Martin Luther King, pasteur, prix Nobel de la Paix:
«Avec le Dr Albert Schweitzer disparait l'une des plus brillantes
étoiles du firmament humain. Sa longue et riche carrière de savant et de
bienfaiteur de l'humanité constitue l'une des épopées du XXe siècle.
Elle inspirera les générations futures. Il était l'une de ces rares âmes
généreuses de l'Histoire qui se consacrent au bien des autres.»
Toute omission - qu'elle soit commémorative, livresque ou autre - a un sens. (Le Nouveau Victor Hugo).
De quelque côté qu'un homme se tourne, il en trouvera un autre qui a besoin de lui. (Albert Schweitzer)
Voilà une nouvelle commémoration fort discrète, passée inaperçue hormis quelques articles plutôt parus dans la presse conservatrice (hélas ! ) et réduite de surcroît, telles déjà celles de Corneille en 2006 et Diderot en 2013, à des manifestations strictement locales... en Alsace et au Gabon ! J'ai pu regarder in extremis (attraper au vol dirais-je, après qu'il eut déjà commencé) un documentaire axé sur le grand docteur de Lambaréné diffusé sur France 3 Alsace.
C'est ainsi que l'on déshonore chez nous la mémoire d'un grand précurseur de l'action humanitaire, chargé a posteriori de tous les crimes de la colonisation, un prix Nobel de la Paix prestigieux, reconnu par ses pairs (dont Martin Luther King), qui se dressa contre le risque d'apocalypse nucléaire !
Si on l'occulte en France, la mémoire d'Albert Schweitzer paraît plus présente dans le monde, en particulier en Afrique. De même pour l'Alsace : en 2005, j'ai pu juger du souvenir vivace qu'il avait laissé à l'occasion d'une exposition à lui consacré que je visitai dans un temple de Mulhouse.
Je fis la connaissance d'Albert Schweitzer lorsque j'avais une dizaine d'années, trop tard pour que je connusse le grand homme, disparu une décennie auparavant. Cela se produisit à l'occasion d'une de ces désuètes distributions des prix (forgée par la domination du Livre avec un grand "l") en classe de CM 2. Bon élève, je raflai la récompense optimale, soit le 1er prix, qui consistait en une biographie, certes hagiographique, du docteur de Lambaréné, ouvrage qui déjà remontait à 1956 en son édition première. Il s'agissait de L'Histoire merveilleuse d'Albert Schweitzer, de Titt Fasmer Dahl, auteure norvégienne, ouvrage paru dans la collection "Rouge et Or souveraine." Je me suis juré de toujours conserver ce livre, et je l'ai fait. Il est curieux qu'un tel ouvrage eût été remporté en une commune à l'époque gérée par le parti communiste (qui, comme chacun sait, rejetait moins la culture classique que les épigones de Pierre Bourdieu qui ont déformé sa pensée en un sens extrémiste de zélotes).
La floraison de cette littérature de jeunesse a coïncidé avec le prestige international acquis par Albert Schweitzer après qu'on lui eut attribué en 1952 le prix Nobel de la paix. De même, les bandes dessinées à sa gloire se multiplièrent dans les illustrés comme Spirou et Tintin. Ainsi, lorsque j'entrepris dans le cadre de mes recherches doctorales axées sur la vision de l'Afrique coloniale dans la bande dessinée franco-belge ne me privai-je pas de débuter (c'était, je m'en souviens, le 8 octobre 1991 en l'ancienne bibliothèque municipale de Marseille qui précéda l'actuelle BMVR de l'Alcazar) par le dépouillement et l'analyse d'une des premières Belles Histoires de l'Oncle Paul intitulée Médecin des Noirs au n° 692 de 1951 due à Paape et Charlier, premier Oncle Paul colonial...consacré à Albert Schweitzer !
Dans la biographie de Titt Fasmer Dahl, j'avais déjà senti ce style un peu rétro, daté, en particulier dans les illustrations, mais cela ne me gênait pas : j'étais déjà déphasé par rapport à mon époque encore "pop".
Cependant, j'eus l'occasion, au cours de mes dépouillements et analyses de bédés mettant le bon docteur Schweitzer en scène un aspect de propagande assez appuyé, un peu paternaliste dirais-je que ce soit dans l'image et le texte (lorsque par exemple, Albert Schweitzer dit "mes Noirs", possessif révélateur dans une de ces bédés dont il n'était pas le sujet principal) puisqu'il s'agissait de mettre l'accent sur la mission civilisatrice et sanitaire à laquelle il contribua à sa manière.
