Du semi sabotage distributif du Prodige et des films de Metropolitan filmexport en général et des films commerciaux du second rayon en particulier.

La justice ne pousse pas sur un sol vicié (Jérôme de Courvoisier dans Romain Rolland : Le Jeu de l'Amour et de la Mort scène IX).

Dans une rébellion ou une émeute, les boucs-émissaires sont créés afin que les bonnes cibles ne soient jamais atteintes (Aphorisme de Moa sur le mode apophtegme).

" La mort d'André Stil est cruellement ressentie par les membres de l'Académie Goncourt, dans laquelle il occupait une place essentielle. On peut dire sans exagération aucune que depuis une vingtaine d'années, André consacrait sa vie à la lecture et à la découverte de talents nouveaux. Et quelle minutie il y mettait et quelle passion ! André a été un fou de littérature. Il a été de ces hommes habités par la conviction profonde de la mission civilisatrice de la lecture. Ajoutons qu'il était un sentimental merveilleusement doué pour l'amitié. Je perds beaucoup plus qu'un ami. Je perds en la personne d'André Stil un camarade chaleureux, généreux, toujours disponible, toujours attentif. Il sera l'un de ces êtres dont le souvenir me restera toujours en mémoire. " (Edmonde Charles-Roux, de l'Académie Goncourt septembre 2004)

Comme tout un chacun devrait le savoir, les films dont la combinaison de copies n'excède pas une fourchette disons comprise entre cent et trois cents ne sont ni des oeuvres d'art et d'essai, ni des blockbusters. Il s'agit de ce qu'il est convenu de qualifier de films commerciaux du second rayon. 

Or, force est de constater que, dans l'aberrant réseau français de salles de cinéma, il est devenu désormais plus facile d'avoir accès à la cinématographie pointue qu'à ces longs métrages certes mercantiles, mais souventes fois de genre et non classés parmi les grosses machines destinées à rapporter le maximum de fric. Ces oeuvres donc, se retrouvent réduites la plupart du temps aux seuls mégacomplexes au détriment des salles de centre ville encore existantes et vivotantes : l'exclusivité des sorties nationales de longs métrages non tirés en un nombre colossal de copies leur échappe systématiquement, en particulier dans les bourgades de province de moins de cent mille habitants.

Tel est le destin en cours du biopic consacré au champion d'échecs Bobby Fischer avec entre autres Tobey Maguire (qui a porté le projet une décennie durant), Lily Rabe et Peter Sarsgaard. 

     

Edward Zwick, le bien connu metteur en scène du superbe Glory, qui révéla le grand acteur afro-américain Denzel Washington, est derrière la caméra. Metropolitan filmexport, qui distribue le biopic dans l'hexagone (et, entre autres, s'occupe aussi des productions de la firme canadienne Lions Gate) est une entreprise accoutumée à la mauvaise promotion et à la médiocre visibilité en salles d'une partie des oeuvres dont elle a la charge en France. Ainsi  fut-il lors de la précédente décennie (même si plastiquement, artistiquement parlant, l'on peut parler de demi-échecs sans conjecturer sur ce qu'eût été leur carrière si elles avaient bénéficié de davantage d'écrans) pour deux cas exemplaires : Le Pont du Roi Saint-Louis de Mary McGuckian (2004)
 
 adapté du roman de Thornton Wilder avec pourtant Emilie Dequenne et Robert de Niro au générique (il ne fit que 54 000 entrées chez nous) et de Capitaine Alatriste d'Agustin Diaz Yanes (2006),

