Il était désormais plus facile à la France d'obtenir des prix Nobel scientifiques que des victoires à l'Eurovision et à la Grande Boucle, victoires vaines et superfétatoires, par trop mercantiles et médiatiques, qui n'eussent rien ajouté à sa vraie gloire pérenne (extrait des Annales improbables du XXIe siècle. Anno Domini 2050).
Il fut un temps où l'on honorait voire adulait les longs métrages de James Ivory. Du jour au lendemain, nos modernes Sicambres brûlèrent ce qu'ils avaient adoré et James Ivory bascula de la gloire à l'opprobre, devenant le parangon d'un cinéma académique, empesé, ennuyeux et insipide. Sur quels critères se base-t-on pour mesurer la sapidité d'une oeuvre cinématographique ?
Vers 1995, James Ivory passa donc, tout d'un coup, du statut envié de grand maître de la caméra à celui de has been décadent, démodé, connaissant le même sort que Robert Altman entre 1980 et 1991. Le film coupable, pomme de discorde et objet de rejet, qui fit se retourner l'opinion officielle bien pensante comme un gant, s'intitulait "Jefferson à Paris", qui nous révéla la splendide Thandie Newton (dont la carrière, hélas, système oblige, ne fut pas à la hauteur des espoirs suscités), et représenta le chant du cygne de Greta Scacchi - dont Ivory semble avoir pressenti le déclin trop rapide et a filmé son actrice comme s'il avait composé un thrène funèbre, un Tombeau, un Mille Regrets, dédié à la mémoire de celle qui ne serait plus...
Symptôme révélateur : "Jefferson à Paris" ne sortit pas en VHS en commerce et à la location ou alors, en catimini. Je peinai à le revoir ; je dus patienter deux années après sa sortie pour que Canal + se décidât à une diffusion télévisée. Le complot anti-films historiques en costumes, fomenté par les sycophantes de l'inculture ultra-commerciale instituée comme le premier des Beaux-Arts, fit de James Ivory une victime de choix, de prédilection, un splendide trophée de chasse. Réussite absolue des fripons, au point que son dernier opus, bien que semble-t-il de moindre intérêt que les autres (mais peut-on juger autrement que sur pièce un film rendu sciemment invisible et indiffusable ?), n'est jamais sorti en salles en France...malgré la présence de Charlotte Gainsbourg dans le rôle féminin principal ! Sans omettre la magnifique Alexandra Maria Lara, au regard mélancolique, qui, par ailleurs, me fit forte impression dans le tout autant saboté et rejeté (hélas !) "Homme sans âge", de l'immense Francis Ford Coppola.
Reprochez-moi, tant que vous voudrez, la démesure et l'emphase de mon style de polémiste, qui n'est pas sans rappeler Gabriele D'Annunzio ou Jean Topart dans le rôle de Sir Williams de l'inégalé Rocambole des années 1960. Je considère D'Annunzio et l'autre excentrique 1900, Robert de Montesquiou, comme des prédécesseurs de Salvador Dali. C'est comme cela qu'il faut écrire.
Pour en revenir avec James Ivory et en terminer avec ce billet fulminant l'anathème, avouons que la visibilité audiovisuelle de ses oeuvres en France se réduit presque désormais à "Maurice" et à "Chambre avec vue", alors que ses deux grandes adaptations d'Henry James, "Les Européens" et "Les Bostoniennes" (avec le regretté Christopher Reeves, non réductible à Superman), ne sont jamais diffusées à la télévision, Arte incluse. Qui a les droits ? On doit se contenter des versions originales non sous-titrées et tronçonnées de You Tube si l'on veut absolument les apprécier, sinon niet !
samedi 30 juin 2012
dimanche 24 juin 2012
Albert Camus et "L'Etranger".
Avec "l'Etranger", Albert Camus signa son premier grand chef-d'oeuvre romanesque, en cela qu'il démontra comment le style d'écriture d'un auteur ne devait pas se limiter à une ligne de conduite unique, mais épouser le plus étroitement possible son sujet, être en adéquation avec son personnage, le narrateur Meursault, quitte à changer de démarche scripturale à l'ouvrage suivant.
