jeudi 14 juillet 2022

La critique des romans de Paul Greveillac : un silence presque intégral.

  

On dit non, je dis non ; oui, oui. Bref, je me suis fait une loi d'être d'accord en tout. (Térence : Eunuque, 252 - traduction Robert Combes)

Qui connaît le romancier Paul Greveillac ? Pas grand monde sans doute, en dehors des personnes qui, comme moi, suivent de près la parution des nouveautés de Gallimard. Ainsi, j'apprends que Télérama a enfin daigné porter son attention sur la dernière oeuvre de ce romancier, qui fut finaliste au Goncourt : L'Etau, paru depuis le 10 mars 2022, a enfin eu droit à un article de ce magazine, le 14 juin seulement ! Certes, tout enjeu de prix littéraire était à cette date envolé depuis longtemps, alors, on s'est occupé des oubliés sur les étagères, des volumes délaissés qui restaient et n'étaient pas signés de la plume de Christine Angot, que je considère comme la plus grande écrivaine de la littérature officielle depuis Paul Bourget.

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Tant pis si j'accuse tel ou tel journal d'avoir un temps de réaction similaire à celui du chien Rantanplan lorsqu'on lui marche sur la queue ! L'intiative est louable, mais intervient bien tard pour procurer à L'Etau le sursaut de ventes nécessaire à lui prodiguer le succès, ventes que je m'imagine bien avoir été faibles jusque-là. Ceci étant écrit, je remercie du fond du coeur Monsieur Stéphane Ehles de s'être non seulement préoccupé de l'existence d'un ouvrage délaissé depuis des semaines - sauf de L'Usine nouvelle - mais aussi de lui avoir attribué la note maximale : trois T, c'est-à-dire très bien ! Hélas, le livre a dû depuis belle lurette disparaître des rayons des chaînes de livres les plus commerciales... 

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Ce lot de consolation me fait plaisir lorsqu'on songe à ce qui s'était passé lors du Goncourt 2018. Bien que Maîtres et esclaves eût figuré parmi les finalistes, les médias poursuivirent leur mutisme obstiné. En nombre de voix, il termina deuxième, ce qui est très honorable pour un livre boudé. Certaines évocations historiques romancées (je n'ose écrire romanesques) semblent gêner aux entournures une critique française frileuse, trop soumise à une certaine doxa, à des modes de l'instant : ainsi en est-il de la Chine de Mao, puisqu'il y eut un bis repetita avec Les caves du Potala de Dai Sijie, paru il y a deux ans chez le même éditeur, Gallimard, qui lui aussi ne suscita aucun commentaire ou presque - si ce ne fut, une fois encore, l'excellente critique de Télérama (encore trois T!) signée cette fois-ci Youness Bousenna, en date du 14 octobre 2020. Le Monde des livres ne s'étonna guère, ne battit point sa coulpe au sujet d'un titre qu'il avait négligé et qui reçut le prix du roman historique 2020 des Rendez-vous de l'Histoire (ce que, culotté sans se sentir morveux quelque part, ledit Monde des livres mentionna !) et put sortir en poche chez Folio. Un article paru en ce même blog le 17 octobre 2020 traite du problème médiatique remporté par cet ouvrage fictionnel.

Nous vivons un paradoxe permanent en littérature : l'abondance des parutions alliée à la focalisation des critiques professionnels sur le même lot d'auteurs et d'autrices nous fait souvent passer à côté de perles admirables. Ainsi - dixit mon libraire de proximité - ce fut le titre le moins intéressant de la production de Paul Greveillac (livre que je n'achetai pas) Art nouveau qui attira davantage les médias.

Je souhaite évidemment la même chance à L'Etau : qu'il sorte en poche afin que je puisse le proposer à un prochain café littéraire !

Prochainement : quarantième volet de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus : Sabine Sicaud.

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samedi 25 juin 2022

Commémorations 2022 : Léon Blum oublié.

La complaisance attire des amis et la vérité la haine. (Térence : L'Andrienne, 68. Traduction Robert Combès).


Quelque chose aurait dû être commémoré le 9 avril dernier. L'homme dont il est ici question ne s'appelait ni Molière, ni Marcel Proust. Il naquit voici cent cinquante ans, le 9 avril 1872. Rien n'a été dit ou fait à la télévision à l'occasion de cet anniversaire important. Absolument rien. Cet homme, pourtant une figure majeure du XXe siècle s'appelait Léon Blum ! 


Certains "béciles" comme le disait la marionnette de François Mitterrand dans les défunts Guignols, usant avec brio de l'aphérèse, pourront péremptoirement lancer : "le front popu, quelle vieillerie !"

Mais, dans un pays qui s'apprête à célébrer Marcel Proust pour la quatrième fois en neuf ans (2013 : centenaire du Côté de chez Swann ; 2019 : centenaire du prix Goncourt ; 2021 : cent-cinquantenaire de la naissance ; 2022 : centenaire de la mort !), cela commence à bien faire ! Un pays qui, par ailleurs, a presque réduit la littérature britannique du XIXe siècle à la seule Jane Austen, boudant les bicentenaires des disparitions de John Keats et de Percy Shelley, tout en se préparant assurément à répéter la même sempiternelle bouderie en 2024 à l'encontre de Lord Byron ! Un pays qui, enfin, a depuis des années inhumé Paul Fort dans le caveau abyssal de la littérature défunte !

