jeudi 19 décembre 2024

Ces écrivains dont la France ne veut plus 47 : Jules Romains.


 

Affiche de la pièce par Bécan (1923).


Encore un écrivain qui a bien fait d'abandonner son vrai patronyme au profit d'un nom de plume ! S'appeler Louis Farigoule, est-ce bien sérieux ? A l'énoncé d'un tel nom, on penserait presque au domaine de Fabrégoules, cher aux traminots et à la CGT marseillaise... Que reste-t-il de cet auteur ? Knock ? Les Copains

dimanche 15 décembre 2024

Mo Yan : biographie pour le Café littéraire.

 Mo Yan (chinois : 莫言 ; pinyin : Mòyán ; « celui qui ne parle pas »), de son vrai nom Guan Moye (管谟业 / 管謨業, Guǎn mó yè), né le 17 février ou le 5 mars 1955 à Gaomi dans la province du Shandong en Chine. Wikipedia

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Né dans une famille de paysans pauvres du Shandong, Guan Moye a longtemps vécu au coeur de la campagne chinoise, dont l’évocation nourrit son oeuvre. Sa famille a connu la faim à l’époque du « Grand Bond en avant » initié par Mao Tse Toung. C’est aussi pendant la Révolution culturelle que, classé parmi les « mauvais éléments » au cours de ses études primaires, il doit quitter l'école en 1966 pour aller travailler aux champs, puis en usine.

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Il s'enrôle en 1976 et devient diplômé de l'Institut des arts et des lettres de l'Armée populaire de libération en 1986, puis en 1991 de l'université de Pékin. Sa formation tranche avec celle d’autres écrivains, imprégnés de la lecture des grands romans classiques. D’origine paysanne, il évoque le rôle joué par les histoires racontées par sa grand-mère, ainsi que son éducation au sein de l'armée.
 

Ses parents lui ont appris à éviter, par prudence, de trop parler en dehors du cercle familial. C'est la raison du choix de son pseudonyme, Mo Yan : « Celui qui ne parle pas ». C’est sous ce nom de plume qu’il publie sa première nouvelle en 1981, Radis de cristal. Sa reconnaissance est immédiate, mais ce n’est qu’avec Le Clan du sorgho (1986) qu'il atteint la notoriété. Le roman est porté à l'écran sous le nom Le Sorgho rouge (1987), par Zhang Yimou, qui adaptera aussi en 2000 Le Maître a de plus en
plus d'humour (1999).
Mo Yan ne cesse ensuite d’écrire et de publier, tout en restant employé à l'Institut des arts de l'Armée de libération jusqu’en 1999. Après deux grands romans, Les Treize pas (1989) et Le Pays de l'alcool (1993), Beaux seins, belles fesses (1995) confirme de manière éclatante son génie singulier.
Son oeuvre compte plus de quatre-vingt nouvelles, romans, essais, reportages, critiques littéraires, couronnée par l’attribution en 2012 du prix Nobel de littérature. L'autobiographie y occupe une part importante.

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Parmi ses autres oeuvres traduites en français : La Mélopée de l'ail paradisiaque (1988), Les Retrouvailles des compagnons d’armes (1992), Le Veau, suivi du Coureur de fond, nouvelles (1998), Quarante et un coups de canon (2003), La Carte au trésor (2004), Enfant de fer et autres nouvelles (189/2003), La Joie (2007), Wa /Grenouilles (2009), qui dénonce les excès de la politique chinoise de l'enfant unique, qui avait obligé sa femme à avorter de son deuxième enfant.


PS : Il a été reproché à Mo Yan, par ses collègues chinois, son manque de solidarité et d'engagement vis-a-vis des autres écrivains et intellectuels chinois réprimés ou mis en détention en violation de la liberté d'expression pourtant reconnue par la Constitution, ainsi que son silence envers le système de censure et d’oppression en Chine. Certains de ses écrits ont pourtant été censurés.

Prochainement : 47e volet de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus : Jules Romains.

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mardi 10 décembre 2024

Mo Yan Beaux Seins, Belles Fesses : analyse.

 MO Yan Beaux Seins, Belles Fesses

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/05/Carte_de_Chine02.PNG

Que le titre coquin et la couverture aguicheuse de ce livre n’induisent personne en erreur. L’histoire de Beaux Seins, Belles Fesses a beau être racontée par un obsédé sexuel, par un monomane du nichon, elle n’a pas grand-chose de coquin. Cette grande fresque de la Chine rurale du XXème siècle est bien un livre à l'honneur de la supériorité féminine.
Que le titre fripon et la couverture aguicheuse de ce roman n’induisent personne en erreur. L’histoire de Beaux Seins, Belles Fesses a beau être racontée par un obsédé sexuel, par un monomane du nichon, elle n’a pas grand-chose de coquin. La véritable teneur du livre, c'est plutôt le sous-titre qui l'indique (Les Enfants de la Famille Shangguan), les beaux seins et les belles fesses en question étant en fait les principaux signes distinctifs des huit soeurs du narrateur, des huit filles de cette Shangguan Lushi dont ce pavé de 900 pages narre le destin tragique dans la Chine tourmentée du XXème siècle.