Tout y est remarquable de précision et de concision. C'est Meursault qui s'exprime. Camus se refusa dans "L'Etranger" à tout lyrisme, à tout épanchement, quitte plus tard, à être protéiforme et lyrique, en fonction de ce qu'il écrivait, voulait démontrer dans son art narratif insigne. Dans "l'Etranger", il opta délibérément pour l'épure. La poésie propre à sa prose superbe ne transparaît que dans la séquence du meurtre, qui clôt la première partie. Cette scène en acquiert des accents impressionnistes dans sa violence épurée, dans ce rendu exact et vécu du climat d'Alger, si particulier et sublimé, dans cette évocation d'une chaleur méditerranéenne extrême, d'un soleil cruel, tourmentant les corps et les esprits, modifiant la perception des choses.Ce roman affiche donc un "anexotisme" assumé, tout en insistant sur l'atmosphère, la chaleur, le soleil. Il se débarrasse de tous les artifices de la littérature coloniale, orientaliste ou "légionnaire" localisée en Afrique du Nord. Meursault vit dans un vase clos, modeste, une société de quartier où tous se connaissent, où l'on aime la mer, le cinéma, les filles.
Je n'éprouve aucune sympathie pour Meursault. Ce personnage, ce narrateur, qui dit souvent que cela lui est égal, ne suscite sciemment ni identification, ni empathie, ni idiosyncrasie, ni pitié. Il est froid, détaché, ordinaire, banal, indifférent. Il n'est aucunement mon symbiote mais apparaît monstrueux dans sa banalité même tant il ne ressent ni l'amour (seulement du désir sexuel), ni la compassion (compatit-il vraiment au chagrin du vieux Salamano qui a perdu son chien ?). Il tue en aveugle, entraîné par les événements, par les ennuis de Raymond. C'est un étranger, oui, étranger jusqu'à lui-même...ainsi que le déclara une connaissance de mon père, à Orléans, en 1980, alors que, jeune lycéen, je venais d'étudier cette haute manifestation de la littérature contemporaine. La société a de lui une image négative d'insensibilité, parce qu'il ne réagit pas en conformité avec ce qu'elle attend. Meursault évolue en prison, se révèle, constate que sa vie fut heureuse, attend le spectacle de sa mort, de son exécution publique, de la haine manifestée à son égard, après que sa violence libératrice se soit exercée contre le confesseur et contre Dieu.
Le regard, le style de Camus, disais-je, sont admirablement adaptés à l'oeuvre et au personnage. Sobriété donc, laconisme assumé, concision, dépouillement de la langue de tous les artifices... Pas un mot de trop, pas de fioritures, pas d'emphase. L'essentiel, toujours, tout en préservant cette atmosphère particulière, torride, pesante, de l'Algérie coloniale. Le meurtre commis par Meursault est impulsif, il n'est même pas raciste. Ce serait là commettre un contresens. Meursault est un petit employé modeste, un petit blanc, un pied-noir ordinaire de ces années trente là, tel qu'il y en avait tant à l'époque. Il ne se pose aucune question existentielle, métaphysique. Albert Camus rejette en lui le mélodrame artificiel, le sentimentalisme. Indifférent à la femme, à Dieu, à la justice des hommes, à la mort de sa mère, Meursault est le monstre froid, l'être du commun inappréhendable et absurde. Soixante-dix ans après, "L'Etranger" nous touche toujours par sa modernité. Il s'agit sans doute là du premier vrai roman contemporain ayant renoncé à tout le décorum littéraire passé, voué aux oubliettes. A tort, des épigones crurent qu'il s'agissait d'une règle d'écriture érigée en système obligatoire. Ils imitèrent (mal) le Camus de "L'Etranger", oubliant le Camus de "La Peste", le Camus du lyrisme algérien. Il y a eu un avant et un après "L'Etranger". Ce grand livre fut l'affirmation neuve d'un rigorisme ascétique du style, confinant presque à l'abstraction. Il marqua une dissolution de la littérature, limitée, avec un génie inégalé, à ses signifiants essentiels. Si nous n'y prenons garde, dans ce monde dépersonnalisé, nous deviendrons tous de nouveaux Meursault. Tel me semble le message actuel. Camus a toujours su manier la parabole avec maestria. Il est devenu universel...un classique pérenne.
