Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire. (Friedrich Wilhelm Nietzsche)
Trois jours de repos
Pourquoi pas la tombe
J’étouffe sans ta bouche
L’attente déforme l’aube prochaine
Et les longues heures de l’escalier
Sentent le gaz
À plat ventre j’attends demain
Je vois luire ta peau
Dans la grande trouée de la nuit
Le balancement lent d’un beau clair de lune
Sur la mer intérieure de mon sexe
Poussière sur poussière
Marteau sur matelas
Soleil sur tambour de plomb
Toujours souriant ta main tonne l’indifférence
Cruellement vêtu incliné vers le vide
Tu dis non et le plus petit objet qu’abrite un
corps de femme
Courbe l’échine
Nice artificielle
Parfum factice de l’heure sur le canapé
Pour quelles pâles girafes
Ai-je délaissé Byzance
La solitude pue
Une pierre de lune dans un cadre ovale
Encore un poignard palpitant sous la pluie
Diamants et délires du souvenir de demain
Sueurs de taffetas plages sans abri
Démence de ma chair égarée
Joyce Mansour : Le Soleil dans le Capricorne.
Voilà une écrivaine singulière, dont hélas on ne parle plus suffisamment de nos jours ! Née Joyce Patricia Adès à Bowden (Angleterre), le 25 juillet 1928, elle appartint à la mouvance surréaliste et fut considérée comme une poétesse égyptienne d'expression française. Elle portait le nom de son second mari, Samir Mansour, issu de la colonie française du Caire. Son premier recueil de poèmes, Cris fut publié en 1953 chez Seghers. Aussitôt remarquée par la revue surréaliste Médium, elle est adoubée par André Breton
et, fixée définitivement à Paris en 1954, participe aux activités littéraires et artistique surréalistes, fréquentant Pierre Alechinsky, Wilfredo Lam, Mata, Henri Michaux,
André Pieyre de Mandiargues etc. Du beau gratin. Elle a pas mal publié : seize recueils de poésies en tout, plus du théâtre, de la prose etc. Ses recueils furent souvent illustrés par Alechinsky, Mata, Lam, Enrico Baj
et bien d'autres encore.
Son omission nécrologique, survenue l'un des pires mois de non couverture des morts par les infos télé (août 1986) puisqu'elle disparut dans les mêmes eaux que Germaine Acremant, déjà évoquée dans ce blog, laisse à penser que la négligence culturelle de l'audiovisuel venait déjà d'atteindre un point de non-retour. Cependant, l'archivage salutaire entrepris par Le Monde sur le net permet de découvrir d'une part l'article nécrologique que Pierre Drachline lui consacra le 30 août 1986 (elle mourut d'un cancer le 27 août) et d'autre part une archive de Christian Descamps en date du 5 avril 1982. Ces deux articles, indispensables, sont malheureusement payants.
Les éditions Actes Sud eurent l'intelligence, en 1991, de rassembler l'intégralité de l'oeuvre de Joyce Mansour en prose comme en vers. Cette édition n'est malheureusement plus disponible. Comme de nombreuses oeuvres poétiques, les écrits de cette autrice pourtant majeure sont dans l'ensemble difficiles à se procurer de nos jours. C'est là le lot commun de nombre d'écrivains du XXe siècle qui ne sont pas muséifiés !
En 2014 sonna l'heure d'une petite résurrection fort bienvenue. Joyce Mansour eut enfin droit aux honneurs posthumes d'une réédition chez Michel de Maule de ses oeuvres complètes, remplaçant le travail auparavant accompli par Actes Sud. Le 16 octobre 2014, chez France-Empire, parut la biographie de la poétesse par sa belle-fille Marie-Francine Mansour : Une vie surréaliste : Joyce Mansour, complice d'André Breton préface de Philippe Dagen. Enfin, le musée du Quai Branly, parfois injustement décrié, organisa une exposition du 18 novembre 2014 au 1er février 2015 : Joyce Mansour, poétesse et collectionneuse. Une exposition certes mineure, mais qui permit de découvrir que, en plus des figures tutélaires bien connues comme André Breton, Joyce Mansour s'intéressa aussi aux arts premiers, en particulier les arts d'Océanie, Papouasie Nouvelle-Guinée.
Regain éphémère, insuffisant hélas pour que Joyce Mansour rentrât durablement en lumière dans le panthéon des grands écrivains ! Le Quotidien de l'Art, dans son article du 12 janvier 2015, la qualifie avec justesse de Surréaliste oubliée.
Achevons ce texte assez frustrant par un ultime poème de Joyce Mansour : Bleu comme le désert.
Heureux
les solitaires
Ceux qui sèment le ciel dans le sable avide
Ceux qui cherchent le vivant sous les jupes du vent
Ceux qui courent haletants après un rêve évaporé
Car ils sont le sel de la terre
Heureuses les vigies sur l'océan du désert
Celles qui poursuivent le fennec au-delà du mirage
Le soleil ailé perd ses plumes à l'horizon
L'éternel été rit de la tombe humide
Et si un grand cri résonne dans les rocs alités
Personne ne l'entend personne
Le désert hurle toujours sous un ciel impavide
L'œil fixe plane seul
Comme l'aigle au point du jour
La mort avale la rosée
Le serpent étouffe le rat
Le nomade sous sa tente écoute crisser le temps
Sur le gravier de l'insomnie
Tout est là en attente d'un mot déjà énoncé
Ailleurs.
Prochainement : enchaînons directement avec le 39e écrivain dont la France ne veut plus : l'historien (merveilleux conteur) Claude Manceron.
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