samedi 10 décembre 2016

Ces écrivains dont la France ne veut plus 16 : Julien Green.

L'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan au détriment de Joyce Carol Oates ou Philip Roth, c'est comme, au XIXe siècle, l'élection de l'obscur et médiocre Clapisson à l'Académie des Beaux-Arts en lieu et place de Berlioz. (observation sagace et acerbe de Moa)
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/ee/Hector_Berlioz_Crop.jpg/220px-Hector_Berlioz_Crop.jpg

Julien Green (alias Julian Hartridge Green : Paris 6 septembre 1900 - Paris : 13 août 1998) : ceci en bref, afin de débuter à la manière de ces bons vieux documentaires littéraires quelque peu laconiques en noir et blanc, comme les tournait Claude Santelli (je songe ici aux Cent Livres). Auteur autrefois suffisamment célèbre pour qu'il entrât de son vivant dans La Pléiade avant qu'on cessât presque de le lire.
 http://www.babelio.com/users/AVT_Julien-Green_8818.jpeg
Julien Green, tourmenté, tiraillé à la fois par sa foi catholique, son homosexualité et ses origines sudistes du côté maternel.
Julien Green... fameux diariste du XXe siècle, comme le fut avant lui Paul Léautaud en son Journal littéraire (lorsqu'il ne s'agissait pas de son Journal particulier de telle ou telle année, à ne pas mettre entre toutes les mains).
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a1/Leautaud_1915.jpg/220px-Leautaud_1915.jpg
Julien Green... successeur de François Mauriac à l'Académie française en 1971. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/Fran%C3%A7ois_Mauriac_acad%C3%A9micien_1933.jpg/170px-Fran%C3%A7ois_Mauriac_acad%C3%A9micien_1933.jpg
Julien Green, romancier pessimiste, sombre, dénonciateur de l'hypocrisie, auteur reconnu de Moïra et de Léviathan qui firent date.
Bref, Julien Green, majeur autrefois, délaissé quelque peu aujourd'hui...
Julien Green pourrait passer pour un de ces forts en thème, coiffé d'une toque d'étudiant Oxbridge, du fait qu'il était parfaitement bilingue, maîtrisant le français à la perfection au point qu'il traduisit a posteriori en anglais des oeuvres préalablement écrites dans la langue de Molière. Il eut plusieurs cordes à son arc, essayiste autant que dramaturge.
Ses parents étaient établis en France depuis 1893. Converti au catholicisme à 16 ans, engagé à 17 dans le service des ambulances américaines puis à 18 dans l'artillerie, le premier conflit mondial retarda la découverte de son pays natal, qui n'intervint qu'après la démobilisation. Il ne posa les pieds aux Etats-Unis qu'à compter de septembre 1919, afin d'entreprendre des études supérieures en Virginie. Son premier livre fut d'ailleurs écrit en anglais. Revenu en France en 1922, il se lança dans la création d'ouvrages romanesques en français.
Julien Green, c'est avant tout un style, une manière. Style concis, précis, psychologique, se refusant à toute fioriture, rétif au présent de narration car viscéralement attaché à l'emploi du passé simple.
Le passé simple est chez lui le temps de l'action, du geste, tandis que le passage à l'imparfait traduit la permanence, la description, la situation durable, le volume, la topographie. Toute l'écriture de Julien Green tient à l'accomplissement inéluctable du fatum, d'une destinée. Ainsi dans Adrienne Mesurat, qui s'achève, s'accomplit par la folie, en une petite ville de province étriquée et étouffante, après une fuite éperdue, haletante, marquée par la culpabilité, par la faute, par le châtiment, la punition du péché :
Des promeneurs l'arrêtèrent un peu plus tard, comme elle dépassait les premières maisons du village voisin . Elle ne put donner ni son nom ni son adresse. Elle ne se rappelait plus rien. (p. 377 du roman dans l'édition de poche)
http://www.livredepoche.com/sites/default/files/styles/cover_book_focus/public/media/imgArticle/LGFLIVREDEPOCHE/2015/9782253001904-001-T.jpeg?itok=UmMOrUtj
Julien Green, c'est aussi une atmosphère, un climat, une consistance noire qu'il partage, par exemple dans Léviathan, en un chassé-croisé de correspondances troublantes, avec d'autres écrivains catholiques contemporains, comme François Mauriac dans Le noeud de vipères ou Daniel-Rops
 http://www.babelio.com/users/AVT_Daniel-Rops_2533.jpeg
 dans Mort où est ta victoire. Cela crée une manière d'écrire typique et indissociable de l'entre-deux-guerres, bien qu'Adrienne Mesurat semble se dérouler avant 1914 tandis que le long roman, remarquable mais hélas oublié de Rops se situe à la fin du XIXe siècle.
Avec Daniel-Rops, Julien Green partage aussi le goût pour l'histoire chrétienne : sur le tard (1983) il publia un Frère François.
Mais Julien Green, de par sa double culture, ne pouvait que se détacher à terme de l'inspiration proprement hexagonale ou provinciale, acquérant par le biais du ressourcement, une aura différente. Aussi voulut-il élargir son propos aux religions orientales, à la métempsychose avec Varouna qui brasse plusieurs siècles, tel le film de Griffith Intolérance ou encore Orlando de Virginia Woolf. Avec la trilogie Dixie (1987-1994), il retrouve ses racines maternelles sudistes, tout en optant, au-delà d'un simple calque de Margaret Mitchell,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/7e/Margaret_Mitchell_NYWTS.jpg/220px-Margaret_Mitchell_NYWTS.jpg
 sans pour autant imiter non plus tous les grands écrivains du Sud américains, en faveur d'une inspiration historico-onirique, d'atmosphère singulière, presque fantastique, à la manière des fresques costumées de Daphne du Maurier. L'étrangeté ponctue l'oeuvre de Julien Green, une étrangeté angoissante, digne du romantisme allemand, hoffmannien, que l'on retrouve dans Minuit (1936), considéré comme son plus grand chef-d'oeuvre.
Julien Green, de retour aux Etats-Unis en 1940, fut remobilisé en 1942, servant la propagande américaine à la radio.
http://www.babelio.com/users/AVT_Julien-Green_1639.jpeg
L'homme, malgré plusieurs sollicitations, s'est toujours refusé à acquérir la nationalité française, dérogeant à la règle de l'Académie qui élut en 1971 un citoyen américain... Il ne fut pas le premier immortel homosexuel, tant s'en faut, puisque le précédèrent, entre autres, Jean Cocteau, Henry de Montherlant et les sinistres Abel Bonnard et Abel Hermant, collabos notoires. De même, sa démission en 1996 ne fut pas acceptée par la docte assemblée qui préféra attendre qu'il décède avant de proclamer la vacance du fauteuil qu'il occupait.
 
La prochaine fois sera ce que je déciderai d'en faire. Toujours est-il que le dix-septième volet de ma série sera assurément consacré, début 2017, à Mme de Staël, ce qui s'impose d'office à l'occasion du bicentenaire de sa disparition.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/33/Madame_de_Sta%C3%ABl_en_Corinne_1807.jpg/220px-Madame_de_Sta%C3%ABl_en_Corinne_1807.jpg

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire