lundi 27 septembre 2021

Raoul Cauvin et Jean-Denis Bredin, deux grands disparus oubliés par la télévision.

 Raoul Cauvin (1938-2021)

 Image dans Infobox.

 et Jean-Denis Bredin (1929-2021)

 Jean-Denis Bredin en 1991, debout devant la fenêtre ouverte de son bureau

 : deux disparus récents pour lesquels, c'est le moins qu'on puisse écrire, la télévision n'a rien fait. Un bandeau furtif pour Cauvin, rien du tout pour Bredin ! 

Pour la énième fois, en ignorant Cauvin, l'a-télévision s'en prenait en quelque sorte aux personnalités que je connaissais depuis mon enfance. En escamotant Jean-Denis Bredin, c'étaient les gens que j'avais appris à connaître à l'université à travers leurs livres, en l'occurrence, L'Affaire qui devenaient les victimes de l'inculture journalistique crasse. Qui se souvient qu'en 1990, la réception de Jean-Denis Bredin à l'Académie française (il succédait alors à Marguerite Yourcenar), avait été retransmise en direct à la télé ? 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Jean-Denis_Bredin_04.png 

Cette réception académique tomba le jour de ses 61 ans, soit le 17 mai 1990. Pour l'accueillir, et lui souhaiter comme il se devait un bon anniversaire, le tout aussi oublié Pierre Moinot officia. 

Photos de Pierre Moinot - Babelio.com 

Pierre Moinot nous quitta le 6 mars 2007, dans une indifférence audiovisuelle terminale... Admettons qu'il s'agisse de discrétion, mais on ne me la fait pas !

Revenons à Raoul Cauvin : il est selon moi clair que la bande dessinée tout public populaire qu'il incarnait depuis plus d'un demi-siècle ne seyait pas à certains intellectuels pétris de bédé pour adultes soi-disant transgressive. Cependant, la paternité de Cauvin dans d'innombrables séries dessinées dont il imagina les péripéties est incontestables, et son génie scénaristique permit le succès - conjugué au talent des dessinateurs - de la plus grande partie d'entre elles. Le Spirou avec Nic Broca (1981-1983) constitue un de ses rares échecs même si, admettait-il, les albums de la série qu'il cosigna ne s'étaient pas mal vendus. Il y eut chez Cauvin des séries éphémères, d'autres qui auront duré des années... J'admets avoir été parmi les rares soutiens de cette éphémère reprise de Spirou à laquelle on n'a pas laissé le temps d'évoluer.

Outre les incontournables Tuniques bleues, créées en 1968, que doit-on à Cauvin ? Les Gorilles, série devenue Sammy, série créée avec le dessinateur Berck, transfuge de Tintin (Strapontin, le chauffeur de taxi, c'était lui), qui nous a quittés l'an passé. Le dessin fut repris par Jean-Pol au milieu des années 1990 après la retraite de Berck. En 2009, hélas, les deux auteurs décidèrent d'un commun accord de jeter l'éponge, prétextant que la cadre de la Prohibition et d'Al Capone ne disait plus grand-chose aux nouvelles générations, au contraire de la guerre de sécession. Selon moi, ce fut une erreur, comme en témoigna peu après le succès (critique et public) de la grande série américaine Boardwalk Empire, avec l'excellentissime Steve Buscemi.

Description de cette image, également commentée ci-après

Autre série de Raoul Cauvin qui eût mérité de durer davantage, compte tenu son cadre napoléonien : Godaille et Godasse (1975-1988), avec, au dessin, le regretté Jacques Sandron (1942-2019).

BD: décès du dessinateur Jacques Sandron - Le Soir 

Combien de séries sous-estimées avec Cauvin au scénario !  Ainsi pourrions-nous évoquer ses scénarios originels de séries éphémères, gags ou autres, telles les puces Arthur et Léopold, avec Eddy Ryssack (1928-2004) au dessin (1968),

Image illustrative de l’article Arthur et Léopold 

ou, mieux encore, sa collaboration avec Claire Bretécher,

 Image dans Infobox.

cette immense dessinatrice dont la brièveté des bandes qu'elle et Cauvin cosignèrent dans Spirou n'entrava heureusement ni la carrière prestigieuse ni le talent de l'autrice, alors unique dans le 9e art : Les Naufragés (1968-1971). Rappelons cependant que Les Gnangnan (1967-1970) et Robin les Foies (1969-1971) furent créés en solo par la grande dessinatrice. 

On peut affirmer sauf erreur que Les Tuniques bleues furent le succès le plus durable et notable de Raoul Cauvin. La mort prématurée de Louis Salvérius, premier dessinateur de la série, ne compromit pas longtemps son avenir puisque Lambil la reprit au pied levé. De même, on retrouve avec le couple humain-cheval (le caporal Blutch et la jument Arabesque), une constante scénaristique de Cauvin, utilisée avec les tandems Câline et Calebasse (série humoristique qui se déroulait sous Louis XIII) et Godaille et Godasse (le hussard et le cheval sous Napoléon). 