Pour moi, Léon Blum est vivant, toujours vivant ! Il s'agit d'un des plus grands personnages de l'histoire du XXe siècle. 

Fichier:Léon Blum 1937.jpg — Wikipédia   

L'an que tu fleuriras ma tombe, eût pu écrire quelque poète ou poétesse (le mot féminin n'est pas pour moi péjoratif). Léon Blum, ce fut à la fois un destin hors du commun, avec ses tragédies, un exemple iconique, une référence politique. Il aurait dû entrer au Panthéon. Il n'eut jamais beaucoup de chance avec la télévision lorsqu'il se fut agi de relater sa vie et son oeuvre au sein du Front populaire. Idem avec le cinéma.
 
A la fin du mois de mai 1986 fut diffusé sur TF1, dans une quasi indifférence, un long documentaire-fiction de Pierre Bourgeade et Jacques Rutman intitulé Léon Blum à l'échelle humaine, inspiré de son livre majeur écrit en captivité et publié en 1945. Alain Mottet y interprétait Léon Blum. Dans la distribution, on trouvait Monic Dartbois, Elsa Oppenheim, Anne Bellec, Bernard Freyd, Paul Bisciglia et même Francis Lemarque. La distribution complète figure IMDb. La droite revenue aux affaires n'eut que mépris pour cette oeuvre, tandis que la gauche l'oublia vite, au point qu'elle est devenue invisible... La fameuse clause de la privatisation de TF1 lui octroyant les archives de la chaîne de la période du 1er juillet 1982 au 30 juin 1987 au détriment de l'Ina (ce qui bloque aussi Madelen) aggrave le problème. Un jour ou l'autre, il faudra bien que cette clause inepte pour le patrimoine télé soit remise en cause... 
J'ai écrit qu'au cinéma, Léon Blum ne marchait pas non plus : l'accueil glacial et l'échec commercial intégral du film de Laurent Heynemann Je ne rêve que de vous (2019) nous le rappelle. Je n'ai pu voir ce film qu'en replay à la télévision ! Il s'agit d'un drame historique contant, sur fond de seconde guerre mondiale et d'occupation nazie, l'histoire d'amour entre Léon Blum et celle qui devint sa troisième femme, Jeanne Reichenbach. Les deux rôles principaux étaient pourtant tenus par un acteur et une actrice tout à fait appréciables : Hippolyte Girardot et Elsa Zylberstein. 
Finalement, seul le téléfilm de 2001, Thérèse et Léon de Claude Goretta, avec le regretté Claude Rich et Dominique Labourier (que je viens de revoir toute jeune en Toinette dans la version de 1971 du Malade imaginaire) échappa à la volée de bois vert. Aux défunts Dossiers de l'écran, les choses s'étaient un peu mieux passées. Certes, Léon Blum n'y avait pas le premier rôle, qu'il se fût agi du Procès de Riom ou du Congrès de Tours. Cependant, ces deux téléfilms historiques ont pour avantage d'être disponibles sur Madelen, certes par abonnement, mais cela est mieux que rien. 
Si l'on approfondit davantage et que l'on fouille les archives non fictionnelles de l'Ina sur son site Internet, on constate que le centenaire de la naissance de Léon Blum, en 1972, n'avait pas été omis. Cependant, les documents sont peu nombreux, essentiellement - si l'on s'en tient à ceux conservés de son vivant - quelques archives radiophoniques et cinématographiques (pour l'essentiel, les actualités filmées des années 1946-1949). 
 Description de cette image, également commentée ci-après
 
Pour conclure, Léon Blum ne fait ni recette, ni consensus, puisque personne ne propose qu'il entre au Panthéon ! Il faudra donc se contenter de ses textes majeurs parus en 2021 aux éditions Archipoche et préfacés par Pierre Birnbaum : les Mémoires suivies de A l'échelle humaine. N'avais-je pas déjà constaté, dans mon texte du 4 novembre 2016 intitulé Ces romans Gallimard du premier semestre 2016 boudés par la critique que le roman d'Antoine Billot, Otage de marque qui traitait du même sujet que le film Je ne rêve que de vous (le film étant cependant adapté de Dominique Missika) avait lui-même été victime d'une bouderie dérangeante ? 
 
Prochainement : La critique des romans de Paul Greveillac : un silence presque intégral.



samedi 11 juin 2022

Café littéraire : L'Insurgé.

 

Café littéraire : L’Insurgé, de Jules Vallès.


Par Christian Jannone.

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Jules Vallès (de son vrai nom Jules Vallez), né au Puy-en-Velay (appelé à l’époque Le Puy) le 11 juin 1832 et mort à Paris (Ve arrondissement) le 14 février 1885, journaliste, écrivain et homme politique engagé, survit dans nos mémoires grâce à sa trilogie largement autobiographique L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé. Jacques Vingtras n’est cependant pas un calque total de Vallès, puisque des divergences existent entre le vécu personnel de l’écrivain et celui de son personnage central.

