Féroces infirmes,
Les nouvelles aventures du fakir au pays d'Ikea,
Mon sommeil sera paisible...
trois romans d’Alexis Jenni, de Romain Puértolas et d’Alain
Absire parus respectivement en 2019, 2018 et 2014 et boudés presque intégralement par la critique... Ces trois titres romanesques partagent en commun la faiblesse des occurrences dans la presse littéraire ou les suppléments spécialisés de nos journaux parisiens. Il suffit de visiter le site Babelio pour s'en assurer : les critiques y sont bien plus celles des lecteurs contributeurs !
Télérama semble particulièrement fâché avec Alexis Jenni, cela depuis le commencement de sa carrière littéraire, lorsqu'il obtint le prix Goncourt lors d'un premier essai qui fut un coup de maître. Cependant, notre magazine de référence semble avoir pris cette récompense en aversion, peut-être parce que le lauréat ne correspondait pas à ses souhaits. De là à faire d'Alexis Jenni un nouveau Guy Mazeline (1900 - 1996), qui obtint le Goncourt en 1932 au détriment de Céline, il y a un pas à ne pas franchir...
En 2011, les rivaux d'Alexis Jenni s'appelaient Sorj Chalandon, Lyonel Trouillot et Carole Martinez. Mis à part le roman médiéval féministe et original de Carol Martinez, Du domaine des murmures, il semblerait que les deux autres livres finalistes soient tombés dans l'oubli, voire en disgrâce littéraire...
Télérama a exécré L'Art français de la guerre. Voilà ce qu'en disait le magazine en 2011 :
L'article en ligne, en date du 1er novembre 2011 et mis à jour le 1er février 2018, était signé de Madame Nathalie Crom. L'absence de toute critique des romans suivants d'Alexis Jenni dans ce magazine s'explique donc aisément. Dommage que seul Le Monde ait daigné parler de Féroces infirmes, son dernier roman paru début mars chez Gallimard, mais abordé par le quotidien un mois et demi après. Ailleurs, silence radio et RAS... Il est cependant étrange que l'article originel de Madame Crom soit daté de 24 heures avant l'attribution officielle du Goncourt...
De plus, certains perfides ont insinué que le Goncourt d'Alexis Jenni devait tout à Richard Millet, qui siégeait à l'époque au comité de lecture de Gallimard. Mais Alexis Jenni sut prendre ses distances avec un auteur dont la dérive extrémiste est connue. Dans la posture du "seul et dernier écrivain français authentique", Richard Millet s'est enferré jusqu'à disparaître des radars officiels, devenant semblable à ces reclus et emmurés médiévaux moins intéressants qu'un Léon Bloy, par exemple.
Passons à Romain Puértolas. J'avoue que son exclusion critique est pour moi un mystère.
Au commencement, tout semblait sourire à Romain Puértolas, et le succès était au rendez-vous. Y eut-il un livre de trop ? Un titre inconvenant ? Un sujet de roman gênant nos critiques ? Quel fut l'objet du supposé litige, qui se traduisit par un silence critique que je pense courroucé ? Il se nommait Re-vive l'Empereur et parut aux éditions Le Dilettante le 30 septembre 2015. C'était près de 10 mois après la série d'attentats de janvier 2015 et moins d'un mois et demi avant ceux du 13 novembre 2015. Vous l'avez compris : le non-dit de ces taiseux repose sur la trame même du roman, liée à un contexte historique dérangeant. Napoléon revient sur Terre pour sauver le monde des djihadistes... Sans doute nos bien-pensants crurent-ils déceler dans cette pochade un pamphlet islamophobe ne voulant pas s'avouer comme tel... On ne peut rire de tous les sujets, et Romain Puértolas ne manque pas d'humour... mais aussi d'humanisme. Heureusement, les lecteurs du bouquin furent plus ouverts et plus intelligents : ils surent faire la part des choses au contraire de nos boycotteurs professionnels.
