Par Cyber Léon Bloy
Tous les moyens sont bons pour
couler un film. (M. Barak,
professeur d’histoire contemporaine à l’université de Provence Aix-Marseille I
UV de licence Image et Histoire année
universitaire 1984-1985, à propos de la filmographie consacrée à la Commune de
1871)
Je méprise tous ces chevaliers
de Rohan prétentieux, ces bastonneurs nuisibles qui méritent qu’on les immerge
sous des abysses d’oubli. (le
Nouveau Victor Hugo)
Belle d’Amma Asante représente le type même du film
dont on a fait en sorte, intentionnellement, que personne ne sache qu’il
existait, que nul n’aille le voir. Dans le sillage de Twelve years a Slave, oscarisé depuis peu, il eût dû fonctionner,
être remarqué. Or, Belle fut la
victime d’un processus volontaire,
délibéré, de mise sous le boisseau, d’occultation médiatique complète, de
privation absolue de promotion, de marketing, d’une désinformation parfaitement
orchestrée chez nous. Dois-je parler de sabotage intégral, total ? Un film dont 99,9999∞ % des spectateurs
français ignorent l’existence n’a strictement aucune chance de faire la moindre
entrée, de se maintenir où que cela soit à l’affiche.
Belle représente le stade ultime et parfait des
entreprises de sabotage, de sabordage, effectuées par la tristement célèbre
compagnie Fox Searchlight, dirigée
d’une main de fer par le tycoon rapiat vampirique Rupert Murdock, ce grand
faiseur médiatique de marionnettes-rois, de pantins boys coolies fellahs péons et
serfs soi-disant gouvernants, fantoches tels les ultimes empereurs d’Occident
faits et défaits par les cyber Stilicon et Arbogast du XXIe siècle puisque
vidés de toute leur substance de pouvoir politique et soumis à la badine, à la
chicotte de l’ultracisme libéral d’Hayek et Friedman[1].
Dans l’indifférence totale programmée en haut lieu, Herr Murdock- à moins que cela soient les héritiers désignés de son
tout-puissant Empire ? - vient d’additionner ce naufrage filmique
brillamment instrumentalisé à son tableau de chasse qui comprend déjà Never let me go, Margaret, Stocker et
d’autres encore.
Tel Marcel Proust qui se complaisait à ce qu’un jeune homme fouettât
des rats – à moins qu’ils fussent criblés de coups d’épingle à chapeau -, Herr Murdock – ou Mister
Sacher-Murdock ? – adore ce genre particulier d’auto-flagellation
consistant en l’autodestruction de ses propres productions. De fait, il
applique jusqu’à l’absurde la loi du marché : si outre-Atlantique tel long
métrage de Fox Searchlight a mal
fonctionné, il lui est inutile de tenter un rattrapage extérieur par
l’exploitation hors du territoire états-unien : il joue délibérément la
stratégie de l’échec intégral, absolu, parce qu’il ne croit plus
intrinsèquement à la projection en salle, misant sur d’autres supports pour happy few, dématérialisés de préférence.
Pourquoi en ce cas maintenir tout de même une sortie dans les salles obscures
hexagonales, même symbolique ou pudiquement dénommée « technique »,
comme aiment à le faire de trop nombreuses compagnies américaines ultra
commerciales ? La sortie directe en DVD, Blu-ray ou VOD de ce que ce
méprisant nabab considère peut-être comme des torchons, des vomissures filmées,
transsudant de chyle, des ordures inabouties, qui n’ont pas rapporté les
royalties escomptées, serait plus dans la logique friedmano-hayekienne
globalisée, autrement plus logique, et aurait le mérite de clarifier la
situation, en permettant aux exclus de la mauvaise distribution – dont
nous-même - d’accéder enfin à ce qu’ils voulaient voir : paie qui veut vraiment regarder, qui sait
réellement ce monde global temporaire où
tout devient marchandise).
Ceci est une doxa doctrinaire, conforme aux idées du triste sire,
à son fondamentalisme archi conservateur
et matérialiste, qui, un jour prochain, pourrait affronter, celui, négateur de
toute culture et civilisation, d’un prétendu calife. Nabab versus calife !
Ce combat d’anti titans promet !