L’Insurgé, que l’on ne peut qualifier d’autofiction avant l’heure, est un roman pionnier : certes, il suit le premier livre historique consacré à la Commune de Paris, Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901),

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 publié significativement à Bruxelles en 1876 mais il précède La Débâcle d’Emile Zola, œuvre beaucoup plus romancée datant de 1892. De même, comme chez Zola, la Commune proprement dite – en y incluant la semaine sanglante – n'occupe qu’une part assez restreinte de l’ouvrage : les chapitres XXIV à XXXV.

La genèse de L’Insurgé ne fut pas évidente. Exilé à Londres après la Commune, Vallès le mit en chantier sous le titre de Jacques Vingtras III : c’était une mise en évidence que le futur Insurgé prendrait le relais du Bachelier là où il s’arrêtait. Il traitera donc des années 1860 (plus exactement à partir de 1862), des événements de 1870, des débuts de la République avec la guerre en toile de fond et de la Commune.

Le rôle des femmes fut décisif dans l’élaboration, le parachèvement et la publication intégrale du livre, malheureusement posthume. Saluons d’abord le courage de Juliette Adam (1836-1936),

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Juliette Adam par Nadar

 

 qui, à peine obtenue – en 1880 – l’amnistie des communards, s’attela à la parution d’une première version de L’Insurgé dans La Nouvelle Revue en 1882 : version partielle, que Vallès retravailla, compléta mais ne put paraître qu’après sa mort, grâce à Séverine – alias Caroline Rémy (1855-1929) -

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amie de Vallès depuis 1879. Elle le seconda dans la direction du journal Le Cri du Peuple qui, en 1886 annoncera la publication de L’Insurgé chez Charpentier. On a cru à tort que Séverine avait retravaillé l’écriture du roman, ce qui est faux. C’est bien le texte voulu par Vallès que nous connaissons.

Malgré le hiatus temporel (passage direct de 1857 – date de la mort du père – à 1862), L’Insurgé s’enchaîne là où s’achevait Le Bachelier, en réponse au « Sacré lâche » de clôture :

« C’est peut-être vrai que je suis un lâche, ainsi que l’ont dit sous l’Odéon les bonnets rouges et les talons noirs. » Vingtras est devenu un pion.

Ce qui frappe d’emblée dans le livre, c’est le style. On pourrait parler de modernité, du fait de la prédominance du présent, du « je », du découpage en courts paragraphes, de l’exclamatif, de l’utilisation d’une forme d’argot qui n’est plus usité (par exemple le recours à l’argot des cochers p. 183 avec l’expression « roues de derrière » désignant la pièce de 5 F en argent), d’une narration qui peut paraître en même temps imagée, hachée, parfois triviale. Vallès a recouru à une forme de collage, insérant dans son roman des textes du Cri du Peuple, des passages écrits à chaud dans le déroulé des événements de la Commune. On sent là la patte et du journaliste, et du militant politique.

Outre le style journalistique – non péjoratif dans le sens où je l’emploie – Jules Vallès manie avec brio les niveaux de langage, ce qui crée un contraste bienvenu entre la langue recherchée de ceux que l’on n’appelait pas encore les intellectuels et la langue populaire (cf. les différents types d’argot) : tout cela aboutit à un roman très imagé, toutefois sans emphase, sans théâtralité, sans pathos, qui en peu de mots, décrit tel ou tel personnage historique, ce qui n’est pas sans rappeler la caricature dans le style de Daumier (que Vallès appréciait), qu’il l’aime (Blanqui,

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 dont le portrait s’étale et se complète au fil du récit) ou l’exècre (les membres du gouvernement provisoire de 1870, républicains déjà opportunistes, tels Gambetta – qualifié de « plus capon » et de « Danton de pacotille » p. 182 - ou Jules Favre).

Cela aboutit à une galerie extraordinaire de portraits, souvent justes et acides, dignes des meilleurs satires. Le tandem contrasté Villemessant du Figaro et Girardin (La Presse puis La Liberté) mérite qu’on s’y arrête.

Emile de Girardin d’abord : 

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« Quel visage blafard ! Quel masque de pierrot sinistre !

