dernière décennie du XXe siècle, l'on peut dire que les multiplexes prirent le relais de ces petites salles obscures conviviales, mais dans un tout autre but de concentration d'un maximum de titres à l'affiche pour s'assurer le maximum de bénéfices, cela au détriment cette fois-ci (ce qui est encore plus grave), du tissu cinématographique des centres urbains eux-mêmes, qui se mirent à dépérir inexorablement. Voyez Avignon qui a fermé ses deux cinémas centraux non arts et essais au profit des méga-plexes !
Marseille demeure un étrange cas d'école parce que, dès les années 1980, ce sont les réseaux de salles centraux qui mirent massivement la clé sous la porte, avant même l'invention du téléchargement, du streaming et des multiplexes ! Aujourd'hui, cette cité phocéenne prétendument la deuxième ville de France demeure dramatiquement sous équipée en cinémas non périphériques : il n'en subsiste qu'une poignée, hors deux multiplexes qui drainent une effarante fréquentation. Un seul, L'Alhambra, demeure classé arts et essai depuis fin 2013, pour une programmation souvent peu pertinente, voire commerciale : ce cinéma à salle unique s'apparente de fait davantage à un bon vieux cinoche de quartier dinosaurien qui aurait survécu (en réalité, il n'a ouvert qu'au début des années 1990) qu'à feu Le Breteuil par exemple.
Pour Marseille, comme ailleurs,  il s'agit d'une erreur fondamentale d'urbanisme, incitant les spectateurs et amateurs du 7e art, à brûler des carburants fossiles contribuant au réchauffement de la planète afin de se rendre en bagnole au multiplexe qui n'est pas du tout du coin comme le cher épicier originaire du Maghreb ou d'ailleurs.
Paradoxe : si l'on faisait une enquête aujourd'hui, l'on verrait que les Français éprouveraient une préférence pour des cinémas localisés près de chez eux plutôt que pour des complexes nécessitant un budget carburant conséquent !
Quant à Annabelle, dans tout cela, ce film dit "fantastique" échoue à nous faire peur : même une revue spécialisée comme L'Ecran fantastique (numéro de novembre 2014), bien que la critique demeure nuancée, juge que ce long métrage ampoulé ne tient pas ses promesses et demeure trop sage. Je dirais "inabouti" puisque le chahut prévalant dans les salles trahit la déception et la frustration du public adolescent. Annabelle joue trop sur des recettes éprouvées, presque sur des tics, des procédés, voulant obliger les gens à trembler, à s'épouvanter, à tel ou tel passage, prétendant dicter leur conduite, leurs réactions, les conditionner pour qu'ils le fassent, comme ces rires préenregistré polluant les sitcoms.Mouvements de caméra, effets spéciaux, bruits, musique, grain de l'image, traitement de la couleur, éclairage ou pénombre, tout est mis à contribution dans cet objectif de produit préformaté destiné à délester le péquenot grugé et pigeonné de ses jaunets (monétique ou pas).
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De toute façon, je déteste les poupées laiderons et je n'irai jamais voir Annabelle ! Ah, si elle avait possédé l'apparence d'un "Bébé" de la fin du XIXe siècle, l'ambiguïté de l'horreur eût été plus probante et le film bien plus surprenant et inquiétant, du fait de l'innocence affichée par cette porcelaine !

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Prochainement : Ces écrivains dont la France ne veut plus, deuxième volet consacré à Charles Péguy,
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 ou comment les commémorations officielles sur la mort de cet écrivain furent réduite à l'édition d'un timbre tiré de l'oeuvre d'Egon Schiele, le grand peintre et dessinateur expressionniste.
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vendredi 31 octobre 2014

Ces écrivains dont la France ne veut plus 1 : Anatole France.



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Par Cyber Léon Bloy.

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Je ne supporte pas la littérature de l'égoïsme et du renoncement. Pourquoi ? Parce que la littérature doit être un cri, une révolte (Le Nouveau Victor Hugo).

