jeudi 14 février 2019

Ces écrivains dont la France ne veut plus 27 : Pierre Nord.


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Après le roman feuilleton (Ponson du Terrail), après la science-fiction (Jimmy Guieu), après la littérature mêlant le fantastique, le conte et le terroir (Claude Seignolle), il est temps d’aborder une autre facette de l’écriture fictionnelle de genre avec le roman policier et d’espionnage.
Pierre Nord appartient tout entier à cette catégorie d’écrivains inclus dans la littérature orpheline que nul éditeur ne souhaite exhumer, jugeant ses écrits trop datés, trop contextualisés.
Par la matière littéraire qu’il brassa, par la profession qu’il exerça, il se rapproche des fort controversés Vladimir Volkoff (1932-2005 : le lieutenant X, c’était lui !)
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 et Gérard de Villiers (1929-2013 : SAS). D’une bonne génération antérieur à ces deux sires, il naquit André Brouillard le 15 avril 1900 au Cateau-Cambrésis.
Dès l’adolescence, sa vocation fut le renseignement, au point que les Allemands l’arrêtèrent en 1916 et qu’il échappa au peloton d’exécution en raison de son jeune âge. Il termina la Grande Guerre dans un bataillon disciplinaire allemand. Après-guerre, élève à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (1920-1922), officier des chars (on ne disait pas encore blindés), admis à l’école supérieure de guerre, participant au conflit du Rif marocain, blessé, André Brouillard entra au Deuxième Bureau, satisfaisant ses vœux professionnels.
A partir de 1936, sa connaissance du milieu de l’espionnage et du contre-espionnage lui permet d’entamer une carrière d’écrivain fructueuse, puisque le succès fut au rendez-vous dès sa première publication Double crime sur la ligne Maginot.
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 Dès 1937, le cinéma adapta cet ouvrage. Le film de Félix Gandéra (1885-1957), avec entre autres interprètes, Victor Francen, Henri Guisol et Véra Korène sortit en salles le 24 septembre 1937. Il a bénéficié d’une diffusion télévisée ces dernières années sur un chaîne satellite. 
Dans notre uchronie géniale Le Nouvel Envol de l’Aigle, ma sœur et moi avons réinterprété magistralement le film, modifié sa date, son titre et sa distribution, et dressé un portrait insolite et déroutant de Félix Gandéra écrit Gandera :
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 1938. Plateau de tournage du film Les mystères de la ligne Maginot, sous la direction de Félix Gandera, obscur tâcheron du Septième Art.
Distribution internationale alléchante, jugez un peu : Dita Parlo,
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Victor Francen,
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 Pierre Fresnay, Marcel Dalio, Viviane Romance, Pauline Carton, Erich von Stroheim, Julien Carette, Pierre Larquey, et Jean-Pierre Aumont. Borgne et portant un œil de verre, le réalisateur était shooté à la cocaïne. Il avait en permanence des bâtonnets blancs enfoncés dans les narines. Le tournage, on le comprend, s’effectuait au petit bonheur la chance et reposait sur le savoir-faire des comédiens. Lorsque Gandera planait ou était trop excité, Erich von Stroheim
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 le remplaçait à la caméra, mais son français était si peu compréhensible que Victor Francen traduisait ses directives de l’américain à la langue de Voltaire pour le reste de l’équipe. Viviane Romance et Dita Parlo ne s’entendaient pas et c’était un euphémisme de l’écrire si poliment. Elles se plaignaient de la taille de leur loge respective et se disputaient pour savoir laquelle des deux verrait son nom apparaître en premier dans le générique.
La comédienne d’origine teutonne refusait d’adresser la parole à Erich von Stroheim pour d’obscures raisons - de l’antisémitisme ? Le film accumulait donc les retards et les dépassements de budget. De plus, Charles Spaak, qui se baladait sur les plateaux, réécrivait souvent les dialogues sur ses genoux, afin d’y rajouter du sel dans l’affrontement entre Victor Francen, Dita Parlo, Marcel Dalio et Viviane Romance (…)
Tout ou presque est sciemment faux dans cette évocation typique d’un monde parallèle.
Nationaliste passionné et anti-pacifiste, opposé au Front populaire qu’il pensait défaitiste, Pierre Nord se rapprocha des milieux militaires d’extrême-droite. 
Bien que l'on pût craindre le pire des parcours, notre homme sut choisir le bon camp lors de la seconde guerre mondiale puisque patriote avant tout. Face aux dévoyés de la collaboration, il fut une figure de la France libre et de la Résistance : chef des services spéciaux des 9e et 10e armées, prisonnier des Allemands, il s'évada pour devenir un des animateurs de l'Armée secrète, créée en septembre 1942, issue du regroupement des formations paramilitaires des trois grands mouvements de résistance gaullistes de la zone sud : Combat, Libération-Sud et Franc-Tireur... Le général Charles Delestraint en deviendra le premier chef. Nous connaissons sa destinée tragique.
 