Une face exsangue de coquette surannée ou d’enfant vieillot, émaillée de pâleur, et piquée d’yeux qui ont le reflet cru des verres de vitres ! On dirait une tête de mort, dont un rapin farceur aurait bouché les orbites avec deux jetons blancs, et qu’il aurait ensuite posée au-dessus de cette robe de chambre, à mine de soutane, affaissée devant un bureau couvert de papiers déchiquetés et de ciseaux les dents ouvertes. Nul ne croirait qu’il y a un personnage là-dedans ! » (p. 54-55)

Hippolyte de Villemessant p. 75 : 

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« C’est un Girardin avec de gros yeux ronds, les bajoues blêmes, la moustache d’une vieille brisque, la bedaine et les manières d’un marchand d’hommes, mais amoureux de son métier et arrosant d’or ses cochons vendus. »

P. 76 : « Il est du momifié de la Liberté comme du poussah du Figaro. » P. 77 :  « Shakespeariens à leur façon, ces deux journalistes du siècle : l’un traînant le ventre de Falstaff, l’autre offrant la tête d’Yorick aux méditations des Hamlet ! » (…)

A côté d’eux, combien de noms que nous ne connaissons plus du tout ! Tant de noms de communards, de personnages révoltés comme lui dont Vallès croisa la route qui nécessitent des notes de bas de page pour en cerner une esquisse d’identité et de personnalité. Car l’Insurgé est avant tout un hymne à la liberté et à la révolte, un hommage aux personnes qui donnèrent leur vie à la Commune contre une société d’injustice, héritiers de 48, des sacrifiés des journées de juin

 

 auxquelles Vallès fait plusieurs fois allusion, puisque sa conscience politique s’éveilla lors de ces événements tragiques survenus durant son adolescence. Ainsi comprenons-nous la dédicace du livre, hommage à tous les morts de 1871.

 

L’histoire individuelle de Vingtras rejoint durablement celle du pays à compter du chapitre XV, à partir duquel les événements de sa vie se confondent jusqu’au bout du roman avec les épisodes majeurs des années 1870-1871, en commençant par le meurtre de Victor Noir par Pierre Bonaparte.

 

 A compter du 10 janvier 1870 et jusqu’au dernier jour de la semaine sanglante, notre insurgé est emporté par les tumultes de l’accélération de l’histoire. Certes, il a connu censure et prison (Sainte-Pélagie, dévolue aux journalistes) ; certes, il a été candidat aux élections législatives de 1869 qui virent le ralliement d’Emile Ollivier à l’Empire prétendument libéral, mais jamais notre personnage, depuis 1848, ne s’était retrouvé autant au cœur de la mêlée et de la tragédie. Il est utile de rappeler que le Second Empire, dont les réformes des années 1860 avaient été approuvées par plébiscite, ne se serait pas effondré sans la déclaration de guerre fautive à la Prusse de Bismarck. Le clivage s’accentua avec la lutte entre les républicains opportunistes siégeant au gouvernement provisoire et les partisans de la république sociale. N’oublions pas les événements annonciateurs de la Commune narrés par Vallès aux chapitres XX et XXI qui couvrent la tentative insurrectionnelle des 5 et 6 septembre 1870 puis l’échec de la manifestation du 31 octobre 1870 contre le gouvernement de la Défense nationale, avec la répression qui s’ensuivit. Notons à cette occasion l’usage par Jules Vallès de la thématique des uniformes, des grades et des galons (p. 201 ouvrant le chapitre XX). L’uniforme devient un oripeau de théâtre à valeur symbolique. 

 

Vallès multiplie donc les portraits au fil des événements dont la narration s’accélère, portraits d’acteurs de la Commune, via un kaléidoscope d’images éclatées, fragmentées, métaphoriques, résumant ces hommes de la grande histoire à un nom, une formule, un geste, une parole. On pourrait reprocher à Vallès d’avoir négligé le rôle des femmes, qu’importe ! Cette fragmentation narrative extraordinaire va de pair avec la nervosité du style, la brièveté des paragraphes, haletants, hachés, qui atteignent leur paroxysme avec la semaine sanglante : nous avons-là un témoignage sur le vif, comme en direct, d’un diariste plongé au cœur de l’accélération du temps courant vers le tragique. Tout à la fois témoin clé, acteur central, porte-étendard des victimes de la répression versaillaise, militant de la mémoire communarde, conteur d’une histoire personnelle, du je inclus dans le collectif, Jules Vallès, à mon sens, réussit mieux à nous émouvoir et à nous captiver que Lissagaray – que je n’ai pas lu - et Zola (le texte naturaliste de La Débâcle de Zola – outre qu’il entérine la thèse des saboteurs versaillais infiltrés ou « retournés » responsables du brasier de la capitale destiné à discréditer les communards en plus des exécutions de leurs adversaires pris en otages tel l’archevêque de Paris - est davantage « travaillé », en conformité avec la littérature de la fin du XIXe siècle, trop romancé ai-je écrit, pour emporter pleinement l’adhésion). La Commune vue par Vallès donne sans cesse l’impression d’un « direct », caméra à l’épaule, prélude au film de Peter Watkins, tourné en noir et blanc, trop peu souvent montré, long documentaire typique de ce cinéaste, brut de décoffrage, qui joue avec la collision entre le contemporain et l’historique (le film de Watkins aurait mérité une rediffusion en épisodes à l’occasion des 150 ans de la Commune). Les journalistes modernes, de l’an 2000, décrédibilisent la vision versaillaise des événements. Ce télescopage se retrouvait déjà, de manière plus classique, dans l’émission de Claude Santelli consacrée à L’Insurgé, tournée en 1970, incluse dans la série Les Cent Livres des Hommes, évocation de Vingtras-Vallès jouée par un Victor Lanoux immergé dans le Paris pompidolien (vidéo disponible par abonnement au site madelen).

