Je débute aujourd'hui une série d'articles et de billets consacrés aux sources d'inspiration desquelles naquit un de mes plus étonnant personnages : la poétesse de la fin du XIXe siècle Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894). Ces articles paraissent à l'occasion de la publication aux éditions de Londres de mon roman Aurore-Marie ou une étoffe Nazca.
La première chose qui vient à l'esprit de celles et ceux qui découvrent Aurore-Marie en sa prime adolescence, en sa jeunesse tourmentée, au hasard de la lecture de ce livre (ou des textes disparates de mes blogs), est une série de questions : une telle poétesse a-t-elle existé, est-elle vraisemblable et s'il ne s'agit que d'un personnage de fiction, succinct à l'origine (confère ma nouvelle fondatrice Lise, où Aurore-Marie dupe une fillette en se faisant passer pour sa propre enfant Lise de Saint-Aubain), quels modèles véridiques l'ont inspiré ?
Ma première source, c'est Minou Drouet (à laquelle je fais diverses fois allusions sous un pseudonyme, notamment dans Gentille Maman et dans Jugements sur Aurore-Marie de Saint-Aubain). Une poétesse surdouée (à ce qui fut supposé nonobstant ses détracteurs), remarquée dès l'enfance, devenue une coqueluche mondaine, puis tombée dans l'oubli, quoi de plus intéressant ? Les possibilités de rapprochement entre l'héroïne fictive et l'authentique poétesse enfant étaient concluantes, d'autant plus que j'avais décidé de faire débuter le "don" d'Aurore-Marie dès l'âge de dix ans, sachant que Minou Drouet avait commencé à huit. Je découvris, je le confesse, l'existence de Minou Drouet via ma pléthorique collection de Spirou, qui était en plein essor en ces années 1981-1982. Il me sembla que cette mystérieuse jeune fille était une vedette appréciée pour laquelle le fabuleux hebdo de bédés ne se priva pas de consacrer quelques articles, tant sa célébrité, dans les années 1955-1960, ne faisait aucun doute.
Minou Drouet, bretonne, fleur un peu spéciale, éclose à l'âge de 8 ans en 1955, accéda au vedettariat via la polémique, car on accusait sa maman adoptive d'être l'auteur réel de ses poésies. On la testa ; son don était réel, prouvé. Il est troublant de lire certains blogs et articles en ligne à elle consacrés, tant son cas paraît se rapprocher de celui, fictif, de Charlie Gordon dans le chef-d'oeuvre de Daniel Keyes, Des Fleurs pour Algernon. Elle est dépeinte telle une autiste, après avoir souffert de cécité, puis son génie a éclaté, d'un coup, miraculeux...sans nulle opération de science-fiction du cerveau. Pour paraphraser Daniel Keyes, Minou Drouet était devenue un téligent(e).
Je savais qu'à cette époque, l'on vêtait encore les fillettes en poupées, au point qu'elles paraissaient déguisées. Minou Drouet ne dérogeait pas à la règle, et les photos que Spirou publia d'elle, notamment au numéro spécial Pâques 1961 (n° 1198 dans l'album relié n° 80, si je ne me trompe pas), me frappèrent : quelle coquette me dis-je ! Elle arborait sans vergogne des rubans dans les cheveux, chose incongrue en un temps où les jeunes filles (1980) se promenaient en jeans du 1er janvier au 31 décembre (ainsi que me le disait mon cousin). Elle participa même à des défilés de mode enfantine (mini miss ?).
Minou Drouet, qui se conformait là à des us et coutumes nous paraissant désormais surannés, était selon ma soeur une sacrée poseuse, dont elle avait entendu parler, et qu'elle avait vue à la télévision (une seule chaîne dans les années 60 pour presque tout le monde). Spirou nous contait sa vie, son éveil à la musique et à la poésie, après qu'elle eut vécu comme nous l'avons vu une prime enfance de handicap et de souffrances.
En 1960, l'illustré avait organisé un concours où une Renault Dauphine constituait le premier prix. Un reportage conséquent fut consacré à la remise des différents lots dudit concours, à Paris, en présence, bien sûr, de la super vedette Minou Drouet. Quelqu'un gagna un âne, que la petite précieuse baptisa pompeusement Biquet Vert. Le ridicule ne tuant pas encore en 1960, le second degré étant banni avant l'essor de la bédé adulte, tout ceci paraissait fort sérieux et plaisait aux gamins de ce temps.
J'oubliai Minou Drouet jusqu'à la fin des années 2000. Lorsque Aurore-Marie surgit des limbes, il me fallut rechercher les styles poétiques appropriés, les plus ridicules et ampoulés, hermétiques aussi, ayant cours dans la seconde moitié du XIXe siècle : je m'inspirai du Parnasse et des symbolistes mallarméens.
Minou, quant à elle, lorsque je pus lire quelques-uns de ses poèmes, correspondait bien au style de son époque, plus simple, plus spontané, bien qu'elle n'eût aucunement le génie d'un René Char et d'un Paul Eluard (à la simplicité seulement apparente, car la poésie moderne aime à nous surprendre par des complexités cachées, bien plus subtiles que les bombardements expansifs et emphatiques d'autrefois).
Je ne pense pas que Minou Drouet fut une escroquerie, une basse opération de marketing éditorial. On la prit hélas pour un singe savant et on la délaissa une fois qu'elle eut grandi, que sa vogue incroyable fut passée ; alors, elle préféra entrer dans l'anonymat, bien qu'elle eût décidé de publier une autobiographie, Ma Vérité, en 1993.
Prochainement sur ce blog, le deuxième volet consacré aux sources d'inspiration du personnage d'Aurore-Marie de Saint-Aubain : Joan Fontaine, dont l'apport fut capital.
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