Quand on a dix pas à faire, neuf est la moitié du chemin. (proverbe chinois cité par Madame de Staël au chapitre XXI de De l'Allemagne)
Ils eurent leur petite heure de gloire dans le dessin de presse humoristique, le strip quotidien ou encore la bande dessinée. Ils furent oubliés à leur mort, voire même avant tant leur décès eut peu d'écho. Ils s'appelaient Jaf (Edmond Guérin), animateur de Monsieur Jujube dans Le Provençal, décédé à 68 ans en 1984, Coq (alias Luis Garcia Gallo) (1907-2001), créateur du chien Azor, Gus (1911-1997) de son vrai nom Gustave Herlich, caricaturiste estimable et Claude Marin (1931-2001), le moins méconnu des quatre, dessinateur de bandes dessinées qui fut le géniteur de Frère Boudin puis l'animateur des Bébés Disney.
J'aurais pu inclure Piem (1923-2020) dans cette liste, tant les a-médias n'ont pas insisté sur sa discrète disparition. Son nom réel, ronflant, Pierre de Barrigue de Montvallon n'explique pas cette ignorance crasse.
Commençons, si vous le voulez bien.
Jaf tout d'abord, puisqu'il s'agit, si l'on peut l'écrire, du plus "provincial". Ah Monsieur Jujube ! Même un prof d'histoire-géo que j'ai eu au collège en avait parlé ! Avec sa manière très particulière de s'exprimer, il avait dit : "Bon ben, voyez M'sieur Jujube !" Jaf a fait longtemps les délices humoristiques et politiques du Provençal, ce quotidien marseillais sous la houlette du maire Gaston Defferre, faisant office de strips et de dessins de presse, héritage d'une tradition américaine. Par exemple, à l'occasion de la foire aux santons et des vacances de Noël, Jaf avait caricaturé le premier ministre de l'époque, Raymond Barre, sous les traits du ravi de la crèche. Il y était dit : "le ravi est de plus en plus ravi."
Ainsi alla Jaf, en fonction des aléas de l'actualité nationale et marseillaise, avant que la maladie le rattrapât. Monsieur Jujube disparut des pages du Provençal, fort discrètement, peu de temps après l'alternance de 1981, sans qu'on en sût la cause. Jaf mourut peu d'années après, à 68 ans. Le Provençal avait été sa vie ; seul Le Provençal lui consacra un digne hommage, comme si la notoriété de Jaf avait été strictement locale, ne dépassant jamais Marseille.J'avais redouté un instant qu'il se fût agi d'une disgrâce, parce que la gauche était au pouvoir et Gaston Defferre au ministère de l'Intérieur, parce que Le Provençal n'avait plus besoin de strips de critique politique.
Passons à Coq, mort en 2001, la même année que Claude Marin, et dans le même oubli "mass-médiatique".Azor le chien, qui le connaît encore, qui en cause encore le soir au coin du feu (évocation giscardienne datée s'il en est ! ) ?
Coq était un dessinateur de presse espagnol. Il naquit à Toro le 8 juin 1907 et mourut le 21 septembre 2001 à Barcelone, soit dix jours après les événements que l'on sait, ce qui explique pour partie le silence entourant son décès. De son vrai nom Luis Garcia Gallo (ce qui explique son pseudonyme français) il travailla essentiellement pour la presse francophone : Paris-Presse-L'Intransigeant, Jours de France, Ici Paris, France-Soir, Point de vue et Le Soir. Son exil en France s'explique par son soutien aux républicains espagnols. Arrêtons-nous au deuxième titre cité dans la liste, qui explique pourquoi Coq me fut familier. Jours de France (1954-1989) était un magazine hebdomadaire féminin, plutôt mondain, lancé par Marcel Dassault, le grand avionneur qui fut aussi producteur et scénariste de films !