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Je ne reviendrai pas sur les circonstances permettant à Vallès, grâce au faux-semblant, au travestissement de l’ambulancier de la Croix Rouge, d’échapper à la répression, de devenir un proscrit, un exilé, tandis qu’on fusillait à sa place des victimes prises pour lui. Il est dommage d’apprendre le quasi silence qui entoura le roman lors de sa publication posthume de 1886 – y compris de la part du Cri du Peuple ! Un livre qui longtemps dérangea, fut moins mis en avant que L’Enfant ou même Le Bachelier, bénéficia de rares réimpression, jusqu’à enfin recevoir la pleine légitimité littéraire et historique grâce aux éditions de poche. Comme s’il avait fallu attendre le centenaire de 1971 et la fin du XXe siècle pour que L’Insurgé trouve enfin sa place dans le panthéon littéraire : celui des classiques et des chefs-d’œuvre. 

       

Prochainement : commémorations 2022 : Léon Blum oublié.

Illustration.

 

dimanche 22 mai 2022

Quatre dessinateurs oubliés.

 Quand on a dix pas à faire, neuf est la moitié du chemin. (proverbe chinois cité par Madame de Staël au chapitre XXI de De l'Allemagne)

Ils eurent  leur petite heure de gloire dans le dessin de presse humoristique, le strip quotidien ou encore la bande dessinée. Ils furent oubliés à leur mort, voire même avant tant leur décès eut peu d'écho. Ils s'appelaient Jaf (Edmond Guérin), animateur de Monsieur Jujube dans Le Provençal, décédé à 68 ans en 1984, Coq (alias Luis Garcia Gallo) (1907-2001), créateur du chien Azor, Gus (1911-1997) de son vrai nom Gustave Herlich, caricaturiste estimable et Claude Marin (1931-2001), le moins méconnu des quatre, dessinateur de bandes dessinées qui fut le géniteur de Frère Boudin puis l'animateur des Bébés Disney. 

J'aurais pu inclure Piem (1923-2020) dans cette liste, tant les a-médias n'ont pas insisté sur sa discrète disparition. Son nom réel, ronflant, Pierre de Barrigue de Montvallon n'explique pas cette ignorance crasse.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7c/Piem%2C_2016_%28cropped%29.jpg

Commençons, si vous le voulez bien.

 Héros quotidiens - M. Jujube 

Jaf tout d'abord, puisqu'il s'agit, si l'on peut l'écrire, du plus "provincial". Ah Monsieur Jujube ! Même un prof d'histoire-géo que j'ai eu au collège en avait parlé ! Avec sa manière très particulière de s'exprimer, il avait dit : "Bon ben, voyez M'sieur Jujube !" Jaf a fait longtemps les délices humoristiques et politiques du Provençal, ce quotidien marseillais sous la houlette du maire Gaston Defferre, faisant office de strips et de dessins de presse, héritage d'une tradition américaine. Par exemple, à l'occasion de la foire aux santons et des vacances de Noël, Jaf avait caricaturé le premier ministre de l'époque, Raymond Barre, sous les traits du ravi de la crèche. Il y était dit : "le ravi est de plus en plus ravi."

Ainsi alla Jaf, en fonction des aléas de l'actualité nationale et marseillaise, avant que la maladie le rattrapât. Monsieur Jujube disparut des pages du Provençal, fort discrètement, peu de temps après l'alternance de 1981, sans qu'on en sût la cause. Jaf mourut peu d'années après, à 68 ans. Le Provençal avait été sa vie ; seul Le Provençal lui consacra un digne hommage, comme si la notoriété de Jaf avait été strictement locale, ne dépassant jamais Marseille.J'avais redouté un instant qu'il se fût agi d'une disgrâce, parce que la gauche était au pouvoir et Gaston Defferre au ministère de l'Intérieur, parce que Le Provençal n'avait plus besoin de strips de critique politique.

Passons à Coq, mort en 2001, la même année que Claude Marin, et dans le même oubli "mass-médiatique".Azor le chien, qui le connaît encore, qui en cause encore le soir au coin du feu (évocation giscardienne datée s'il en est ! ) ?

Coq (Gallo, Luis Garcia) - 2 Bandes de dessins originaux - Catawiki

Coq était un dessinateur de presse espagnol. Il naquit à Toro le 8 juin 1907 et mourut le 21 septembre 2001 à Barcelone, soit dix jours après les événements que l'on sait, ce qui explique pour partie le silence entourant son décès. De son vrai nom Luis Garcia Gallo (ce qui explique son pseudonyme français) il travailla essentiellement pour la presse francophone : Paris-Presse-L'Intransigeant, Jours de France, Ici Paris, France-Soir, Point de vue et Le Soir. Son exil en France s'explique par son soutien aux républicains espagnols. Arrêtons-nous au deuxième titre cité dans la liste, qui explique pourquoi Coq me fut familier. Jours de France (1954-1989) était un magazine hebdomadaire féminin, plutôt mondain, lancé par Marcel Dassault, le grand avionneur qui fut aussi producteur et scénariste de films !