Né en 1875, Albert Schweitzer fut un homme de son temps, mais est-ce une raison pour lui faire porter le chapeau de tous les péchés coloniaux du monde, pour l'affubler des oripeaux de la haine, du racisme intégral, lui qui était devenu une sommité universelle au point que Gilbert Cesbron lui consacrât une pièce de théâtre : Il est minuit Docteur Schweitzer sans oublier les innombrables films documentaires et reportages, y compris anglo-saxons ? Si Albert Schweitzer avait été le salaud que certains repentants actuels pensent, jamais Martin Luther King, lui-même auréolé du prix Nobel de la paix, ne lui aurait consacré un aussi vibrant et sincère hommage, tout en reconnaissance... Ces esprits chagrins eussent sans doute préféré que l'hommage provînt d'esprits puants comme Barry Goldwater, George Wallace ou Jean-Louis Tixier-Vignancourt.
Notre travailleur humanitaire précurseur fut un homme protéiforme, théologien protestant, philosophe, médecin et organiste, interprète notamment de Jean-Sébastien Bach.
J'avoue avoir été bouleversé par la vision et les paroles d'Albert Schweitzer lorsque la chaîne Planète (du temps où elle était encore valable), à l'extrême fin du siècle dernier, avait rediffusé le reportage que la mythique émission Cinq colonnes à la une lui consacra le 2 juin 1961... Quatorze minutes six secondes disponibles sur Ina.fr, ô combien éclairantes ! A côté d'Albert Schweitzer, qui aimait tant le vivant (ce qui transparaissait dans la biographie enfantine ci-dessus), la pensée des intellectuels de l'an 2000 m'apparut bien fade et dénuée d'intérêt ! J'ai failli craquer en l'écoutant parler !
Or, je savais déjà que sa personnalité, dont on se gaussait (à cause de sa persistance à conserver le port connoté du casque colonial ou de l'absence de médecins d'origine africaine le secondant - existait-il les structures pour les former ?), était remise en cause depuis la décolonisation.
Pour nous résumer, la figure de proue du bon docteur "lambarénesque" a été sérieusement écornée par une contre-propagande anticolonialiste redoutablement efficace qui a aussi inscrit à son tableau de chasse une autre icône humanitaire déchue, Raoul Follereau l'apôtre des lépreux. Sans doute l'homme à la lavallière (1903-1977) paya-t-il pour la postérité son engagement maurrassien et catholique conservateur excessif, antisémite de surcroît. Ses accointances avec l'Italie fasciste et le régime de Vichy sont connues. Rien de tel chez Albert Schweitzer, non-violent et respectueux de la vie comme Gandhi... On peut au fond le rapprocher de Romain Rolland déjà évoqué dans ce blog. Il préféra se consacrer à son oeuvre gabonaise plutôt que se mouiller dans les affaires sulfureuses du siècle lors de la seconde guerre mondiale. C'est à croire que la malpensance a jeté Schweitzer et Follereau dans le même sac d'immondices...
Or, la remise en cause d'Albert Schweitzer que reflète l'actuelle absence de toute commémoration nationale du cinquantenaire de sa disparition, s'illustra en particulier par un film certes mal distribué (et que je vis finalement en VHS empruntée à la médiathèque de la ville où j'habitais à l'époque) : Le Grand Blanc de Lambaréné de Bassek Ba Kobhio (1995) avec André Wilms en Albert Schweitzer et Marisa Berenson dans le rôle d'Helène Breslau, sa femme. Il s'agit d'un film anticolonialiste, qui appuie sur les défauts d'Albert Schweitzer représenté comme un personnage paternaliste, méprisant, brutal et intransigeant avec les Africains qu'il juge inférieurs et infantiles. Il s'est agi pour le réalisateur de déconstruire l'image sacrée du bon docteur ami des Noirs. Manque de pot, Le Grand Blanc de Lambaréné fut un des films les plus mal distribués, les plus marginalisés des années 1990 : annoncé au départ sur à peine dix copies... il fut réduit à deux ! L'Afrique coloniale, vieille lune ringarde, était réputée ne pas intéresser le spectateur français...
Il est curieux que ce long métrage soit à peu près contemporain d'un des seuls livres modernes honnêtes sur Schweitzer, Albert Schweitzer ou le démon du bien, de Marco Koskas, publié en 1992 aux éditions Jean-Claude Lattès. Marco Koskas mit l'accent sur l'aspect de précurseur de l'action humanitaire, loin des débats historiques sur la colonisation, replaçant le bon docteur de Lambaréné dans une perspective contemporaine.