J'exècre tous ces romans contemporains au style plat qui ne secrètent aucun plaisir littéraire jubilatoire (Le Nouveau Victor Hugo).

Dans ce siècle exhalant ses effluves de pourriture en chacun de ses jours, rares demeurent les écrivains patrimoniaux à surnager encore au-dessus du flux d'égout d'une certaine littérature contemporaine présentée comme incontournable. Beaucoup restent reclus en un injustifiable purgatoire, en particulier Anatole France, dont la longue vie s'acheva par l'humiliant Un cadavre, tache indélébile justificatrice d'un bannissement indéfendable pour un grand dreyfusard. On ne le lit plus ; on ne l'étudie plus. Son purgatoire infini ressemble à un exil, à une interdiction littéraire. Comment peut-on mépriser à tel point l'auteur du chef-d'oeuvre Les Dieux ont soif ?
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Le scepticisme de cet anti-boulangiste notoire dérangerait-il ? Qui donc est responsable de cette exclusion durable et inqualifiable ? Anatole France, prix Nobel de littérature en l'an 1921 fit-il preuve d'incorrection, gêna-t-il les notabilités installées qui décident en haut lieu de qui il faut parler, contre qui l'on doit se taire ? Les programmes scolaires officiels ont "oublié" sciemment Anatole France. Ce silence s'avère oppressant !
Monsieur François Anatole Thibault, dit Anatole France (coquin d'Anatole devrais-je m'exclamer !), naquit le 16 avril 1844 à Paris pour décéder quatre-vingts ans plus tard à Saint-Cyr-sur-Loire le 12 octobre 1924. Il fut l'un des plus grands écrivains de la IIIe République, et à peu près tout le monde semble l'avoir oublié, puisque Maupassant et Zola, ses contemporains, ont désormais scolairement parlant pignon sur rue. En quoi diable Anatole France aurait-il démérité, ce romancier et critique dont nul cuistre se hasarderait à réclamer, même pour le centenaire de la mort, une entrée au Panthéon ?  
On a instruit contre lui un procès inique pour mondanité excessive, au point que Monsieur Marcel Proust, dont je ne partage pas toutes les conceptions littéraires et encore moins le goût "sadien" pour le martyre des rats, en fit le parangon de Bergotte, un modèle ambigu, presque clownesque. Anatole France fut un "mondain" bibliophile, issu d'un père légitimiste, entré lui-même en république, qui trainassait sa nonchalance d'agnostique dans le salon de Madame Arman de Caillavet, dont il fut l'amant, prototype de Madame Vedurin, aussi ridicule, grotesque, qu'apparût ce personnage... Nonchalance pareille à une léthargie somnambulique...
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Il y affichait sans vergogne sa célèbre microcéphalie parce que l'on dit que sa boîte crânienne recelait un cerveau d'un volume inférieur à la moyenne, et que les théories racistes et infondées de Monsieur Paul Broca eussent pu qualifier Anatole France de presque anthropopithèque, tant sa cervelle se rapprochait du Rubicon minimum de l'humanisation, non loin de ce que le biologiste évolutionniste germanique Ernst Haeckel appelait Pithecanthropus alalus parce qu'elle avoisinait à peine les 1100 cm3, soit les plus gros cerveaux d'Homo Erectus !
Disons qu'Anatole France n'était pas stupide du tout, que la taille du cerveau n'a nul rapport avec l'intelligence. Je ne puis le figurer tel un Badinguet dormeur, aux yeux mi-clos, songeant à l'utopie irréaliste de l'extinction du paupérisme tout en s'acoquinant avec les milieux monarchistes fourmillant dans le salon qu'il fréquentait avec une assiduité ambivalente.            
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Anatole France en 1889  

