Il aura donc fallu attendre le 25 juin 2021 - alors que le bicentenaire de la naissance de l'autrefois illustre et iconique poète se situait le 9 avril - pour que le service public télévisuel daigne s'occuper de Charles Baudelaire. C'est toujours mieux que pour Claude Debussy lorsque seule Arte se bougea, en pleine nuit, à peine au mois de septembre 2018 alors que le décès du grand compositeur était u mois de mars. C'est toujours plus satisfaisant que pour Charles Dickens : en lieu et place de février 2012, nous dûmes patienter jusqu'à la fin de l'année 2014 pour qu'Arte - là encore étrangement solitaire - s'avisât à la parfin à diffuser les adaptations télé de Dickens qui pourtant, coulaient de source !
Que l'on aille pas me faire conclure que strictement aucune émission autour de Baudelaire et de son oeuvre - alors qu'elles abondent à la radio ainsi qu'en témoigne une chaîne comme Eclair Brut - n'était envisageable depuis 1967 et La Plaie et le Couteau de Yannick Bellon.
De même, il est plus qu'étrange que Télérama ne consacre pas la moindre ligne critique à Baudelaire, moderne et antimoderne, ce documentaire de France 5 que l'on n'espérait plus, promis le vendredi 25 juin 2021 (croisons les doigts) et basé sur le dernier état de la recherche autour du poète, notamment sur les travaux d'Antoine Compagnon. Mais Télérama est comme l'on sait un magazine coutumier de la manifestation de son désintérêt pour les choses de la culture antérieure, un magazine qui n'attribuera qu'un seul T critique à un documentaire fondamental d'archéologie, comme s'il s'agissait d'un nanar français vulgaire... Une seule étoile autrefois dans Télé poche signait bien le navet ! Et qu'on ne me fasse pas croire que Baudelaire est un écrivain oublié !
J'ai pris le temps de visionner le documentaire d'époque de Yannick Bellon sur le site Madelen. J'ai eu affaire à ce qui s'apparentait à un film culturel assez expérimental et quelle ne fut pas ma surprise de constater la présence d'une brochette d'acteurs réputés participant à la récitation de pages choisies de Baudelaire. Loleh Bellon, propre soeur de la réalisatrice, fait partie de ce panel. Autre chose : compte tenu de la présence de certaines images dénudées d'époque ainsi que de l'allusion à certains sujets (syphilis, drogue) un questionnement a touché mon esprit : la censure gaullienne, on le sait, était puissante en 1967, et je me suis demandé si ce documentaire n'avait pas été diffusé à une heure tardive avec le rectangle blanc en guise de signalétique d'avertissement aux mineurs.
Qu'écrire sur la version 2021 ? Je puis dire que, formellement, elle s'avère en-deçà de celle de 1967, car elle possède moins de hardiesse, se trouvant dépourvue de ce côté expérimental qu'osa en son temps Yannick Bellon. Nous avons donc affaire à un documentaire de service public de facture classique - la classicisme du XXIe siècle, cela va de soi. Il n'y a plus à proprement parler de scènes jouées reconstituées, mais des récitations de poèmes, des lectures plutôt, par des personnalités actuelles férues de Charles Baudelaire. Ce qui m'embête un peu, dans chacune des versions, c'est qu'elles partagent l'omission de poésies majeures, comme Moesta et Errabunda, Harmonie du soir et Les litanies de Satan que Frank Le Gall
avait su magnifiquement employer dans Théodore Poussin. Il me semble que, dans chaque cas, l'accent a été davantage mis sur les poèmes qui avaient choqué le bourgeois du XIXe siècle, d'où les développements autour de la censure de 1857 et du célèbre procès, dans le documentaire de 2021.
Quant à Arte, elle n'a pas joué le moindre rôle dans les commémorations autour de Baudelaire, ce qui ne me surprend nullement de la part de cette chaîne.
L'émission de 2021 a bénéficié de la recherche baudelairienne récente, ce qui lui a permis de mettre l'accent sur le "réactionnaire", rétif à la modernité, sur les contradictions du poète antimoderne cher à Antoine Compagnon, pourtant fasciné par la photographie mais rejetant la transformation haussmanienne de Paris.
Toujours est-il que, vision critique de Baudelaire ou pas (ce qui n'exclut nullement de relire les textes qu'Yves Bonnefoy consacra au poète, dont Le Siècle de Baudelaire aux éditions du Seuil), si France Télévisions ne s'était pas un peu bougée, l'auteur des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris aurait été intégralement absent de la télévision.
Ô Arte, quand te souviendras-tu, pour paraphraser Jean Topart en Sir Williams, de ta splendeur passée, lorsque tu te revendiquais avant tout comme une chaîne culturelle européenne ? N'éprouves-tu pas quelque part de la honte d'avoir tu le bicentenaire de la naissance de cet auteur incontournable sans lequel il manquerait une case à la littérature mondiale ?
Prochainement : les 400 ans de Jean de La Fontaine : le minimum syndical de l'Ina.
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