Alors que, jusqu’avant sa désignation, l’ensemble des suppressions d’émissions de télévision revêtoit un aspect politique, H.B., lorsqu’il prit ses fonctions de président de la première chaîne d’Etat à l’été Mil neuf cent octante trois, introduisit une pratique nouvelle : l’escamotage pour raison de marché. Désormais – bien que les ultimes éliminations politiques de programmes télévisuels fussent intervenues durant ce qu’il étoit commun de désigner sous les termes de « première des cohabitations » - ce fut ce qu’on appeloit l’audimat qui l’emporta en toute décision d’interrompre la diffusion d’une émission. Les faibles audiences devinrent lors le critère unyque de condamnation sans appel – si ce n’étoit le prétexte, ce qui avec promptitude contribua à enrichir le cimetière proliférant des émissions de télévision disparues pour des raisons spécieuses. En les années nonante du dernier siècle, cela produisit de sans pareils ravages en la transmission de la Culture en faveur du vulgaire, du peuple. Seul comptoit dorénavant l’aimantation des annonceurs publicitaires amis du système Law acheteurs d’écrans dits « publicitaires » (ces derniers furent lors légion) ; et l’on sçavoit en haut lieu qu’ils appartenoient en majorité à ce que l’économie politique dénomme « multinationales », car les fabriques françoises disparaissoient chaque an davantage, entraînées qu’elles étoient par le torrent de la faillite ou du rachat par de plus grands négociants, par de plus considérables poissons, tandis que ceux-cy, qui n’étoient lors plus du tout François – à l’exception notoire de quelques-uns – ne s’acquitoient aucunement des imposts levés par le Roy, qu’il se fust agi de la taille, de la gabelle, du dixième ou encore du vingtième. Lors, puisque plus aucun Grand ne payoit imposts et taxes, ceux-cy, comme cela avoit jà été du temps de la Rome déclinante, reposoient sur une assiette toujours plus étrécie de classes dites moyennes, car ny les riches (qui usoient de toutes les astuces pour éviter de verser les contributions) ny les pauvres (toujours plus nombreux) ne versoient le moindre liard à la ferme générale. Conséquemment, il eust suffi qu’une cherté apparût opinément – quelle qu’en fust la cause - pour que revinssent les temps honnis des croquants et va-nu-pieds, les émotions populaires d’autrefoys aux résultats imprévisibles.
(Mémoires du Nouveau
Cyber Saint-Simon.)
Et il s'étoit produit ce fait sans précédent qu'au mois de septembre Mil neuf cent octante et six, à l'exception notable de l'imagier Jacques Henri Lartigue, aucune disparition de personnalité n'avoit été traitée par la lucarne télévisuelle si ce n'étoit celle du frère du champion de course Alain Prost. Je compris, à ce jour, qu'il ne falloit plus jamais compter sur ladite lucarne pour qu'elle nous informât correctement des morts survenues en notre temps. (Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon).
André Stil (Hergnies (Nord) 1er avril 1921 - Camélas (Pyrénées orientales) 3 septembre 2004) : lorsque le lieu (bassin minier du Nord) et le milieu social (le monde ouvrier) déterminent la carrière littéraire et l'engagement politique... pour le plus grand malheur de la postérité d'un écrivain.
A l'heure où le droit du travail est menacé d'une parcellisation néo féodale qui entraînerait que plus aucune entreprise n'aurait le même droit que sa voisine, nous aurions grandement besoin d'auteurs de l'envergure d'un André Stil.
Hélas, comme Pierre Emmanuel, le gaulliste chrétien et résistant, André Stil, le communiste sincère fut par excellence un enterré vivant de la littérature, tels ces académiciens d'autrefois, inhumés par l'évolution de la culture, de l'écriture, du style, bien avant qu'ils devinssent des dépouilles effectives.