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Mais qu'écrivit-il donc pour qu'on feigne à ce point l'ignorer, l'ensevelir ?
Contentons-nous des romans et nouvelles. Leur nombre est des plus conséquents.
  • Jocaste et le Chat maigre, 1879
  • Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, 1881. Prix Montyon de l’Académie française
  • Les Désirs de Jean Servien, 1882
  • Abeille, conte, 1883
  • Balthasar, 1889
  • Thaïs, 189033. Cet ouvrage a fourni l’argument au ballet Thaïs de Jules Massenet.
  • L'Étui de nacre, 1892, recueil de contes
  • La Rôtisserie de la reine Pédauque, 1892
  • Les Opinions de Jérôme Coignard, 1893
  • Le Lys rouge, 1894
  • Le Jardin d’Épicure, 1894 (2e édition revue et corrigée par l'auteur : 1922)34;
  • Le Puits de Sainte Claire, 1895
  • Histoire contemporaine en quatre parties :
  • Clio, 1899 (réédition sous le titre Sous l'invocation de Clio, 1921
  • L'Affaire Crainquebille, 1901
  • Le Procurateur de Judée, 1902
  • Histoire comique, 1903
  • Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables, 1904
  • Sur la pierre blanche, 190536,33
  • L’Île des Pingouins, 190837
  • Les Contes de Jacques Tournebroche, 1908
  • Les Sept Femmes de Barbe bleue et autres contes merveilleux, 1909
  • Les dieux ont soif , 1912
  • La Révolte des anges, 1914                                                                                                             http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/ac/Anatole_France_-_Le_Livre_de_mon_ami.djvu/page7-160px-Anatole_France_-_Le_Livre_de_mon_ami.djvu.jpg
  •                                                                                                              
  • Ainsi, vous constatez que, parmi les titres énoncés, nombreux furent ceux que l'on trouvait encore couramment au format de poche chez les libraires il y a encore quarante à cinquante ans. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Que s'est-il donc passé ? Doit-on incriminer le pamphlet collectif des surréalistes du 18 octobre 1924, le susnommé Un Cadavre ? Avant qu'à leur tour ils devinssent grands, ces petits-maîtres sur-réels littéraires brûlèrent en effigie l'idole officielle qu'ils abhorraient, bien qu'elle fût désormais communiste.                                                         
  •  Et si le problème, le malentendu, résidait ailleurs ?  Anatole France souffrit-il d'une écriture peu audacieuse, disons-le timorée ? De fait, le style de notre auteur se pare d'une acidité feutrée, sous-entendue, distanciée, nuancée, sous cape, ironique, dissimulée derrière un paravent de politesse, d'exquisité, de bonnes manières, de courtoisie, de civilités, d'urbanité, dans l'esprit policé du Siècle des Lumières.  La Rôtisserie de la Reine Pédauque, pour ne citer que ce seul ouvrage, se réclame de Diderot, de Jacques le Fataliste, mais, lorsqu'il le veut, Anatole France sait se faire plus acerbe, tout en conservant cet esprit XVIIIe siècle qui fit l'unanimité parmi ses laudateurs et adulateurs de tous les camps : ainsi en est-il dans L'ïle des Pingouins, qui peut se targuer d'une certaine férocité. C'est sans conteste le livre de Guillaume Métayer, Anatole France et le nationalisme littéraire (éditions du Félin 2011), qui nous livre la raison du rejet persistant de ce grand auteur en ces temps contemporains qui, parfois, célèbrent un peu n'importe quelle fausse gloire volatile destinée à passer. l'ouvrage est judicieusement sous-titré : scepticisme et tradition. Belle invite à redécouvrir France ! 
