Minou Drouet et Aurore-Marie de Saint-Aubain, enfant-poétesse authentique et personnage de plume fictif, partagèrent la commune passion pour l'autocélébration via le portrait.
On les portraitura abondamment, telles des icônes profanes muséifiées de leur vivant.
Dans l'autobiographie de Minou Drouet, Ma Vérité (édition n° 1 1993), la note n° 12 de Jean-Marc Tixier, pages 184 à 186, évoque ces tableaux, signés de Philippe Bonamy et d'Edmond-Marie Dupuy, ainsi que le dessin de Jeannette Schoeller,
qui sert de couverture au livre. L'oeuvre de Bonamy est particulièrement analysée, et reproduite en hors texte. Je cite :
qui sert de couverture au livre. L'oeuvre de Bonamy est particulièrement analysée, et reproduite en hors texte. Je cite :
"(...) L'artiste n'a pas su seulement rassembler autour du personnage de Minou les objets essentiels, comme le crayon, les feuilles de papier, la fenêtre ouverte sur la nature où s'encadre un paysage vallonné traversé d'une rivière qui se perd dans un horizon nébuleux, avec des arbres effeuillés dressant leurs branches nues dans le ciel tourmenté. Il a sondé l'âme du modèle, rendu le regard à la fois tendre et dur, lucide et inquiétant, qui se pose sur vous et ne vous quitte plus. Un regard qui contraste avec le fin visage à la moue enfantine. Il semble en décalage, en avant ou en retrait de la tête, comme s'il appartenait à un être plus mûr, riche d'expérience. Il a la couleur de l'écorce des arbres, du mur de crépit brun, des collines où la saison a roussi la végétation. Ne nous fions pas à ce maintien sage. Cette enfant est de feu, comme le prouvent les taches de rouge du pull-over et du ruban noué qui retient les cheveux. A moins qu'elles ne rappellent la souveraine présence du sang dans ce paysage dévasté où seul vit le regard de l'enfant figée dans la pose.
Le plus singulier est que le peintre ait associé avec tant de force l'extrême jeunesse du modèle et la désolation du paysage hivernal (...). Minou se reconnaît dans cette image d'elle."
Narcissisme, exaltation du Moi, obsession répétitive de la couleur rouge, du sang, omniprésente dans l'oeuvre d'Aurore-Marie de Saint-Aubain : les termes rubéfaction, rubéfié, érubescent, pourpré, pourprin, purpurin, purpurescent, reviennent fréquemment dans ses textes. L'énoncé des nuances de rouge : cinabre, sang de boeuf, rouge d'Espagne, gorge de pigeon, grenat, écarlate, cramoisi, ponceau, amarante, garance, carmin, vermillon, peuple ses écrits. Le rouge est omniprésent, car associé à la Vie et au Trépas, dans Le Trottin : rouge obscène des menstrues, des pantalons de lingerie souillés, du rubis indien operculant le sexe de la favorite Adelia O'Flanaghan, rouge de l'hémoptysie de Cléore de Cresseville, de l'hématémèse phtisique, rouge de l'hémorragie d'Ellénore agonisante, du sacrifice passionnel morbide horrible de Pauline Allard, des flagellations, des déflorations, du supplice d'Ursule Falconnet, du suicide spectaculaire d'Adelia... Rouge du feu infernal, aussi, de l'incendie consumant la poupée de cire à l'effigie de Daphné... Rouge démoniaque de la rousse Cléore, cuivre ardent de la chevelure préraphaélite de la vénéneuse Adelia aux yeux verts... Rouge poisseux, rouge hideux des transfusions des jumelles chlorotiques leucémiques Daphné et Phoebé...
Narcissisme du double, du reflet, de la gemellité : Aurore-Marie/Marie d'Aurore, Daphné et Phoebé, jumelles perverties vampires...