Or, André Stil fut peut-être, après Roger Vailland,
le dernier représentant authentique et authentifié d'une certaine littérature prolétarienne dans le sillage de Maxime Gorki et du tant décrié réalisme socialiste, avant que s'asséchât, se tarît, la créativité de cette même littérature, avant sa résurgence sous d'autres formes pertinentes grâce à Gérard Mordillat (Les Vivants et les Morts 2005), Elisabeth Filhol (Bois II 2014)
et Alexis Jenni (La Nuit de Walenhammes 2015) avec une occultation critique et médiatique intentionnelle au sujet des deux derniers titres cités.
le dernier représentant authentique et authentifié d'une certaine littérature prolétarienne dans le sillage de Maxime Gorki et du tant décrié réalisme socialiste, avant que s'asséchât, se tarît, la créativité de cette même littérature, avant sa résurgence sous d'autres formes pertinentes grâce à Gérard Mordillat (Les Vivants et les Morts 2005), Elisabeth Filhol (Bois II 2014)
et Alexis Jenni (La Nuit de Walenhammes 2015) avec une occultation critique et médiatique intentionnelle au sujet des deux derniers titres cités.
Il est révélateur que la disparition d'André Stil en septembre 2004 advint dans un silence ahurissant significatif du rejet idéologique à peine déguisé de son oeuvre. Elle ne suscita ni commentaires, ni émotion. L'article de Libé de l'époque n'est qu'une simple brève. Seule, L'Huma, bien sûr, détailla la carrière de celui qui en fut rédacteur en chef de 1950 à 1959. Seule Madame Edmonde Charles-Roux, alors présidente de l'Académie Goncourt, réagit officiellement en dehors du cénacle communiste. Il est tout autant intéressant de rappeler que l'élection presque immédiate de Bernard Pivot au couvert d'André Stil à l'Académie Goncourt dès octobre se fît sans que nul ne mentionnât à qui il succédait.
André Stil, c'est une écriture simple, accessible, non alambiquée. Prenons comme exemple Qui, roman publié par Gallimard en 1969, époque où Patrick Modiano était déjà devenu célèbre. Il parut à l'apogée du secteur secondaire français, qui, au recensement de 1968, atteignit un sommet de l'ordre de 40 % de la population active. Ce fut l'époque des accords de Grenelle. En 1969, lorsqu'il écrivit Qui, André Stil ne pouvait se douter du déclin proche de ce monde ouvrier et minier qu'il dépeignait. Déjà, de grandes grèves avaient marqué la profession minière en l'an 1963 ; déjà, en son ultime numéro diffusé le 3 mai 1968, Cinq Colonnes à la Une, le demeuré mythique magazine télé d'actualité avait consacré un fort révélateur reportage sur l'amorce de la crise industrielle - en particulier chez les ouvrières du textile - et une première montée du chômage (350 000 personnes en mai 1968).
Cela, André Stil l'avait-il vu ? Le sut-il, l'ignora-t-il, le prédit-il ? Que pensa-t-il de la mise à mort de son monde qu'il eut le temps de voir, de vivre, de méditer ?
Notre auteur fut un Fougeron scripturaire, du nom de ce peintre ouvriériste réaliste socialiste français stalinien qui s'illustra durant la Guerre froide, en réaction contre l'abstraction américaine "capitaliste" dans les "toiles du Pays des Mines", avant de s'en lasser et de revenir à une figuration plus libre. On a oublié André Fougeron, mort le 10 septembre 1998 à Amboise, comme l'on enterra André Stil de son vivant même.
Qui est un récit de vies multiples, prolétaires, une série de portraits, de destins d'un milieu socio-professionnel familier (même natif dirais-je) cher à notre écrivain ami des petites gens, des anonymes qu'il affectionne, qui use, je le rappelle, d'une langue simple, accessible au peuple, sans sombrer dans la vulgarité racoleuse. Son livre réaliste adopte une structure alphabétique d'individualités ouvrières, encyclopédique, pédagogique, éducative pour le peuple, édifiante même, ce qui peut aussi faire songer au dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français de l'historien Jean Maitron (1910-1987) dont votre serviteur a lu certaines notices lors de ses études universitaires. Les chapitres sont donc des lettres... Par exemple, Stil ouvre ainsi la lettre E :
Englebert Maurice
Il est en train d'ouvrer, Maurice, à l'écart des autres, tout seul dans un montage.
