Ces écrivains dont la France ne veut plus 18 : Malherbe.

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir. (...)

Nicolas  Boileau, L’art poétique, chant I, v.131-134

 Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
      Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
      L’augmenteront toujours !
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
      Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
      Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine,
      Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
      Avecque son mépris.
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
      Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
      L’espace d’un matin. (...)


Non qu’il ne me soit grief que la tombe possède
      Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de remède
      Il n’en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
      On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
      Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre
      Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
      N’en défend point nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
      Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
      Qui nous met en repos.


François de Malherbe : Stances. Consolation à Monsieur du Perrier sur la mort de sa fille (extraits). 

 

Longtemps, on accusa à tort Malherbe (1555-1628) d'avoir sclérosé, corseté, stérilisé et figé pour des années la poésie française. C'est comme s'il avait forgé une armure, une cuirasse d'une rigidité sans pareille afin d'y enfermer les règles poétiques en les fixant une fois pour toutes. Or, on oublie que le style de Malherbe évolua, connut plusieurs étapes...

Normand (car né à Caen), robin (c'est-à-dire appartenant à la noblesse de robe), Malherbe fut à ses débuts un maniériste et un baroque, ce qu'il déplora plus tard. Sa réputation de fondateur de la poésie classique a été entretenue par ses disciples aujourd'hui bien oubliés , François Maynard
 
 et Honorat de Racan,
 
 tous deux membres de l'Académie française (Maynard ayant d'ailleurs été le prédécesseur de Corneille en cette institution...).
Le premier Malherbe, au lyrisme surchargé de références antiques, s'apparente à l'excès espagnol du gongorisme, style baroque inventé à la fin du XVIe siècle par le poète Luis de Gongora (1561-1627),
 
 qui naquit et mourut à Cordoue. Strictement contemporain de notre maître de la muse française, Gongora - dont les Solitudes incarnèrent le sommet de son art - eut pour adversaire littéraire majeur Francisco de Quevedo (environ 1580 -1645),

 par ailleurs personnage important des romans du cycle "Capitaine Alatriste" d'Arturo Perez Reverte.
Jugez plutôt de son style fleuri avec cette traduction du   Tombeau de Domenico Greco, excellent peintre :
« De forme élégante, ô Passant, Cette lumineuse pierre de porphyre dur Prive le monde du pinceau le plus doux, Qui ait donné l’esprit au bois et vie au tableau. Son nom est digne d’un souffle plus puissant Que celui des trompettes de la Renommée Ce champ de marbre l’amplifie. Vénère-le et passe ton chemin. Ci-gît le Grec. Il hérita de la Nature L'Art. Il étudia L’Art. D'Iris les couleurs. De Phoebus les lumières et de Morphée les ombres. Que cette urne, malgré sa dureté, Boive les larmes, et en exsude les parfums. Funèbre Écorce de l’arbre de Saba. »
Malherbe regretta avoir tâté d'une telle matière baroque lorsqu'en 1587, cherchant un protecteur officiel, il commettait, en l'honneur d'Henri III, les vers surchargés et ampoulés, déjà gongoristes, des Larmes de Saint-Pierre. Le gongorisme baroque, à l'image tourmentée du Greco, se truffait de référence antiques, mythologiques, un peu comme l'art pour l'art de Leconte de Lisle au milieu du XIXe siècle. On reprocha d'ailleur à Malherbe cette quête incessante des protections royales, qu'il parvint à trouver avec Henri IV, devenant en quelque sorte un poète officiel des premiers Bourbon. Tallemant des Réaux (1619-1692),
 
 en biographe impitoyable, fut le plus grand critique de Malherbe, de son caractère et de son oeuvre, l'accusant de maniaquerie, d'obsession pour la pureté de la langue française.
Car Malherbe fonda les règles du classicisme, les codifia (du moins pour la poésie)  : équilibre, juste mesure, juste mot, toutes choses qui devaient déboucher dans une défense et fixation des règles de la langue française classique, annonçant la politique de Richelieu et la création de l'Académie française qu'il n'eut pas le temps de connaître. Malherbe participa à sa manière à l'élaboration de l'absolutisme royal, dans son volet culturel et linguistique. Il se voulut un codificateur, non point un novateur (cette réforme de la langue ayant déjà été pensée dès La Pléiade), se refusant à tout lyrisme spontané, à l'émotion, au risque de créer des poèmes d'une perfection glacée. Son français fut celui homogène de l'Île-de-France, car il rejeta tout emprunt aux patois, au gascon, au régionalisme, à la langue d'oc en général, annonçant l'unification jacobine de la langue puis celle de Jules Ferry. Il y eut bien là risque de fossilisation par un fantasme de pureté, sans que fussent prises en compte les évolutions souterraines du parler, ce qui accentuait le divorce entre la langue de cour, de l'élite, de Paris, avec les parlers du peuple et de la province.
Normatif, Malherbe refusait la création des néologismes, des emprunts exogènes aux langues étrangères (notamment en provenance des pays catholiques tridentins, Espagne et Italie). De même, il bannit certains mots qu'il jugeait archaïques, n'étant plus à un paradoxe près, d'autant plus que certains ont survécu en notre siècle comme par exemple nuisance et prouesse.

On ne conserve de François de Malherbe que l'image désuète d'un vieillard barbu et doctrinaire, engoncé dans sa fraise, telle que l'iconographie (surtout des gravures) nous l'a transmise.
Certes, la langue de Malherbe fut belle, équilibrée, épurée des surcharges, ses poésies témoignant du bon goût sans nulle trivialité : le contraire du baroque, d'un Caravage... Au fond, il est plus lisible que certains poètes décadents et maniérés, parnassiens et autres de la seconde moitié du XIXe siècle, mais, même avec une orthographe modernisée, on ne peut plus le lire ni le comprendre, malgré d'édifiantes émissions de radio, de bons colloques ayant pris sa défense à l'occasion de la célébration des quatre cents ans de sa naissance, en 1955, archives radiophoniques éclairantes et érudites tout en demeurant claires comme de l'eau de roche (loin de l'amphigouri intello branché de la France culture du XXIe siècle), archives par ailleurs accessibles en ligne sur YouTube.
Sic transit gloria mundi...