Tout y est remarquable de précision et de concision. C'est Meursault qui s'exprime. Camus se refusa dans "L'Etranger" à tout lyrisme, à tout épanchement, quitte plus tard, à être protéiforme et lyrique, en fonction de ce qu'il écrivait, voulait démontrer dans son art narratif insigne. Dans "l'Etranger", il opta délibérément pour l'épure. La poésie propre à sa prose superbe ne transparaît que dans la séquence du meurtre, qui clôt la première partie. Cette scène en acquiert des accents impressionnistes dans sa violence épurée, dans ce rendu exact et vécu du climat d'Alger, si particulier et sublimé, dans cette évocation d'une chaleur méditerranéenne extrême, d'un soleil cruel, tourmentant les corps et les esprits, modifiant la perception des choses.Ce roman affiche donc un "anexotisme" assumé, tout en insistant sur l'atmosphère, la chaleur, le soleil. Il se débarrasse de tous les artifices de la littérature coloniale, orientaliste ou "légionnaire" localisée en Afrique du Nord. Meursault vit dans un vase clos, modeste, une société de quartier où tous se connaissent, où l'on aime la mer, le cinéma, les filles.
Je n'éprouve aucune sympathie pour Meursault. Ce personnage, ce narrateur, qui dit souvent que cela lui est égal, ne suscite sciemment ni identification, ni empathie, ni idiosyncrasie, ni pitié. Il est froid, détaché, ordinaire, banal, indifférent. Il n'est aucunement mon symbiote mais apparaît monstrueux dans sa banalité même tant il ne ressent ni l'amour (seulement du désir sexuel), ni la compassion (compatit-il vraiment au chagrin du vieux Salamano qui a perdu son chien ?). Il tue en aveugle, entraîné par les événements, par les ennuis de Raymond. C'est un étranger, oui, étranger jusqu'à lui-même...ainsi que le déclara une connaissance de mon père, à Orléans, en 1980, alors que, jeune lycéen, je venais d'étudier cette haute manifestation de la littérature contemporaine. La société a de lui une image négative d'insensibilité, parce qu'il ne réagit pas en conformité avec ce qu'elle attend. Meursault évolue en prison, se révèle, constate que sa vie fut heureuse, attend le spectacle de sa mort, de son exécution publique, de la haine manifestée à son égard, après que sa violence libératrice se soit exercée contre le confesseur et contre Dieu.
Le regard, le style de Camus, disais-je, sont admirablement adaptés à l'oeuvre et au personnage. Sobriété donc, laconisme assumé, concision, dépouillement de la langue de tous les artifices... Pas un mot de trop, pas de fioritures, pas d'emphase. L'essentiel, toujours, tout en préservant cette atmosphère particulière, torride, pesante, de l'Algérie coloniale. Le meurtre commis par Meursault est impulsif, il n'est même pas raciste. Ce serait là commettre un contresens. Meursault est un petit employé modeste, un petit blanc, un pied-noir ordinaire de ces années trente là, tel qu'il y en avait tant à l'époque. Il ne se pose aucune question existentielle, métaphysique. Albert Camus rejette en lui le mélodrame artificiel, le sentimentalisme. Indifférent à la femme, à Dieu, à la justice des hommes, à la mort de sa mère, Meursault est le monstre froid, l'être du commun inappréhendable et absurde. Soixante-dix ans après, "L'Etranger" nous touche toujours par sa modernité. Il s'agit sans doute là du premier vrai roman contemporain ayant renoncé à tout le décorum littéraire passé, voué aux oubliettes. A tort, des épigones crurent qu'il s'agissait d'une règle d'écriture érigée en système obligatoire. Ils imitèrent (mal) le Camus de "L'Etranger", oubliant le Camus de "La Peste", le Camus du lyrisme algérien. Il y a eu un avant et un après "L'Etranger". Ce grand livre fut l'affirmation neuve d'un rigorisme ascétique du style, confinant presque à l'abstraction. Il marqua une dissolution de la littérature, limitée, avec un génie inégalé, à ses signifiants essentiels. Si nous n'y prenons garde, dans ce monde dépersonnalisé, nous deviendrons tous de nouveaux Meursault. Tel me semble le message actuel. Camus a toujours su manier la parabole avec maestria. Il est devenu universel...un classique pérenne.
mercredi 20 juin 2012
Le film "L'Ombre du Mal" sabordé par la critique et saboté par les distributeurs.
