Enfant, vous avez pris un oiseau dans un champ,
Et vous voilà joyeux, et vous criez victoire ;
Et le pauvre petit dans une cage noire,
Se plaint, et vous prenez sa plainte pour un chant.(Alexandre Dumas fils : L'Oiseau prisonnier)
Il n'est pas bon en littérature de ne survivre dans la mémoire humaine qu'en raison d'un seul ouvrage. Alexandre Dumas fils (1824-1895) appartient à cette catégorie d'écrivains dont on ne lit plus guère et ne cite plus rien d'autre que La Dame aux camélias, à cause peut-être de sa postérité lyrique. Le fils de l'immortel auteur des Trois Mousquetaires n'a plus la moindre chance qu'on le redécouvre au XXIe siècle, tant le discrédit littéraire semble peser sur son oeuvre. Inutile donc de trouver en poche autre chose que cette sempiternelle Dame phtisique, hautement inspirée de la courtisane Marie Duplessis (1824-1847), devenue Marguerite Gautier sous la plume - que je trouve peu sapide - de Dumas fils car son oeuvre n'atteint pas le niveau du Nana de Zola, c'est indéniable.
A quoi bon m'acharner sur un auteur déchu, casser du sucre sans trêve sur sa vieille carcasse ? Si Dumas fils vous intéresse à ce point-là, rien ne vous empêche de visionner le vieux Portrait souvenir que la télévision consacra à cet écrivain, vidéo trouvable sur Madelen, moyennant un abonnement peu prohibitif.
Ce serait un truisme, une évidence, de déclarer que l'oeuvre de l'enfant de Catherine Laure Labay (1793-1868) et du grand Dumas fut plus variée qu'on ne le croit communément. Romancier, dramaturge, mais aussi poète, il eut même l'honneur d'être le dédicataire de Jules Verne dont Mathias Sandorf est un Monte-Cristo balkanique !
Ce serait aussi une solution de facilité de ma part de vous encourager à lire Les Trois Dumas d'André Maurois, ouvrage certes daté (1957) et désormais introuvable en commerce, mais qui permet une première approche des Dumas sur trois générations. Il est amusant de savoir que l'article critique du Monde publié lors de la sortie du livre, signé de la plume d'Emile Henriot, lui-même académicien, est disponible en ligne quoique payant. Echange de bons procédés entre habits verts ?
Soyons professoral et insistons : Dumas fils, enfant naturel en quête de reconnaissance, moraliste conservateur dont la notoriété - surfaite ? - permit son élection à l'Académie française, comme si au fond, les immortels avaient eu l'impression de se racheter une conduite, de réparer l'erreur de l'ignorance du père en permettant au fils de rejoindre leur docte compagnie ! Dumas fils, déjà délaissé au XXe siècle, dont, mis à part le documentaire précité et deux versions de l'incontournable Dame aux Camélias (dont la plus ancienne est présentée par Marcel Pagnol !), n'est présent sur Madelen que par le biais d'une courte pièce de 48 minutes filmée en 1964 avec les acteurs de la Comédie française, Une visite de noces, avec tout de même François Chaumette et Jacques Toja dans la distribution !
En parallèle, en 1961, la RTF, ancêtre de l'ORTF, diffusa ce qui est à ma connaissance l'unique documentaire de la télévision française consacré à Dumas fils. Le principe de Portrait souvenir de Roger Stéphane, sorte de série de monographies littéraires filmées autour des écrivains entre le XVIIe et le XXe siècle, était que la présentation des auteurs reposait sur un ou plusieurs intervenants, qui présentaient l'oeuvre. Portrait souvenir diffère un peu des Bonnes adresses du passé, axées autant sur les écrivains que sur les lieux où ils vécurent et ladite émission ne parlait d'ailleurs pas que des hommes et femmes de lettres, puisqu'on y trouva même Foch, le facteur Cheval et Louis Jouvet !
Concernant Dumas fils, l'officiant était André Roussin (1911-1976), dramaturge (comique) d'origine marseillaise, pas encore académicien à la date du documentaire.
Il était logique que Roussin, dans son propos s'intéressât davantage à l'homme de théâtre qu'au romancier. Des extraits de pièces sont d'ailleurs montrés, avec notamment Bernard Noël, qui fut le premier Vidocq de la télévision.
Autant Roussin insiste avec raison sur les tourments de la bâtardise vécus par Dumas fils, autant il met en avant la non-postérité de l'oeuvre à l'exception de La Dame aux camélias, autant il rappelle ses amours tragiques avec Marie Duplessis, autant il affirme avec force l'aspect conservateur de ses pièces baignant dans le moralisme bourgeois... autant il finit par nous surprendre sur trois points.
Primo, Roussin rappelle que Dumas fils eut maille à partir avec la censure théâtrale, comme son père. Secundo, il déclare que Dumas fils fut aussi révolutionnaire ! L'homme se préoccupait de la question des filles perdues, de mauvaise vie ou moeurs et défendait leur cause. De même, son illégitimité lui inspira les pièce Le Fils naturel, créée en janvier 1858 et Le Père prodigue (novembre 1859), se faisant le défenseur de ceux que l'on méprisait tant, les bâtards.
Enfin, troisième point, qui me surprit le plus : Alexandre Dumas fils fut un prophète des guerres futures, tout comme Robida et H-G Wells et davantage que son contemporain Jules Verne ! S'ensuit dans le documentaire la lecture d'un texte étonnant de notre écrivain, sur fond d'images d'archives hallucinantes mêlant la seconde guerre mondiale, la bombe atomique et peut-être la guerre de Corée (aucune source n'est citée de ce montage, déontologie zéro !).
Alexandre Dumas fils eut une vie sentimentale agitée. Mariée deux fois, ayant alterné enfants naturels et enfants légitimes (des filles), il attendit d'être devenu veuf de sa première épouse, Nadejda de Knorring,
elle-même une ex-maîtresse, pour se remarier avec son amante Henriette Escalier, le 26 juin 1895. Cette union ne dura pas davantage que celle de Balzac avec Madame Hanska, puisque notre auteur mourut dès le 27 novembre 1895, à l'âge de 71 ans.
Lucide, Dumas fils pressentit que ses écrits sombreraient dans le purgatoire commun à tous les écrivains après leur mort. Dans les années 1960, Portrait souvenir affirmait qu'André Gide lui-même n'avait pas échappé à ce purgatoire.
Prochainement : la réception de Pascal Ory à l'Académie française : YouTube et ActuaBD seuls ?
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