Le Pingouin, d'Andrei Kourkov
Présentation par Dominique Jules
Théorie et pratique du complot
Andreï Kourkov Le Pingouin. 1996
On sait qu’une intrigue policière
peut servir de cadre et de prétexte à une analyse critique de la société.
Le Pingouin en est un exemple. Même si
aucun des personnages n’est en charge d’une enquête, nous sommes bien en
présence d’une sorte de polar, ou de thriller - pour parler bon français -
L’auteur est ukrainien, né en 1961 en Russie. C’était l’époque de l’Union soviétique, composée d’une dizaine de nations soviétisées qui ont retrouvé leur indépendance il y une trentaine d’années.
L’action se situe quelques années
après ce qu’il est convenu de nommer « l’éclatement » de l’URSS.
L’une des conséquences de ce semblant de démocratie retrouvée (mais si
longtemps négligée dans les actes), c’est que le pays se retrouve vite gangrené
par la corruption, sans que l’exercice du pouvoir se soit affranchi des
méthodes expéditives précédentes.
Parler de ce livre n’est pas facile sans trop en dire ou déflorer son charme.
Il y a bien un pingouin dans ce roman. Un vrai. Si ce n’est pas le personnage principal, c’est indéniablement le plus sympathique de tous. Il s’appelle Micha, mais n’est pas le seul à porter ce nom. Il adore les bains dans le Dniepr glacé,
le fleuve qui traverse Kiev, où son propriétaire l’emmène parfois se tremper.
Le protagoniste, Victor (« vainqueur » en latin), porte bien mal son nom. Il tient au contraire de l’antihéros. Écrivain sans succès, il ne parvient pas à placer ses nouvelles, dont tout porte à croire qu’elles ne manifestent pas un talent littéraire éclatant. En revanche il fait preuve d’une compétence appréciée par le rédacteur en chef d’un journal qui le charge au début du roman (il faut bien manger) de rédiger à l’avance des notices nécrologiques anticipant la disparation de personnalités du monde artistique, politique, ou de la nuit. Victor se met à alimenter abondamment la rubrique de ce que le quotidien appelle les « petites croix ».
C’est un usage journalistique qui existe partout dans le monde. Les responsables de la presse écrite, parlée, télévisuelle tiennent tout prêts des articles ou reportages sur des notabilités qui ont le mauvais goût d’arriver à un âge où la mort rode. Ils sont conçus en prévision du décès envisageable à plus ou moins court terme de ces personnalités connues. Par conscience professionnelle, évidemment !
Or il se trouve que le travail rédactionnel de Victor, bien rémunéré, est fort profitable à son patron, car les décès des hommes et des femmes sur lesquels il écrit surviennent dans un laps de temps relativement succinct. Coïncidences ?
Concomitamment, l’univers solitaire de Victor se peuple au gré d’aléas, de circonstances et de rencontres impromptues, au point que son existence de célibataire vire quasiment à la vie familiale. Il ne s’en plaint pas.
L’Ukraine où se déroule l’action du Pingouin est un drôle de pays, où il se passe de drôles de choses. Le ton mi-figue, mi-raisin qu’adopte Andréï Kourkov voile quelque peu le contexte somme toute tragique de l’aventure de Victor, vite dépassé par les événements qu’il déclenche malgré lui, au point qu’une menace vient bientôt peser sur sa vie, qui avait pourtant pris un tour avantageux.
Heureusement, pour contrebalancer ce tableau sombre, il y a le pingouin Micha, la petite Sonia qu’on lui confie, et Nina, sa baby-sitter. Leurs existences innocentes contrastent avec les parcours d’individus peu recommandables et sans vergogne, dont chaque action visible semble masquer des motifs invisibles.
Le dénouement inattendu fera envie à beaucoup, en ces temps de canicule.
Dominique Jules.
Prochainement : ces écrivains dont la France ne veut plus volet 41 : Alexandre Dumas Fils.
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