samedi 8 juin 2013

Shah Jahan et le Baphomet : un conte de l'Inde moghole.

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J'ai capté, enregistré, mémorisé, tout ce qu'il y a eu depuis plus de trente ans de pourri et de préjudiciable dans le domaine d'une culture devenue intégralement marchande (Cyber Léon Bloy).

Un jour, le profit ne sera peut-être plus qu'une entité dématérialisée, une sorte de dieu-énergie abstrait, s'auto-alimentant sur sa propre lancée, sa propre dynamique, poursuivant sa démoniaque existence d'antimatière, d'énergie noire, bien après l'extinction de l'humanité et la mort de la Terre (un philosophe extraterrestre).

Il faut savoir avaler des couleuvres pour réussir en politique (un leader anonyme mais non groupusculaire).

Aujourd'hui, une mise en bouche, un extrait du Nouvel Envol de l'Aigle, par Jocelyne et Christian Jannone.

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Depuis toujours, le prince avait été fasciné par les récits merveilleux de l’Orient arabe et par les contes des Mille et Une Nuits. À la tête d’une fortune incalculable, aimant par-dessus tout la beauté, il rêvait de posséder les objets les plus rares, les plus raffinés, empreints d’une magique et attrayante puissance.
Après avoir accumulé les vases précieux, les gemmes de toutes tailles et de toutes couleurs, les perles, les statues, les coquillages, les livres magnifiquement ouvragés et illustrés, les ivoires et les jades, il était tombé amoureux d’une jeune femme aux yeux en amande, au teint d’un exquis velouté, au teint de pêche, aux dents semblables à des perles fines et nacrées, aux cheveux soyeux couleur d’ambre doré.
Son père s’était rendu à son désir et il avait pu épouser Mumtaz Mahal. 
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Son bonheur avait duré longtemps. Mumtaz lui avait donné une nombreuse progéniture.
Devenu souverain régnant à son tour, il en avait oublié sa charge et ses devoirs, refusant de se consacrer à la conduite d’un peuple tumultueux.
Avec Mumtaz Mahal, il passait des jours entiers dans les jardins et les appartements d’un luxe raffiné de son amour, de son autre moitié. Ainsi, il paressait à l’ombre des arbres, trempant ses doigts dans l’eau des bassins tout décorés de nénuphars.
Sans cesse, après l’amour, il offrait à son élue des roses, des magnolias, des fuchsias ou du jasmin. Ses ministres s’inquiétaient, à juste titre, lui rappelant les tristes et trop lourdes affaires de l’Etat. Lui s’en moquait, soupirait auprès de l’Aimée, envoûté par son charme, se perdant dans sa contemplation, ne parvenant pas à la quitter.
- Que voudrais-tu, ce jourd’hui, ma mie?
- Cet oiseau-lyre, ce ruisseau qui vient danser à mes pieds…
- Mais encore?
- La lune en son croissant, ces musiciennes jouant si joliment de la flûte et de la cithare.
- Ma douce, je dois me rendre en mon Conseil…
- Non! Reste et donne-moi ces mousselines légères, ton cœur et ta présence…
Alors, fou d’amour, jamais rassasié, le prince cédait d’autant plus volontiers que la santé de Mumtaz s’était dégradée à la suite de grossesses à répétition. Épuisée, la jeune femme demeurait allongée sur des coussins de soie, s’apprêtant à donner encore la vie. 
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Mais, lors de l’accouchement, tout se passa très mal. L’insidieuse et cruelle fièvre s’empara d’elle.
Un soir sinistre, inoubliable et maudit, alors que la pluie fouettait durement le sol, le transformant en bourbier gras et nauséabond, que de putrides senteurs envahissaient le Palais, Mumtaz Mahal jeta son dernier soupir en même temps qu’elle expulsait, dans un suprême effort, son fruit mort hors de ses entrailles.
Accablé, fou de chagrin, Shah Jahan hurla des nuits entières, refusant de s’alimenter, sombrant ensuite dans l’aphasie. Puis, pris d’une activité désordonnée et fébrile, il se mit à lire tous les récits qui lui venaient d’Alep et d’Alexandrie, de Damas et d’Ispahan. 
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Il finit par tomber sur ces quelques lignes fort étranges mais au contenu bien explicite:
