vendredi 25 novembre 2016

Leibniz sur Arte : une commémoration à la sauvette.

Par Cyber Léon Bloy.
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Je connais des clébards qui comprennent plus de mots que certains collégiens d'établissements mal famés. (Cyber Louis-Ferdinand Céline)

Bonnes gens, d'aucuns prétendraient que mieux vaut une célébration discrète, presque inexistante que point de célébration du tout. Or, selon moi, le scandale réside tout autant dans l'escamotage pur et simple que dans la projection fugitive par notre lucarne, à l'heure de Morphée, d'une émission consacrée à un philosophe germanique disparu il y a exactement trois siècles, le 14 novembre 1716 plus précisément. Jugez-en : cette commémoration est prévue à ...deux heures du matin, si tout va bien !
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Que fait-on payer à Gottfried Wilhelm Leibniz, auteur des essais de Théodicée ? Serait-ce une conséquence du procès que Voltaire lui intenta par Pangloss interposé dans son fort renommé Candide ?
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 Leibniz fut-il trop finaliste, partisan de la téléologie, pour que les partisans du hasard lui pardonnassent ce qu'ils considéraient comme des errements cuistres ? Cela expliquerait-il avec suffisance la diffusion autour des deux heures du matin d'un documentaire allemand biographique sur ledit philosophe pourtant polyglotte ? La chaîne Arte se ridiculise quelque peu en cédant à des sirènes indignes, abandonnant pièce après pièce ce qui constituait son essence de télévision culturelle. Ceci est désormais d'olim, c'est-à-dire d'autrefois, Arte n'ayant las plus guère à voir avec sa conception, sa ligne originelle faite d'exigence et d'intransigeance intellectuelle aiguë. La philosophie germanique serait-elle devenue aussi illisible que la prétendue illisibilité de la presque intégralité de la littérature française antérieure à la seconde moitié du dernier siècle écoulé ? Dans cette triste histoire, les animalcules, marmousets et kobolds de la déconstruction culturelle, de l'arasement de la pensée, essaient d'emporter une bataille de plus. Ils ne vaincront pas...
Quid de Leibniz dans tout cela ? Pour quelle raison fut-il tout de même un grand philosophe (mais aussi autre chose, puisqu'il fut un homme pluriel) ?
Leibniz s'est intéressé, à travers le concept étonnant du palais des destinées dans La Théodicée, aux mondes alternatifs, aux temps parallèles et à l'uchronie. Il est un précurseur, devançant de près de deux siècles Auguste Blanqui qui écrivit en captivité, après la Commune de 1871, l'intrigante Eternité par les astres. 
L'on débouche sur le concept de "meilleur des mondes possible", source de critique voltairienne, mais aussi d'utopie débouchant, avec Aldous Huxley sur la dystopie majeure. Plus récemment, Leibniz a inspiré, avec son palais des destinées, l'écrivain Eric Pessan, auteur d'un remarquable roman triple (je n'écrirais pas trinitaire) Cela n'arrivera jamais, publié en 2007 aux éditions du Seuil. Je vous invite à lire l'article le plus pertinent consacré à cette fiction, de la plume d'Eric Bonnargent dans le blog l'Anagnoste. Cet article, paru en 2007, analyse à la perfection l'ouvrage pluriel et multipiste d'Eric Pessan, tour à tour inspiré des univers parallèles d'Everett (théorie par ailleurs fort contestée, comme je pus le juger lorsque je questionnai à ce sujet en 2015 le grand physicien  Etienne Klein à l'occasion d'une conférence), de l'Essai de Théodicée de notre philosophe touche à tout et du Jardin des bifurcations, nouvelle de Jorge Luis Borges.
Pour Leibniz, Dieu a créé le meilleur des mondes possible car il a essayé tous les autres, toutes les alternatives, toutes les possibilités, toutes les pistes, et seul celui dans lequel nous nous mouvons est parfait. Non, répondent en choeur Voltaire, Stephen Jay Gould et Eric Pessan : qu'en est-il du hasard, de la contingence ? Eternel débat.
La cuistrerie immonde de l'ignorance de Gottfried Wilhelm Leibniz s'aggrave du fait, qu'en ne le célébrant pas, en l'ignorant sciemment, on omet la pluralité de son oeuvre, dont l'aspect scientifique n'est pas négligeable (je dirais même que son apport dans les sciences fut bien plus convaincant que celui de Descartes,