J'espère qu'en un avenir proche, on cessera de négliger Albert Schweitzer, ce respectueux de la vie, ce sympathisant de la philosophie indienne de la non-violence. Encore une personnalité que je regrette ne pas avoir connue ou rencontrée...
Toute omission - qu'elle soit commémorative, livresque ou autre - a un sens. (Le Nouveau Victor Hugo).
De quelque côté qu'un homme se tourne, il en trouvera un autre qui a besoin de lui. (Albert Schweitzer)
Voilà une nouvelle commémoration fort discrète, passée inaperçue hormis quelques articles plutôt parus dans la presse conservatrice (hélas ! ) et réduite de surcroît, telles déjà celles de Corneille en 2006 et Diderot en 2013, à des manifestations strictement locales... en Alsace et au Gabon ! J'ai pu regarder in extremis (attraper au vol dirais-je, après qu'il eut déjà commencé) un documentaire axé sur le grand docteur de Lambaréné diffusé sur France 3 Alsace.
C'est ainsi que l'on déshonore chez nous la mémoire d'un grand précurseur de l'action humanitaire, chargé a posteriori de tous les crimes de la colonisation, un prix Nobel de la Paix prestigieux, reconnu par ses pairs (dont Martin Luther King), qui se dressa contre le risque d'apocalypse nucléaire !
Si on l'occulte en France, la mémoire d'Albert Schweitzer paraît plus présente dans le monde, en particulier en Afrique. De même pour l'Alsace : en 2005, j'ai pu juger du souvenir vivace qu'il avait laissé à l'occasion d'une exposition à lui consacré que je visitai dans un temple de Mulhouse.
Je fis la connaissance d'Albert Schweitzer lorsque j'avais une dizaine d'années, trop tard pour que je connusse le grand homme, disparu une décennie auparavant. Cela se produisit à l'occasion d'une de ces désuètes distributions des prix (forgée par la domination du Livre avec un grand "l") en classe de CM 2. Bon élève, je raflai la récompense optimale, soit le 1er prix, qui consistait en une biographie, certes hagiographique, du docteur de Lambaréné, ouvrage qui déjà remontait à 1956 en son édition première. Il s'agissait de L'Histoire merveilleuse d'Albert Schweitzer, de Titt Fasmer Dahl, auteure norvégienne, ouvrage paru dans la collection "Rouge et Or souveraine." Je me suis juré de toujours conserver ce livre, et je l'ai fait. Il est curieux qu'un tel ouvrage eût été remporté en une commune à l'époque gérée par le parti communiste (qui, comme chacun sait, rejetait moins la culture classique que les épigones de Pierre Bourdieu qui ont déformé sa pensée en un sens extrémiste de zélotes).
La floraison de cette littérature de jeunesse a coïncidé avec le prestige international acquis par Albert Schweitzer après qu'on lui eut attribué en 1952 le prix Nobel de la paix. De même, les bandes dessinées à sa gloire se multiplièrent dans les illustrés comme Spirou et Tintin. Ainsi, lorsque j'entrepris dans le cadre de mes recherches doctorales axées sur la vision de l'Afrique coloniale dans la bande dessinée franco-belge ne me privai-je pas de débuter (c'était, je m'en souviens, le 8 octobre 1991 en l'ancienne bibliothèque municipale de Marseille qui précéda l'actuelle BMVR de l'Alcazar) par le dépouillement et l'analyse d'une des premières Belles Histoires de l'Oncle Paul intitulée Médecin des Noirs au n° 692 de 1951 due à Paape et Charlier, premier Oncle Paul colonial...consacré à Albert Schweitzer !
Dans la biographie de Titt Fasmer Dahl, j'avais déjà senti ce style un peu rétro, daté, en particulier dans les illustrations, mais cela ne me gênait pas : j'étais déjà déphasé par rapport à mon époque encore "pop".
Cependant, j'eus l'occasion, au cours de mes dépouillements et analyses de bédés mettant le bon docteur Schweitzer en scène un aspect de propagande assez appuyé, un peu paternaliste dirais-je que ce soit dans l'image et le texte (lorsque par exemple, Albert Schweitzer dit "mes Noirs", possessif révélateur dans une de ces bédés dont il n'était pas le sujet principal) puisqu'il s'agissait de mettre l'accent sur la mission civilisatrice et sanitaire à laquelle il contribua à sa manière.
