A bonne faim, bon pain. (proverbe cité par Gabriel Garcia Marquez dans Pas de lettre pour le colonel chapitre IV)
Le fossé culturel entre le peuple de province et l'élite bourgeoise-bohème de Paris se creusoit davantage de semaine en semaine. En témoignoient les spectacles de lanterne magique. Ceux que la critique stipendiée par les bourgeois-bohèmes encensoit étoient au mieux boudés par les couches populaires, au pis voués par elles aux gémonies. Le peuple détestoit qu'on lui dictât sa conduite et lui imposât de voir des projections lanternistes par trop savantes pour luy. Ce fut pourquoy le spectacle contant la vie édifiante du Sieur Godard, qui avoit été un chaud partisan de la révolution culturelle de Cathay, essuya un échec cinglant et sans appel parmi la multitude. (Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon)
Ce n'est pas ma tante illettrée de Marseille qui s'empressera d'aller dans un cinoche pour voir un de ces films interlopes sexués vantés par la critique de Paname, même si celle-ci veut l'y obliger ! (Cyber Louis Ferdinand Céline)
Oyez ! Oyez ! Braves
gens ! Les pouvoirs publics chargés de la culture et l’audiovisuel public
ont décrété en cet an de grâce 2017 que Charles Baudelaire ne méritait nulle
commémoration à l’occasion du cent-cinquantenaire de sa mort.
Apprenez, braves gens que, depuis
les travaux et ouvrages de Monsieur Antoine Compagnon,
Charles Baudelaire se classe parmi les antimodernes, donc dans le camp de la réaction. La prophétie d’un lecteur de Spirou de la seconde moitié des années 1970, qui, en tant qu’écrivain amateur, avait officié vers 1977 dans une défunte et éphémère rubrique intitulée La Cuisine est à Vous avait raison ! Ce jeune prophète avait prédit l’inversion terminale des valeurs culturelles. Il avait imaginé que l’on étudierait en classe les auteurs de bédé au détriment de la littérature classique, qui serait reléguée dans les pages… des illustrés pour la jeunesse dont Spirou. Il avait inventé un sommaire, un contenu de ce Spirou hypothétique, uchronique et dystopique. Le Spirou des années 1970 aimait à offrir des suppléments à ses lecteurs : posters de héros, Découvertes Dupuis, vignettes consacrées aux peuples étranges, sans compter l’illustrissime Trombone illustré qui fit école et suscita le scandale. Adonc, dans ce Spirou parallèle de 1977 sorti du cerveau de notre p’tit lecteur était agrafé… un poster de Baudelaire. Ce jeune homme se réappropria la tradition picturale et humoristique des mondes inversés. Souvenez-vous notamment du bœuf irascible égorgeant le boucher, de la femme battant son mari ou du pêcheur d’oiseaux. Cela valait bien ce petit dessin de Franquin où le lapin abat le chasseur d’un coup de fusil avec la légende On peut rêver.
Charles Baudelaire se classe parmi les antimodernes, donc dans le camp de la réaction. La prophétie d’un lecteur de Spirou de la seconde moitié des années 1970, qui, en tant qu’écrivain amateur, avait officié vers 1977 dans une défunte et éphémère rubrique intitulée La Cuisine est à Vous avait raison ! Ce jeune prophète avait prédit l’inversion terminale des valeurs culturelles. Il avait imaginé que l’on étudierait en classe les auteurs de bédé au détriment de la littérature classique, qui serait reléguée dans les pages… des illustrés pour la jeunesse dont Spirou. Il avait inventé un sommaire, un contenu de ce Spirou hypothétique, uchronique et dystopique. Le Spirou des années 1970 aimait à offrir des suppléments à ses lecteurs : posters de héros, Découvertes Dupuis, vignettes consacrées aux peuples étranges, sans compter l’illustrissime Trombone illustré qui fit école et suscita le scandale. Adonc, dans ce Spirou parallèle de 1977 sorti du cerveau de notre p’tit lecteur était agrafé… un poster de Baudelaire. Ce jeune homme se réappropria la tradition picturale et humoristique des mondes inversés. Souvenez-vous notamment du bœuf irascible égorgeant le boucher, de la femme battant son mari ou du pêcheur d’oiseaux. Cela valait bien ce petit dessin de Franquin où le lapin abat le chasseur d’un coup de fusil avec la légende On peut rêver.
Notre juvénile prophète ne s’est
guère trompé sur le plan culturel, même si son Spirou ne correspond pas à celui que nous lisons quarante ans après
son petit texte fictionnel, bien qu’on y trouve de fort intéressantes bandes
historico-rétro et fantastiques, genres comme l’on sait presque intégralement
interdits en notre télé publique qui accumule les daubes du style meurtre à Trifouillis-les-Oies.
Car, en cet an de grâce 2017,
nous vivons, marchons, mangeons, respirons, évacuons et baisons en une
désolante dystopie bourdieusienne. Au sommet des pouvoirs publics, Theodor
Adorno a perdu la bataille.