Nourri à la littérature de Gabriel Garcia Marquez,

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 l’écrivain Mo Yan a voulu livrer un Cent Ans de Solitude chinois, racontant l’évolution d’un village du Shandong à travers les aventures que traversent ses habitants à chacun des épisodes majeurs traversés par la Chine du siècle dernier : révolte des boxers, chute de l’Empire et avènement de la République, invasion japonaise, guerre civile, triomphe communiste, Grand Bond en Avant, Révolution Culturelle, capitalisme sauvage et triomphant.
La période est si large, les personnages tellement nombreux, les registres si divers que Mo Yan semble parfois s’égarer le long de ce grand livre ambitieux et de ses histoires à tiroirs. Il passe du comique au tragique, du réalisme social au conte fantastique. Qui plus est, le narrateur change souvent, au sein d’un même chapitre, d’un paragraphe à l’autre, passant de la première personne à la troisième. On s'interroge aussi sur l’intention, l’objectif, le projet de Mo Yan dans ce livre. Etait-ce d’écrire une autobiographie déguisée, l'auteur et son héros partageant de nombreux points communs, comme cette origine paysanne et le fait d'avoir été allaités tardivement ? Etait-ce d’écrire un conte moderne, un Au Bord de l’Eau du XXIème siècle. Ou était-ce de revenir sur les erreurs et sur les exactions du communisme, comme le
laissent penser les censures dont le livre a été l’objet dans son pays d'origine ?
La critique politique est en effet loin d’être absente du livre. Au début, Mo Yan présente les communistes sous un jour plus favorable que les autres protagonistes de l’époque, nationalistes et envahisseurs japonais, notamment quand il décrit leur action en faveur de l’émancipation des femmes. Mais dès que la République Populaire est en place, l’absurde et les effets déshumanisants de l’idéologie sont violemment mis en exergue, par exemple quand Mo Yan présente le ridicule des séances d’autocritique et de dénonciation publique dont le régime était friand. C’est un monde cruel et fou que l’écrivain nous présente, mais un monde qui reste désespérément le même en dépit des changements
de régime, comme le rappelle Shangguan Lushi à son naïf petit-fils Han Perroquet, qui pense que ça n’est que depuis hier que tout repose sur les relations (p. 691).
L’autre projet possible de Beaux Seins, Belles Fesses, ce sont toutes ces considérations philosophiques sur la place du sein dans le monde dont le narrateur (les narrateurs ?) se montre friand : "les seins sont le résultat de l’évolution de l’humanité. Le degré d’amour et de soins prodigués aux seins est un important marqueur pour mesure le niveau de civilisation d’une société pendant une période donnée" (p. 785). Mais au-delà de sa poitrine, c’est de la femme elle-même dont il est question dans ce livre. Cet ouvrage que Mo Yan a dédié à sa mère est un long hommage à la supériorité féminine.
Alors que Jintong, ce fils adulé que toute la famille Shangguan appelait de ses voeux, mènera finalement une vie pour rien après avoir été successivement un enfant peureux, un inadapté, un nécrophile, un gigolo, un fou et un mari trompé, alors qu’il reviendra se cacher dans les jupes de sa mère la cinquantaine passée, ses soeurs connaîtront des destinées hors-du-commun, qu’elles s'acoquinent avec un communiste, un nationaliste, un collabo ou un occidental, qu’elles soient devenues prophétesse, médecin ou prostituée. Même schéma chez les personnages secondaires où, à l’exception
de quelques fortes têtes comme les hommes de la famille Sima, ce sont les femmes qui mènent le bal, ce sont les épouses qui portent la culotte.

Description de cette image, également commentée ci-après
Nulle ne personnifie mieux cette supériorité que Shangguan Lushi, la mère, la matrone, la véritable héroïne du livre, son personnage central des premières pages qui décrivent son accouchement jusqu’au terrible flashback qui clôt le livre. Orpheline, enfant aux pieds bandés et martyrisés, mariée contre son gré à une famille de lourdauds, battue par son époux, humiliée par sa belle-mère, violée à maintes reprises, elle deviendra une maîtresse femme, pragmatique, solide, courageuse. Chez Mo Yan, la femme souffre terriblement, mais la femme a raison. Armée de son courage et de ses précieux seins, elle est la charpente du monde. 