Né en 1875, Albert Schweitzer fut un homme de son temps, mais est-ce une raison pour lui faire porter le chapeau de tous les péchés coloniaux du monde, pour l'affubler des oripeaux de la haine, du racisme intégral, lui qui était devenu une sommité universelle au point que Gilbert Cesbron lui consacrât une pièce de théâtre : Il est minuit Docteur Schweitzer sans oublier les innombrables films documentaires et reportages, y compris anglo-saxons ? Si Albert Schweitzer avait été le salaud que certains repentants actuels pensent, jamais Martin Luther King, lui-même auréolé du prix Nobel de la paix, ne lui aurait consacré un aussi vibrant et sincère hommage, tout en reconnaissance... Ces esprits chagrins eussent sans doute préféré que l'hommage provînt d'esprits puants comme Barry Goldwater, George Wallace ou Jean-Louis Tixier-Vignancourt.
Notre travailleur humanitaire précurseur fut un homme protéiforme, théologien protestant, philosophe, médecin et organiste, interprète notamment de Jean-Sébastien Bach.
J'avoue avoir été bouleversé par la vision et les paroles d'Albert Schweitzer lorsque la chaîne Planète (du temps où elle était encore valable), à l'extrême fin du siècle dernier, avait rediffusé le reportage que la mythique émission Cinq colonnes à la une lui consacra le 2 juin 1961... Quatorze minutes six secondes disponibles sur Ina.fr, ô combien éclairantes ! A côté d'Albert Schweitzer, qui aimait tant le vivant (ce qui transparaissait dans la biographie enfantine ci-dessus), la pensée des intellectuels de l'an 2000 m'apparut bien fade et dénuée d'intérêt ! J'ai failli craquer en l'écoutant parler !
Or, je savais déjà que sa personnalité, dont on se gaussait (à cause de sa persistance à conserver le port connoté du casque colonial ou de l'absence de médecins d'origine africaine le secondant - existait-il les structures pour les former ?), était remise en cause depuis la décolonisation.
Pour nous résumer, la figure de proue du bon docteur "lambarénesque" a été sérieusement écornée par une contre-propagande anticolonialiste redoutablement efficace qui a aussi inscrit à son tableau de chasse une autre icône humanitaire déchue, Raoul Follereau l'apôtre des lépreux. Sans doute l'homme à la lavallière (1903-1977) paya-t-il pour la postérité son engagement maurrassien et catholique conservateur excessif, antisémite de surcroît. Ses accointances avec l'Italie fasciste et le régime de Vichy sont connues. Rien de tel chez Albert Schweitzer, non-violent et respectueux de la vie comme Gandhi... On peut au fond le rapprocher de Romain Rolland déjà évoqué dans ce blog. Il préféra se consacrer à son oeuvre gabonaise plutôt que se mouiller dans les affaires sulfureuses du siècle lors de la seconde guerre mondiale. C'est à croire que la malpensance a jeté Schweitzer et Follereau dans le même sac d'immondices...
Or, la remise en cause d'Albert Schweitzer que reflète l'actuelle absence de toute commémoration nationale du cinquantenaire de sa disparition, s'illustra en particulier par un film certes mal distribué (et que je vis finalement en VHS empruntée à la médiathèque de la ville où j'habitais à l'époque) : Le Grand Blanc de Lambaréné de Bassek Ba Kobhio (1995) avec André Wilms en Albert Schweitzer et Marisa Berenson dans le rôle d'Helène Breslau, sa femme. Il s'agit d'un film anticolonialiste, qui appuie sur les défauts d'Albert Schweitzer représenté comme un personnage paternaliste, méprisant, brutal et intransigeant avec les Africains qu'il juge inférieurs et infantiles. Il s'est agi pour le réalisateur de déconstruire l'image sacrée du bon docteur ami des Noirs. Manque de pot, Le Grand Blanc de Lambaréné fut un des films les plus mal distribués, les plus marginalisés des années 1990 : annoncé au départ sur à peine dix copies... il fut réduit à deux ! L'Afrique coloniale, vieille lune ringarde, était réputée ne pas intéresser le spectateur français...
Il est curieux que ce long métrage soit à peu près contemporain d'un des seuls livres modernes honnêtes sur Schweitzer, Albert Schweitzer ou le démon du bien, de Marco Koskas, publié en 1992 aux éditions Jean-Claude Lattès. Marco Koskas mit l'accent sur l'aspect de précurseur de l'action humanitaire, loin des débats historiques sur la colonisation, replaçant le bon docteur de Lambaréné dans une perspective contemporaine.
J'espère qu'en un avenir proche, on cessera de négliger Albert Schweitzer, ce respectueux de la vie, ce sympathisant de la philosophie indienne de la non-violence. Encore une personnalité que je regrette ne pas avoir connue ou rencontrée...
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