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  • Ainsi, au risque d'en choquer beaucoup, je donne entièrement tort aux surréalistes de s'être vengés d'Anatole France, afin qu'ils le fissent passer aux yeux de la postérité pour un birbe chenu, une simple vieille barbe rébarbative gainée dans un empois de toiles d'araignées d'où ne pouvaient plus s'extirper que des paroles vaines que plus personne n'écouterait. Or, Anatole France est quelqu'un d'univoque : il semble ne jamais changer de ligne stylistique, de ligne de conduite non plus, éludant toute violence verbale, toute crudité, toute grossièreté, toute polémique, se différenciant des outrances des décadents vendus à la Revanche, des antidreyfusards, boulangistes (qu'il ridiculise dans Monsieur Bergeret à Paris), d'un Léon Bloy aussi (l'originel, pas votre serviteur à la plume souventes fois tout aussi acérée). Rien d'interpolé, de controuvé par des disciples abusifs, ni dans sa vie, ni dans son oeuvre : aucun thuriféraire n'a déformé son message, comme chez Charles Péguy (qui fera l'objet d'un prochain texte sur ce blog même), en lequel chaque camp a puisé ce qu'il voulait du fait même que le personnage ne cessa d'être mouvant tout en niant cette évidence. Non, l'évolution d'Anatole France, de nature politique, se fit sans heurt, sans polémique, sans dénigrement de ses anciens amis, sans appels à la haine ou au peloton d'exécution...  Pourtant, combien d'amis eut Monsieur France parmi la clique tumescente des nationalistes de tout poil ! Combien de Paul Bourget, de Maurice Barrès, de Jules Lemaître, de Charles Maurras qui le soutinrent, l'admirèrent, parce qu'ils crurent que sa prose (sa poésie de même) recelait la clef de la palingénésie de la nation, de sa résurrection, de sa régénérescence, de sa réification même !   
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  • http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/05/Maurice_Barr%C3%A8s.jpg/220px-Maurice_Barr%C3%A8s.jpg                                                                                        
  • Tous avaient été subjugués par le classicisme pondéré de son écriture, dans la tradition du Siècle des Lumières. Mais, seul académicien dreyfusard, Anatole France rompit avec tous ces cuistres !   Que diantre y eut-il là de grands malentendus ! Il sut glisser, évoluer toujours plus vers la gauche !
  • De nos jours, l'exil d'Anatole France de notre panthéon littéraire ne cesse de m'étonner : il est on ne peut plus singulier que cela soit le politiquement correct euphémique généralisé et dominateur de notre triste époque désintellectualisée qui soit le moins réceptif à cette oeuvre tout en mesures, "interdite" par la loi du silence. En raison de sa gloire, consacrée de son vivant, notre bon vieux France n'a subi que des avanies post-mortem ! Déboulonné de son piédestal par des paltoquets en manque de célébrité artificieuse, il appartient à la catégorie des notabilités défuntes confites de moisissures, dont nul ne s'avisera de l'extirper de cette gangue ou fange oublieuse où se noyèrent des foules de personnalités statufiées à tort ou à raison. 
  • L'image de Bergotte adhère encore à sa peau, jusqu'à le dévorer intégralement, tel un masque tératologique de chair morte, difforme,  d'un de ces films horribles qu'on concélèbre avec faste et excès.(1)
  • Prochainement :    Annabelle ne sera jamais belle, article consacré à un épiphénomène filmique grotesque, syndrome de notre époque troublée et déboussolée.  Changement radical de registre.
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    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c1/Anatole_France_young_years.jpg
  •  Note 1 :   allusion au personnage de Massacre à la tronçonneuse masqué de peau humaine. 
  • http://t3.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcStDwxvIb8iemxxCo7EQuT4h8roI197xOeaBP0p5tsDg4Mf-0ejc4DZEvujbg