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Lorsque j'étais enfant, il était habituel que des exemplaires de Jours de France traînent sur les tables des salles d'attente des médecins, dentistes et autres oculistes. Je trompais mon ennui en feuilletant ladite revue, ce qui permit de me familiariser avec les dessins humoristiques qui en émaillaient les pages : outre parfois de reprises de Jean Bellus, mort en 1967, avec son couple rondouillard de Français moyens quinquas "milieu-de-siècle",

Jean Bellus (auteur de Oh Clementine) - Babelio 

on y trouvait Kiraz, Jacques Faizant, Vigno, Henri Morez, Hervé et bien sûr Coq. Curieusement, mon cousin, qui ne fréquentait pas les mêmes cabinets médicaux et habitait une autre ville, fit la connaissance du journal Spirou, lisant en particulier Les Tuniques bleues et Archie Cash, alors qu'il achetait Mickey ! Ainsi lus-je un nombre appréciable de strips de Coq mettant en scène le chien basset Azor...

Le temps est venu d'évoquer le "troisième larron", le seul, sauf erreur de ma part, à avoir bénéficié d'un entrefilet nécrologique du Monde : Gus, alias Gustave Erlich (Lublin 17 décembre 1911- Paris 7 mars 1997).

DESSINATEUR GUS, 12 dessins originaux / HUMOUR EUR 129,00 - PicClick FR 

Son dessin est de facture classique, comme celui de Bellus, et sa stylisation va à l'essentiel. Contrairement à Coq (malgré ses caricatures de Franco), il ne délaissa pas les dessins politiques, ce qui le rapproche de Jacques Faizant. Comme ses contemporains, à l'exception de ceux du Canard enchaîné (auquel il collabora parfois) dont le graphisme allait plus loin, il participe d'une manière, d'une époque, d'un climat, caractéristiques d'un dessin de presse somme toute modéré, raisonnable, peu provocateur bien que souvent incisif et acerbe, aux antipodes d'un Charlie Hebdo. 

D'autre part ont existé des travaux "de commande" ou quelque peu "alimentaires" de Gus : ainsi eus je en ma possession, à l'orée des années 1990, une méthode d'anglais dont l'édition originelle remontait à 1963, méthode illustrée par Gus. Son dessin était incisif et convenait bien à l'humour de la trame générale qui nous contait les déconvenues d'un inventeur britannique farfelu, Harry Sallis, qui essayait de vendre son brevet de parapluie gonflable ("inflatable umbrella").  

Achevons ce périple : Claude Marin après Gus, mort la même année que Coq. Claude Marin rêvait de dessiner Mickey Mouse. Il dut un peu patienter, le temps de créer une bédé hélas éphémère sur scénario de Greg : Frère Boudin qui ne connut que deux aventures : L'os à voile et Le Tibia sacré. Frère Boudin parut en 1976 dans Achille Talon magazine. Cependant, Claude Marin avait déjà une carrière derrière lui.

Frère Boudin - BD, informations, cotes 

Malgré ses qualités, notre moine rondouillard n'avait aucune chance de s'installer dans la durée. Certes, Greg, en créant Achille Talon magazine avait souhaité garder son autonomie face à des poids lourds comme Pilote ou Tintin. Le périodique ne vécut que 6 numéros, tandis que la troisième aventure de Frère Boudin L'Os rosse des sables ne vit jamais le jour. Claude Marin, qui dessinait depuis l'âge de 14 ans - il avait débuté sous la houlette de Marijac, le père de Coq Hardi - se trouvant orphelin de personnages, fut engagé en 1979 par Le Journal de Mickey pour lequel il réalisa aussitôt des aventures de la petite souris et de Dingo sur des scénarios de Corteggiani et Motti. 

Le coup de maître de Claude Marin fut en 1986 la création de la série des Bébés Disney qui rencontra le succès et fut traduite en plusieurs langues.

 

Ainsi, Claude Marin rejoignit au panthéon des auteurs Disney français remarquables le fameux Pierre Nicolas, qui anima longtemps en troisième page de Mickey la série Mickey à travers les siècles. Pierre Nicolas était un élève de Paul Grimault. 

Paul Grimault en 1961.jpg 

Nonobstant ses succès, Claude Marin mourut dans une relative indifférence le 31 août 2001. Il était vrai que sa série phare occupait d'autres dessinateurs - Bélom et Gégé en l'occurrence - bien qu'il en eût dessiné plus de 600. Formé par Jean-Claude Fournier, Gégé avait été pressenti à la fin des années 1970 pour reprendre Bizu.

Description de cette image, également commentée ci-après

 Bélom, breton tout comme Gégé et son associé dans les Bébés Disney, m'est malheureusement moins connu. même s'il a régulièrement collaboré à La Balise à cartoons dans Spirou. Il a également repris Sylvain et Sylvette.


Prochainement : Café littéraire : L'Insurgé, de Jules Vallès.

 

 

 



samedi 30 avril 2022

Ces écrivains dont la France ne veut plus 39 : Claude Manceron.