Romain Puértolas a prouvé dans son Fakir qu'il avait du coeur, et savait s'ouvrir à l'Autre, exclu, migrant et réfugié, mais il le fait en riant, sans pathos. Ou alors, il détourne le pathos en le caricaturant de façon jouissive et roborative. De fait, Napoléon est autant ridicule que ceux qu'il combat, un peu comme l'Empereur Smith d'un fameux album de Lucky Luke de Morris et Goscinny paru en 1976. On peut se montrer tout à la fois farfelu et grave : c'est là l'équilibre trouvé par Romain Puértolas, comme autrefois Chaplin, malgré l'oxymore apparent. Avoir par la suite tout autant oublié la suite du Fakir chez notre milieu critique est donc impardonnable. Ce milieu, confit en certitudes, en préjugés et en déterminismes, en catalographie, en classement des auteur(e)s en catégories rigides n'a rien compris à l'essence des textes de Romain Puértolas, voire à la littérature elle-même qu'ils et elles contribuent à détruire. L'échec commercial du film adapté du Fakir, l'an passé, a ajouté à mon désarroi et à mon agacement croissant.
Alain Absire complète notre trio. Ancien président de la Société des Gens de Lettres, dramaturge à l'origine mais aussi critique, romancier et nouvelliste, prix Fémina en 1987, on ne peut dire que la notoriété d'Alain Absire est inexistante... Or, force est de constater que sa dernière oeuvre, Mon sommeil sera paisible, qui met en scène les rapports singuliers entre Robespierre et la future Madame Tussaud, parue chez Gallimard en 2014, semble avoir été victime d'une bouderie critique quasi générale, bouderie de personnes imbues de leur qualité de gens de bien ? Alain Absire, depuis cet échec cuisant de 2014 n'a plus rien fait paraître. Tapez sur Google (hélas, oui, Google !) Alain Absire-Télérama, et vous ne trouverez rien en ligne d'articles ce magazine postérieurs à 2009 consacrés à cet auteur éminent...
L'intrigue court des lendemains de la prise de la Bastille au 10 Thermidor an II. Marie, céroplasticienne, est contactée par Robespierre pour modeler et sculpter dans la cire le visage d'un vieillard arraché aux cachots de ladite Bastille. Je ne saisis pas pourquoi ce roman, au style éblouissant, n'a pu susciter que silence et indifférence - sans doute parce qu'il était paru hors de tout enjeu de prix littéraire. Cela ne grandit pas notre critique, ancrée, enkystée dans un habitus fatal, qui laisse de côté une bonne part de la production des maisons d'éditions, même lorsqu'elles sont revêtues du prestige de Gallimard : cela devient une constante, une doxa, une loi. Même en 2019, je repère déjà les fictions de la collection blanche délaissées par la presse, et j'y note souvent des ouvrages ancrés dans une vision romanesque, revisitée, de la grande Histoire...Notre élite intellectuelle ou prétendue telle souffre décidément d'un inquiétant syndrome.
Prochainement : le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach dans les médias français : France Musique, Diapason et Classica seuls.
Télérama semble particulièrement fâché avec Alexis Jenni, cela depuis le commencement de sa carrière littéraire, lorsqu'il obtint le prix Goncourt lors d'un premier essai qui fut un coup de maître. Cependant, notre magazine de référence semble avoir pris cette récompense en aversion, peut-être parce que le lauréat ne correspondait pas à ses souhaits. De là à faire d'Alexis Jenni un nouveau Guy Mazeline (1900 - 1996), qui obtint le Goncourt en 1932 au détriment de Céline, il y a un pas à ne pas franchir...
En 2011, les rivaux d'Alexis Jenni s'appelaient Sorj Chalandon, Lyonel Trouillot et Carole Martinez. Mis à part le roman médiéval féministe et original de Carol Martinez, Du domaine des murmures, il semblerait que les deux autres livres finalistes soient tombés dans l'oubli, voire en disgrâce littéraire...
Télérama a exécré L'Art français de la guerre. Voilà ce qu'en disait le magazine en 2011 :
Après avoir choisi Marie NDiaye en 2009, Michel Houellebecq
en 2010, les jurés Goncourt auraient pu continuer sur cette belle
lancée, et ajouter cet automne à la liste des lauréats du prix un autre
écrivain contemporain capital : Emmanuel Carrère, qui a donné avec Limonov (éd. POL) le livre sans doute le plus marquant et le plus maîtrisé de cette rentrée littéraire 2011.