jeudi 16 octobre 2014

Jean Epstein et la question du cinéma "ethnographique" breton.

Chassez le naturel, il revient au galop. (Destouches 1680-1754)

Souci de lama, petit souci. Souci d'homme, gros souci. (proverbe péruvien imaginaire)

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d7/Nicolas_de_Largilli%C3%A8re,_Portrait_de_Philippe_N%C3%A9ricault_Destouches_(1741).jpg/220px-Nicolas_de_Largilli%C3%A8re,_Portrait_de_Philippe_N%C3%A9ricault_Destouches_(1741).jpg

Je n'ai pas la prétention de vouloir soutenir une thèse sur l'oeuvre de Jean Epstein (1897-1953), a fortiori sur sa production bretonne, bien qu'elle soit étonnante à plus d'un titre. 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/2/2e/Jean_Epstein.jpg 

Il est significatif que l'article anglais que les contributeurs de Wikipedia ont rédigé en l'honneur de ce grand artiste expérimentateur soit plus complet que celui offert par la version française de l'encyclopédie en ligne. Nul n'est prophète en son pays, et, tout comme une Germaine Dulac ou un Louis Delluc, item pour le Marcel l'Herbier des années vingt, l'oeuvre filmique expérimentale de Jean Epstein peut encore rebuter.
J'ai décidé aujourd'hui d'évoquer, en fonction de mes modestes connaissances, les courts métrages qu'Epstein réalisa en Bretagne, en particulier Le Tempestaire, que je ne connaissais que de nom avant que la chaîne Ciné+Classic ne le diffusât au printemps 2014. Au préalable, dressons la liste de ces films répertoriés comme "armoricains" : ils ne sont pas les seuls courts métrages à l'actif de Jean Epstein, qui s'intéressa également aux auberges de jeunesse et aux bâtisseurs de cathédrales.

On a longtemps reproché à Epstein sa filmographie hétérogène, pour ne pas dire hétéroclite, alternant les courts métrages de recherche et les films alimentaires de fiction commerciaux. Il faut admettre que les spectateurs étaient déroutés par les hardiesses des premiers : abandon de tous les artifices de la mise en scène adaptée du théâtre, recours aux décors naturels, aux comédiens non professionnels, usage de la langue bretonne etc.   
Qu'est-ce qui intéresse le plus Epstein ? Ce sont avant tout les espaces insulaires, portuaires, maritimes, les phares. Ouessant est un des lieux de prédilection qu'il choisit de filmer.
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/7e/Ushant_SPOT_1273.jpg/280px-Ushant_SPOT_1273.jpg
 Il néglige la Bretagne continentale, intérieure, son folklore, ses légendes rapportées par Anatole Le Braz. Il se moque comme de colin-tampon de l'Ankou, de la forêt de Brocéliande, d'Ys l'engloutie et consort. Jean Epstein se veut naturaliste. Au fond, on peut rapprocher ses courts métrages bretons de L'Homme d'Aran  de Robert Flaherty (1934). Mais, sous l'épure réaliste, transparaît tout de même un certain fantastique, lorsque la Mer, personnifiée, redoutée, occupe le centre du propos. C'est alors que Le Tempestaire entre en scène.
La Mer est une créature monstrueuse, un espace répulsif, preneur de corps et d'âmes, qu'on craint, qu'on révère aussi. Mer sacralisée... Elle est capricieuse, imprévisible, imprédictible. On ne peut la dompter. Seul le tempestaire possède ce pouvoir : à volonté, il déclenche le grain ou le calme. Il maîtrise les éléments, la météorologie. Sorcellerie marine, persistance d'un substrat païen dans la très catholique Bretagne ? 

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Après une longue éclipse, le cinéaste documentariste revient sur le devant de la scène une fois passée la tourmente de la guerre, en signant ce court métrage, Le Tempestaire, que je puis qualifier de chef-d'oeuvre : le cinéma vérité s'y mélange harmonieusement avec le fantastique et la Mer demeure toujours le personnage central, la déesse d'eau dont on craint qu'elle ne procède à une nouvelle fauchaison de vies de marins, de pêcheurs. L'action du film se déroule à Belle-Île-en-Mer, dont la fascination littéraire est bien connue, puisque ce fut un lieu crucial de l'action tragique du Vicomte de Bragelonne d'Alexandre Dumas, dont il a été récemment question en ce blog. Les bruissements de la tempête, les mugissements venteux, le microcosme-macrocosme de la Mer contenue dans la "boule" maléficiée du sorcier tempestaire forment autant d'éléments troublants. Jean Epstein va au-delà de la nature : il en donne une lecture autre, presque pré-néolithique, lorsque l'homme n'en expliquait les phénomènes que par l'intervention de divinités rattachées aux quatre éléments fondamentaux : eau, terre, feu, air : et le tempestaire détient le secret de la maîtrise de trois des quatre éléments : feu des éclairs, eaux marines, courants aériens tempétueux. Le maître du septième art illustre un "magisme" païen persistant en plein XXe siècle.
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 la fiancée du jeune marin qui a pris le large, craignant pour sa vie, recourt à l'aide du tempestaire, intercesseur, intermédiaire entre les humains et la déesse Mer, qu'elle charge de calmer, de tempérer : il doit mettre fin au courroux de la Mer réclamant sa pitance, Mer-mère qui a déclenché la bourrasque : le sorcier parvient à ses fins ; il sauve l'amoureux du péril.