Refus des fioritures, des effets de style pesants, ampoulés... Qui, qui sait éviter la sècheresse du propos, est à l'opposé des Vies minuscules de Pierre Michon au vocabulaire recherché, aux phrases longues et aux imparfaits du subjonctif détonants. André Stil assume sa simplicité prolétarienne : il l'écrit très bien, à l'inverse d'auteurs contemporains qui simplifient exagérément leur style autant par pauvreté, méconnaissance grammaticale et syntaxique (lacunes dans le vocabulaire, les concordances des temps, refus des propositions relatives etc.) que sous la pression des éditeurs mercantiles contemporains qui veulent des bouquins "simples" et "lisibles" car plus "vendables". Les détracteurs d'André Stil m'objecteront que sa littérature humaniste était formative, standardisée, normée dans la ligne et les règles orthodoxes du parti communiste, telle la peinture de Fougeron. L'était-elle tant que ça, davantage que les "Arlequin" qu'on croirait conçus par un ordinateur ?
André Stil écrit au temps du taylorisme et du fordisme triomphants, du productivisme de la reconstruction d'après-guerre, des Trente glorieuses non exemptes de conflits sociaux violents, de la persistance de taudis, de zones de pauvreté, loin des idées reçues véhiculées par des médias nostalgiques d'un ordre soit catho réac qui regrette l'autorité, soit d'une révolution sexuelle des années 60 à la californienne enkystée à jamais à Woodstock. L'univers de notre écrivain est antinomique, très éloigné, opposé à ces deux pôles paradoxaux rétromaniaques et faux qui pour lui, ne présentent aucun intérêt.
Dois-je rappeler qu'André Stil, auquel ses détracteurs "bourgeois" reprochèrent qu'il fût le seul français à avoir reçu le prix Staline, se fit élire en 1977 à l'Académie Goncourt afin d'obtenir enfin une reconnaissance du milieu littéraire en général ? Dois-je aussi rappeler que ses éditeurs les plus courants, ne furent pas Les Editions sociales, mais Grasset et Gallimard ? Enfin, faut-il que j'ajoute qu'André Stil contribua à empêcher la domination sans partage de la thèse de François Furet dans les célébrations du bicentenaire de la Révolution française avec la complicité d'un gouvernement dont la veste s'était retournée dès 1983 en écrivant un assez remarqué Quand Robespierre et Danton inventaient la France justement chez Grasset, ouvrage de haute vulgarisation historique nécessaire ô combien, aux côtés du grand historien Michel Vovelle, seul représentant du camp adverse de celui de Furet à avoir eu (trop peu) droit de cité dans ces célébrations de 1989 faussées par la société du spectacle honnie par Guy Debord ?
André Stil, ce fut cela, tout cela. A l'heure où la disponibilité de ses oeuvres court vers un tarissement inexorable, inéluctable, n'oubliez pas André Stil...
Mon prochain billet dépendra de l'actualité cinématographique.
Cela, André Stil l'avait-il vu ? Le sut-il, l'ignora-t-il, le prédit-il ? Que pensa-t-il de la mise à mort de son monde qu'il eut le temps de voir, de vivre, de méditer ?
Notre auteur fut un Fougeron scripturaire, du nom de ce peintre ouvriériste réaliste socialiste français stalinien qui s'illustra durant la Guerre froide, en réaction contre l'abstraction américaine "capitaliste" dans les "toiles du Pays des Mines", avant de s'en lasser et de revenir à une figuration plus libre. On a oublié André Fougeron, mort le 10 septembre 1998 à Amboise, comme l'on enterra André Stil de son vivant même.
