lundi 9 décembre 2024

Café littéraire : Mo Yan. Beaux seins, belles fesses. 2001

 Par Dominique Jules.
















Ce roman rural et familial, touffu, balaie sur plus d’un demi-siècle les existences des parents et enfants de la famille de Lushi et de son seul fils, bâtard, Jintong. Le destin romanesque de ces personnages couvre plus de cinq décennies de l’histoire de la Chine, périodes troubles et troublées ;

ou plutôt ils sont traversés par les épisodes historiques et politiques de cette partie du XXe siècle, car ils n’ont aucune prise sur eux, ils sont ballottés par des événements qui retentissent sur leurs vies sans qu’ils puissent les maîtriser en aucune façon.

Si un connaisseur de l’histoire de la Chine peut se repérer, et si le lecteur français se trouve en mesure de dater approximativement le déroulement de l’action, entre 1939 et 1993,

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 avec dans la 7e partie un retour en arrière aux années 1900 à 1938, c’est grâce aux notes fournies par les traducteurs qui donnent quelques jalons. Quant à Mo Yan, il évite de désigner clairement les événements qui surviennent, y compris les changements de régime. Il ne s’attache qu’à leur retentissement et aux conséquences sur la vie quotidienne des gens du peuple dont il évoque l’existence. Car Beaux seins, belles fesses se place délibérément du côté des petites gens, dont Mo Yan est lui-même issu, et plus précisément du côté des paysans, des ruraux, quel que soit leur devenir et leur destin ultérieur. Cette saga chinoise s’occupe de ceux qui subissent l’histoire sans la faire.

 Mo Yan - Wikipedia

Si elle relate les destinées variées de la famille Shangguan, elle inclut aussi des micro-histoires,

des anecdotes, des portraits, qui peuvent tendre au conte, à la nouvelle, tantôt sur un mode réaliste,

tantôt en lorgnant du côté du genre fantastique, tantôt sur un ton grotesque ou bouffon. Car Mo Yan est aussi doué et se trouve aussi à l’aise dans la composition d’un roman fleuve comme Beaux seins, belles fesses que pour l’écriture de textes brefs : son oeuvre littéraire compte d’assez nombreuses nouvelles.

L’une des particularités de l’agencement de Beaux seins, belles fesses, c’est l’indétermination des narrateurs et leur mélange étrange, qui peut rendre la lecture quelque peu malaisée à l’occasion.

C’est ainsi par exemple qu’au chapitre 10 intervient un « je », qui s’avère être le bébé de sexe masculin, qui raconte des événements d’avant sa naissance. D’autres qu’il relate ensuite appartiennent bien à son vécu mais à un âge dont il ne peut guère avoir le souvenir. De même dans la septième partie, qui revient sur le passé de Lushi et la conception de ses neuf enfants, le « je » est clairement inapproprié, puisque Jintong n’était pas né ; or il relate des moments intimes, qu’il n’a pu connaître ni se faire raconter. Comment expliquer ces incohérences, volontaires de la part du romancier ? À chaque lecteur de se faire une opinion : un beau sujet de discussion… Mo Yan multiplie d’ailleurs les sauts du « je » au « il », du narrateur protagoniste au narrateur omniscient, tout au long du roman, comme dans le premier paragraphe du chapitre 52, où sur deux phrases successives, on passe de « je » à « Jintong ». Voir aussi pages 787 ou 795.

Semblablement, le lecteur est parfois transporté d’une époque à une autre, soit dans passé soit dans l’avenir, par des analepses qui prennent une tournure prophétique. Ainsi par exemple l’auteur signale dès la première rencontre de Laidi et Sha Yueliang qu’il deviendra son mari. En bousculant la chronologie et en brouillant les voix narratives, Mo Yan, partagé entre hommage et réprobation, porte un regard subjectif sur un pan d’histoire de son pays, dresse un panorama assez intemporel par la collusion des époques et des moments de vies de ses personnages, somme toute attachants en dépit de leurs défauts, manies, tares, perversions.

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Pour avoir une esquisse d’explication sur le titre du roman, il convient de se reporter à la page 163 et pour la moitié qui concerne les seins, à la page 785, qui manifeste clairement, certes sur un ton de propagande publicitaire et d’éloge ambigu, l’importance de la femme dans l’humanité et dans cette partie du monde qu’est la Chine.

Sur ce point, le texte d’un lecteur attentif, disponible sur Internet, apporte un éclairage roboratif :

voir en PJ.

Dominique JULES

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