samedi 16 mars 2013

Totems tome 1 : Bezia face à son destin.

Critique d'un roman dû à un nouvel auteur : Lassana Toure.

Une fois n'est pas coutume : je vais vous conter, amis lecteurs de ce blog (j'espère que vous serez enfin nombreux), comment la littérature africaine, grâce à Lassana Toure, un jeune et talentueux auteur, est parvenue à transcender le genre fantastique.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Homme-requin_Dahomey.jpg 

J'ai choisi à dessein, pour illustrer mon article, une photo d'un incontournable chef-d'oeuvre de la statuaire africaine : la statue royale anthropo-zoomorphe de Béhanzin, roi d'Abomey, d'un artiste contemporain de Rodin, mais d'un artiste africain, statue de roi-requin que l'on peut toujours admirer au musée du Quai Branly.
Cette statue vous fournit une des clefs de l'oeuvre transcendante de Lassana Toure : la métamoprhose des humains en hybrides hommes-animaux. Il s'agit d'une faculté extraordinaire que seule une poignée de personnes possède, une poignée maudite, comme s'il s'agissait d'une version propre au continent noir de la légende des loups-garous.
Cela fait peu de temps que je sais l'Afrique habitée, comme l'Occident, par la croyance aux sorcières.
Chez Lassana Toure, c'est le village d'Olubumi  qui a connu le sort jeté par la sorcière Wandja, parce que celle-ci ne voulait plus qu'on tuât les animaux, qu'on  les chasse et les massacre. Il fallait les protéger, et, pour cela, profitant de la division du village en plusieurs clans, Wandja jeta un sort au leader de chaque clan en lui attribuant le totem d'un animal que, désormais, le clan ne devait plus ni chasser, ni tuer. Cet interdit, ce tabou, fut utilisé par certains comme un pouvoir maléfique, parce qu'ils pouvaient se métamorphoser en une version monstrueuse et redoutable de l'animal-totem que le clan était censé défendre. La hiérarchie entre prédateurs et proies fut respectée, et seule l'extinction de l'une ou l'autre lignée animale pourrait rompre l'équilibre et délivrer les clans d'un fardeau insurmontable.
Telle est, en gros, la légende fondatrice que Lassana Toure nous conte magnifiquement au commencement de son maître livre.
On y retrouve la qualité du génie de l'Afrique, une galerie de personnages hauts en couleur, du sentiment, de l'action.
Bezia, le héros, est possédé par la faculté de se transformer en homme-crocodile, emblème de son clan.
Yedei est le singe, le gorille. Acyl la panthère, Naghen l'hyène (c'est le bad guy du roman, qui assassine Zaza, la grand-mère de Bezia), Eveneye, la jeune fille, le faucon.
Les personnages font preuve dans ce livre de facultés extraordinaires ; ils se combattent, et les scènes de combat sont proprement époustouflantes. Idem pour les scènes de chasse.
http://ecx.images-amazon.com/images/I/510aKxvIxZL._AA278_PIkin4,BottomRight,-25,22_AA300_SH20_OU08_.jpg
Bezia face à son destin mélange avec brio les secrets de famille, la haine, la vengeance l'amour, la rivalité, la mort, la tragédie, la tradition revivifiée. L'écriture de Lassana Toure est fluide, claire, simple. Cet ouvrage est tout public, lisible par les adolescents, qualité rare de nos jours. Je me refuse à en dévoiler davantage sur l'intrigue : à la lectrice, au lecteur, de juger, de déguster et d'apprécier tout le sel de l'aventure. Parce qu'il y a un souffle d'aventure indéniable dans ce bouquin, un certain lyrisme aussi, un verbe de conteur qui vous habite, vous possède, vous empêche de lâcher l'ouvrage, vous obligeant à le poursuivre jusqu'à la dernière page. Lassana Toure sait vous tenir en haleine : Bezia parviendra-t-il à vaincre Naghen, à venger Zaza et à quel prix ? Parce que Bezia prend des risques, y compris vis à vis de la communauté qui l'accuse à tort.