Tous les moyens existent pour couler un film (d'après un enseignant de l'université de Provence Aix-Marseille I UV Image et Histoire, 1985 à propos des films tournés sur La Commune de 1871).
C'était un des films du mois de juin 2012 que j'attendais le plus, alléché par la haute tenue et par l'aspect prenant de la bande annonce en anglais non sous-titré que j'avais pu visionner çà et là.
Las ! Une fois de plus, après tant de longs métrages intéressants vitupérés car ne correspondant pas à au goût contemporain, après les sorts lamentables d'Anonymous en janvier dernier ou de Cadavres à la pelle en août 2011, force est de constater qu'il faudra attendre l'hypothétique DVD ou blue ray de ce film pour qu'à la parfin je puisse le voir. Ce sabotage d'un film gothique, sûrement honorable malgré quelques réserves d'usage, appartient-il à l'habituelle acception qui nous fait sous-entendre qu'il est victime d'une conspiration, d'une conjuration de l'anti-culture littéraire, hors la tant aimée Jane Austen, seule auteure de langue anglaise anté-vingtième siècle tolérée chez nous ? Cela devient désormais une quasi affirmation. Trois salles seulement à Paris en VO ! Une seule à Marseille à des horaires plus pourris qu'un fond de pantaloons vérolés et suris d'une English bitch georgienne ! Le film de James Mc Teigue se retrouve à peu près aussi mal loti que l'absolu et dérangeant chef-d'oeuvre avéré (toujours en costumes, ô, le non-hasard !) d'Alexandre Sokourov
Faust, primé à Venise l'an passé. Comploteurs qui abhorrez le cinéma historique et littéraire (car la culture, la vraie, donne à réfléchir et sème les ferments de la contestation contre votre ordre temporaire établi), au nom de la flatterie pascalienne des bas-instincts massificateurs du peuple, qui vous fit faire proliférer le foot et les bistrots, opiums nonpareils, cessez ne nuire ! Il y a urgence ! Souvenez-vous ; c'était aux grands débuts de la conspiration, en 1987, quand un journaliste cannois avait critiqué la palme d'or attribuée à Maurice Pialat sous les quolibets et les sifflets pour Sous le soleil de Satan. Ce journaliste avait jeté que le film se référait à un écrivain (Bernanos),
dont le style d'écriture était devenu imbuvable, illisible, daté, et qu'on n'écrivait plus comme ça de nos jours. Le regretté cinéaste avait jeté aux persifleurs haineux : "je ne vous aime pas non plus", coup de gueule salutaire d'un grand monsieur...
dimanche 17 juin 2012
Hommage à Henri Gouhier, le plus obscur des académiciens du dernier quart du XXe siècle.
"Le préservateur d'Agartha City en avait désormais la certitude : la destruction du friedmano-hayekisme passerait par l'effondrement de la Chine, étape obligée vers un changement terminal de monde."
(chroniques conjointes de Raeva Rinpoché et du néo Daniel op. cit.)
Vous qui osez fréquenter ce blog (ou avez le courage de le faire) commencez à vous en douter : la polémique culturelle est mon thème de prédilection. Qui a entendu parler d'Henri Gouhier (1898-1994) ? Historien de la philosophie, spécialiste de Nicolas Mallebranche, successeur d'Etienne Gilson à l'Académie française, ultime académicien élu né avant le 1er janvier 1900 ( il obtint les suffrages de la Coupole en 1979, la même année qu'Alain Decaux), il fut toujours un homme discret quoique fort apprécié. Passionné par le théâtre, il eut droit à un joli hommage funèbre de la part de Bertrand Poirot-Delpech, qui signa son article nécrologique pour Le Monde et le connaissait bien. Je n'ai plus vraiment cet article en tête, mais le regretté écrivain disait d'Henri Gouhier qu'il avait été un homme ouvert, à l'écoute des autres et d'une exquise gentillesse. Il faut dire que la télévision ne s'intéressa guère à lui, si ce n'est par ricochet, notamment, en un instant d'intense émotion, dans la série d'Arte L'Apocalypse (2008),
lorsque le professeur Moshe David Herr, de l'université hébraïque de Jérusalem, lors d' un admirable moment télévisuel unique et furtif, évoqua incidemment le souvenir d'Henri Gouhier qu'il avait connu... et admirait. Persistance de la mémoire pour ceux qu'il faudrait retenir, et non pour les autres, personnages d'une mode passagère, d'un instant, qu'on nous impose sans cesse à célébrer dans nos pauvres cervelles... au nom des lois du seul marché comme il y eut le culte de la personnalité rouge ou brune...
