samedi 24 septembre 2022

Café littéraire : Le Pingouin, d'Andrei Kourkov.

Le Pingouin, d'Andrei Kourkov

Présentation par Dominique Jules

Théorie et pratique du complot

Andreï Kourkov Le Pingouin. 1996

 

Amazon.fr - Le Pingouin - Kourkov, Andreï, Amargier, Nathalie - Livres

On sait qu’une intrigue policière peut servir de cadre et de prétexte à une analyse critique de la société.
 Le Pingouin en est un exemple. Même si aucun des personnages n’est en charge d’une enquête, nous sommes bien en présence d’une sorte de polar, ou de thriller - pour parler bon français -

L’auteur est ukrainien, né en 1961 en Russie. C’était l’époque de l’Union soviétique, composée d’une dizaine de nations soviétisées qui ont retrouvé leur indépendance il y une trentaine d’années.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fe/Andrei_Kourkov_20100329_Salon_du_livre_de_Paris_3.jpg
 L’action se situe quelques années après ce qu’il est convenu de nommer « l’éclatement » de l’URSS.
L’une des conséquences de ce semblant de démocratie retrouvée (mais si longtemps négligée dans les actes), c’est que le pays se retrouve vite gangrené par la corruption, sans que l’exercice du pouvoir se soit affranchi des méthodes expéditives précédentes.

Parler de ce livre n’est pas facile sans trop en dire ou déflorer son charme.

Il y a bien un pingouin dans ce roman. Un vrai. Si ce n’est pas le personnage principal, c’est indéniablement le plus sympathique de tous. Il s’appelle Micha, mais n’est pas le seul à porter ce nom. Il adore les bains dans le Dniepr glacé,

Illustration

 le fleuve qui traverse Kiev, où son propriétaire l’emmène parfois se tremper. 

 2007.05.19. Andriy Kurkov by Kubik.jpg

Le protagoniste, Victor (« vainqueur » en latin), porte bien mal son nom. Il tient au contraire de l’antihéros. Écrivain sans succès, il ne parvient pas à placer ses nouvelles, dont tout porte à croire qu’elles ne manifestent pas un talent littéraire éclatant. En revanche il fait preuve d’une compétence appréciée par le rédacteur en chef d’un journal qui le charge au début du roman (il faut bien manger) de rédiger à l’avance des notices nécrologiques anticipant la disparation de personnalités du monde artistique, politique, ou de la nuit. Victor se met à alimenter abondamment la rubrique de ce que le quotidien appelle les « petites croix ».

Description de cette image, également commentée ci-après

C’est un usage journalistique qui existe partout dans le monde. Les responsables de la presse écrite, parlée, télévisuelle tiennent tout prêts des articles ou reportages sur des notabilités qui ont le mauvais goût d’arriver à un âge où la mort rode. Ils sont conçus en prévision du décès envisageable à plus ou moins court terme de ces personnalités connues. Par conscience professionnelle, évidemment !

Or  il se trouve que le travail rédactionnel de Victor, bien rémunéré, est fort profitable à son patron, car les décès des hommes et des femmes sur lesquels il écrit surviennent dans un laps de temps relativement succinct. Coïncidences ?

Concomitamment,  l’univers solitaire de Victor se peuple au gré d’aléas, de circonstances et de rencontres impromptues, au point que son existence de célibataire vire quasiment à la vie familiale. Il ne s’en plaint pas.

L’Ukraine où se déroule l’action du Pingouin est un drôle de pays, où il se passe de drôles de choses. Le ton mi-figue, mi-raisin qu’adopte Andréï Kourkov voile quelque peu le contexte somme toute tragique de l’aventure de Victor, vite dépassé par les événements qu’il déclenche malgré lui, au point qu’une menace vient bientôt peser sur sa vie, qui avait pourtant pris un tour avantageux.

Heureusement, pour contrebalancer ce tableau sombre, il y a le pingouin Micha, la petite Sonia qu’on lui confie, et Nina, sa baby-sitter. Leurs existences innocentes contrastent avec les parcours d’individus peu recommandables et sans vergogne, dont chaque action visible semble masquer des motifs invisibles.

Le dénouement inattendu fera envie à beaucoup, en ces temps de canicule.

 

Dominique Jules.

 

Prochainement : ces écrivains dont la France ne veut plus volet 41 : Alexandre Dumas Fils. 

 

 

 

samedi 10 septembre 2022

Micheline Presle : un centenaire négligé.

 Le 22 août 2022, une très grande actrice française a fêté son centenaire : Micheline Presle.

Micheline Presle Césars.jpg

Voilà une grande dame du septième, et même du huitième art - la télévision - lorsqu'on se souvient de sa contribution à une série populaire disponible sur Madelen, Les Saintes Chéries. Sa filmographie est tout sauf négligeable. Cela n'a pas empêché un traitement médiatique inexistant dudit anniversaire !

Je n'ai réellement découvert la jeune carrière de Micheline Presle qu'à l'occasion d'une exposition oubliée du musée des Arts décoratifs de Paris, à l'orée des années 1990 : un écran de télé diffusait en boucle un extrait du film Falbalas de Jacques Becker (1945) qui reflétait exactement l'état de la mode féminine française à la Libération. Aux côtés de Raymond Rouleau et de Jean Chevrier, notre actrice superbe, habillée par Marcel Rochas, y tient le rôle féminin principal, justement appelé Micheline Lafaurie. 

