mardi 6 juin 2017

Ces écrivains dont la France ne veut plus 19 : Patrice de La Tour du Pin.

La culture, c'est ce qui demeure dans l'homme lorsqu'il a tout oublié. (Edouard Herriot)

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Le Français a le coeur à gauche, mais le portefeuille à droite. (Anatole de Monzie)

Chaque fois qu'un critique de film voue aux gémonies une oeuvre sérieuse, pour ne pas dire pédagogiquement indispensable, je n'ai plus qu'une envie : me venger en lui infligeant, ligoté sur une chaise, la torture de la diffusion en boucle, des heures durant des bandes-annonces des comédies italiennes grivoises et déshabillées des années 1970-1980 et notamment des navets d'Aldo Maccione. Ainsi, il apprendra ce qu'est vraiment un mauvais film. (Réflexion de Moa) 

On ne peut que difficilement pleurer des personnes défuntes ou des animaux et des plantes disparus lorsqu'on ne les a ni vus, ni connus, lorsqu' a fortiori, on n'en possède aucune image fixe ou mobile propre à en entretenir le souvenir. (un philosophe anonyme contemporain) 

Patrice de La Tour du Pin (Paris - 16 mars 1911 ; Paris - 28 octobre 1975). Encore un de ces poètes dont on parle peu, ou fort discrètement, bien qu'il appartienne tout entier à la poésie du XXe siècle.


https://www.babelio.com/users/AVT_Patrice-de-La-Tour-Du-Pin_796.png
Il descendait de Condorcet par sa mère et du chef protestant René de La Tour du Pin Gouvernet par son père. Celui-ci, François de La Tour du Pin, lieutenant au 298e régiment d'infanterie, mourut dès le début de la première guerre mondiale, à la bataille de La Marne. Patrice, sa soeur et son frère aîné, furent élevés par leur mère et leur grand-mère entre Paris et Bignon-Mirabeau, dans le Gâtinais.
Patrice de La Tour du Pin fut un poète catholique discret. Sans doute est-ce là une des raisons pour lesquelles il intéresse peu. Nous avons déjà pu constater dans cette série d'articles le nombre des écrivains catholiques et communistes délaissés par l'époque actuelle.
De l'oeuvre poétique de Patrice de  La Tour du Pin, je confesse ne rien connaître, parce qu'il n'était jamais au programme, parce qu'on ne me le donnait pas à étudier, lire, apprécier. Peut-être eût-il fallu que je suivisse mes études secondaires dans un établissement privé ? J'assure cette tribune au nom d'un écrivain français très peu médiatisé, comme le furent Pierre Emmanuel ou Guillevic, dont les morts n'intéressèrent personne en 1984 et 1997. Les vidéos d'archives de l'ORTF consacrées à notre poète et conservées par l'Ina dans l'émission remarquable "Archives du XXe siècle" ne sont accessibles qu'aux professionnels sur Ina media pro !
Le site "Recours au Poème" se permet cette brève citation constituant les deux premiers vers de Quête de Joie afin de démontrer le génie et la précocité (il a moins de vingt ans) de Patrice de La Tour du Pin :

Tous les pays qui n'ont plus de légendes
Seront condamnés à mourir de froid.


Est-ce là une prescience, une prémonition de la glaciation culturelle qui nous menace, ou une simple observation de bon sens, à moins qu'on n'interprète ces vers dans un mauvais sens, leur accordant une signification réactionnaire ? Il s'agit là d'un malentendu, et je préfère poursuivre mon exposé. C'est à compte d'auteur, en 1933, que notre  Quête de Joie fut publiée en 1933. Toute sa vie, Patrice de La Tour du Pin se montra résolument comme un écrivain discret, non médiatique (ce qui dessert peut-être sa réputation posthume en un monde contemporain régi par la société du spectacle étudiée et dénoncée par Guy Debord, monde où seule compte l'exposition de soi, de l'image de soi, dans les médias et les réseaux sociaux : ceci est de l'exhibition égoïste). La télévision française d'autrefois fut sans doute un support et vecteur idéal pour mieux le connaître, le cerner, du temps où le service public signifiait quelque chose. Et il est à craindre que l'accessibilité à la poésie de Patrice de La Tour du Pin, que la disponibilité de ses ouvrages, s'acheminent vers un tarissement, ce qui, immanquablement, le fera tomber dans le domaine de la littérature orpheline, au moment où le Conseil d'Etat, par une décision quelque peu absurde, vient de couper court au rêve de l'entreprise ReLire, tandis qu'aux Etats-Unis, Google a reçu l'aval en 2016 de la Cour Suprême pour numériser et publier sans autorisation des auteurs et ayants droit toute la littérature existante non tombée dans le domaine public !
Lectrices et lecteurs, il vous suffit d'effectuer une petite visite sur le site Gallimard, détenteur des droits sur les recueils de Patrice de La Tour du Pin pour dresser un constat amer : la plupart de ces recueils ont été édités du vivant de l'écrivain, et peu ont bénéficié de réimpressions récentes : le dernier "effort", si on peut l'écrire, remonte à 2010-2011, à l'occasion de son centenaire, au profit d'une anthologie de la collection blanche forcément partielle et fragmentaire... Imaginez Victor Hugo indisponible et réduit à Toute la Lyre, qui fut une parution posthume des années 1888-1893. Vous vous ferez ainsi l'idée de ce qui se passe au XXIe siècle pour Patrice de La Tour du Pin.
Mais revenons aux poèmes eux-mêmes... Par exemple Amphise, cité en intégralité sur le site "Recours au Poème" :

Je sortais de moi lentement,
Je fus pris dans un beau vent souple
Chaud comme un naseau de jument
Et velouté comme sa croupe.
Et tous les regards forestiers,
Perles de givre dans les branches
Ou tapis comme les pervenches
Me regardaient qui m'éloignais.
Ils m'en voulaient de cette fuite,
Car j'abandonnais ma forêt
Intime et sourcilleuse et triste
Pour un beau vent bien moins secret.
Ils me reprochaient mon envol,
Leurs yeux me perçaient durement,
Mais le vent baissa jusqu'au sol
Et moi j'ai enfourché le vent...