Lorsque j'étais enfant, il était habituel que des exemplaires de Jours de France traînent sur les tables des salles d'attente des médecins, dentistes et autres oculistes. Je trompais mon ennui en feuilletant ladite revue, ce qui permit de me familiariser avec les dessins humoristiques qui en émaillaient les pages : outre parfois de reprises de Jean Bellus, mort en 1967, avec son couple rondouillard de Français moyens quinquas "milieu-de-siècle",
on y trouvait Kiraz, Jacques Faizant, Vigno, Henri Morez, Hervé et bien sûr Coq. Curieusement, mon cousin, qui ne fréquentait pas les mêmes cabinets médicaux et habitait une autre ville, fit la connaissance du journal Spirou, lisant en particulier Les Tuniques bleues et Archie Cash, alors qu'il achetait Mickey ! Ainsi lus-je un nombre appréciable de strips de Coq mettant en scène le chien basset Azor...
Le temps est venu d'évoquer le "troisième larron", le seul, sauf erreur de ma part, à avoir bénéficié d'un entrefilet nécrologique du Monde : Gus, alias Gustave Erlich (Lublin 17 décembre 1911- Paris 7 mars 1997).
Son dessin est de facture classique, comme celui de Bellus, et sa stylisation va à l'essentiel. Contrairement à Coq (malgré ses caricatures de Franco), il ne délaissa pas les dessins politiques, ce qui le rapproche de Jacques Faizant. Comme ses contemporains, à l'exception de ceux du Canard enchaîné (auquel il collabora parfois) dont le graphisme allait plus loin, il participe d'une manière, d'une époque, d'un climat, caractéristiques d'un dessin de presse somme toute modéré, raisonnable, peu provocateur bien que souvent incisif et acerbe, aux antipodes d'un Charlie Hebdo.
D'autre part ont existé des travaux "de commande" ou quelque peu "alimentaires" de Gus : ainsi eus je en ma possession, à l'orée des années 1990, une méthode d'anglais dont l'édition originelle remontait à 1963, méthode illustrée par Gus. Son dessin était incisif et convenait bien à l'humour de la trame générale qui nous contait les déconvenues d'un inventeur britannique farfelu, Harry Sallis, qui essayait de vendre son brevet de parapluie gonflable ("inflatable umbrella").
Achevons ce périple : Claude Marin après Gus, mort la même année que Coq. Claude Marin rêvait de dessiner Mickey Mouse. Il dut un peu patienter, le temps de créer une bédé hélas éphémère sur scénario de Greg : Frère Boudin qui ne connut que deux aventures : L'os à voile et Le Tibia sacré. Frère Boudin parut en 1976 dans Achille Talon magazine. Cependant, Claude Marin avait déjà une carrière derrière lui.
Malgré ses qualités, notre moine rondouillard n'avait aucune chance de s'installer dans la durée. Certes, Greg, en créant Achille Talon magazine avait souhaité garder son autonomie face à des poids lourds comme Pilote ou Tintin. Le périodique ne vécut que 6 numéros, tandis que la troisième aventure de Frère Boudin L'Os rosse des sables ne vit jamais le jour. Claude Marin, qui dessinait depuis l'âge de 14 ans - il avait débuté sous la houlette de Marijac, le père de Coq Hardi - se trouvant orphelin de personnages, fut engagé en 1979 par Le Journal de Mickey pour lequel il réalisa aussitôt des aventures de la petite souris et de Dingo sur des scénarios de Corteggiani et Motti.
Le coup de maître de Claude Marin fut en 1986 la création de la série des Bébés Disney qui rencontra le succès et fut traduite en plusieurs langues.
Ainsi, Claude Marin rejoignit au panthéon des auteurs Disney français remarquables le fameux Pierre Nicolas, qui anima longtemps en troisième page de Mickey la série Mickey à travers les siècles. Pierre Nicolas était un élève de Paul Grimault.
Nonobstant ses succès, Claude Marin mourut dans une relative indifférence le 31 août 2001. Il était vrai que sa série phare occupait d'autres dessinateurs - Bélom et Gégé en l'occurrence - bien qu'il en eût dessiné plus de 600. Formé par Jean-Claude Fournier, Gégé avait été pressenti à la fin des années 1970 pour reprendre Bizu.
Bélom, breton tout comme Gégé et son associé dans les Bébés Disney, m'est malheureusement moins connu. même s'il a régulièrement collaboré à La Balise à cartoons dans Spirou. Il a également repris Sylvain et Sylvette.
Prochainement : Café littéraire : L'Insurgé, de Jules Vallès.
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