L'atmosphère du Tempestaire est envoûtante, prenante ; on ne peut l'oublier de sitôt : il est bon de rappeler qu'Epstein excella dans le cinéma muet fantastique, avec La Chute de la Maison Usher et La Glace à Trois Faces, que je découvris au commencement des années 1990.L'ineffable poésie se dégageant de ces images mouvantes en noir et blanc prouve ô combien l'économie de moyens dont Epstein usa dans son oeuvre convenait à la perfection à son message esthétique.
http://www.dvdclassik.com/upload/images/affiches/la-glace-a-trois-faces.jpg  

Quel fut l'accueil critique de cette singularité ? Un florilège vous est fourni sur le site de la Cinémathèque française.


·         Action
·         « Jean Epstein est un théoricien de la caméra. Son Tempestaire réserve pourtant une émotion artistique aux peintres : des cieux, des nuages vivants. »
·         [S.N.], 21.04.1948
·          
·         L’Age nouveau
·         « Pour la première fois, avec le cinéma, nous voyons que, sans être interprétés, des bruits de toutes sortes peuvent prendre une importance ignorée jusqu’à ce jour. Est-ce-à dire que c’est déjà de la musique ? C’est, en tout cas, de la composition sonore… »
·         René Clément, juin 1950
·          
·         Ambiance
·         « L’histoire est de celles qui naissent au bord des rochers dangereux dans une atmosphère qui excite l’angoisse et l’imagination. Mais ce n’est point seulement pour nous la conter qu’Epstein s’en est allé à Belle-Ile-en-Mer au large de Quiberon. Ce metteur en scène qui fut à l’avant-garde du muet et qui, autrefois, partant du ralenti de l’image, nous donna La Chute de la Maison Usher, ne vivait que pour appliquer au son cette méthode qui permettait de voir désormais ce qu’aucun être humain n’avait encore décelé ; et permettait d’entendre ce qui n’avait jamais été entendu. »
·         [S.N.], 18.06.1947
·          
·         L’Aube
·         « Le Tempestaire qui aura cette originalité de donner au son une importance presqu’aussi grande qu’à l’image (…). Nous verrons dans Le Tempestaire ce que peut nous apporter le ralenti du son.
·         Jean Néry, 04.04.1947
·          
·         Climats
·         « Un chef-d’œuvre qui n’a presque rien coûté ; un magnifique poème visuel fait par un seul homme, avec une modeste camera. »
·         Le Cousin Pons, 12.05.1948
·          
·         Europe
·         « Pour magnifier la mer, il a utilisé le ralenti visuel et a fructueusement expérimenté le ralenti sonore. La modification des rythmes de la réalité, trop souvent vouée jusqu’à présent à de médiocres prouesses d’illusionnisme, est ici promue à engendrer une émotion authentiquement artistique. »
·         Raymond Barkan, 06.1948
·          
·         Le Figaro
·         « Dans Le Tempestaire, vous entendrez, pour la première fois (…) un enregistrement direct du vent. Les techniciens avaient dit : c’est impossible. Nous sommes pourtant descendus dans la plus fameuse grotte de Belle-Ile, celle que Sarah Bernhardt a baptisée l’Apothicairerie. Le résultat est saisissant. Le dialogue dantesque du vent, de la mer et des roches ne ressemble à rien d’autre. »
·         Propos de Jean Epstein recueillis par Jean-Baptiste Jeener, 24.01.1947
·          
·         Franc-tireur
·         « Le Tempestaire, ce ne sera pas, comme on l’a écrit déjà, un film breton, mais plutôt un film atlantique, un film océanique. Le décor terrestre sera presque schématique. Et la mer que je veux saisir pourrait être aussi bien celle d’Irlande, ou d’Ecosse. Les acteurs indigènes eux-mêmes ne seront que des figures symboliques sur fond de mer et de ciel. Le Tempestaire sera, si vous le voulez, un film abstrait. »
·         Propos de Jean Epstein recueillis par Jean Néry, 06.02.1947
