jeudi 12 juillet 2018

Alan Bridges, cinéaste maudit ?

Je souhaite débuter ce texte par des préliminaires iconographiques. Il s'agira d'une comparaison entre deux affiches de films. Cela certes déjà été fait en 1990, et je dois confesser que c'est cette même comparaison, parue alors dans le mensuel de cinéma Première, qui m'imposa d'acquérir la VHS de l'unique film d'Alan Bridges que j'ai pu voir à ce jour : La Méprise  (The Hireling) (1973) palme d'or ex-aequo avec L'Epouvantail de Jerry Schatzberg. La cassette du film d'Alan Bridges parut d'ailleurs dans une collection consacrée aux palmes d'or chez un éditeur aujourd'hui disparu : Fil à Film, qui déposa le bilan en 1993. 
Première effectua un rapprochement entre l'affiche de  La Méprise et celle de Miss Daisy et son chauffeur de Bruce Beresford, qui venait de sortir en salles, leur trouvant une similitude troublante.
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Ce qui unit les deux affiches, c'est le rétroviseur intérieur, sinon, les différences sautent aux yeux.
Né le 28 septembre 1927 à Liverpool, comédien de formation à la prestigieuse Royal Academy of Dramatic Art (RADA), d'où sortit, par exemple, un de ses contemporains tout autant décrié par la critique française, Richard Attenborough (1923-2014), mais aussi scénariste et enfin réalisateur, y compris de téléfilms (ce qui n'est pas selon moi, déshonorant), Alan Bridges fut un enterré vivant du cinéma, notamment dans l'Hexagone. Il fut promptement occulté par les nécrologies françaises, notamment celles du Monde quand il passa de vie à trépas le 7 décembre 2013. On le considéra comme un sous James Ivory d'un académisme puant. On voua aux gémonies sa palme d'or usurpée, imméritée... On comprend la raison pour laquelle l'intégralité de la filmographie d'Alan Bridges demeure invisible à la télévision.
Je me contenterai d'une liste succincte d'oeuvres, excluant les créations télévisuelles de l'intéressé (dont une adaptation des Misérables remontant à 1967, contemporaine des Habits noirs de l'ORTF, qui firent autant date que Rocambole trois ans auparavant). On constatera à cette liste que les réalisations d'Alan Bridges furent peu abondantes (moins que celles de James Ivory, auquel on peut le comparer) et qu'il jeta précocement l'éponge, peu après le sabordage de La partie de chasse. La liste de la base de données du site IMDb s'avère plus complète que celles fournies par les articles anglais et français de Wikipedia. Il est intéressant de noter que Frank Finlay interpréta Jean Valjean dans les misérables. Après deux galops d'essai avec un polar Act of murder (1964) et une série B de science-fiction, Invasion en 1965, Alan Bridges continua de se vouer essentiellement à la télévision, où il officiait depuis 1961 dans des séries (parfois en tant qu'auteur d'un seul épisode) et des adaptations littéraires en costume dont je ne puis juger de la qualité, vu qu'elles sont tout aussi invisibles que le reste. Act of murder semble être une exploitation en salles de l'épisode des adaptations d'Edgar Wallace qu'il tourna. On peut considérer La Méprise en 1973 comme le premier film de cinéma sérieux d'Alan Bridges, bénéficiant d'emblée d'une sélection cannoise. Malheureusement, ce film ne sera suivi que de cinq autres :
- Out of season (1975) ;
-  Age of innocence (1977) ;
- La petite fille en velours bleu (1978) ;
- Le retour du soldat (1982) ;
- La partie de chasse (1985).
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Un dernier projet, Apt pupil (une adaptation de Stephen King ! ) fut abandonné.
De fait, peut-être que le désintérêt français envers Alan Briges peut s'expliquer par le mépris exprimé envers celles et ceux qui oeuvrent avant tout en tant que "téléastes".