 d'après Arturo Perez Reverte, avec Viggo Mortensen dans le rôle-titre, qui mit deux ans pour être projeté en France et se solda aussi par un désastre prévisible. Son nombre d'entrées n'est même pas connu ! Loin de moi l'idée d'accuser Metropolitan filmexport de s'être spécialisé dans les accidents industriels filmiques : ces deux exemples, outre les imperfections artistiques incontestables des oeuvres (notamment un montage confus du premier titre précité), reflètent également la dégradation culturelle générale dont souffre l'Occident (Etats-Unis inclus).
Ceci étant dit, tout est à craindre pour la carrière du Prodige d'autant plus que les critiques sont mitigées, surtout chez les médias intellectuels qui font la pluie et le beau temps parmi les bobos germanopratins.
Cependant, il est toujours possible d'extirper le mal à sa racine, d'en quêter l'origine : à quel film commercial tenu en échec remonterait cette pratique de la sous-distribution de "second rayon" hors des anciennes considérations qui classaient les nanars de genre dans les séries B voire Z, en dehors donc de toute détermination proprement budgétaire (soit pour les navets à petit budget)  ? Je pense qu'il nous faut remonter à 1988, année de la fameuse comédie jetée aux orties Le Dindon de la Farce, d'Anthony Perkins (oui, le comédien de Psychose !), bien qu'elle annonçât la célèbre bédé de Fournier et Zidrou Les Crannibales, qui fit les beaux jours du Spirou de l'extrême fin du XXe siècle. La critique du Dindon de la farce fut si négative (alors que la bande-annonce en avait été diffusée normalement : votre serviteur l'a vue en salle) - on parla alors même de brûler le négatif ! - que l'oeuvre (mérite-t-elle ce qualificatif ?) en fut réduite à une diffusion tellement confidentielle que le site Allociné croit qu'elle n'a jamais été distribuée chez nous ! En réalité, la sortie à la sauvette de l'oeuvrette de Perkins se produisit en février 1990.
Fut-ce  une jurisprudence culturelle ? Peut-être...
    
Cet éreintement sur le dos de l'ancien interprète de Norman Bates servit en quelque sorte de sauf-conduit, de caution "culturelle" négative : critiques et distributeurs pouvaient désormais agir de conserve, en toute impunité, s'entendre comme larrons en foire tels les anciens cartels économiques lorsqu'il s'agissait pour eux de briser la carrière d'un film commercial (certes pas toujours bon) qu'ils avaient dans le collimateur...  L'affaire sera rééditée en 2007 à l'occasion de la sortie de l'ultime opus (posthume) du grand acteur Michel Serrault, que beaucoup regrettent. Antonio Vivaldi, un prince à Venise
 
 constitue un véritable cas d'école, que dis-je, un de ces exempla séculiers qui méritent qu'on en médite. Totalement massacré tant par les séides du "tout art et essai" que par les distributeurs, ce météore filmique traversa le ciel de nos salles dans une indifférence savamment calculée. Le réalisateur Jean-Louis Guillermou ne fit avec que 57 500 entrées. Il persévéra, récidiva en 2011 avec Celles qui aimaient Richard Wagner, en pleine vague dévastatrice d'Intouchables (naufrage garanti pour tous les concurrents). Malgré la présence de Jean-François Balmer dans le rôle titre du Wagner, ce long métrage, une fois n'est pas coutume, subit l'ire des critiques et fut boudé par le réseau distributif national (nombre de copies dérisoire comme l'on devine). Des mois durant (de novembre 2011 à mars 2012), disons-le crûment, nul ou presque ne put se mesurer à Intouchables, succès contre-productif qui sinistra durablement l'ensemble de la distribution cinématographique française (tout pour un, rien pour tous les autres) et occasionna un jeu de massacre atroce dans les rangs vainement alignés de nouveautés hebdomadaires.
L'été dernier, j'eus pourtant la surprise de voir projeté un extrait du Vivaldi de Guillermou à l'exposition Canaletto au centre d'art de l'hôtel Caumont d'Aix-en-Provence. J'ai effectivement jugé que le film était plus proche d'un docu-fiction télé honorable que d'un grand long métrage adapté aux salles obscures mais bon, ne chipotons pas. De fait, relisant récemment des commentaires acerbes dont je fus l'auteur en 2007 au sujet, déjà, des films sabotés...depuis le muet, j'ai découvert que ce Vivaldi-là était demeuré deux ans dans les cartons, et avait donc été mis en boîte...en 2005 !
De fait, ce que la distribution chaotique généralisée de toutes ces productions commerciales du second rayon reflète, c'est la remise en cause du libre accès universel (accès payant cependant) de tout un chacun aux oeuvres, lieu commun de ce siècle depuis l'essor du Web, qu'elles soient bonnes ou exécrables.Cela gêne un principe fondamental : la diffusion sans censure qui respecte les droits d'auteur (oui, cela existe).

Prochainement, j'aborderai la question d'une série télé géniale dont l'ensemble de nos chaînes, cryptées ou claires, se refuse à acquérir les droits des saisons 2 et 3 : Ripper Street.