 Une lecture amusante est aussi utile à la santé que l'exercice du corps. (Emmanuel Kant)

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Au commencement, il y eut Napoléon Bonaparte. Il y eut un écrivain de gauche, opposé à la guerre d'Algérie mais fasciné par la figure de Napoléon, auquel il consacra l'essentiel de ses livres publiés dans les années soixante (Austerlitz, Le Dernier choix de Bonaparte, L'épopée de Bonaparte, Napoléon reprend Paris, Le Citoyen Bonaparte etc. : Mame et Robert Laffont furent ses principaux éditeurs). Un homme qui souffrit de handicap à cause d'une poliomyélite, un de ces historiens non universitaires qu'on disait du dimanche, qui savait vulgariser et captiver le lectorat. Un homme injustement oublié qui, à partir de 1968, s'attela à l'entreprise démesurée de nous raconter le destin des hommes de la Révolution française. J'ai nommé : Claude Manceron (1923-1999).

 Claude Manceron - Babelio

Il publia chez Robert Laffont, sans  cependant qu'il pût achever l'épopée, Les Hommes de la Liberté, à compter de 1972. S'enchaînèrent :

- Les Vingt ans du Roi (1774-1778) (1972) ;

 Amazon.fr - Les Vingt Ans Du Roi 1774 - 1778 - Manceron - Claude Manceron -  Livres

- Le Vent d'Amérique (1778-1782) (1974) ;

- Le Bon Plaisir (1782-1785) (1976) ;

- La Révolution qui lève (1785-1787) (1979) ;

 - Le Sang de la Bastille (1787-1789) (1987).

Claude Manceron projetait d'aller jusqu'en 1799 avec le 18 Brumaire an VIII. Il avait le génie de rendre sympathiques les figures les plus antipathiques comme Fouché et Fouquier-Tinville.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b9/Antoine_Quentin_Fouquier-Tinville_%281746-1795%29%2C_French_revolutionary.jpg

 Nous suivions les destinées hautes en couleurs des personnages de la Révolution à compter de 1773, destinées colorées s'il en était. Hélas, l'on sait que l'inachèvement de l'entreprise nous priva du dénouement qui, bien que connu, aurait revêtu le cachet personnel, épique et tragique de l'écriture du vulgarisateur de génie que fut Claude Manceron, sans doute un des meilleurs épigones d'Alexandre Dumas.

Les premiers titres parus des Hommes de la Liberté jouirent d'un succès et d'une popularité indéniables, au point que l'écrivain-historien eut les honneurs d'Apostrophes de Bernard Pivot : le 23 novembre 1979 il fut du plateau d'un numéro consacré à la violence dans l'histoire. 

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Des rumeurs folles coururent après la victoire de la gauche en 1981, car les sympathies socialistes de Claude Manceron étaient connues. On fit accroire à une adaptation télévisée des Hommes de la Liberté. Bien sûr, rien n'en fut, car cette entreprise trop ambitieuse se heurta au manque d'argent des chaînes publiques mais aussi au retournement idéologique pro-européen du gouvernement de l'époque. Juste le temps de spéculer sur la distribution des rôles, de plaisanter sur des acteurs improvisés dépourvus de toute ressemblance avec les personnages réels (par exemple, un comédien trop gras qui serait engagé pour jouer Saint-Just !) et tout était enterré sans cérémonie... 

Amer, déçu, malade - il souffrait toujours depuis l'enfance des séquelles de la poliomyélite au point d'avoir exercé comme éducateur spécialisé dans un centre pour paralysés - Claude Manceron n'écrivit presque plus. Il mourut dans un silence médiatique digne de celui qui avait oeuvré à la disparition de Guillevic

 Eugène Guillevic (auteur de Terraqué) - Babelio

 et qui entourerait au début de notre siècle l'académicien Goncourt André Stil. Nous étions le 23 mars 1999 et l'ignorance intentionnelle de la triste nouvelle fut telle que la primeur de l'annonce nécrologique fut détenue par The Independent !

Prochainement : quatre dessinateurs oubliés.

Logo des Bébés Disney : Claude Marin fut parmi les dessinateurs français de la série.

samedi 16 avril 2022

Ces écrivains dont la France ne veut plus 38 : Joyce Mansour.

 Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire. (Friedrich Wilhelm Nietzsche)

Trois jours de repos

Pourquoi pas la tombe

J’étouffe sans ta bouche

L’attente déforme l’aube prochaine

Et les longues heures de l’escalier

Sentent le gaz

À plat ventre j’attends demain

Je vois luire ta peau

Dans la grande trouée de la nuit

Le balancement lent d’un beau clair de lune

Sur la mer intérieure de mon sexe

Poussière sur poussière

Marteau sur matelas

Soleil sur tambour de plomb

Toujours souriant ta main tonne l’indifférence

Cruellement vêtu incliné vers le vide

Tu dis non et le plus petit objet qu’abrite un corps de femme

Courbe l’échine

Nice artificielle

Parfum factice de l’heure sur le canapé

Pour quelles pâles girafes

Ai-je délaissé Byzance

La solitude pue

Une pierre de lune dans un cadre ovale

Encore un poignard palpitant sous la pluie

Diamants et délires du souvenir de demain

Sueurs de taffetas plages sans abri

Démence de ma chair égarée

Joyce Mansour : Le Soleil dans le Capricorne.