Citons le futur roman Cybercolonial chapitre VI, à propos de Marie d'Aurore, posant en train d'écrire telle Minou Drouet :
(...) Elle était assise, devant
une écritoire, en train de composer un poème en strophes entrecroisées ou
embrassées. Elle écrivait de la main gauche. Elle était brune, d’un brun de
jais lumineux, orfévré de reflets bleus, coiffée d’anglaises, splendide, grand’
belle ! La coupe de sa robe ivoirine soyeuse différait de celles en usage
là-bas, en l’autre (son) 1876 (rappel : Aurore-Marie a traversé un miroir et a rencontré son double inversé) : elle avait conservé cet aspect apprêté,
évasé, empesé d’empois, encagé d’osier, en usage encore dix ans plus tôt. De
même, Aurore-Marie fit le même constat : comme pour les poupées de tantôt,
la mode des dessous était demeurée aux longs pantalons de broderie tombant
jusqu’aux chevilles, de coupe Louis-Philippe. Cela seyait à ravir à la noire
enfant à l’incarnat mat, dont les prunelles d’alabandine, graves, observèrent,
dévisagèrent l’intruse, la visiteuse blonde. Son corsage, lacé par derrière, s’agrémentait
d’un tablier et d’une ceinture aussi blanche que le reste de sa toilette. Elle
affirmait ainsi sa qualité de vierge, de vestale des belles-lettres. De plus,
ses longues anglaises d’ébène à la brillance hors normes, ornées de padoues
roses, rappelaient celles de la courtisane Marie Duplessis, l’authentique Dame
aux Camélias, ajoutant à sa beauté d’exception. Seule au fond la forme de son
visage, cet ovale triangulaire, félin, elfique, ressemblaient à sa jumelle inverse (...)
Aurore-Marie de Saint-Aubain, monstre d'égocentrisme contemplatif, peinte par Nélie Jacquemart en 1877 avec son père Albéric de Lacroix-Laval : ainsi en est-il dans le roman Aurore-Marie ou une étoffe Nazca, que je viens de publier aux éditions de Londres. je vous le recommande vivement.
Aurore-Marie qui veut fixer à jamais son image multiple, s'immobiliser sans vieillir, sans mourir, portrait de Dorian Gray féminisé...
Dernière citation, extraite de mon méconnu roman de paradoxes temporels Translateur pictural, où le héros rencontre Aurore-Marie en 1878, et remarque sa collection de portraits académiques :
(...) Le pavillon de Passy, pénates de notre poétesse, était réellement
charmant. Seulement, de nuit, il m’était impossible d’en apprécier toutes les
mignardises florales et architecturales. Minuit approchait, et je tombais de
sommeil, ne retenant plus de sonores bâillements. Je m’attendais à ce qu’on me
désignât ma chambre. Peine perdue. La belle n’avait pas encore sommeil et
souhaitait me faire visiter son logis.
Ce qui me frappa, ce fut cette autocélébration du moi affichée avec ostentation par le biais des peintures : des
portraits de Mademoiselle la baronne, exclusivement ou presque (parfois, elle
avait posé avec papa) alignés le long
d’un corridor aux lambris de chêne et d’ébène. Il y en avait une bonne dizaine,
la miss ayant l’habitude d’être portraiturée depuis l’âge de six ans. Un
chandelier éclaira de sa blafarde et gothique clarté aux flammes vacillantes
ces académiques manifestations du culte de la personnalité. Qu’on en juge un
peu : Monsieur le baron de
Lacroix-Laval et sa fille, par Nélie Jacquemart, Mademoiselle Aurore-Marie de Lacroix-Laval, par Léon Bonnat, Aurore-Marie de Lacroix-Laval et son poney
Kitty, par Rosa Bonheur, La poëtesse
Aurore-Marie, baronne de Lacroix-Laval dans
sa bibliothèque, par Marie Bashkirtseff, La fille d’Albéric, baron de Lacroix-Laval à six ans, par James
Tissot, Portrait de Mademoiselle de
Lacroix-Laval en Alsacienne, par Jean-Jacques Henner. Aucun
impressionniste, aucun révolutionnaire. Même pas Fantin ! Et Rosa Bonheur
était réputée pour ses penchants lesbiens. Avait-elle influencé la fillette
lors des séances de pose ?
La toile d’Henner, cependant, paraissait un peu plus moderne de
facture. Bien plus intéressante aussi que le reste du lot. Il s’agissait d’une
figuration en pieds de l’adolescente, debout, en costume alsacien. Le peintre
avait excellemment rendu l’ovale d’elfe de
l’impétrante bien qu’il eût accentué le côté roux de ses cheveux dont les
mèches, dénouées, retombaient jusqu’aux mollets. La belle avait poussé l’audace
jusqu’à chausser des sabots sur des bas de coutil tout en posant un châle
cramoisi sur ses chétives épaules, ce qui avait pour effet de dissimuler partiellement
sa robe folklorique. Henner avait le mieux rendu l’ambiguïté érotique de la
gamine, son sex-appeal, du moins pour ceux qui aiment les jolies petites
maigres à la poitrine à peine marquée (les petites pousses, comme dit mon
cousin). Ses yeux d’ambre lui bouffaient le visage. On lui donnait douze ans
tout au plus, bien que l’œuvre eût été peinte cette année même.
« C’est mon préféré, monsieur ! » Se contenta-t-elle de
me dire en guise de commentaire de son timbre ténu et flûté. (...)
Dois-je conclure par l'attendue citation latine Sic transit gloria mundi ?
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