Par quelle tactique délibérée, astucieuse et efficiente de
désinformation Belle a-t-il donc été
renié et naufragé, noyé par des mains assassines verdies par des dollars
putrides, tumescentes d’un trop plein d’argent devenu indénombrable, non
évaluable ?
Primo, aucun marketing : pas de campagne d’affichage, nulle
communication, pas de bandes annonces projetées dans les cinémas, sauf présence
de celles en VO dans les sites Internet spécialisés dans le 7e art.
Le black-out absolu(tiste).
Secundo, aucune organisation d’avant-première, de projection à la
presse. Les journalistes ont été floués, frustrés d’un film qu’ils n’ont point
vu et n’ont pu juger.
Tertio découle de secundo : l’absence conséquente de la moindre
critique du long métrage d’Amma Asante dans la presse écrite ou en ligne
généraliste, mais aussi dans la spécialisée. Belle se retrouvait absent de Première,
de Studio Ciné live etc. Au mieux, Le Monde le classa dans la rubrique euphémique Nous n’avons pas pu voir, lui infligeant l’humiliation de loger en compagnie d’un effroyable nanar
comique français estival dont je préfère taire le nom, non pas que je crains de
m’attirer les foudres collectives des réalisateur, producteur et distributeur
de cet a-opus et de me retrouver avec un procès en diffamation sur le dos, mais
parce que ce simple produit (ou déchet déféqué par le sacro-saint marché du
film en France) ne mérite qu’une seule appellation : film sans nom[2]. En général, les
films qui aboutissent à cette classification infâme parmi les non vus sont d’une médiocrité
proverbiale : il s’agit de navets populistes, démagogiques, pascaliens,
endormeurs, des films gnôles d’assommoir abrutissants exclusifs de toute
réflexion rebelle contre l’ordre établi, marqueurs du divorce subséquent entre
public de la France profonde bleu-marinée « petit blanc » out et critique branchée bobo
germanopratine « arteïque » in,
des a-longs métrages au nom desquels les distributeurs confisquent le droit d’en
dire du mal aux spécialistes acérés parce qu’ils savent qu’ils exprimeront
l’évidence polichinellesque de la nullité de ces films, de leur inutilité et
vacuité artistique : il s’agit bien là d’une forme de censure
« démocratique » de la presse, forme hélas en plein développement et
essor.
On interdit au 4e
Pouvoir, déjà malmené par les nouveaux médias « toilés », d’exprimer
le rejet justifié des déchets staliniens mercantiles invertis qui obstruent
hebdomadairement nos écrans, empêchant maintes œuvres de qualité de se faire
une (petite) place à un soleil toujours plus chiche et avare de ses rayons. Une
semaine plus tard, il n’était plus temps que les critiques de Belle parussent à la parfin. Elles
étaient irrattrapables.
Quarto, la télé n’assure aucune couverture à l’œuvre, puisqu’elle ne
relayera pas les autres médias qui ont failli, ou qu’on a trompés et exclus par
omission et désinformation. Télé relais des dominants… Et il ne faut pas
demander par exemple à une Arte de se
singulariser de cette masse capitularde et consentante devant le tout-puissant
système, de sortir des sentiers battus en consacrant un reportage même succinct
bien qu’équitable à Belle, en
précisant que non seulement ce film dispose de fort peu de copies, que non
seulement peu le verront, y accéderont par le circuit d'exploitation classique, connaîtront
son existence, mais qu’il mérite d’évidence de survivre et que quelques
« privilégiés » puissent tout de même le juger sur pièce. Pourtant, Arte s’avère parfois capable de vous
parler de documentaires pertinents dont la distribution hexagonale se réduit à
deux-trois copies parigotes intra-muros. Nul n’a donc bougé le petit doigt pour
tenter de sauver Belle dont seule Euronews avait traité en juin 2014.