Malgré la qualité générale et la variété de ses séries, Cauvin ne rencontra pas toujours le succès. Doit-on écrire que le festival d'Angoulême ne l'aimait guère, sous-estimant et sous-évaluant ainsi la bande dessinée populaire s'adressant à tous les publics ? Il fut "boudé" par la critique dite "sérieuse", acquise à la bédé adulte, et dut se contenter de récompenses moins brillantes comme les prix Saint-Michel.

La disparition de Raoul Cauvin nous laisse orphelins. Outre qu'elle rend incertaine la survie de plusieurs séries comme Cédric qu'il poursuivait avec Laudec depuis 1987 (seules les Tuniques Bleues paraissent pour l'instant sauvées), cette mort marque selon moi une rupture à la fois symbolique et définitive : c'est la page de toute une époque instaurée depuis un demi-siècle qui vient de se tourner. 

Avant de clore définitivement cet article, je souhaite revenir une fois ultime sur Jean-Denis Bredin que j'ai quelque peu négligé. S'il existe un seul ouvrage à lire de Jean-Denis Bredin, c'est L'Affaire cette somme consacrée à Alfred Dreyfus et à son injuste condamnation : longtemps, ce livre a fait autorité - c'était le plus complet sur l'affaire Dreyfus jusqu'à des recherches récentes et un fameux roman : D de Robert Harris,

 Description de cette image, également commentée ci-après 

adapté par Roman Polanski. J'ai appris par L'Affaire que des peintres éminents comme Renoir, Degas et Cézanne

 Image dans Infobox.

 étaient antidreyfusards. 

Ce livre eut un tel retentissement qu'il fut longtemps question de son adaptation, mais les aléas politiques, la mort d'Yves Montand envisagé un temps dans le projet etc. retardèrent tout aboutissement d'une Affaire Dreyfus télévisuelle. Cependant, en 1995, un téléfilm en deux parties de 90 minutes, avec Thierry Frémont,

Description de cette image, également commentée ci-après

Bernard-Pierre Donnadieu et Pierre Arditi fut enfin diffusé. Cette adaptation d'Yves Boisset

 Description de cette image, également commentée ci-après

 s'avéra imparfaite car éludant notamment le fiasco du procès en révision de Rennes. La grande historienne Madeleine Rébérioux se plaignit avec justesse de l'absence de Jean Jaurès dans l'histoire ! 

Etait-ce faire justice au capitaine Dreyfus et à maître Bredin ? Pas tout à fait, puisque le film de Polanski, malgré son contexte houleux et le Emile Zola ou la conscience humaine de Stellio Lorenzi

 Stellio Lorenzi - UniFrance

 avec Jean Topart dans le rôle titre lui sont bien supérieurs... 

Prochainement : prix Nobel 2021 : un cru presque ignoré de l'info télé à l'exception d'Arte.

dimanche 5 septembre 2021

Steven Weinberg victime d'une dénécrologie presque intégrale.

 Le 23 juillet 2021, sans que nul en France, dans les sources d'information, s'en rendît compte (à de fort rares exceptions), disparut un des plus considérables physiciens du XXe siècle : Steven Weinberg.

Image dans Infobox. 

En 1979, il avait partagé le prix Nobel de physique avec le physicien pakistanais Abdus Salam et l'Américain Sheldon Glashow pour leurs travaux sur la théorie de l'interaction électrofaible, qui unifia deux des quatre forces fondamentales : l'électromagnétisme et l'interaction faible. Une légende de la physique nous a donc quittés, dans le long silence coupable et extravagant de la presque unanimité des médias, cela dès la source de l'AFP ! Seule la revue Science et Avenir sut réagir rapidement, trois jours après le décès, soit le 26 juillet. Hélas, il n'en fut pas de même ailleurs ! Il fallut attendre plus de deux semaines pour que Le Monde réagît enfin ! 

Il s'agissait de s'adresser aux gens peu férus en physique : cela s'appelle de la vulgarisation, et force est de reconnaître que, dans l'affaire Steven Weinberg, les médias français ont failli en un bel ensemble...  Un scandale inexcusable pour qui apprécie ladite vulgarisation scientifique, à l'heure où il est question de l'existence d'une cinquième force fondamentale ! 

J'ai appris l'existence de Steven Weinberg lorsque j'entendis parler de son maître-livre (toujours disponible en poche en français !) Les trois premières minutes de l'Univers. C'est une synthèse passionnante sur l'état des connaissances autour de l'origine de l'univers et du big bang dans les années 1970, texte révisé à la fin des années 1980, un ouvrage toujours prenant, même si le savoir en physique et en astrophysique s'est encore enrichi depuis, suscitant de vifs débats entre partisans de plusieurs théories (gravité quantique à boucles, supercordes, branes, big bounce etc.).

Rien que pour cela, pour ce livre (comme Une brève Histoire du Temps fut à la fin des années 1980 le livre qui révéla Stephen Hawking au grand public), le nom de Steven Weinberg mérite amplement de survivre ! 

  

Espérons que la négligence nécrologique optimale autour de ce scientifique majeur sera une des dernières bévues informationnelles qu'il me sera donné de connaître, et que AFP, presse et télévision sauront faire amende honorable.

Prochainement : Raoul Cauvin et Jean-Denis Bredin, deux grands disparus oubliés par la télévision.  

Image dans Infobox.