Monsieur d'Eon est devenu sa propre veuve. (Lord Mount Edgecumbe, à propos du chevalier d'Eon)
Timeo Danaos et dona ferentes. (Virgile)
J'ai connu un bonhomme extraordinaire et déséquilibré qui se prenait pour un homme de Néandertal. Sans doute sa laideur expliquait sa croyance, du fait qu'un abominable bourrelet défigurait ses arcades sourcilières, encore faut-il savoir si l'on peut juger le mot "défigurait" approprié. Ce type déménageait complètement tellement il était persuadé vivre au Paléolithique Moyen. Il avait adopté la vêture des néandertaliens, du moins l'interprétait-il à sa manière. Il arborait nuitamment des peaux de bêtes jetées avec négligence sur ses épaules, telle la pelure du lion de Némée sur Hercule, sans oublier son espèce de pagne de fourrure et ses ridicules chaussons fourrés. Il m'avait dit que ses modèles de prédilection étaient Onkr, l'homme des cavernes de la bédé des années 1960 qui fit les beaux jours du "Journal de Mickey", dessinée par Tenas et scénarisée par Malac et Yvan Delporte, et Uruhu, le chef pilote K'Tou des romans de science fiction mettant en scène le commandant Daniel Wu, notamment "La Gloire de Rama." Il avait pour coutume de brandir une quelconque massue de bois en poussant des grognements inarticulés imitant son héros de papier de l'âge de pierre. Sa panoplie, en plus du ridicule, frisait l'indécence, d'autant plus que ce malheureux taré ne se lavait jamais. Il puait à cent mètres, et les dépouilles mal tannées dont il se revêtait étaient infestées de vermine. Par conséquent, il laissait un sillage particulier et suffocant, qui avertissait de son approche, ou informait qu'il venait de passer par-là. (Souvenirs d'un anonyme sain d'esprit du XXIe siècle)
Tous les littérateurs, plumitifs et intellectuels contemporains se meuvent et se complaisent dans l'euphémisme, la litote et l'évitement. Moi, je pratique l'hyperbole. (Réflexions d'un anti-écrivain engagé et enragé)
"Bois II", chez POL, appartient à cette catégorie de livres, de romans, qu'il faut d'abord lire pour ensuite les acheter (et non pas les acheter pour les lire) tant leur titre, leur maquette de présentation et leur quatrième de couverture ne relèvent rien de leur contenu, n'en préjugent pas. A la limite, l'austérité de la présentation de ces livres confine à l'absence d'envie d'acquisition. "Bois II" est donc un roman "anti-marketing" dans lequel il faut pouvoir et vouloir entrer. Il est le moins explicite possible et se refuse à tout succès parmi les cuistres et les ignorantins qui ont besoin qu'on leur mette les points sur les "i". (Une anthologie de la critique littéraire fictive au XXIe siècle)
Annabelle, de John R. Leonetti, dérivé mercantile de Conjuring : les Dossiers Warren, de James Wan, sorti en 2013, incarne ce que je qualifierai de pire film d'horreur de tous les temps, non seulement du fait de sa vacuité, de son absence totale d'intérêt artistique, mais à cause de l'impact qu'il a eu auprès d'un certain public, dont le comportement incivique dans les salles obscures, pourtant point inédit, a bénéficié d'une caisse de résonance médiatique sans précédent à l'occasion des projections de ce pitoyable nanar dans nos salles obscures hexagonales. On dirait que le phénomène s'est enfin révélé à nos journalistes ignares, coupés des tristes réalités déglinguées, tel Ananie ou Ananias, dans Les Actes des Apôtres, lorsqu'il recouvra la vue après qu'il eut rencontré Jésus (l'on parle des écailles qui tombèrent de ses yeux (Actes, 9).
L'on sait par le net, mais aussi par la presse écrite, qu'Annabelle a suscité remous, émotions (dans le sens presque similaire à celui des émotions ou commotions populaires d'Ancien Régime et l'on connaît la stérilité de ce type de convulsions), réactions, déprédations, chahut etc. Au point que certains complexes cinématographiques à Marseille, Strasbourg et Montpellier, ont jugé préférable de le déprogrammer afin d'éviter de nouveaux incidents, que dis-je, des désordres dignes du XVIIe et du XVIIIe siècle !
Rien de bien neuf. Mais le problème a ses explications, à défaut de résolutions claires. Comment voulez-vous prévenir un tel chaos lorsque, intentionnellement, vous réduisez sans trêve et immuablement les films dits "de genre", aux seuls méga complexes, à à peine deux cents copies et des poussières dans toute la France, de façon systématique, ce qui entraîne un fourmillement, une surfréquentation de salles bondées où les "djeuns" s'écrasent pour huer le navet, papoter, dégrader, souiller, jouer avec leur smartphone ?