Dans les années 80, j'avais adressé une correspondance à un cousin où je lui avais joint une petite photo d'Henri Gouhier, découpée à partir d'une liste d'académiciens, fauteuil par fauteuil, prétexte pour lui poser une colle en le questionnant sur l'identité de ce grand méconnu. Autrement dit : Qui est-ce ? Je lui répondis, après qu'il se fut planté dans sa missive de réponse et qu'il eut rapproché cette misérable petite photo de mauvais magazine des anciens clichés de lecteurs de Spirou des années 60 qui, lorsqu'ils s'adressaient à la rubrique du Fureteur, avaient la manie de joindre un cliché d'identité pour que cet illustré glorieux et génial publiât la reproduction (approximative) de leur frimousse (à la même époque Mickey s'emplissait aussi de ces photographies) : "C'est Henri Gouhier, le moins connu, le plus obscur des membres actuels de l'Académie française"...destiné à le rester, hélas ! Je regrette pareillement que pas une ligne du discours de réception de Pierre Rosenberg à l'Académie française, ayant pour objet l'éloge d'Henri Gouhier, n'ait été portée à ma connaissance par voie de presse, comme en une sorte de boycott. Aurait-on fait payer involontairement et implicitement au défunt l'affaire ridicule du refus de la candidature académique de Georges Semprun, qui avait justement convoité le fauteuil d'un homme qu se serait hissé au-dessus de toutes ces polémiques idéologiques ostracisant trop de personnes d'un camp ou de l'autre, d'une mode ou de l'autre, d'une pensée dominante ou dominatrice ou de l'autre lorsque la vogue de l'une ou l'autre est venue à passer ? L'ignorance télévisuelle du décès du poète Guillevic en 1997 en témoigne.
Pour ceux et celles qu'Henri Gouhier intéresse (je doute qu'ils ou elles soient plus d'une infime poignée), ses oeuvres ont presque toutes paru chez l'éminent éditeur Vrin... Attention pour une commande en ligne : ces bouquins coûtent et sont presque épuisés !
lundi 11 juin 2012
Jane Austen : cet arbre qui cache la forêt littéraire...
Les romans de Jane Austen ressemblent à des telenovelas brésiliennes toutes en frivolité et légèreté, toutes en insouciance des horreurs de la révolution industrielle naissante, telenovelas qu'on aurait écrites et "réalisées" à l'époque napoléonienne. C'est pour cela qu'ils devinrent fort à la mode au détriment de ceux de Charles Dickens quand triompha le friedmano-hayekisme "heureux" et "mondial" (in : "Journal absurde d'un Oulipo hétéronyme" année 2012 d'après Davos).
Jane Austen...cet arbre qui finit par cacher en sa presque totalité la forêt littéraire anglo-saxonne des années 1800-1914, où d'Outre-Manche, ne finissent par émerger, à part elle, qu'à peine quelques infimes et insignifiants rameaux dus à Oscar Wilde... Doit-on l'écrire noir sur blanc ? En France, Jane Austen est devenue, contre son gré, malgré elle (mais une morte depuis bientôt deux siècles peut-elle protester de cette notoriété posthume ?), l'écrivaine anglaise officielle du XIXe siècle... la seule dont on parle et disserte chez nous, dans les médias de vulgarisation.