Par cod v otusyl

lundi 9 décembre 2024

Café littéraire : Mo Yan. Beaux seins, belles fesses. 2001

 Par Dominique Jules.
















Ce roman rural et familial, touffu, balaie sur plus d’un demi-siècle les existences des parents et enfants de la famille de Lushi et de son seul fils, bâtard, Jintong. Le destin romanesque de ces personnages couvre plus de cinq décennies de l’histoire de la Chine, périodes troubles et troublées ;

ou plutôt ils sont traversés par les épisodes historiques et politiques de cette partie du XXe siècle, car ils n’ont aucune prise sur eux, ils sont ballottés par des événements qui retentissent sur leurs vies sans qu’ils puissent les maîtriser en aucune façon.

Si un connaisseur de l’histoire de la Chine peut se repérer, et si le lecteur français se trouve en mesure de dater approximativement le déroulement de l’action, entre 1939 et 1993,

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 avec dans la 7e partie un retour en arrière aux années 1900 à 1938, c’est grâce aux notes fournies par les traducteurs qui donnent quelques jalons. Quant à Mo Yan, il évite de désigner clairement les événements qui surviennent, y compris les changements de régime. Il ne s’attache qu’à leur retentissement et aux conséquences sur la vie quotidienne des gens du peuple dont il évoque l’existence. Car Beaux seins, belles fesses se place délibérément du côté des petites gens, dont Mo Yan est lui-même issu, et plus précisément du côté des paysans, des ruraux, quel que soit leur devenir et leur destin ultérieur. Cette saga chinoise s’occupe de ceux qui subissent l’histoire sans la faire.

 Mo Yan - Wikipedia

Si elle relate les destinées variées de la famille Shangguan, elle inclut aussi des micro-histoires,

des anecdotes, des portraits, qui peuvent tendre au conte, à la nouvelle, tantôt sur un mode réaliste,

tantôt en lorgnant du côté du genre fantastique, tantôt sur un ton grotesque ou bouffon. Car Mo Yan est aussi doué et se trouve aussi à l’aise dans la composition d’un roman fleuve comme Beaux seins, belles fesses que pour l’écriture de textes brefs : son oeuvre littéraire compte d’assez nombreuses nouvelles.

L’une des particularités de l’agencement de Beaux seins, belles fesses, c’est l’indétermination des narrateurs et leur mélange étrange, qui peut rendre la lecture quelque peu malaisée à l’occasion.

C’est ainsi par exemple qu’au chapitre 10 intervient un « je », qui s’avère être le bébé de sexe masculin, qui raconte des événements d’avant sa naissance. D’autres qu’il relate ensuite appartiennent bien à son vécu mais à un âge dont il ne peut guère avoir le souvenir. De même dans la septième partie, qui revient sur le passé de Lushi et la conception de ses neuf enfants, le « je » est clairement inapproprié, puisque Jintong n’était pas né ; or il relate des moments intimes, qu’il n’a pu connaître ni se faire raconter. Comment expliquer ces incohérences, volontaires de la part du romancier ? À chaque lecteur de se faire une opinion : un beau sujet de discussion… Mo Yan multiplie d’ailleurs les sauts du « je » au « il », du narrateur protagoniste au narrateur omniscient, tout au long du roman, comme dans le premier paragraphe du chapitre 52, où sur deux phrases successives, on passe de « je » à « Jintong ». Voir aussi pages 787 ou 795.

Semblablement, le lecteur est parfois transporté d’une époque à une autre, soit dans passé soit dans l’avenir, par des analepses qui prennent une tournure prophétique. Ainsi par exemple l’auteur signale dès la première rencontre de Laidi et Sha Yueliang qu’il deviendra son mari. En bousculant la chronologie et en brouillant les voix narratives, Mo Yan, partagé entre hommage et réprobation, porte un regard subjectif sur un pan d’histoire de son pays, dresse un panorama assez intemporel par la collusion des époques et des moments de vies de ses personnages, somme toute attachants en dépit de leurs défauts, manies, tares, perversions.

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Pour avoir une esquisse d’explication sur le titre du roman, il convient de se reporter à la page 163 et pour la moitié qui concerne les seins, à la page 785, qui manifeste clairement, certes sur un ton de propagande publicitaire et d’éloge ambigu, l’importance de la femme dans l’humanité et dans cette partie du monde qu’est la Chine.

Sur ce point, le texte d’un lecteur attentif, disponible sur Internet, apporte un éclairage roboratif :

voir en PJ.

Dominique JULES