Quinto : le moins de copies possible, du fait qu’on n’attend
sciemment rien de l’œuvre, copies numériques tirées au dernier moment (à douze
jours de sa sortie officielle, Allo Ciné indiquait toujours un Belle en zéro salles !), avec
exclusion du circuit d’art et essai, en VO, qui eût pu maintenir plus longtemps
le film à l’affiche, conséquemment réduit à une exploitation minimaliste en VF
exclusivement ou presque en des complexes inadéquats, pas faits pour le public
visé par l’œuvre, à des horaires peu pratiques pour ne pas écrire inaccessibles :
le film était condamné par avance à ne se maintenir qu’une misérable semaine à
l’affiche, dans des salles à peu près désertes, nul ne sachant qu’il existait…
Naturellement, aucune statistique au box-office, les scores de Belle étant de toute évidence
infinitésimaux (cinquante, cent, deux cents entrées en France ? les films
qui font moins de mille entrées dans tout le pays deviennent monnaie courante
chez nous : le Dracula de Dario
Argento, le moyen métrage Les Gouffres, et
d’autres exemples de désastres dont je ne me suis pas informé faute de
statistiques communiquées sur le net).
Le tour était joué ! Hip hip hip hourra, Herr Murdock ! Vous venez d’envaser avec brio un film
supplémentaire dans le purin et le lisier de votre porcine compagnie grognante
et éructante d’un galimatias musqué résumant par ses borborygmes suidés primaires et limbiques toute
la phraséologie néo-libérale ! Êtes-vous frappé par une pulsion de mort, une
tentation du suicide commercial ? Empêchons la suffusion d’excréments
liquescents de votre fosse à porcs de nous contaminer et nous souiller, mein Herr. Nous ne pouvons plus y
repêcher, y extraire sans dégobiller tous les films que vous y avez engloutis.
Vous devinez aisément, chers lecteurs – ou chère lectrice -, que Belle, qui traitait de l’émancipation et
de l’ascension sociale d’une métisse dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, fille
d’esclave et de maître, n’était pas un film « tout pourri »[3].
Des exemples français contemporains existent, tel le chevalier de Saint-Georges
alias Joseph Boullongne. L’intrigue historique de Belle s’inscrit dans le contexte de l’émergence du mouvement abolitionniste
britannique, qui aboutira à l’interdiction de la traite en 1807, à la création
de la Sierra Leone et à l’abolition de l’esclavage au Royaume-Uni en 1833,
quinze ans avant la France. N’oubliez pas que la Convention nationale, en 1794,
avait déjà aboli l’esclavage, mais qu’il fut rétabli par Bonaparte.
Certes, je soupçonne que Belle n’est
pas un film parfait : il doit comporter des simplifications, des
approximations, des raccourcis, une soumission aux impératifs de la fiction romanesque au
détriment de l’exactitude historique pure et dure. Mais ce doit être une œuvre
malgré tout estimable, non point un chef-d’œuvre, mais un de ces films qui
doivent se laisser voir, en plus de la beauté de l’actrice principale, que je
ne connais pas.
J’ai su que mes chances de voir Belle
seraient presque nulles dès que je lus qui
le distribuait, nourri de l’expérience des précédents rappelés au
commencement de ce billet vitriolique.
Veillons à ce qu’à l’avenir le scandaleux cas de Belle ne se reproduise plus. Luttons !
Contre l’odieux et mercantile Sire Rupert de Coucy, nouveau féodal et
féal du Veau d’Or, restons tous et toutes vigilants !
[1]
Autrement dit, les chefs d’Etat et de gouvernement ne seraient plus que des
coquilles vides, des dents creuses, des Romulus Augustule, Julius Nepos,
Anthémius et Olibrius de notre triste siècle… Ils ne détiennent plus du tout
l’autorité, la réalité du pouvoir. Lorsqu’ils expriment par hasard quelque
velléité de tenter quelque chose, de s’émanciper, même à la marge, comme
Gallien ou Majorien, la finance internationale et les transnationales les
rappellent à l’ordre et ils se
soumettent très vite à la « réalpolitique ».
[2]
Allusion à Marseille, qui, après avoir été reprise aux fédéralistes girondins
par la convention montagnarde, fut rebaptisée « ville sans
nom ».
[3]
Allusion au fameux long métrage désastreux consacré à Vercingétorix dans lequel
se commit Christophe Lambert au crépuscule du XXe siècle.
La ravissante Gugu Mbatha-Raw, personnage titre du film, joua le rôle de la soeur de Martha Jones (Freema Agyeman) dans la saison 3 du Doctor Who avec David Tennant.
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