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qui se ridiculisa avec sa théorie des tourbillons, sans parler de l'animal-machine, mécanique, automate excessif, sans critiquer pour autant de ma part ce roman technique et décadent du sieur Villiers de l'Isle-Adam, qui porta aux nues un autre génie, bien plus ambigu, à savoir Thomas Edison, dont il fit le héros démiurgique, presque divinisé, hérésiarque, de l'Eve future).
A l'origine des termes de fonction et de coordonnées, de la notation du produit par les lettres a.b ou ab, Leibniz s'intéressa aux mathématiques, au point qu'une querelle célèbre survint avec Newton,
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 au sujet de la paternité de la découverte du calcul infinitésimal. Diplomate, physicien, juriste, historien, Leibniz pratiquait aussi bien le français, l'allemand que le latin. Le résumé succint quoiqu'admiratif pour ce précurseur des Lumières qu'Arte daigne nous octroyer sur son documentaire ajoute que notre philosophe, longtemps au service des Hanovre, excella aussi dans le domaine de la philologie, fut en plus logicien et bibliothécaire...
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Dois-je parler de génie, de précocité ? Si j'étais un tant soit peu un spécialiste incontesté des spéculations philosophiques de Leibniz, je pourrais gloser à loisir au sujet de la monadologie ou encore sur les Nouveaux essais sur l'entendement humain. Bien qu'ils eussent été rédigés en l'an 1704, ces derniers ne connurent qu'une publication posthume, en 1765. A propos des monades (issues de Gassendi bien que l'idée remonte à la Grèce antique), Leibniz écrit :
 « l’unité substantielle demande un être accompli, indivisible et naturellement indestructible, puisque sa notion enveloppe tout ce qui lui doit arriver, ce qu’on ne saurait trouver ni dans la figure ni dans le mouvement… Mais bien dans une âme ou forme substantielle, à l’exemple de ce que l’on appelle moi. »
Ceci rappelle bien l'âme, mais lui associer l'idée de "forme substantielle", incluant un niveau de matérialité, ressemble à un oxymore, ou une contradiction. Si ce n'est la fin de la dualité corps-esprit, cela y ressemble, d'autant plus que Leibniz introduit l'idée de différents degrés de conscience et de monades, des degrés étant inférieurs au nôtre. Cela sous-entendrait l'existence d'un niveau élémentaire de conscience, puis de degrés toujours plus élevés jusqu'à nous - conscience ascensionnelle, progressive ? - autant dans la phylogenèse (que Leibniz ne pouvait connaître vers 1700), de la bactérie à Homo sapiens que dans l'ontogenèse (concept postérieur là encore à Leibniz), de la neurula embryonnaire à l'adulte achevé. En suivant le raisonnement philosophique jusqu'à son aboutissement logique,  force est que nous admettions des consciences, des monades, supérieures à l'Homme... La monade est l'unité de base, la brique constitutive, la fondation, l'infrastructure, comme le seront l'atome pour la matière et la cellule pour la vie avant qu'on ne les dissèque... et découvre des unités cachées encore plus élémentaires tels l'ADN et le quark. On finit par baigner au sein d'une espèce de tapisserie, d'agrégat grumeleux de monades dont on pense qu'il ne s'agit bien là, adapté au stade atteint par la science en 1700 et au langage du temps de Louis XIV, que d'une sorte de pré-concept imparfait (faute de mieux), voulant expliquer les constitutifs de l'infiniment petit et de l'infiniment grand, comme par exemple les soma et germen dans le langage darwinien d'avant la génétique prétendirent expliquer le vivant et les mutations (en plus de la sélection naturelle). Rien donc de révolutionnaire dans tout cela ; il n'est question que de prescience de la part d'un génie surdoué comme Leibniz, déjà remarquable à quinze ans, ce qui est somme toute considérable : la théorie des monades se transmute de la philosophie à la science, quitte à être réfutable (ce qu'elle fut) conformément à l'épistémologie de Karl Popper, comme toute théorie scientifique limitée par son époque et moins "parfaite" que celle qui lui succéda (un comble pour un Leibniz attaché à l'idée de "meilleur des mondes possible"!). J'espère m'être bien fait comprendre : cet article ne s'adresse ni à des rustauds, ni aux adeptes candides d'un quelconque noviciat, ni à des prétentieux infatués de leur intumescence flatulente pesteuse et pédantesque. Mort aux Pangloss et à leurs épigones ou diadoques !
Or, le concept de monade me gêne, parce que je le pense d'un apport peu évident pour le commun des mortels. Mais ne méjugeons pas ce qui est ardu d'accès. Ce serait faire le jeu de ces fameux démagogues qui combattent la pensée, le savoir, la connaissance, au nom de la dénonciation de l'élitisme ou de l'hermétisme. De facto, l'existence même tardive d'un documentaire traitant de la vie de Leibniz vaut mieux, quitte à rabâcher, que l'absence intégrale de toute commémoration de Diderot sur icelle même chaîne "culturelle" voici jà trois années de cela.
Le plus inquiétant dans cette affaire peu saine, c'est - constat établi depuis un moment - le manque d'intérêt voire la répugnance de la partie française d'Arte dans l'abord de certains sujets quelque peu patrimoniaux et antérieurs à cette contemporanéité excessive qui nous ronge. A chaque fois, c'est le côté allemand de la chaîne qui courageusement traite ce dont les Français ne veulent plus. Aberration significative ces dernières semaines : saint Martin,
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 saint officiel de la monarchie mérovingienne, eut droit à une émission... produite outre-Rhin ! Pour Erik Satie, il en fut hélas de même, la culture Woodstock continuant de se tailler de ce côté-ci de la frontière gallo-teutone la part (usurpée) du lion. Le reste à l'avenant.  Mutatis mutandis - le reste n'étant que spéculation et extrapolation - je ne vois qu'un autre génie universel à rapprocher de Leibniz, quoiqu'il lui soit antérieur de deux siècles : Léonard de Vinci.
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Avec un petit effort, pour les personnes qui, par hasard, souhaiteraient connaître les oeuvres de notre précurseur même malmené des Lumières, je ne saurais trop leur conseiller d'acquérir (ou d'emprunter dans des bibliothèques qui conserveraient quelques ouvrages classiques au lieu de ceux d'anti-littérature banale) divers volumes imprimés chez Garnier Flammarion (ceci n'étant point de la réclame turpide, infâme s'adressant à quelques créatures spinales, décérébrées, de laboratoires occultes influencés par le gothique anglais) :
- Nouveaux essais sur l'entendement humain ;
- Système nouveau de la nature et de la communication des substances ;
- Discours de métaphysique ; 
- Principes de la nature et de la grâce. Monadologie ; 
- Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal. 
Dois-je vous souhaiter une bonne lecture ? Cela serait par trop cruel.

Bonnes gens, couchez-vous du sommeil du juste et n'encombrez plus vos esprits de concepts perturbateurs ! A la prochaine fois. 

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