Qui est un récit de vies multiples, prolétaires, une série de portraits, de destins d'un milieu socio-professionnel familier (même natif dirais-je) cher à notre écrivain ami des petites gens, des anonymes qu'il affectionne, qui use, je le rappelle, d'une langue simple, accessible au peuple, sans sombrer dans la vulgarité racoleuse. Son livre réaliste adopte une structure alphabétique d'individualités ouvrières, encyclopédique, pédagogique, éducative pour le peuple, édifiante même, ce qui peut aussi faire songer au dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français de l'historien Jean Maitron (1910-1987) dont votre serviteur a lu certaines notices lors de ses études universitaires. Les chapitres sont donc des lettres... Par exemple, Stil ouvre ainsi la lettre E :
Englebert Maurice
Il est en train d'ouvrer, Maurice, à l'écart des autres, tout seul dans un montage.
Refus des fioritures, des effets de style pesants, ampoulés... Qui, qui sait éviter la sècheresse du propos, est à l'opposé des Vies minuscules de Pierre Michon au vocabulaire recherché, aux phrases longues et aux imparfaits du subjonctif détonants. André Stil assume sa simplicité prolétarienne : il l'écrit très bien, à l'inverse d'auteurs contemporains qui simplifient exagérément leur style autant par pauvreté, méconnaissance grammaticale et syntaxique (lacunes dans le vocabulaire, les concordances des temps, refus des propositions relatives etc.) que sous la pression des éditeurs mercantiles contemporains qui veulent des bouquins "simples" et "lisibles" car plus "vendables". Les détracteurs d'André Stil m'objecteront que sa littérature humaniste était formative, standardisée, normée dans la ligne et les règles orthodoxes du parti communiste, telle la peinture de Fougeron. L'était-elle tant que ça, davantage que les "Arlequin" qu'on croirait conçus par un ordinateur ?
André Stil écrit au temps du taylorisme et du fordisme triomphants, du productivisme de la reconstruction d'après-guerre, des Trente glorieuses non exemptes de conflits sociaux violents, de la persistance de taudis, de zones de pauvreté, loin des idées reçues véhiculées par des médias nostalgiques d'un ordre soit catho réac qui regrette l'autorité, soit d'une révolution sexuelle des années 60 à la californienne enkystée à jamais à Woodstock. L'univers de notre écrivain est antinomique, très éloigné, opposé à ces deux pôles paradoxaux rétromaniaques et faux qui pour lui, ne présentent aucun intérêt.
Dois-je rappeler qu'André Stil, auquel ses détracteurs "bourgeois" reprochèrent qu'il fût le seul français à avoir reçu le prix Staline, se fit élire en 1977 à l'Académie Goncourt afin d'obtenir enfin une reconnaissance du milieu littéraire en général ? Dois-je aussi rappeler que ses éditeurs les plus courants, ne furent pas Les Editions sociales, mais Grasset et Gallimard ? Enfin, faut-il que j'ajoute qu'André Stil contribua à empêcher la domination sans partage de la thèse de François Furet dans les célébrations du bicentenaire de la Révolution française avec la complicité d'un gouvernement dont la veste s'était retournée dès 1983 en écrivant un assez remarqué Quand Robespierre et Danton inventaient la France justement chez Grasset, ouvrage de haute vulgarisation historique nécessaire ô combien, aux côtés du grand historien Michel Vovelle, seul représentant du camp adverse de celui de Furet à avoir eu (trop peu) droit de cité dans ces célébrations de 1989 faussées par la société du spectacle honnie par Guy Debord ?
André Stil, ce fut cela, tout cela. A l'heure où la disponibilité de ses oeuvres court vers un tarissement inexorable, inéluctable, n'oubliez pas André Stil...
Mon prochain billet dépendra de l'actualité cinématographique.
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