Imaginez-vous voyageant dans une Grande-Bretagne uchronique, où, en guise d'adaptations littéraires fictionnelles de nos oeuvres de grands auteurs français ayant vécu, en gros, du Consulat à la Première Guerre mondiale, la BBC ou Channel Four, ou d'autres networks encore, ne diffuseraient que des films et téléfilms tirés de Germaine de Staël,
de Corinne, Delphine et autres De l'Allemagne... avec, parfois, pour ne pas l'oublier, une bribe ou deux de Marcel Proust... Vous aurez ainsi un aperçu à peine caricatural de ce qui se passe chez nous, car il appert que seule désormais Jane Austen semble être à la mode dans l'Hexagone et trouver grâce aux yeux de nos élites férues de grande littérature anglaise, comme si elle avait été la seule auteure britannique du XIXe siècle ou presque, bien qu'elle soit morte dès 1817 (tiens, comme Madame de Staël...). C'est ce que fait Arte ce mois-ci, Arte, qui n'a pas profité de ce juin spécial British pour rattraper ses manquements envers Charles Dickens... (voir un de mes précédents billets sur ce blog). Mais pourquoi cette chaîne n'a t-elle pas saisi l'occasion d'acquérir les droits de diffusion de la dernière adaptation de Little Dorrit par la BBC en 2008 ? Certes, tous ces téléfilms inspirés de la superbe Jane (et les biopics tournant autour), m'ont permis d'apprécier de bons comédiens et de ravissantes comédiennes souvent de talent (Billie Piper, vedette de Doctor Who, Anne Hathaway ou encore Felicity Jones - que l'on vit dans le très wildien et jouissif Chéri de Stephen Frears ; comme par hasard, le Emma avec Romola Garai manque à l'appel) mais c'est oublier, laisser de côté tous ces romans valables d'Elizabeth Gaskell,
de George Eliot,
d'Anthony Trollope,
de Benjamin Disraëli (oui ! Rappelons qu'il fut également un grand romancier !), d'Anne Brontë etc. qui ont souvent bénéficié de brillantes adaptations télévisées ou cinématographiques que notre frileuse France-coq gaulois arcbouté sur ses ergots en son tas de fumier néglige à tort... Quelles lectures pourrais-je vous recommander (disponibles en poche, c'est moins cher...) ? : Miss Mackenzie, d'Anthony Trollope dont on pourrait dire que Washington Square (alias L'Héritière, futur grand rôle d'Olivia De Havilland) d'Henry James s'est un peu inspiré ; Nord et Sud, d'Elizabeth Gaskell (roman social contemporain de Temps difficiles de Dickens) et Daniel Deronda de George Eliot, qui nous dépeint la communauté israélite du Royaume Uni victorien...
Nonchalance et désinvolture entrecoupées de mots d'esprits, d'aphorismes, semblent caractériser Oscar Wilde aux yeux d'un Henry James critique, au langage châtié, élégant, tel que David Lodge nous le dépeint dans L'Auteur! L'Auteur ! C'est excellent, et l'on sait que, lorsqu'il s'adressait à un public plus large, Oscar Wilde ne pouvait écrire ouvertement ce qu'il réservait à une littérature "sous le manteau", non corsetée. C'est pourquoi Le Portrait de Dorian Gray nous paraît plus timide que les ouvrages d'Octave Mirbeau, Georges Darien, Jean Lorrain, Joris-Karl Huysmans ou Léon Bloy. Le jardin des Supplices, Monsieur de Phocas ou Là-bas auraient été impubliables Outre-Manche. C'est peut-être pour cela qu'on encense Jane Austen dans les milieux culturels français : elle n'est aucunement dérangeante car fort politiquement correcte. Elle est agréable à lire et ne s'encombre d'aucune description superflue : ce n'est hélas pas chez elle qu'on trouvera le compte rendu détaillé d'une toilette féminine de la mode Regency, qui est ma préférée, à mon grand regret ! On l'adore à juste raison en évacuant Dickens, Gaskell, Eliot et consort, trop gênants, parce qu'on pourrait se rendre compte - il suffit pour cela de simplement confronter les banques d'images de Google - que, par exemple, la misère dickensienne victorienne, vue de manière iconographique, avec les slums, les hordes d'enfants déguenillés des rues, de mendiants et de laissés-pour-compte, ne diffère que de quelques degrés de l'indicible atroce d'un ghetto de Varsovie... Le libéralisme de l'époque ne faisait-il pas, en quelque sorte, de l'Hitler lent axé sur l'eugénisme social et l'argent en lieu et place de l'atrocité raciste ? Je provoque, je sais, mais à chacun ses crimes contre l'Humanité, selon les époques et la sophistication atteinte dans l'horreur, scientifique ou pas.