·          
·         France d’abord
·         « Le Tempestaire est une œuvre attachante et originale où l’on retrouve le rôle important que le son aurait dû toujours garder dans les créations d’atmosphère. C’est aussi, pour bien des cinéastes, une leçon de cinéma sonore et une leçon de montage, réalisées avec la sobriété que, seul, peut conférer le talent. »
·         Georges Terrane, 22.05.1947
·          
·         France-libre
·         « Le Tempestaire, court métrage, est une succession d’images mêlées de bruits qui, entrant en résonnance avec l’âme du spectateur, font naître en lui une suite d’émotions de la plus haute qualité (…). Le Tempestaire est un documentaire romancé où Jean Epstein à force d’habileté et de puissance, restitue par le roman la réalité. »
·         Pierre Chartier, 15.05.1947
·          
·         Mer et Outre-mer
·         « Les grandioses images (…) du Tempestaire ; quelle plus belle plastique imaginer que celle de l’assaut des vagues contre les rochers, décomposé en toutes ses reptations et ses jaillissements tel qu’on le voit dans Le Tempestaire ? Quoi de plus monstrueux que le va-et-vient de la mer, saisi dans l’ombre de la nuit, dont Epstein a su encore amplifier la vie mystérieuse en accompagnant l’image de la palpitation sonore de cette vie ? »
·         P. Laubriet, 01.11.1948
·          
·         Le Résistant de l’Ouest
·         « De cette évocation très simple, Epstein a réalisé quelque chose d’étonnant et de très personnel, marqué par son génie des belles images et des découvertes techniques. »
·         [S.N.], 21.02.1947
·          
·         Opéra
·         « Il s’agit d’un véritable poème cinématographique, utilisant (…) les nombreuses ressources du cinéma en matière de fantastique. Un immense crescendo nous y emporte à travers la tempête, jusqu’à sa résolution finale, admirablement soulignée par une musique d’Yves Baudrier, mise au point avec un grand soin par le compositeur et le metteur en scène ».
·         Gilbert Caillet, 18.06.1947
·          
·         Le Peuple
·         « Images admirables de vagues qui déferlent, de paysages marins, de dunes balayées par le vent et surtout rendu étonnant des miaulements, grondements et rugissements de la tempête. »
·         S.B., 24.05.1947
·          
·         Point de vue
·         « Pour la première fois dans les grottes de Belle-Ile, ont été enregistrés, en direct, les dialogues du vent et de la mer. Un étonnant mixage les a liés à la musique. C’est prodigieux. Il semble que nous soit révélée pour la première fois, la perspective sonore… »
·         [S.N.], 29.05.1947
·          
·         Une semaine à Paris 04.05.1948
·         « [Jean Epstein] nous place exactement face à la mer, seuls avec elle : il insiste des minutes durant sur un jeu de vagues courroucées… »
·         Jean Laury, 04.05.1948
·          
·         V (Marseille)
·         « Jean Epstein est un de ces cinéastes dont l’activité même réduite, inspire le respect et l’admiration. Le Tempestaire est le nom que les pêcheurs bretons donnent aux vieux marins doués de la faculté surnaturelle de déclencher ou d’apaiser les tempêtes. Dans une œuvre forte et saine de vingt minutes, Jean Epstein nous reconstitue une ambiance absolument extraordinaire. »
·         Charles Ford, 25.05.1947
Source : site Internet de la Cinémathèque française. 
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La dernière critique est signée Charles Ford (1908-1989), qui fut un important historien du septième art.

Prochainement, je débuterai une série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus, en commençant par l'évocation d'un auteur "homonyme" : Anatole France. 

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