Ma seule réserve sur ce livre concerne les coquilles typographiques, concernant parfois les conjugaisons, mais ces erreurs ne nuisent pas à la compréhension du récit ; sans doute sont-elles dues au problème du traitement de texte (parfois, le correcteur orthographique tend à corriger automatiquement dans un sens pas forcément souhaité par l'auteur : ce que je conseillerais à Monsieur Lassana Toure, c'est une relecture à plusieurs : je le sais d'expérience : on peut relire cinquante fois tout seul son manuscrit ou tapuscrit, parfois, c'est une tierce personne qui remarque la coquille ou la faute de frappe sans qu'on l'ait soi-même décelée !)

Pour en revenir au fond de ce roman fascinant, qui soulève la question de la frontière homme-animal, passionnante sur le plan anthropologique s'il en est. Cette frontière est poreuse, facile à franchir, même si ce franchissement est ici dû à une malédiction remontant à plus d'un siècle. Lassana Toure nous rappelle un fondamental que l'Occident a oublié : l'osmose homme-nature, le respect de celle-ci qui incombe à chacun de nous. La vision développée par Totems tome 1 : Bezia face à son destin est une vision éminemment écologique, de respect de la terre, de la faune, de l'environnement. Elle est aussi respect du verbe, de la langue, de l'oralité du griot, de l'Histoire, des racines. L'animal est sacré, il appartient à un tout, comme l'homme son ami, son compagnon qui doit le respecter, ne le tuer que si nécessité vitale s'impose. Le message de Lassana Toure rappelle celui de la lettre de Chief Seattle, éminent représentant des Indiens d'Amérique au Président des Etats-Unis Franklin Pierce, au milieu du XIXe siècle : l'homme appartient à la terre, ce n'est pas la terre qui appartient à l'homme.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/de/FranklinPierce.png/220px-FranklinPierce.png
L'Afrique, c'est la Sagesse, c'est le Génie. Lassana Toure nous rappelle cela. Il brosse le tableau d'un pays non encombré des oripeaux technologiques, où aucune machine sophistiquée, aucune connexion au réseau-monde n'est présente. Son univers est presque intemporel. Il se rattache à une forme de fantastique africain typique, forme qui fut concrétisée autrefois par des sectes que combattit la colonisation, par des sociétés secrètes comme les Aniotos, criminelles cependant, dont l'emblème était la panthère.
 http://www.africamuseum.be/home/treasures/luipaard_okt10/image_preview
 Hugo Pratt, en 1973, mettant à bas le discours colonial de négation du génie de l'Afrique, proposa une vision plus objective, plus onirique, plus proche de celle de Lassana Toure dans son chef-d'oeuvre Les Ethiopiques : Corto Maltese eut la vision d'un homme métamorphosé en panthère, qui lui expliqua que les hommes-léopards représentent la justice africaine.
L'Afrique est adulte ; elle ne veut plus qu'on la qualifie de continent dans l'enfance. L'Afrique a une histoire, une écriture, des livres (voyez les bibliothèques de Tombouctou). L'Afrique ne mourra pas tant qu'un vivier d'écrivains, de musiciens, de cinéastes, d'artistes de génie saura continuer d' en exprimer la tradition tout en la modernisant. Lassana Toure l'a fait, et je lui dis bravo !
Lisez donc Totems tome 1 : Bezia face à son destin  (sur le site Amazon fr.)
J'encourage l'auteur à poursuivre son oeuvre : son talent est certain. Il ne doit pas se décourager. Je souhaite qu'un jour, l'on pourra lire et apprécier le volume 2 de Totems.
Merci Monsieur Lassana Toure pour le plaisir que votre livre m'a procuré ; merci mille fois et encore merci. 

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