Mais non, c’est Alexis Jenni, et L’Art français de la guerre (éd. Gallimard), qu’ils ont choisi de couronner, mercredi 2 novembre, de leurs prestigieux lauriers. Ample fresque romanesque, embrassant en quelque 600 pages l’histoire de la France au cours de la seconde moitié du XXe siècle, scrutée notamment à travers le prisme des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, L’Art français de la guerre est le premier roman – incontestablement ambitieux, mais assez indigeste, non exempt de lourdeurs et de digressions (1) – d’Alexis Jenni, un enseignant de 48 ans qui avait adressé par la Poste son manuscrit aux éditions Gallimard. Auxquelles, disait-on, le prix Goncourt ne pouvait échapper en cette année qui est celle de leur centenaire.
Faute de Goncourt, Emmanuel Carrère a reçu le prix Renaudot, pour son formidable récit épique centré sur la figure de l’écrivain et homme politique nationaliste russe Edouard Limonov. Quant au Prix Renaudot de l’essai, il a été attribué à Gérard Guégan pour Fontenoy ne reviendra plus, sorte de biographie romancée du journaliste collaborationniste Jean Fontenoy (Stock). A suivre, jeudi 3 novembre, l’attribution du prix Décembre, vendredi 4 celle du prix Médicis et le lundi 7, celle du prix Femina.
(1) Raison pour laquelle, bien qu’ayant été lu par cinq
journalistes de “Télérama”, le livre n’a pas fait l’objet d’une
recension dans notre journal.Mais non, c’est Alexis Jenni, et L’Art français de la guerre (éd. Gallimard), qu’ils ont choisi de couronner, mercredi 2 novembre, de leurs prestigieux lauriers. Ample fresque romanesque, embrassant en quelque 600 pages l’histoire de la France au cours de la seconde moitié du XXe siècle, scrutée notamment à travers le prisme des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, L’Art français de la guerre est le premier roman – incontestablement ambitieux, mais assez indigeste, non exempt de lourdeurs et de digressions (1) – d’Alexis Jenni, un enseignant de 48 ans qui avait adressé par la Poste son manuscrit aux éditions Gallimard. Auxquelles, disait-on, le prix Goncourt ne pouvait échapper en cette année qui est celle de leur centenaire.
Faute de Goncourt, Emmanuel Carrère a reçu le prix Renaudot, pour son formidable récit épique centré sur la figure de l’écrivain et homme politique nationaliste russe Edouard Limonov. Quant au Prix Renaudot de l’essai, il a été attribué à Gérard Guégan pour Fontenoy ne reviendra plus, sorte de biographie romancée du journaliste collaborationniste Jean Fontenoy (Stock). A suivre, jeudi 3 novembre, l’attribution du prix Décembre, vendredi 4 celle du prix Médicis et le lundi 7, celle du prix Femina.
L'article en ligne, en date du 1er novembre 2011 et mis à jour le 1er février 2018, était signé de Madame Nathalie Crom. L'absence de toute critique des romans suivants d'Alexis Jenni dans ce magazine s'explique donc aisément. Dommage que seul Le Monde ait daigné parler de Féroces infirmes, son dernier roman paru début mars chez Gallimard, mais abordé par le quotidien un mois et demi après. Ailleurs, silence radio et RAS... Il est cependant étrange que l'article originel de Madame Crom soit daté de 24 heures avant l'attribution officielle du Goncourt...
De plus, certains perfides ont insinué que le Goncourt d'Alexis Jenni devait tout à Richard Millet, qui siégeait à l'époque au comité de lecture de Gallimard. Mais Alexis Jenni sut prendre ses distances avec un auteur dont la dérive extrémiste est connue. Dans la posture du "seul et dernier écrivain français authentique", Richard Millet s'est enferré jusqu'à disparaître des radars officiels, devenant semblable à ces reclus et emmurés médiévaux moins intéressants qu'un Léon Bloy, par exemple.
Passons à Romain Puértolas. J'avoue que son exclusion critique est pour moi un mystère.