 Joyce Mansour : cruelle et crue – MondesFrancophones.com

Voilà une écrivaine singulière, dont hélas on ne parle plus suffisamment de nos jours ! Née Joyce Patricia Adès à Bowden (Angleterre), le 25 juillet 1928,  elle appartint à la mouvance surréaliste et fut considérée comme une poétesse égyptienne d'expression française. Elle portait le nom de son second mari, Samir Mansour, issu de la colonie française du Caire. Son premier recueil de poèmes, Cris fut publié en 1953 chez Seghers. Aussitôt remarquée par la revue surréaliste Médium, elle est adoubée par André Breton

 André Breton — Wikipédia

et, fixée définitivement à Paris en 1954, participe aux activités littéraires et artistique surréalistes, fréquentant Pierre Alechinsky, Wilfredo Lam, Mata, Henri Michaux,

Henri Michaux — Wikipédia

 André Pieyre de Mandiargues etc. Du beau gratin. Elle a pas mal publié : seize recueils de poésies en tout, plus du théâtre, de la prose etc. Ses recueils furent souvent illustrés par Alechinsky, Mata, Lam, Enrico Baj

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et bien d'autres encore. 

Son omission nécrologique, survenue l'un des pires mois de non couverture des morts par les infos télé (août 1986) puisqu'elle disparut dans les mêmes eaux que Germaine Acremant, déjà évoquée dans ce blog, laisse à penser que la négligence culturelle de l'audiovisuel venait déjà d'atteindre un point de non-retour. Cependant, l'archivage salutaire entrepris par Le Monde sur le net permet de découvrir d'une part l'article nécrologique que Pierre Drachline lui consacra le 30 août 1986 (elle mourut d'un cancer le 27 août) et d'autre part une archive de Christian Descamps en date du 5 avril 1982. Ces deux articles, indispensables, sont malheureusement payants. 

Les éditions Actes Sud eurent l'intelligence, en 1991, de rassembler l'intégralité de l'oeuvre de Joyce Mansour en prose comme en vers. Cette édition n'est malheureusement plus disponible. Comme de nombreuses oeuvres poétiques, les écrits de cette autrice pourtant majeure sont dans l'ensemble difficiles à se procurer de nos jours. C'est là le lot commun de nombre d'écrivains du XXe siècle qui ne sont pas muséifiés ! 

 Photo of Joyce Mansour.jpg

En 2014 sonna l'heure d'une petite résurrection fort bienvenue. Joyce Mansour eut enfin droit aux honneurs posthumes d'une réédition chez Michel de Maule de ses oeuvres complètes, remplaçant le travail auparavant accompli par Actes Sud. Le 16 octobre 2014, chez France-Empire, parut la biographie de la poétesse par sa belle-fille Marie-Francine Mansour : Une vie surréaliste : Joyce Mansour, complice d'André Breton préface de Philippe Dagen. Enfin, le musée du Quai Branly, parfois injustement décrié, organisa une exposition du 18 novembre 2014 au 1er février 2015 : Joyce Mansour, poétesse et collectionneuse. Une  exposition certes mineure, mais qui permit de découvrir que, en plus des figures tutélaires bien connues comme André Breton, Joyce Mansour s'intéressa aussi aux arts premiers, en particulier les arts d'Océanie, Papouasie Nouvelle-Guinée. 

 

Regain éphémère, insuffisant hélas pour que Joyce Mansour rentrât durablement en lumière dans le panthéon des grands écrivains ! Le Quotidien de l'Art, dans son article du 12 janvier 2015, la qualifie avec justesse de Surréaliste oubliée. 

Achevons ce texte assez frustrant par un ultime poème de Joyce Mansour : Bleu comme le désert.

 

Heureux les solitaires
Ceux qui sèment le ciel dans le sable avide
Ceux qui cherchent le vivant sous les jupes du vent
Ceux qui courent haletants après un rêve évaporé
Car ils sont le sel de la terre
Heureuses les vigies sur l'océan du désert
Celles qui poursuivent le fennec au-delà du mirage
Le soleil ailé perd ses plumes à l'horizon
L'éternel été rit de la tombe humide
Et si un grand cri résonne dans les rocs alités
Personne ne l'entend personne
Le désert hurle toujours sous un ciel impavide
L'œil fixe plane seul
Comme l'aigle au point du jour
La mort avale la rosée
Le serpent étouffe le rat
Le nomade sous sa tente écoute crisser le temps
Sur le gravier de l'insomnie
Tout est là en attente d'un mot déjà énoncé
Ailleurs.

 

Prochainement : enchaînons directement avec le 39e écrivain dont la France ne veut plus : l'historien (merveilleux conteur) Claude Manceron. 

 claude manceron - les vingt ans du roi - AbeBooks