Les absents ont toujours tort (Destouches, L'Obstacle imprévu I, 6).
La critique est aisée, et l'art est difficile (Destouches, Le Glorieux II, 5).
Chassez le naturel, il revient au galop (Destouches, Le Glorieux III, 5 : citation inspirée d'un vers d'Horace : "Tu peux chasser la naturel à coups de fourche, il reviendra toujours au galop).
Ces trois vers, devenus des sortes d'aphorismes et de lieux communs sont tout ce qui a survécu de l'oeuvre de Philippe Néricault Destouche, portraituré ci-dessus par Largillierre en 1741). De Destouches, né à Tours le 9 avril 1680 et mort dans son château de Fort-oiseau à Villiers-en-Bière le 4 juillet 1754, devenu membre de l'Académie française le 5 août 1723, Voltaire écrivit :
« On ne trouve pas dans ses pièces la force et la gaieté de Regnard, encore moins ces peintures du cœur humain, ce naturel, cette vraie plaisanterie, cet excellent comique, qui fait le mérite de l’inimitable Molière ; mais il n’a pas laissé de se faire de la réputation après eux. On a de lui quelques pièces qui ont eu du succès, quoique le comique en soit un peu forcé. Il a du moins évité le genre de la comédie qui n’est que langoureuse, de cette espèce de tragédie bourgeoise, qui n’est ni tragique, ni comique, monstre né de l’impuissance des auteurs et de la satiété du public après les beaux jours du siècle de Louis XIV. Sa comédie du Glorieux est son meilleur ouvrage, et probablement restera au théâtre, quoique le personnage du Glorieux soit, dit-on, manqué ; mais les autres caractères paraissent traités supérieurement. » (extrait du Siècle de Louis XIV).
Pour ma part, j'aurais aimé qu'on confrontât Destouches au Lesage dramaturge, déjà traité en ce blog, et qui fut son contemporain. De toute manière, les éditions modernes de Destouches ne se trouvent nulle part, contrairement à celles de Lesage sauf un improbable coup de folie de Folio Théâtre ou Garnier Flammarion... De toute manière, même au temps de la RTF puis de l'ORTF des années cinquante à soixante-dix du XXe siècle, époque au cours de laquelle la télévision baignait dans une culture scolaire et livresque et voulait la transmettre, Destouches n'attirait plus. Cherchez sur Ina.fr ou Madelen : vous ne trouverez strictement rien.
Notre Philippe Néricault, ce familier de la duchesse du Maine, des Grandes Nuits de Sceaux et du cercle de l'ordre parodique des chevaliers de la Mouche à miel (on a l'oulipo rétro que l'on trouve...), qui compta femmes et hommes, scientifiques, aristocrates et musiciens en son sein, a été supplanté dans la mémoire savante par deux autres personnes portant le même nom, sans lien de parenté aucun : André Cardinal Destouches (1672-1749), compositeur dont les oeuvres sont d'autant plus jouées et enregistrées que celles théâtrales de son quasi homonyme brillent par leur absence contemporaine intégrale,
et, malheureusement, un sinistre écrivain du XXe siècle, hélas admiré par certains que je refuse de suivre sur ce terrain : Louis Ferdinand Destouches dont tout le monde connaît le nom de plume : Céline !
Pour ma part, j'ai acheté des CD du premier, notamment les remarquables Eléments, opéra-ballet du temps de la Régence, qui contient en son début le premier cluster de l'histoire de la musique classique et, bien avant Le Sacre du Printemps de Stravinski, nous permet d'écouter l'organisation du chaos originel. Quant au second, je me vante de n'en avoir pas le moindre ouvrage... Moi aussi, je pratique la cancel culture lorsqu'il le faut. Je me souviens d'avoir jeté à la poubelle Voyage au bout de la nuit sans en avoir lu une seule ligne.
Bref, j'aimerais bien que l'on exhume un de ces quatre L'Ingrat, L'Irrésolu, Le Médisant, La fausse Veuve, L'Obstacle imprévu ou encore Le Philosophe marié, quitte à ce que l'on fasse accroire que notre dramaturge du temps de la Régence et de Louis XV anticipait le théâtre de boulevard du XXe siècle ! Au fait, notre Destouches fut secrétaire d'ambassade à la cour d'Angleterre et contracta un mariage secret avec une Anglaise, dont la version britannique de l'article de Wikipedia consacré à notre impétrant dit qu'elle s'appelait Dorothea Johnston.
La vie de cet écrivain désormais dans l'ombre fut plus haute en couleur qu'on pouvait le penser, et s'il fallait à tout prix remettre en avant une de ses pièces, ce serait Le Glorieux de 1732, qui, sociologiquement intéressante, nous dépeint l'ascension de la bourgeoisie au détriment de l'aristocratie. Le riche libertin est confronté au noble fastueux. J'ai envie d'ajouter que l'astre dudit noble est en train de pâlir...
Mais on dit qu'aux Auteurs la critique est utile, déclare le personnage de Lisette à l'acte II scène 5 du Glorieux.
Prochainement : Commémorations du centenaire de la mort de Pierre Loti : Rochefort et Marianne seules ?
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