Je ne vous offre là qu'un extrait toutefois suffisant pour pouvoir juger l'art de Patrice de la Tour du Pin.  Il y a aussi Enfants de septembre, dédié à Jules Supervielle :

Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluie et silencieux ;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace


J'avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu'ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.


Il est vrai qu'au commencement des années 1930, Supevielle fut le mentor de La Tour du Pin et contribua à le faire publier et connaître...

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0a/JulesSupervielle.jpg

Mais  lit-on encore Supervielle de nos jours ?
Wikipedia reproduit la liste suivante d'oeuvres :


D'un aventurier. Poème, éditions de Mirages, Tunis. 1934.
Psaumes, Paris, Gallimard, 1938,
La Quête de Joie, Paris, Gallimard 1939,
Une somme de poésie, Paris, Gallimard, 1946
La Contemplation errante, Paris, Gallimard, 1948
L’Enfer, avec des lithographies d’Élie Grekoff, Paris, Éditions de Cluny 1949,
Le Second Jeu (Une somme de poésie, II), Paris, Gallimard, 1959,
Petit théâtre crépusculaire (Une somme de poésie, III) Paris, Gallimard, 1963,
Petite somme de poésie, Paris, Gallimard, 1967,
Une lutte pour la vie, Paris, Gallimard, 1970,
Psaumes de tous mes temps, Paris, Gallimard, 1974,
Une somme de poésie, Paris, Gallimard, 1981 (trois volumes : Tome I  : Le Jeu de l'homme en lui-même, Tome II : Le Jeu de l'homme devant les autres (1982), Tome III : Le Jeu de l'homme devant Dieu (1983)).

«Notre base n'est pas la poésie, notre base est l'homme… Que deviendrait le chant loin des hommes, que signifie le plan propre à la poésie ? à quoi sert-il de s'aventurer sur le prétendu plan de l'art pur, sinon pour acquérir certaines richesses techniques et pour explorer sans vraiment coloniser ? que veut dire cette pureté ? Vous qualifiez les domaines avec des termes qui ne conviennent qu'aux âmes ; et l'amour inclinera vers le froid… Quoi que vous fassiez dans votre œuvre, vous vous faites vous-mêmes. Vous avez tracé des allées intérieures où vous vous êtes engagés… Quoi que vous fassiez, vous aurez appliqué ces heures de votre vie, vous aurez nuancé votre éternel…»

 http://site-catholique.fr/public/images/saint/Patrice-de-La-Tour-du-Pin.jpg

Ainsi s’exprimait Patrice de La Tour du Pin au sujet de son art. Alors se pose la question couplée : qu'est-ce qu'un poète majeur ; qu'est-ce qu'un poète mineur ? L'appréciation est subjective et diffère d'un individu à l'autre. Patrice de La Tour du Pin paie-t-il son engagement catholique, chrétien, comme Pierre Emmanuel ?   Cependant, nous est imposé d'en-haut, par les spécialistes et l'Education Nationale le florilège de celles et ceux jugé(e)s d'importance dans l'Histoire de la littérature. Ah, ces sacro-saints programmes scolaires et écrivains du bac, ces figures imposées laissant la place à peu de femmes !  Après Yves Bonnefoy,
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 aucun nom de poète ne vient spontanément aux lèvres du public (le public cultivé, cela va de soi, ce qui réduit encore plus notre panel s'il s'agissait d'établir des statistiques de notoriété), a fortiori aucun nom de poète vivant. Bonnefoy lui-même n'a jamais pu franchir le Rubicon du prix Nobel de littérature, bien qu'il fût longtemps demeuré sur la liste d'attente où l'on finit par l'en retirer en ses dernières années.  La poésie traverserait-elle le même désert qu'au XVIIIe siècle qui la malmena fort ? Qui se soucie encore de Lebrun-Pindare, de Parny,
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 de Delille, de Ducis, tous contemporains de la fin de l'Ancien Régime et de la Révolution ? Or, ils furent des célébrités en leur temps. La notoriété posthume d'un poète, d'un auteur, ne se mesure pas à ses ventes, à sa présence médiatique. Nos actuelles Annie Ernaux, Maylis de Kérangal, Amélie Nothomb et autre Delphine de Vigan sans omettre Virginie Despentes ne risquent-elles pas un effacement post-mortem ? Leur sort ne sera-t-il pas celui de Paul Bourget ? Seul l'avenir juge et effectue le tri...

Prochainement : l'agonie silencieuse des cirques à l'ancienne (à l'heure où le cirque Plume jette hélas l'éponge).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/78/Cirque_Plume_-_img_46173.jpg/280px-Cirque_Plume_-_img_46173.jpg
   
 

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