Post-scriptum : trois personnalités viennent de nous quitter: le grand paléoanthropologue sud-africain Phillip Tobias (dont j'adorais la verve et la malice ; c'était comme on dit un grand monsieur),
le peintre abstrait lyrique Georges Mathieu
et la comédienne américano-canadienne Ann Rutherford,
l'une des ultimes survivantes d'Autant en emporte le Vent... Quoiqu'on ait pu penser de ces personnes, de leurs idées politiques, de leurs oeuvres, de leur talent, je table sur l'accoutumé silence méprisant de nos médias audiovisuels français gangrenés (à l'exception notable d'Arte pour Mathieu) qui se ficheront de ces disparus comme d'une guigne, car ils n'ont pas de culture...et s'en vantent.
jeudi 7 juin 2012
Ann Harding, Peter Ibbetson et autres...
Dans "L'Auteur ! L'Auteur", le roman à succès de David Lodge, on voit Henry James fort critique et sceptique vis à vis de l'oeuvre romanesque de son ami George Du Maurier, par ailleurs célèbre dessinateur de la revue satirique Punch. Le grand romancier d'origine américaine apprécie peu les développements insolites de "Peter Ibbetson", publié en 1891, notamment cette capacité qu'ont les deux principaux protagonistes de l'ouvrage, notre héros-titre et son aimée, la duchesse de Towers, de communiquer et de se retrouver par le rêve. Or, ce ressort dramatique onirique et fantastique, respecté par le film de 1935 réalisé par Henry Hathaway et interprété par Gary Cooper et Ann Harding, fut considéré par les surréalistes comme une manifestation sublime de l'amour fou, tel qu'André Breton le magnifie et le célèbre dans son livre titre, où il mentionne au passage l'existence de ce long métrage génial.
Ann Harding (1901-1981), par ailleurs considérée comme une actrice à la beauté démodée et compassée, n'a vu son nom survivre jusqu'à nous que grâce à cette oeuvre cinématographique singulière.Sous le nom de plume de Frank Harding, Léo Malet, venu du surréalisme, lui rendit hommage.
Je vous le dis sans détour : moi aussi, j'aime beaucoup Ann Harding, sa beauté surannée et son blond de lin décoloré quasi irréaliste. Sur les banques d'images de Google, dans ses photographies de jeunesse, elle m'éblouit et m'émeut jusqu'aux larmes parce que je sais, qu'au tréfonds de mon âme, je suis un des rares à savoir encore que cette femme merveilleuse et rétro a vécu, respiré et marché sur Terre. Elle est chère à mon coeur de cinéphile et mérite une mention spéciale. Oh, je sais, elle paraissait bien compassée dans les longs métrages de la RKO pour lesquels elle tourna dans les années 30. A côté d'une Katharine Hepburn, elle ne fait pas le poids et sa désuétude comme-il-faut de lady anglo-saxonne un peu ringarde éclate en pleine lumière.Son accent appliqué nous rappelle que les voix américaines qui nous sont familières aujourd'hui étaient minoritaires dans le septième art hollywoodien de l'époque. A cause de tout ça, ses films sont difficiles à voir, à se procurer. Seuls justement "Peter Ibbetson" et "Avril enchanté" sont sortis, je crois, en DVD. Le remake de Mike Newell de 1992 de ce roman d'Elizabeth Von Arnim est plus célèbre, et on y voit les presque débuts d'une des futures actrices de "Rome", Polly Walker. lorsque le ciné club de la trois ou TCM parviennent par hasard à passer des films où Ann Harding est de la distribution, je ne me gêne pas pour les enregistrer. Ainsi, en 2008, France 3 diffusa "Mission à Moscou" (1943), de Michael Curtiz, où elle joue aux côtés de Walter Huston. Même s'il s'agit d'une oeuvre de propagande mineure, même si notre actrice y est vieillissante, il ne faut pas bouder son plaisir...
J'en terminerai pour ce soir avec Henry James qui rencontra des difficultés de succès littéraire dans le théâtre et dans certains de ses romans jugés trop longs, trop difficiles. David Lodge sous-entend son homosexualité rentrée, refoulée, larvée, alors que, paradoxe, il déteste le tapageur Oscar Wilde et ses célèbres oeillets verts, sans omettre les "bons mots" qui peuplent ses pièces que James trouve par ailleurs creuses. Le portrait de John Singer Sargent représente un Henry James devenu glabre, aux approches de la septantaine, et qui, en fait a cessé d'écrire des romans.
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