C’est ainsi que Rodin
aura été la seule personnalité historique à avoir eu droit à des célébrations officielles et à des documentaires français commémoratifs en l’étrange lucarne de l'an 2017.
aura été la seule personnalité historique à avoir eu droit à des célébrations officielles et à des documentaires français commémoratifs en l’étrange lucarne de l'an 2017.
Or, majoritairement réduit à la presse
classée comme « conservatrice » ou étrangère, Charles Baudelaire a dû
se contenter ailleurs de nada tandis que, avec
un bruit tonitruant de bastringue cuivré, nos a-médias chébrans s’étalaient
jusqu’à plus soif, ad nauseam, en la sacralisation du cinquantenaire de la
sortie de l’album des Beatles Sgt
Pepper’s, ces mêmes a-médias s’étant refusé l’an passé à toute évocation de
Léo Ferré à l’occasion du centenaire de sa naissance près d’un demi-siècle
après la mort de Baudelaire.
Cependant, Léo Ferré chantait du
Baudelaire, et le chantait fort bien. En 1967, la France gaullienne avait peu
fait lors du centenaire de la disparition du poëte. Les vidéos disponibles de
l’Ina nous offrent peu d’os à ronger, et c’est France culture qui sauve l’honneur ainsi que la télé belge, dans un
documentaire de cinquante ans d’âge dans lequel interviennent Max-Pol Fouchet,
Claude Roy et Pierre Emmanuel (sans lien « prénominal » avec notre Lenny Belardo, young pope national), poète oublié sciemment lui aussi, déjà abordé en notre blog.
Claude Roy et Pierre Emmanuel (sans lien « prénominal » avec notre Lenny Belardo, young pope national), poète oublié sciemment lui aussi, déjà abordé en notre blog.
En 1967, Baudelaire sentait
encore le soufre à cause de la censure des Fleurs
du Mal. Une France frileuse et pudibonde, se refusait en son puritanisme
coincé d’avant mai-68 à lui accorder la
place de plus grand des poètes maudits, de chantre des débuts de la modernité
littéraire qu’il méritait. Mais les profs que j’eus plus tard au lycée, vers
1980, eux, ne le rejetaient pas, ne se privaient pas de nous le faire étudier,
tant ils rattachaient Baudelaire à la gauche.
Las, les travaux de Monsieur
Compagnon (que je trouve pour ma part géniaux) sont passés par là, classant
Baudelaire dans le camp des antimodernes au même titre par exemple qu’un Barbey
d’Aurevilly
(auquel en 2008 fut tout de même consacré un documentaire... régional de France 3 Normandie, soit guère moins que Diderot en 2013). Les affinités littéraires du poète l’attiraient vers Joseph de Maistre,
parangon des écrivains réacs contre-révolutionnaires qui avait la nationalité savoyarde et était un sujet du roi de Piémont-Sardaigne même si la Savoie fut temporairement française entre la Révolution et l'Empire. Notre poète fut un de ses admirateurs inconditionnels. Comme Berlioz en 2003, Baudelaire fut désormais persona non grata au sein de la République… On l’occulta donc en 2017 pour la raison inverse de celle qui prévalait sous de Gaulle. La culture de papa (celle de ma jeunesse studieuse) est bel et bien morte et enterrée...
Quant à Jean Le Rond d'Alembert, il peut d'ores et déjà dormir tranquille : le 16 novembre prochain, nul ne se souciera certainement de la moindre commémoration ou évocation même fugitive des trois cents ans de sa naissance.
Tout cela me donne envie de relire la biographie que Guy Chaussinand-Nogaret consacra voici quelques années à l'illustre mathématicien associé à Diderot.
Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus avec Delphine de Girardin.
(auquel en 2008 fut tout de même consacré un documentaire... régional de France 3 Normandie, soit guère moins que Diderot en 2013). Les affinités littéraires du poète l’attiraient vers Joseph de Maistre,
parangon des écrivains réacs contre-révolutionnaires qui avait la nationalité savoyarde et était un sujet du roi de Piémont-Sardaigne même si la Savoie fut temporairement française entre la Révolution et l'Empire. Notre poète fut un de ses admirateurs inconditionnels. Comme Berlioz en 2003, Baudelaire fut désormais persona non grata au sein de la République… On l’occulta donc en 2017 pour la raison inverse de celle qui prévalait sous de Gaulle. La culture de papa (celle de ma jeunesse studieuse) est bel et bien morte et enterrée...
Quant à Jean Le Rond d'Alembert, il peut d'ores et déjà dormir tranquille : le 16 novembre prochain, nul ne se souciera certainement de la moindre commémoration ou évocation même fugitive des trois cents ans de sa naissance.
Tout cela me donne envie de relire la biographie que Guy Chaussinand-Nogaret consacra voici quelques années à l'illustre mathématicien associé à Diderot.
Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus avec Delphine de Girardin.
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