Qu'en est-il à la parfin de cette fameuse Méprise  dont désormais tout le monde se gausse ?  Il s'agit d'une adaptation littéraire d'un roman de Leslie Poles Hartley (1895-1972), inconnu au bataillon chez nous. Il est amusant de savoir qu'un autre de ses romans, The Go-Between (Le Messager) fut adapté deux ans auparavant par Joseph Losey et reçut également la palme d'or... De là à faire de cet auteur une machine à palmes... Adonc, nous avons Lady Franklin (Sarah Miles), une aristo veuve et dépressive, dans les années 1920-1930 et son chauffeur de maître à la Rolls superbe, Steven Lebdetter (le fameux Robert Shaw, décédé prématurément à la fin des années 1970). Il y a les rapports maître-serviteur, le fossé social d'un monde anglais so british et archi hiérarchisé et corseté, les non-dits amoureux (le chauffeur aime sa maîtresse mais ne peut assouvir cet amour impossible du fait de sa naissance humble), la névrose etc. Un monde d'après première guerre mondiale, d'avant l'Etat Providence, encore sous l'emprise des pesanteurs victoriennes qui commencent toutefois à se fissurer timidement. La Méprise est un film d'atmosphère, d'ambiance, de non-dits, de silence, de sentiments inavouables. Steven est un mâle, une brute au coeur tendre, un ancien boxeur (une séquence géniale de noble art vaut le détour dans ce film remarquable désormais ignoré pourtant digne du meilleur Ivory). Lady Franklin doit se remarier avec un officier : elle repousse les avances de Steven, fossé de classe oblige. Le chauffeur préfère noyer sa déception dans l'alcool et choisit le suicide symbolique et lourd de sens de la Rolls qu'il fracasse contre un mur, détruisant du même coup le garage. Tout cela a fait un film injustement oublié et invisible...
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Il me faut à présent évoquer, même sommairement, puisque je n'ai jamais pu les voir, les autres films d'Alan Bridges. Parlons d'abord de La Petite Fille en Velours bleu, invisible à la télé française depuis 1982. Je confesse ne pas avoir regardé ce long métrage à l'occasion de son unique diffusion télévisée hexagonale, ayant considéré qu'il s'agissait là d'une oeuvre ennuyeuse et culturellement pointue, au rythme lent, plus pointue d'ailleurs que les programmes actuels d'une Arte de plus en plus surfaite par rapport à sa conception originelle... La Petite Fille en Velours bleu appartient, par sa thématique centrale, à cette catégorie de films maudits condamnés à l'invisibilité, comme Tessa la nymphe au coeur fidèle avec Joan Fontaine.
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L'atmosphère du film rappelle quelque peu Stefan Zweig. Ce long métrage consacré aux amours interdites entre un homme mûr et une adolescente dans un contexte de Mitteleuropa est sans doute définitivement confiné dans l'enfer du 7e art. Il obtiendra peut-être un jour le qualificatif de "film perdu", si l'on ne fait rien à son sujet... La présence d'interprètes aussi illustres que Michel Piccoli et Claudia Cardinale ne change aucunement la donne.
J'abandonne à regret cette Petite Fille à son triste sort (ou destin) d'opus déchu pour me consacrer à l'évocation de l'ultime rôle de James Mason, à savoir cette fameuse Partie de Chasse tout autant oubliée...
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Il s'agit d'un requiem pathétique, d'un chant funèbre filmique, de funérailles d'une société condamnée à la veille du premier conflit mondial. Cette dimension, digne de James Ivory, ne fut perçue ni par les critiques, ni par les distributeurs, qui réduisirent La Partie de Chasse à une scandaleuse confidentialité, condamnant ce long métrage à l'impossibilité de toute diffusion à la télévision française. Je n'ai pu en visionner que quelques rares extraits en version originale non sous-titrée sur la Toile... La qualité classique était au rendez-vous, à ce que je pus en juger, comme pour La Méprise avec laquelle le cinéaste renouait en quelque sorte, écho nostalgique d'une carrière fichue...
Cependant, j'approche du terme de mon discours, de mon panégyrique, et j'exclus de celui-ci les fictions inédites chez nous de cet auteur méprisé et oublié. Alan Bridges n'est pas le seul réalisateur, loin s'en faut, à ne pas avoir eu droit à la moindre ligne nécrologique dans Le Monde. Ce mois même, Moshe Mizrahi, qui fut pourtant honoré de l'oscar du meilleur film étranger en 1978 pour La Vie devant soi, vient d'en faire l'amère expérience posthume.
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Sic transit gloria mundi...

Prochainement : retour de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus avec un décédé tout récent : Claude Seignolle.
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