Au commencement, tout semblait sourire à Romain Puértolas, et le succès était au rendez-vous. Y eut-il un livre de trop ? Un titre inconvenant ? Un sujet de roman gênant nos critiques ? Quel fut l'objet du supposé litige, qui se traduisit par un silence critique que je pense courroucé ? Il se nommait Re-vive l'Empereur et parut aux éditions Le Dilettante le 30 septembre 2015. C'était près de 10 mois après la série d'attentats de janvier 2015 et moins d'un mois et demi avant ceux du 13 novembre 2015. Vous l'avez compris : le non-dit de ces taiseux repose sur la trame même du roman, liée à un contexte historique dérangeant. Napoléon revient sur Terre pour sauver le monde des djihadistes... Sans doute nos bien-pensants crurent-ils déceler dans cette pochade un pamphlet islamophobe ne voulant pas s'avouer comme tel... On ne peut rire de tous les sujets, et Romain Puértolas ne manque pas d'humour... mais aussi d'humanisme. Heureusement, les lecteurs du bouquin furent plus ouverts et plus intelligents : ils surent faire la part des choses au contraire de nos boycotteurs professionnels.
Romain Puértolas a prouvé dans son Fakir qu'il avait du coeur, et savait s'ouvrir à l'Autre, exclu, migrant et réfugié, mais il le fait en riant, sans pathos. Ou alors, il détourne le pathos en le caricaturant de façon jouissive et roborative. De fait, Napoléon est autant ridicule que ceux qu'il combat, un peu comme l'Empereur Smith d'un fameux album de Lucky Luke de Morris et Goscinny paru en 1976. On peut se montrer tout à la fois farfelu et grave : c'est là l'équilibre trouvé par Romain Puértolas, comme autrefois Chaplin, malgré l'oxymore apparent. Avoir par la suite tout autant oublié la suite du Fakir chez notre milieu critique est donc impardonnable. Ce milieu, confit en certitudes, en préjugés et en déterminismes, en catalographie, en classement des auteur(e)s en catégories rigides n'a rien compris à l'essence des textes de Romain Puértolas, voire à la littérature elle-même qu'ils et elles contribuent à détruire. L'échec commercial du film adapté du Fakir, l'an passé, a ajouté à mon désarroi et à mon agacement croissant.
Alain Absire complète notre trio. Ancien président de la Société des Gens de Lettres, dramaturge à l'origine mais aussi critique, romancier et nouvelliste, prix Fémina en 1987, on ne peut dire que la notoriété d'Alain Absire est inexistante... Or, force est de constater que sa dernière oeuvre, Mon sommeil sera paisible, qui met en scène les rapports singuliers entre Robespierre et la future Madame Tussaud, parue chez Gallimard en 2014, semble avoir été victime d'une bouderie critique quasi générale, bouderie de personnes imbues de leur qualité de gens de bien ? Alain Absire, depuis cet échec cuisant de 2014 n'a plus rien fait paraître. Tapez sur Google (hélas, oui, Google !) Alain Absire-Télérama, et vous ne trouverez rien en ligne d'articles ce magazine postérieurs à 2009 consacrés à cet auteur éminent...
L'intrigue court des lendemains de la prise de la Bastille au 10 Thermidor an II. Marie, céroplasticienne, est contactée par Robespierre pour modeler et sculpter dans la cire le visage d'un vieillard arraché aux cachots de ladite Bastille. Je ne saisis pas pourquoi ce roman, au style éblouissant, n'a pu susciter que silence et indifférence - sans doute parce qu'il était paru hors de tout enjeu de prix littéraire. Cela ne grandit pas notre critique, ancrée, enkystée dans un habitus fatal, qui laisse de côté une bonne part de la production des maisons d'éditions, même lorsqu'elles sont revêtues du prestige de Gallimard : cela devient une constante, une doxa, une loi. Même en 2019, je repère déjà les fictions de la collection blanche délaissées par la presse, et j'y note souvent des ouvrages ancrés dans une vision romanesque, revisitée, de la grande Histoire...Notre élite intellectuelle ou prétendue telle souffre décidément d'un inquiétant syndrome.
Prochainement : le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach dans les médias français : France Musique, Diapason et Classica seuls.
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