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Un jour (c'était il y a longtemps), alors que je venais d'acheter chez un bouquiniste un roman policier de la collection Le Masque (il s'agissait d'un Dorothy Sayers,
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 la créatrice du personnage de Lord Peter), je tombai par hasard, en feuilletant ce livre déjà antique, sur un extrait de catalogue de l'éditeur, liste dans laquelle figurait un titre qui m'intrigua : Peloton d'exécution 1944. L'ouvrage était de la plume de Pierre Nord, et je compris qu'il s'agissait d'un polar sur la Résistance... Je savais Pierre Nord disparu depuis quelques années, et j'avais lu sa nécrologie dans le volume annuel 1985 de l'Encyclopaedia Universalis. Il me semble bien que la télé avait annoncé sa disparition, le 13 décembre de cette année-là, dans une de ces brèves nécrologiques malencontreusement disparues du petit écran au nom de l'audimat et de l'ignorance.. Permettez-moi une digression anecdotique avant de poursuivre : à la même époque (quelques années après 1985, donc), préparant mon DEA d'Histoire sur la représentation de l'Afrique coloniale dans le journal Spirou, prélude à ma thèse, j'avais acquis les principaux ouvrages d'iconologie et d'analyse de l'image d'Erwin Panofsky (1892-1968).
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 Quelle n'avait pas été ma surprise, lors de la lecture ardue mais nécessaire de ces volumes, de découvrir chez ce docte savant un commentaire délicieux au sujet de Dorothy Sayers et de son art de l'intrigue, que Panofsky appréciait fort ! Fermons la parenthèse... 
Ainsi, avant de sombrer dans l'oubli, Pierre Nord avait bénéficié d'éditions courantes dans des collections policières réputées, ce qui le rattachait incontestablement à la littérature populaire.  
Sur le plan des idées politiques, Pierre Nord n'est pas exempt de critiques, mais ses actions dans la Résistance, l'Armée secrète, le rendent irréprochable durant l'Occupation. 
Ainsi, en 1943-1944, il fut sous les ordres du commandant Hubert de Lagarde, second du réseau Eleuthère. Les renseignements fournis par ce réseau permirent à l'aviation alliée de détruire la division blindée 9e Panzerdivisio SS Hohenstaufen, regroupée dans la région de Mailly-le-Camp/Châlons-sur-Marne, dans la nuit du 4 au 5 mai 1944.
Quittant l'armée à la Libération avec le grade de colonel, Pierre Nord se consacra dès lors à sa carrière d'écrivain, publiant de nombreux romans policiers, d'aventure et d'espionnage. Wikipedia insiste sur l'aspect très bien documenté des romans d'espionnage de Pierre Nord, dont le héros récurrent, le colonel Dubois, s'inspirait de Marcel Lafont, ancien chef du contre-espionnage français. 
Pierre Nord fut fidèle à ses éditeurs : la collection Le Masque, de la Librairie des Champs-Elysées et Fayard. 
Lorsqu'un auteur publie beaucoup, on peut penser que sa "facilité" d'écriture le conduit à "trop" publier... Surtout lorsque après sa mort, ses oeuvres finissent par ne plus connaître la moindre réimpression, et ce, depuis des décennies... C'est le sort qui fut réservé à Pierre Nord, rapidement catalogué comme un écrivain daté, trop attaché aux contextes de l'avant-guerre, de la seconde guerre mondiale puis de la guerre froide... 
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Adieu donc, Pierre Nord ou à bientôt... au format numérique ?