En réalité, en classe, ils font strictement la même chose ! Ces zappeurs invétérés ont acquis une incapacité de concentration pathologique, d'attention, inférieure à celle des chiens (chez les canidés, elle est en moyenne de cinq à sept minutes).
A ce compte, on comprend la raison pour laquelle ces cerveaux de jeunes demeurent incapables de se concentrer sur quelque matière, objet ou sujet que ce soit, en cours comme dans un cinéma tant ils surfent à chaque seconde sur autre chose.
De plus, le fait qu'Annabelle,
malgré son affligeante médiocrité, fasse salle comble, traduit non seulement cette propension des adolescents de tourner les interdits, de les transgresser (ici, se faire peur, ailleurs, le sexe), mais aussi la disparition dramatique du tissu urbain des salles de quartier, de proximité, qui autrefois, se vouaient à la projection de tout ce cinéma de genre, quelle qu'en fût la qualité. Rappelez-vous l'émission culte d'Eddy Mitchell, La Dernière Séance (1982-1998), qui fit les beaux soirs de la Trois. Souvenez-vous aussi de Cinéma de quartier de Jean-Pierre Dionnet sur Canal + entre 1989 et 2007.
Or, nous le savons, la concurrence de la télévision tua d'abord ces petites salles de cinéma vouées aux nanars, cela, en tendance lourde, dès la fin des années 1960. A compter de la dernière décennie du XXe siècle, l'on peut dire que les multiplexes prirent le relais de ces petites salles obscures conviviales, mais dans un tout autre but de concentration d'un maximum de titres à l'affiche pour s'assurer le maximum de bénéfices, cela au détriment cette fois-ci (ce qui est encore plus grave), du tissu cinématographique des centres urbains eux-mêmes, qui se mirent à dépérir inexorablement. Voyez Avignon qui a fermé ses deux cinémas centraux non arts et essais au profit des méga-plexes !
Marseille demeure un étrange cas d'école parce que, dès les années 1980, ce sont les réseaux de salles centraux qui mirent massivement la clé sous la porte, avant même l'invention du téléchargement, du streaming et des multiplexes ! Aujourd'hui, cette cité phocéenne prétendument la deuxième ville de France demeure dramatiquement sous équipée en cinémas non périphériques : il n'en subsiste qu'une poignée, hors deux multiplexes qui drainent une effarante fréquentation. Un seul, L'Alhambra, demeure classé arts et essai depuis fin 2013, pour une programmation souvent peu pertinente, voire commerciale : ce cinéma à salle unique s'apparente de fait davantage à un bon vieux cinoche de quartier dinosaurien qui aurait survécu (en réalité, il n'a ouvert qu'au début des années 1990) qu'à feu Le Breteuil par exemple.
Pour Marseille, comme ailleurs, il s'agit d'une erreur fondamentale d'urbanisme, incitant les spectateurs et amateurs du 7e art, à brûler des carburants fossiles contribuant au réchauffement de la planète afin de se rendre en bagnole au multiplexe qui n'est pas du tout du coin comme le cher épicier originaire du Maghreb ou d'ailleurs.
Paradoxe : si l'on faisait une enquête aujourd'hui, l'on verrait que les Français éprouveraient une préférence pour des cinémas localisés près de chez eux plutôt que pour des complexes nécessitant un budget carburant conséquent !
Quant à Annabelle, dans tout cela, ce film dit "fantastique" échoue à nous faire peur : même une revue spécialisée comme L'Ecran fantastique (numéro de novembre 2014), bien que la critique demeure nuancée, juge que ce long métrage ampoulé ne tient pas ses promesses et demeure trop sage. Je dirais "inabouti" puisque le chahut prévalant dans les salles trahit la déception et la frustration du public adolescent. Annabelle joue trop sur des recettes éprouvées, presque sur des tics, des procédés, voulant obliger les gens à trembler, à s'épouvanter, à tel ou tel passage, prétendant dicter leur conduite, leurs réactions, les conditionner pour qu'ils le fassent, comme ces rires préenregistré polluant les sitcoms.Mouvements de caméra, effets spéciaux, bruits, musique, grain de l'image, traitement de la couleur, éclairage ou pénombre, tout est mis à contribution dans cet objectif de produit préformaté destiné à délester le péquenot grugé et pigeonné de ses jaunets (monétique ou pas).
De toute façon, je déteste les poupées laiderons et je n'irai jamais voir Annabelle ! Ah, si elle avait possédé l'apparence d'un "Bébé" de la fin du XIXe siècle, l'ambiguïté de l'horreur eût été plus probante et le film bien plus surprenant et inquiétant, du fait de l'innocence affichée par cette porcelaine !
Prochainement : Ces écrivains dont la France ne veut plus, deuxième volet consacré à Charles Péguy,
ou comment les commémorations officielles sur la mort de cet écrivain furent réduite à l'édition d'un timbre tiré de l'oeuvre d'Egon Schiele, le grand peintre et dessinateur expressionniste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire