dimanche 11 décembre 2022

Un sosie oublié du général de Gaulle.

 Les jeunes ne savent pas que l'expérience est une défaite et qu'il faut tout perdre pour savoir un peu.(Albert Camus)

(...) les poissons au sang glacé qui nagent dans les profondeurs ignorent presque tout de la vie. (Jón Kalman Stefánsson : D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pied. Folio p. 126 au sujet des eaux bleues de froid du golfe de Húnaflói en Islande)

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Une comédie française de la fin des années 1970. Une séquence située en mai 1968, dans les toilettes d'un aéroport. Un acteur français célèbre, Pierre Richard, qui croise inopinément un illustre personnage, qu'on ne voit que de dos, mais qu'il reconnaît et essaie d'aborder, personnage dont la silhouette est si familière aux spectateurs d'alors qu'ils savent d'instinct de qui il s'agit. Ce personnage, c'est Charles de Gaulle, appelé le Général, premier président de la Ve République. Le film, c'est La Carapate. Datant de 1978, huit ans après la mort de l'ancien président, tout le monde sait pertinemment voir un sosie sur l'écran. Ce sosie, rôle muet, n'est autre que le comédien Adrien Cayla-Legrand, dont ce n'était pas la première incarnation de de Gaulle. 

Adrien Cayla-Legrand - Unifrance 

L'incarnation "gaullienne" la plus brillante et bluffante de Charles de Gaulle par Adrien Cayla-Legrand fut celle de Chacal. Réalisé par Fred Zinneman, sorti en 1973 et adapté d'un roman de Frederick Forsyth, ce thriller politique nous conte l'histoire d'un attentat monté contre le Général, postérieur à celui du Petit-Clamart.

Chacal en DVD : Le Chacal - AlloCiné 

Chacal, c'est le nom de code du tueur à gages recruté par l'OAS après l'échec du Petit-Clamart. L'action se déroule un an après, en 1963. L'acteur britannique Edward Fox, frère aîné de James Fox, joue le rôle de Chacal. 

 Description de cette image, également commentée ci-après

On sait que Chacal, afin de parvenir à ses fins, se déguise en vétéran unijambiste lors de la commémoration de la libération de Paris, son fusil dissimulé dans l'une de ses béquilles. Posté à une fenêtre, il tire et manque de peu le Général. Il sera abattu par la police, commandée par Claude Lebel. 

Le film est bien plus emberlificoté et alambiqué que ce trop bref résumé et l'identité réelle du Chacal ne sera jamais découverte. 

Il est amusant de savoir qu'Adrien Cayla-Legrand, bien plus jeune que son modèle (il était né en 1919 pour disparaître en 2007), avait en fait, au moment de la sortie en salles de ce thriller bien fait, l'âge du général de Gaulle à la Libération. Notre acteur quinquagénaire incarnait donc un de Gaulle septuagénaire ! Spécialiste des petits rôles, notre acteur eut une carrière étendue de 1958 à 1986, et sa première incarnation de de Gaulle se fit du vivant même du Général, dès 1966, dans le remarquable Martin soldat, de Michel Deville

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qui vient de nous quitter le 16 février 2023. Rebelotte en 1969, dans le célèbre L'Armée des ombres d'un autre cinéaste génial, Jean-Pierre Melville,

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qui emprunta un extrait musical de Morton Gould bien connu des téléspectateurs assidus aux Dossiers de l'écran. Chacal était donc la troisième incarnation gaullienne de notre comédien. Elle sera suivie de deux autres, dans La Carapate déjà évoquée, puis, en un ultime baroud d'honneur, dans le nanar d'Aldo Maccione Le Bourreau des coeurs (1983). 

Notons enfin de fugitives apparitions d'Adrien Cayla-Legrand à la télévision, notamment dans deux épisodes du Maigret avec Jean Richard. Pour l'anecdote, notre saisissant sosie du plus illustre des Français, natif de l'Aveyron, mourut dans l'Aveyron, le 12 décembre 2007. Un second couteau, certes, comme le cinéma français en consacra tant, mais quel second couteau ! Digne de figurer au panthéon des petits rôles, des trognes, aux côtés de Dominique Zardi ! 

Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus volet n° 42 : Séverine.

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samedi 26 novembre 2022

Café littéraire : « D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds » de Jon Kalman Stefansson


Par Annie Guillet. 

 D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds Chronique familiale - Poche -  Jón Kalman Stefánsson, Éric Boury - Achat Livre ou ebook | fnac

 

Jon Kalman  Stefansson

 

 est né à Reykjavik en 1963,


 il grandit dans la capitale de l'Islande et à Keflavik où se situe le roman. Il travailla comme maçon, sala, sécha les poissons mais fut aussi enseignant, bibliothécaire, journaliste.
 Poète et romancier,  sa trilogie - Entre ciel et terre (2007), La tristesse des Anges (2009)  et  Le cœur de l'homme - (2011) lui apporte une renommée internationale.
 En France, son roman D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds (2013) obtient le prix Millepages et son dernier roman Ton absence n'est que ténèbres (2022) le prix du livre étranger.

            La première raison de se plonger dans ce roman est qu'il nous transporte en  Islande, cette « terre âpre » au froid glacial, aux paysages volcaniques grandioses, aux montagnes colériques,  aux vents impitoyables  et où la mer omniprésente est synonyme de vie et de danger. C'est en poète qu'il nous peint la rudesse et la beauté sauvage de son pays. 

 

            Mais le roman est d'abord l'oeuvre d'un formidable conteur. Ari, éditeur exilé au Danemark depuis deux ans après un divorce douloureux, revient à Keflavik, un ancien port de pêche, pour son père qui est au plus mal. Son ami l'attend. Remontent alors les souvenirs liés à sa rupture, à sa jeunesse, à ses grands parents.
Par les allers retours entre aujourd'hui, l'époque de ses parents (années 70-80) et celle de ses grands parents (début du 20ème), c'est l'histoire de l'Islande qui nous est contée celle de ses transformations. De celle des marins d'autrefois à la vie rude mais exaltante à celle de maintenant peut être plus facile mais plus complexe, plus terne. L'Islande a subi les effets de l'américanisation et de la mondialisation.

            Si ce roman nous permet d'assister à l'évolution du pays, c'est aussi une histoire de l'intime : histoires d'amours fous, de séparations, de joies et de douleurs. Ses personnages sont des êtres complexes, des hommes et des femmes qui cherchent à mieux se connaître.
 Il les peint avec tendresse, sensibilité, tout particulièrement les femmes dont il soutient les luttes dans ce dur univers d'hommes. Ari et le narrateur s'interrogent sur le rôle de la mémoire, l'importance des souvenirs pour tenter de mieux comprendre ce qu'il est vraiment, ce que nous sommes, pour tenter de donner un sens à sa vie, à la vie.
En cela sa réflexion est universelle.

            C'est un roman qu'il faut lire sans se presser, lire quelques pages et le reposer pour en savourer les beautés, pour avoir le temps d'y penser. La langue de Stefansson traduite magnifiquement par Eric Bory, est somptueuse, tantôt poème, tantôt analyse, toujours vivante et imagée avec des éclairs d'humour qui viennent alléger le constat trop lucide de l'absurdité des réactions humaines, de la brièveté de la vie.
Et pourtant et c’est la conclusion du livre, qu'il est délicieux d'exister!    

Jón Kalman Stefánsson - Babelio      

 Annie Guillet  

 Prochainement : un sosie oublié du général de Gaulle.

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dimanche 13 novembre 2022

La réception de Pascal Ory à l'Académie française : YouTube et ActuaBD seuls ?

 On ne peut exiger des écrivains du monde entier qu'ils pondent des chefs-d'oeuvre à chaque fois.(Pensée du lettré inconnu)


Pascal Ory — Wikipédia   

Le jeudi 20 octobre 2022 s'est produit un non-événement particulier pour lequel nos médias, experts en secret informationnel, n'ont traité que par un silence significatif : la réception du grand historien contemporain Pascal Ory à l'Académie française. Pionnier en matière d'histoire contemporaine puisqu'il introduisit la bande dessinée dans son champ de recherche quand d'autres, comme Marc Ferro, avaient annexé le cinéma, Pascal Ory est un historien brillant et novateur, qui honore notre pays et les sciences humaines. Il s'est intéressé à l'histoire culturelle et, dès 1979, s'est fait remarquer avec un livre phare : Le Petit Nazi illustré paru à l'origine aux éditions Albatros puis réédité chez Nautilus en 2002. Il s'agissait de l'étude d'un magazine pour la jeunesse ouvertement de propagande nazie destiné aux enfants français sous l'Occupation. Ce périodique de bandes dessinées dura peu : de janvier1943 à la Libération. 

Grâce aux travaux de Pascal Ory, il y eut pour moi des surprises, comme la découverte de ces Collaborateurs incongrus, groupusculaires, ces Algériens de nulle part qui figuraient dans son maître ouvrage que je dévorai à la fac en Point Histoire, lesquels s'étaient soit engagés dans l'armée allemande, soit avaient secondé les nazis et la Gestapo française. En Histoire, rien n'est simple, et des moutons noirs se cachent dans tous les recoins du temps... 

Des esprits chagrins ont mal pris l'élection de Pascal Ory à l'Académie française dès sa première candidature, prétextant qu'il est des personnalités plus illustres, plus médiatiques que lui, qui se font recaler. Pour ma part, je ne pouvais qu'ardemment souhaiter le succès académique d'un historien universitaire que j'ai pu rencontrer deux fois dans ma vie, à Marseille en juin 1986 et à Orsay en mars 1998. En 1986, il s'agissait de commémorer le cinquantenaire du Front populaire, et Pascal Ory fit office de Monsieur Loyal lors de la projection de La Marseillaise de Jean Renoir. 

Description de cette image, également commentée ci-après 

On sait que le film de Renoir fut un échec commercial, et qu'il sortit trop tard, en février 1938, alors que le Front populaire agonisait.

Elève de Jean Delumeau et René Rémond, critique de bandes dessinées des magazines Lire et l'Histoire, notre brillant historien est également Régent du collège de pataphysique, ce qui me permet de faire allusion à Alfred Jarry, que l'on s'apprête à ignorer pour la seconde fois en 2023, après un silence commémoratif éloquent en 2007.

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A ce stade de mon texte, j'estime que la messe est dite. Les jeux sont faits. Il serait temps de ranger les rancunes contre l'Académie française au placard et cesser de la bouder lorsqu'elle élit des gens valables et estimables. Il y aura toujours des grincheux, qui, par exemple, se gausseront de la tentative de Pascal Ory d'entrer en politique au début des années 2000 et pointeront du doigt son échec. Moi, je m'en moque même si d'autres m'objecteront la partialité de mon article, puisque je traite d'une personne que j'apprécie et que j'ai pu croiser çà et là. S'il s'était agi de Pierre Milza et de Madeleine Rébérioux, j'aurais procédé de même. Hélas, ces deux personnalités de l'Histoire contemporaine ne sont plus de notre monde ! 

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YouTube, donc, permet de visionner tout de même la réception académique de Pascal Ory (ayons la nostalgie des réceptions d'académiciens retransmises à la télé !) et l'intervention d'ActuaBD est des plus légitimes ! 

Prochainement : Café littéraire : « D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds » de Jon Kalman Stefansson.

samedi 22 octobre 2022

Ces écrivains dont la France ne veut plus 41 : Alexandre Dumas fils.

 Enfant, vous avez pris un oiseau dans un champ,
Et vous voilà joyeux, et vous criez victoire ;
Et le pauvre petit dans une cage noire,
Se plaint, et vous prenez sa plainte pour un chant.
(Alexandre Dumas fils : L'Oiseau prisonnier)

 

Il n'est pas bon en littérature de ne survivre dans la mémoire humaine qu'en raison d'un seul ouvrage. Alexandre Dumas fils (1824-1895) appartient à cette catégorie d'écrivains dont on ne lit plus guère et ne cite plus rien d'autre que La Dame aux camélias, à cause peut-être de sa postérité lyrique. Le fils de l'immortel auteur des Trois Mousquetaires n'a plus la moindre chance qu'on le redécouvre au XXIe siècle, tant le discrédit littéraire semble peser sur son oeuvre. Inutile donc de trouver en poche autre chose que cette sempiternelle Dame phtisique, hautement inspirée de la courtisane Marie Duplessis (1824-1847), devenue Marguerite Gautier sous la plume - que je trouve peu sapide - de Dumas fils car son oeuvre n'atteint pas le niveau du Nana de Zola, c'est indéniable. 

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A quoi bon m'acharner sur un auteur déchu, casser du sucre sans trêve sur sa vieille carcasse ? Si Dumas fils vous intéresse à ce point-là, rien ne vous empêche de visionner le vieux Portrait souvenir que la télévision consacra à cet écrivain, vidéo trouvable sur Madelen, moyennant un abonnement peu prohibitif.

Ce serait un truisme, une évidence, de déclarer que l'oeuvre de l'enfant de Catherine Laure Labay (1793-1868) et du grand Dumas fut plus variée qu'on ne le croit communément. Romancier, dramaturge, mais aussi poète, il eut même l'honneur d'être le dédicataire de Jules Verne dont Mathias Sandorf est un Monte-Cristo balkanique !

Image illustrative de l’article Mathias Sandorf

Ce serait aussi une solution de facilité de ma part de vous encourager à lire Les Trois Dumas d'André Maurois, ouvrage certes daté (1957) et désormais introuvable en commerce, mais qui permet une première approche des Dumas sur trois générations. Il est amusant de savoir que l'article critique du Monde publié lors de la sortie du livre, signé de la plume d'Emile Henriot, lui-même académicien, est disponible en ligne quoique payant. Echange de bons procédés entre habits verts ?

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Soyons professoral et insistons : Dumas fils, enfant naturel en quête de reconnaissance, moraliste conservateur dont la notoriété - surfaite ? - permit son élection à l'Académie française, comme si au fond, les immortels avaient eu l'impression de se racheter une conduite, de réparer l'erreur de l'ignorance du père en permettant au fils de rejoindre leur docte compagnie ! Dumas fils, déjà délaissé au XXe siècle, dont, mis à part le documentaire précité et deux versions de l'incontournable Dame aux Camélias (dont la plus ancienne est présentée par Marcel Pagnol !), n'est présent sur Madelen que par le biais d'une courte pièce de 48 minutes filmée en 1964 avec les acteurs de la Comédie française, Une visite de noces, avec tout de même François Chaumette et Jacques Toja dans la distribution ! 

François Chaumette - Unifrance 

En parallèle, en 1961, la RTF, ancêtre de l'ORTF, diffusa ce qui est à ma connaissance l'unique documentaire de la télévision française consacré à Dumas fils. Le principe de Portrait souvenir de Roger Stéphane, sorte de série de monographies littéraires filmées autour des écrivains entre le XVIIe et le XXe siècle, était que la présentation des auteurs reposait sur un ou plusieurs intervenants, qui présentaient l'oeuvre. Portrait souvenir diffère un peu des Bonnes adresses du passé, axées autant sur les écrivains que sur les lieux où ils vécurent et ladite émission ne parlait d'ailleurs pas que des hommes et femmes de lettres, puisqu'on y trouva même Foch, le facteur Cheval et Louis Jouvet ! 

Concernant Dumas fils, l'officiant était André Roussin (1911-1976), dramaturge (comique) d'origine marseillaise, pas encore académicien à la date du documentaire. 

André ROUSSIN | Académie française 

Il était logique que Roussin, dans son propos s'intéressât davantage à l'homme de théâtre qu'au romancier. Des extraits de pièces sont d'ailleurs montrés, avec notamment Bernard Noël, qui fut le premier Vidocq de la télévision. 

Autant Roussin insiste avec raison sur les tourments de la bâtardise vécus par Dumas fils, autant il met en avant la non-postérité de l'oeuvre à l'exception de La Dame aux camélias, autant il rappelle ses amours tragiques avec Marie Duplessis, autant il affirme avec force l'aspect conservateur de ses pièces baignant dans le moralisme bourgeois... autant il finit par nous surprendre sur trois points.

Primo, Roussin rappelle que Dumas fils eut maille à partir avec la censure théâtrale, comme son père. Secundo, il déclare que Dumas fils fut aussi révolutionnaire ! L'homme se préoccupait de la question des filles perdues, de mauvaise vie ou moeurs et défendait leur cause. De même, son illégitimité lui inspira les pièce Le Fils naturel, créée en janvier 1858 et Le Père prodigue (novembre 1859), se faisant le défenseur de ceux que l'on méprisait tant, les bâtards. 

Enfin, troisième point, qui me surprit le plus : Alexandre Dumas fils fut un prophète des guerres futures, tout comme Robida et H-G Wells et davantage que son contemporain Jules Verne ! S'ensuit dans le documentaire la lecture d'un texte étonnant de notre écrivain, sur fond d'images d'archives hallucinantes mêlant la seconde guerre mondiale, la bombe atomique et peut-être la guerre de Corée (aucune source n'est citée de ce montage, déontologie zéro !).

 

Alexandre Dumas fils eut une vie sentimentale agitée. Mariée deux fois, ayant alterné enfants naturels et enfants légitimes (des filles), il attendit d'être devenu veuf de sa première épouse, Nadejda de Knorring,

 Nadejda de Knorring, épouse de Dumas fils.

elle-même une ex-maîtresse, pour se remarier avec son amante Henriette Escalier, le 26 juin 1895. Cette union ne dura pas davantage que celle de Balzac avec Madame Hanska, puisque notre auteur mourut dès le 27 novembre 1895, à l'âge de 71 ans.

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Lucide, Dumas fils pressentit que ses écrits sombreraient dans le purgatoire commun à tous les écrivains après leur mort. Dans les années 1960, Portrait souvenir affirmait qu'André Gide lui-même n'avait pas échappé à ce purgatoire. 


Prochainement : la réception de Pascal Ory à l'Académie française : YouTube et ActuaBD seuls ? 

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samedi 24 septembre 2022

Café littéraire : Le Pingouin, d'Andrei Kourkov.

Le Pingouin, d'Andrei Kourkov

Présentation par Dominique Jules

Théorie et pratique du complot

Andreï Kourkov Le Pingouin. 1996

 

Amazon.fr - Le Pingouin - Kourkov, Andreï, Amargier, Nathalie - Livres

On sait qu’une intrigue policière peut servir de cadre et de prétexte à une analyse critique de la société.
 Le Pingouin en est un exemple. Même si aucun des personnages n’est en charge d’une enquête, nous sommes bien en présence d’une sorte de polar, ou de thriller - pour parler bon français -

L’auteur est ukrainien, né en 1961 en Russie. C’était l’époque de l’Union soviétique, composée d’une dizaine de nations soviétisées qui ont retrouvé leur indépendance il y une trentaine d’années.

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 L’action se situe quelques années après ce qu’il est convenu de nommer « l’éclatement » de l’URSS.
L’une des conséquences de ce semblant de démocratie retrouvée (mais si longtemps négligée dans les actes), c’est que le pays se retrouve vite gangrené par la corruption, sans que l’exercice du pouvoir se soit affranchi des méthodes expéditives précédentes.

Parler de ce livre n’est pas facile sans trop en dire ou déflorer son charme.

Il y a bien un pingouin dans ce roman. Un vrai. Si ce n’est pas le personnage principal, c’est indéniablement le plus sympathique de tous. Il s’appelle Micha, mais n’est pas le seul à porter ce nom. Il adore les bains dans le Dniepr glacé,

Illustration

 le fleuve qui traverse Kiev, où son propriétaire l’emmène parfois se tremper. 

 2007.05.19. Andriy Kurkov by Kubik.jpg

Le protagoniste, Victor (« vainqueur » en latin), porte bien mal son nom. Il tient au contraire de l’antihéros. Écrivain sans succès, il ne parvient pas à placer ses nouvelles, dont tout porte à croire qu’elles ne manifestent pas un talent littéraire éclatant. En revanche il fait preuve d’une compétence appréciée par le rédacteur en chef d’un journal qui le charge au début du roman (il faut bien manger) de rédiger à l’avance des notices nécrologiques anticipant la disparation de personnalités du monde artistique, politique, ou de la nuit. Victor se met à alimenter abondamment la rubrique de ce que le quotidien appelle les « petites croix ».

Description de cette image, également commentée ci-après

C’est un usage journalistique qui existe partout dans le monde. Les responsables de la presse écrite, parlée, télévisuelle tiennent tout prêts des articles ou reportages sur des notabilités qui ont le mauvais goût d’arriver à un âge où la mort rode. Ils sont conçus en prévision du décès envisageable à plus ou moins court terme de ces personnalités connues. Par conscience professionnelle, évidemment !

Or  il se trouve que le travail rédactionnel de Victor, bien rémunéré, est fort profitable à son patron, car les décès des hommes et des femmes sur lesquels il écrit surviennent dans un laps de temps relativement succinct. Coïncidences ?

Concomitamment,  l’univers solitaire de Victor se peuple au gré d’aléas, de circonstances et de rencontres impromptues, au point que son existence de célibataire vire quasiment à la vie familiale. Il ne s’en plaint pas.

L’Ukraine où se déroule l’action du Pingouin est un drôle de pays, où il se passe de drôles de choses. Le ton mi-figue, mi-raisin qu’adopte Andréï Kourkov voile quelque peu le contexte somme toute tragique de l’aventure de Victor, vite dépassé par les événements qu’il déclenche malgré lui, au point qu’une menace vient bientôt peser sur sa vie, qui avait pourtant pris un tour avantageux.

Heureusement, pour contrebalancer ce tableau sombre, il y a le pingouin Micha, la petite Sonia qu’on lui confie, et Nina, sa baby-sitter. Leurs existences innocentes contrastent avec les parcours d’individus peu recommandables et sans vergogne, dont chaque action visible semble masquer des motifs invisibles.

Le dénouement inattendu fera envie à beaucoup, en ces temps de canicule.

 

Dominique Jules.

 

Prochainement : ces écrivains dont la France ne veut plus volet 41 : Alexandre Dumas Fils.