samedi 5 mars 2016

Henry James : un centenaire nécrologique boudé.

La ligne éditoriale des journaux télévisés d'Arte me paraît on ne peut plus claire : sauf éphémère sidération hexagonale au lendemain d'une montée électorale brune, cette chaîne retombe promptement dans ses vieux travers, ses vieux démons. Elle se désintéresse des exclusions sociales internes,  endogènes et intrinsèques - de celles qui nourrissent le terreau électoral du parti marinien - au profit des seules exclusions dues aux diverses altérités géographiques, sexuelles, ethniques, religieuses etc. Exclusions hexogènes, extrinsèques, que je qualifierais du néologisme personnel de xénogènes. (Le Philosophe inconnu du XXIe siècle)

La réaction, c'est la réforme. (un ultralibéral orwellien)

La faute du maître de thé est plus vénielle que celle du faux sage qui prône des principes sans commencer par les appliquer à lui-même. (maxime de Li Wu, philosophe chinois du XXVe siècle)

(...) et que vous conclussiez encore que je vous estimasse (...) (Blaise Pascal : Deuxième Discours sur la condition des Grands)
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L'atonie générale qui a présidé  à la tant attendue (et absente) commémoration du centenaire de la mort d'un des plus considérables écrivains de langue anglaise, Henry James (1843-1916) était aisément prédictible depuis le silence constaté par votre serviteur lors de la publication en 2013 de la meilleure traduction française jamais faite du roman La Coupe d'or par Jean Pavans  (éditions du Seuil), depuis réédité en poche. Autrefois, lorsque Jean Pavans, par ailleurs frère de René de Ceccatty, s'était attelé à la tâche formidable, extraordinaire, de la traduction intégrale des nouvelles de James, Le Monde lui avait consacré de conséquents et élogieux articles.
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A ce jour, seuls l'INA et les éditions de La Pléiade se sont préoccupés de ce centenaire obituaire jamesien. Rien sur Arte, natürlich. Comment ? Imaginez vous une seule attoseconde cette chaîne dite "culturelle" (elle ne l'est vraiment que le mercredi en 2e ou 3e partie de soirée et, telle la trêve de Dieu médiévale, du vendredi soir 22h30 ou 50 à l'aube du lundi, week-end bobo parigot oblige) se préoccuper de la mémoire d'un écrivain jugé trop ardu et trop bon ? Le bobo ratiocine dans l'éternel présent, enfermé en sa bulle vortex de Zardoz prête à craquer (elle se fissure de toute part depuis les attentats de janvier 2015 et encore plus depuis ceux de novembre), niant le passé, l'histoire, jusqu'à ce que le principe de réalité, qu'il soit écologique, islamiste ou fasciste le rattrape. Pour lui, l'histoire commence vers le pop art ou Woodstock 1969, au contraire du grand historien Samuel Noah Kramer (1897-1990) qui la faisait débuter à Sumer. Le bobo fait intégralement table rase de toute la culture ancienne, y compris extra occidentale : vous avez dû comme moi constater que cela fait plusieurs années qu'Arte ne traite plus du tout des expos du musée du Quai Branly qu'elle porta autrefois sur les fonts baptismaux, à l'exception de celle consacrée aux tatouages, parce que cela faisait chébran.  Je suis heureux de constater que l'analyse du sociologue Jean-Pierre Le Goff sur les bobos rejoint la mienne (il les déteste cordialement), analyse ouïe avec délice dans le 28 minutes d'Arte cette semaine (il m'arrive de suivre cette émission lorsque des grands comme Etienne Klein y sont invités ; mais lorsque elle se retrouve coincée avec des représentants de la cause LGBT ou bourgeois-bohème, je zappe automatiquement sur mon canal 99 afin de visionner un documentaire enregistré sur mon disque dur)
Bref, ce silence à peu près intégral autour d'Henry James et de ses chefs-d'oeuvre (qu'il s'agisse de romans ou de nouvelles)  laisse mal augurer de la suite en cet an de grâce 2016, suite qui a pour noms Emile Verhaeren, Shakespeare, Cervantès, Jack London ou Granados, tous grands disparus une année en 16. Faut-il s'attendre, comme pour Frédéric Mistral voici deux ans, à un abandon de ces niches écologiques que les partisans de Marine ou de Sam le Fermier, podestat d'Arausio depuis tantôt 21 années, s'empresseront de se réapproprier ? J'ai la ferme intention d'accueillir Mistral dans ma rubrique des écrivains dont la France ne veut plus.
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Pour James, impossible : il est né américain et a fini européen, britannique (il fut naturalisé moins d'un an avant sa mort, le 26 juillet 1915) ... Oublié du Prix Nobel de son vivant au profit de fausses gloires toutes ensevelies depuis à cent mètres cubes sous terre, James demeure indispensable pour tout lecteur cultivé. David Lodge, dans le fort recommandable roman L'auteur L'auteur, nous dépeignit un James déjà incompris de son vivant, jaloux des succès dramaturgiques d'Oscar Wilde, de sa facilité d'écriture, gêné par le jugement des critiques qui considéraient ses romans comme trop complexes, illisibles, ampoulés, aux phrases emberlificotées par un usage immodéré des incises ... telle La Princesse Casamassima, qui, à la fin du XIXe siècle, eut si peu de succès que je ne parviens pas à en dénicher une édition de poche récente ! Henry James, lorsqu'il dictait ses textes à sa dactylo, éprouvait du mal à ce qu'elle le comprît.
Si James intéresse si peu nos a-médias, a fortiori, j'ai peine à envisager qu'ils puissent consacrer des dossiers, des articles ou des documentaires à un personnage littéraire fameux, Don Quichotte, qui par trop crut aux romans de chevalerie (François 1er aussi : il voulut faire du château de Chambord un symbole architectural chevaleresque idéalisé). Ceci dit, je trouve inadmissible qu'un mensuel de la tenue du Magazine littéraire n'ait pas consacré le mois de février 2016 à l'oeuvre d'Henry James (le thème s'imposait) tout comme en 2012, il n'avait pas consacré une seule ligne à Charles Dickens ! A la décharge de cette revue (que les anniversaires et commémorations laissent assez insensible) il y a eu tout de même en ses pages (et accessible en ligne), un article récent sur notre auteur américano-britannique : de fait il s'agit d'une brève de 278 mots Henry James, l'infatigable épistolier. Parue le 11 juin 2015, cette brève nous informait de la publication prochaine de l'intégrale de la correspondance de James par les éditions University of Nebraska Press. Intéressant, mais bien insuffisant. C'est comme si le site de la Tribune de l'Art s'était contenté de quelques lignes pour se livrer à une analyse sommaire (un résumé dirais-je) de la récente expo Elisabeth Vigée Le Brun du Grand Palais !
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Henry James vaut mieux que des résumés, des brèves. Espérons que les spécialistes français ou étrangers de son oeuvre sauront remédier dans les prochains mois à ce nouvel impair culturel gênant...
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