Le Cousin de Fragonard est le reflet d’une époque éminemment
scientifique où l’Homme et la Nature sont devenus des objets centraux d’étude.
C’est, depuis la Renaissance, outre l’anatomie, le fonctionnement des
organismes, la physiologie, qui sont au centre des préoccupations. L’école
médicale française prend son essor, ce qui aboutira aux travaux de Bichat et de
Dupuytren.
Au fonctionnement orthodoxe des corps, à la classification de la
normalité, va se substituer l’intérêt pour la déviance, l’altérité, les
monstres, avec le développement de l’étude des malformations, des pathologies,
aboutissant à la codification de la tératologie et à la classification des
monstruosités par Geoffroy Saint-Hilaire.
On retrouve tout cela dans
l’œuvre d’une Gabrielle Wittkop (1920-2002). Le XVIIIe siècle apparaît comme
une époque de transition, avant le positivisme, avant l’anthropologie
biologique qui allait faire des ravages et justifier le racisme et le
colonialisme, avec d’une part l’exhibition des corps difformes dans les foires
à monstres, à phénomènes, et d’autre part des indigènes dans les zoos humains (voir les travaux de Pascal
Blanchard et Cannibale de Didier Daenynckx).
Voyeurisme malsain, regard complaisant dirigé vers l’Autre. Saartjie Baartman, la Vénus hottentote, demeure le symbole
de ce mélange cruel d’altérité raciale et physique. Elle fut disséquée par
Cuvier…héritier des savants et des naturalistes du XVIIIe siècle.
Le Siècle des Lumières est le
fils de Descartes et de sa théorie de l’animal-machine. C’est l’ère des
automates, des premiers androïdes de Vaucanson,
et les écorchés de Fragonard
apparaissent eux-mêmes comme de magnifiques machines humaines dont le mécanisme
est dévoilé, mis à nu, aussi parfait qu’une horlogerie interne, en des
spécimens disséqués et naturalisés dans un but pédagogique et de connaissance
de ce qui fait le fondement de l’Homme. L’évacuation de Dieu se dessine, car
l’Homme n’est plus une création divine, mais un homme-machine, issu du
cartésianisme, et La Mettrie pousse au bout la logique de cette révolution
conceptuelle dont Honoré Fragonard et Jacques de Vaucanson sont les reflets,
jusqu’au galvanisme et au mesmérisme, jusqu’à la postérité littéraire de Frankenstein ou le Prométhée moderne de
Mary Shelley. Xavier Mauméjean, dans un
remarquable roman intitulé La Vénus
anatomique, est parvenu à synthétiser La Mettrie, Vaucanson, Fragonard,
Victor Frankenstein et L’Ève future de
Villiers de l’Isle-Adam,
publié en 1886, où Prométhée s’est incarné en Thomas
Edison. Dans ce texte singulier, paru aux éditions Mnémos en 2004, Julien Offray
de La Mettrie,
qui, en 1746, a écrit La
Vénus métaphysique dont Mauméjean s’inspire, est invité en 1752 par le roi de Prusse Frédéric II à concevoir un type nouveau d’être humain. La
Mettrie a pour rivaux Honoré Fragonard et Vaucanson. Il conçoit son androïde
féminin, sorte de fiancée avant l’heure de la créature de Frankenstein. C’est
le commencement de la vie artificielle, de l’Homme-Dieu, de l’Homme-démiurge,
qui s’arroge le pouvoir de créer à la place de la divinité. L’Homme devient le
centre de l’univers. L’Encyclopédie puis
le Conservatoire des Arts et Métiers glorifient le génie humain, l’artisanat et
la technique. La révolution industrielle commence.
Les trois automates Jaquet-Droz, conçus entre 1767 et 1774 : La Musicienne, Le Dessinateur, L'Ecrivain.
Le canard de Vaucanson lui-même,
en possession de presque toutes les facultés physiologiques d’un vrai
palmipède, y compris la défécation, est devenu un personnage de roman dans le
touffu et délirant Mason et Dixon de
Thomas Pynchon.
La Joueuse de tympanon de Marie-Antoinette conçue par Peter Kintzing, horloger et par David Roentgen, ébéniste de la reine, présentée en 1784 au château de Versailles. Actuellement conservée au Musée des Arts et Métiers de Paris.
Le roman de Patrick Roegiers est un pur chef-d'oeuvre.
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