«  Avec lui, Temps et Mort n’imposeront plus leur loi d’airain.
Figure bicéphale, il indique la Voie des non humains.
Du fond des Âges, il délivre l’homme
Et de la sagesse, il ne se montre prud’homme ».
Après d’autres nuits sans sommeil, relisant sans cesse le texte, Shah Jahan fit venir tous les astrologues, magiciens et fakirs, tous les nécromants et les alchimistes, les sorciers et les charlatans du Ponant, du Levant et du Septentrion.
Enfin, un certain Ismaïl Oban lui dit que cette description se rapportait au Baphomet.
- Au Baphomet? Trouve-le!
- Splendeur de l’Orient, le Baphomet a disparu depuis des lustres, lors du Djihad contre les Roumis, les Francs, du temps de la poussée des Turcs Seldjoukides, bien avant que Stamboul devînt la ville capitale du calife ottoman. 
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- J’ai dit: trouve-le! Puise dans mes coffres, va aussi loin que le monde est vaste, franchis les frontières du royaume de Chine s’il le faut, celles de l’Afghanistan, de la Perse et de l’Egypte, passe la mer océane! Tu seras récompensé au-delà de toute attente.
Oban obéit. Il partit près de cinq ans. Pendant ce temps-là, le Taj Mahal blanc s’éleva près d’Agra, ses murs se reflétant dans les eaux moirées du ruisseau dompté, assagi et canalisé.
Au retour d’Ismaïl avec ledit Baphomet, le Grand Moghol n’afficha aucune satisfaction. Il avait tant attendu et l’expédition lui coûtait près de cinq ans de revenus et près de trois cents hommes!
Mais là, désormais, sous les yeux froids du Prince, l’étrange idole brillait sous la lumière des torches et semblait dotée de vie.
Dans l’expectative, suspicieux et prudent, Shah Jahan chassa alors de la chambre tout son entourage et s’attela à trouver comment fonctionnait le Baphomet.
Cher lecteur anxieux, il est bon qu’auparavant tu saches quelle récompense reçut le dévoué Ismaël Oban. Hé bien! Sa tête fut tranchée nette par le yatagan personnel du Prince. Shah Jahan était ainsi! Qui a cru naïvement que nous racontions un conte de fée, une mièvrerie sentimentale dont Hollywood se repaissait? Bon sang! Nous ne sommes pas dans un dessin animé estampillé Disney!
Après de longues heures de réflexions, de tâtonnements et d’essais malheureux, le Grand Moghol sut enfin se servir de la maléfique ou bénéfique idole, ce portail ouvert sur tous les mondes, tous les potentiels réalisés.
Mais, là, tout se compliqua. Le fruit empoisonné, le délice inaccessible! Voyager dans le temps, ce n’est pas comme prendre l’omnibus ou le métro! Marier à la fois l’islam saint et l’hindouisme non plus. Effacer la mort de Mumtaz Mahal, un rêve de plus en plus fumeux malgré les nombreux chemins empruntés. Une songerie d’un mangeur d’opium, voilà comment se concrétisait la quête du prince. 
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Malgré les sauts répétés et enchaînés, les voyages recommencés, le Taj Mahal subsistait, ou se dédoublait au profit de son jumeau, le Taj Mahal noir. C’était à en perdre la raison.
En dehors du Palais, la révolte grondait, devenait menaçante. Pendant ce temps, les tablettes de l’Histoire se fragmentaient, les croisades sombraient dans le néant ou, encore, voyaient la victoire des mécréants.
Des pluies de météorites foudroyaient le royaume, incendiant aussi bien les villes que leurs habitants, répandant partout la terreur.
Dans le ciel enténébré, la Lune gondolait, se contorsionnait en une danse étrange, rapetissait ou,  au contraire, se rapprochait.
Maintenant, l’Afrique tout entière avait été conquise par les Romains à une date lointaine mais, pourtant, le Taj Mahal toujours s’obstinait à se dresser, insolent dans sa beauté.
Pour l’heure, l’Inde était sous la botte de la Perse, la Chine dominait jusqu’à la Mer Rouge, Gengis Khan s’était perdu dans les méandres du Temps, ce dieu protéiforme. Là-bas, en Occident, à présent, un Plantagenêt régnait tandis que Londres, Paris et Rome accueillaient triomphalement leur souverain légitime.
Malgré ces bouleversements, le Taj Mahal persistait à défier le chagrin inextinguible de Shah Jahan ! 
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