Falbalas en DVD : Falbalas - AlloCiné  

Lorsque nous vîmes la vidéo complète du film, je m'exclamai : "Quel est ce maquillage, quels sont ces yeux morts ?" La mode arborée par l'actrice me plaisait bien moins que son talent. Au risque de me répéter, je pourrais de nouveau gloser sur le second film le plus remarquable de cette période de la carrière de Micheline Presle : Boule de Suif. Mais j'ai déjà pondu au sujet du film de Christian-Jaque un article assez singulier en ce même blog, voilà un nombre déjà appréciable d'années. Permettez-moi de rappeler la remarque judicieuse de l'article consacré au film dans le Dictionnaire du Cinéma de Jean Tulard : dans le rôle de l'officier prussien, il ne confondait pas la composition et la caricature. 

Passons donc à une oeuvre du commencement de la carrière de Micheline Presle, un film de l'immédiat avant-guerre, signé d'un très grand nom du septième art : Paradis perdu, d'Abel Gance (1939). 


Certes, le film ne sortit qu'en 1940, mais quel film ! Elle y tint deux rôles, mère puis fille. Ce Paradis perdu-là n'a rien à voir avec celui de Milton. On y retrouve, par touches, le génie d'Abel Gance, comme dans le film marquant avec Harry Baur Un grand amour de Beethoven (1936).

Description de cette image, également commentée ci-après

 Micheline Presle fut donc successivement Janine, la femme du peintre Pierre, séparée de lui par la Grande Guerre, et Jeannette, fille de Pierre et de Janine, sa mère étant morte en la mettant au monde. Je sais, c'est mélo, mais c'est comme ça, dans le goût de l'époque. Bouleversé par la perte de sa femme, Pierre, alias Fernand Gravey, 

Description de cette image, également commentée ci-après 

mettra des années à accepter sa fille, et à élever Jeannette. Devenue une jeune femme, Jeannette souhaitera se marier avec le frère de la femme avec laquelle notre peintre veuf souhaite convoler ! Le summum du mélodrame est atteint avec le dénouement du film : le promis de Jeannette, officier de marine, menace de ne pas l'épouser si Pierre ne rompt pas avec sa soeur. Pierre accepte, et mourant, assiste à la cérémonie du mariage de sa fille pendant laquelle il trépasse !

Femme de cinéma et de théâtre, Micheline Presle n'a jamais laissé indifférent. Faut-il rappeler qu'elle joua dans l'adaptation du Diable au corps de Claude Autan-Lara en 1947 ? Sa longue carrière s'est poursuivie sans heurt jusqu'à un âge avancé, comme Danielle Darrieux. Il était inévitable que notre star française protéiforme s'intéressât à l'étrange lucarne, faisant des incursion répétées, prestigieuses et populaires, dans les fictions de la RTF puis de l'ORTF. Notre Micheline Chassagne - son vrai nom - y gagna un surcroît de notoriété. Ainsi découvris-je la singulière adaptation abrégée du Rouge et le Noir, concoctée par Pierre Cardinal (1924-1998) grâce à Madelen qui la posta à l'occasion du centenaire de notre actrice pour lequel ce site fut un des rares à réagir. Une mise en scène intrigante, en noir et blanc, hiératique, austère, toute en frontalité, ce qui cependant diffère de la caméra subjective, bien que les acteurs parlent en s'adressant aux téléspectateurs. Aux côtés de Micheline Presle, qui reprend le rôle de Madame de Rénal à Danielle Darrieux dans la version célèbre en couleurs de 1954 avec Gérard Philipe en Julien Sorel, et une fois encore Claude Autan-Lara derrière la caméra, tout un gratin d'actrices et d'acteurs demeurés en nos mémoires : Robert Etcheverry, alors "jeune premier" non encore moustachu, Michel Etcheverry, dont je n'ai jamais clairement su le lien de parenté avec le susnommé, Jean-Roger Caussimon, François Maistre et surtout Marie Laforêt avec ses yeux et sa voix inoubliable, en Mathilde de La Môle. 

 Image illustrative de l’article Le Rouge et le Noir 

Je pourrais longtemps épiloguer sur Les Saintes chéries, fiction télé la plus populaire de Micheline Presle,qui dura pas mal de saisons entre 1965 et 1971-72, mais je n'en ai pas vraiment envie, d'autant plus que les épisodes étant disponibles en leur intégralité sur Madelen, je me sens moins pressé de les visionner que d'autres oeuvres moins connues de la télé ancienne... Je vous quitte donc, avec une pensée émue pour Tonie Marshall (1951-2020), actrice et réalisatrice, fille de Micheline Presle hélas tôt disparue aux prémices de la pandémie de Covid-19.

Description de cette image, également commentée ci-après   

Prochainement : retour au café littéraire avec Le Pingouin d'Andreï Kourkov.

 Andrej Kurkow at Frankfurter Buchmesse 2022 (cropped).jpg