Ils sont presque légion. Leur existence s'échelonne entre les temps modernes et le milieu du XXe siècle. Le concert, comme la musique enregistrée, les néglige. Certains ont, par hasard, pu bénéficier de la rare sortie d'un 33 tours ou d'un CD, d'autres jamais. Leurs noms sont oubliés, leur musique inaudible, absente. Bien que les dictionnaires des compositeurs les mentionnent, bien que parfois, quelque buste, plaque ou monument peut rappeler leur souvenir, bien que leur manuscrits ou partitions imprimées soient conservés çà et là, ils brillent par une cruelle absence médiatique et auditive dont seule souvent la toile essaie de remédier.
Leur importance dans l'histoire de la musique est niée. Une infime poignée d'entre-eux, parfois, émerge du brouillard, comme Albéric Magnard ou Jean Cras.
On peut ajouter un troisième larron à cette micro liste : Théodore Gouvy, un cas particulier du XIXe siècle, puisque franco-allemand, d'une famille française à la fois lorraine et de Sarre. Si je n'ai jamais réussi à entendre la moindre note d'Albéric Magnard à la télévision - ce que je déplore - une occasion me fut offerte à l'avantage de Jean Cras... au milieu des années 1980 ! Si ce trio s'en tire à bon compte, qu'en est-il de la foultitude des autres ?
Commençons par Perrin et Cambert, les vrais pères de l'opéra français alors que beaucoup de mélomanes sont convaincus de la prééminence de Lully. Ils sont presque inexistants en disque. Robert Cambert (vers 1628-1677) était compositeur. Pierre Perrin (vers 1620-1675), son associé et collaborateur, était poète. Pierre Perrin obtint en 1669 le privilège royal de création de l'Académie royale de musique. Bien qu'ils eussent déjà travaillé ensemble dès 1657, Perrin et Cambert furent les premiers à inscrire une oeuvre française au répertoire de l'Académie royale de musique : la pastorale Pomone.
Sans pour autant remonter aux troubadours ou encore aux musiciens du XVIe siècle, comme par exemple le protestant Claude Goudimel - qui était franc-comtois - ou Claude Le Jeune, dont la discographie fut longtemps des plus minces, j'ai choisi de me concentrer préférentiellement sur les compositeurs et compositrices d'avant 1950 mais postérieurs à 1789. Disons que leur activité créatrice s'étend de la Révolution au milieu du XXe siècle. Balayons d'emblée une légende tenace : la musique française ne connut aucune éclipse entre la mort de Jean-Philippe Rameau en 1764 et le choc de la création de la symphonie fantastique de Berlioz en 1830. Au contraire, la créativité fut conséquente, bénéficiant des circonstances révolutionnaires puis napoléoniennes.
Certains de ces créateurs ont une discographie limitée à moins d'une dizaine de titres, d'autres parfois n'ont eu droit qu' à un seul CD épisodique ! Pour peu que leur redécouverte finisse par advenir, j'ose espérer que le choix de musique enregistrée s'étoffera à leur propos, d'autant plus que leur situation se répercute sur les vidéos de telle ou telle plate-forme : ainsi en est-il de Raymond Loucheur (1899-1979) dont seule la chaîne YouTube collection CB5, réputée comme niche d'incunables musicaux, propose des enregistrements plus ou moins anciens de cet auteur.
Remontons en arrière, jusqu'à Jean-François Lesueur, maître de Berlioz.
Son influence ne fut pas négligeable, tandis que Cherubini,
qui dirigea le Conservatoire, servait de repoussoir alors que sa musique fut excellente. Longtemps pour moi, Lesueur ne fut qu'un simple nom, à la discographie fantôme. Il fallut attendre notre siècle pour que des compositions de Lesueur fussent disponibles en CD.
Au fait, connaissez-vous Pierre de Bréville (1861-1949) ? Je ne le pense pas, tant sa discographie est maigrelette Cet aimable petit maître (pas dans le sens péjoratif du terme) mériterait un meilleur sort, une exhumation plus conséquente, notamment de sa musique de chambre et de son opéra Eros vainqueur, tiré d'un argument de Jean Lorrain, un des "papes" de la littérature décadente qui, lui bénéficie d'une redécouverte fertile en surprises.
De même, qui se souvient encore d'Henry Barraud (1900-1997) dont la longue existence ne suffit pas à attirer une production discographique fournie à l'heure du CD, au point qu'avant d'avoir Internet, je n'avais jamais entendu la moindre note de lui. Il occupa cependant de hautes fonctions : directeur musical de la Radiodiffusion française, puis de la chaîne nationale RTF, ancêtre de l'ORTF.
Quant à Claude Delvincourt (1888-1954),mutilé de la Grande Guerre, pianiste et compositeur, il fut un bon directeur du Conservatoire de Paris (1941-1954) qui sut soustraire ses élèves au STO et, résistant, rejoignit le Front national des musiciens.
Ce n'est que la dernière décennie que j'ai enfin acquis un CD d'oeuvres de Claude Delvincourt !
On peut aussi épiloguer sur les compositrices, guère mieux loties ! Quid de Clémence de Grandval (1828-1907), aux compositions il est vrai un peu frustes,
de Jeanne Leleu (1898-1979),
dont je ne possède toujours pas le moindre enregistrement musical, ou encore d'Augusta Holmès (1847-1903), trop longtemps réduite au chant de Noël Trois Anges sont venus ce soir pour laquelle une galette argentée bienvenue a enfin procédé à la nécessaire redécouverte ?
N'oublions pas Cécile Chaminade (1857-1944), dont j'entendis une seule fois un morceau à la télévision - c'était il y a bien longtemps...
Certes, il est toujours des hommes à la musique peu courue, tel Louis Durey (1888-1979), sans doute le plus délaissé du Groupe des Six.
Inutile d'épiloguer sur les raisons multiples qui conduisirent cette foultitude de musiciens à ne jouir que d'une discographie des plus minces. La profusion des noms injustement négligés menace de rendre ce texte rébarbatif ou purement énumératif, c'est selon.
Achevons par une coïncidence : moururent chaque début de siècle en une année en 09 des compositeurs français particulièrement méconnus :
- 1709 fut l'année de la disparition de Pascal Collasse (né en 1649), maudit s'il en fut. Il acheva la dernière tragédie en musique de Lully (qui l'avait aidé à percer) Achille et Polyxène et mourut fou ;
- 1809 vit quitter notre monde Nicolas Dalayrac (né en 1753),
auteur qui fut célèbre en son temps, connu alors pour ses nombreux opéras et comédies, que plus personne ne joue car son étoile, sa renommée, pâlirent dès le XIXe siècle. Franc-maçon, il fut pourtant un des contributeurs de l'instauration du droit d'auteur ;
- 1909 fut fatale à Charles Bordes (né en 1863),
grand disciple de César Franck, cofondateur, avec Vincent d'Indy et d'autres, de la Schola Cantorum. De lui ne restent que des mélodies, aux vidéos éparses sur le net.
De Pascal Collasse, je n'ai même pas de portrait gravé à proposer, preuve s'il en est du peu de renommée dont il jouit de nos jours.
Quant à Maurice Jarre, mort en 2009, on ne peut affirmer que la musique dite "savante" fut son domaine créatif exclusif...
Prochainement : Baudelaire à la télévision : l'alerte, enfin.
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