Par Cyber Léon Bloy.
Annonçons d’emblée la couleur : cet article sera
fortement polémique.
A l’occasion de la mise en place
par l’Ina de la nouvelle plate-forme de streaming (ah, l’affreux mot
anglo-saxon !) intitulée « Madelen » (sur les imperfections de
laquelle je reviendrai dans un prochain article), Télérama, par la plume
de Pierre Langlais (article posté sur le site du magazine le 19 mars dernier)
faisait judicieusement remarquer :
La France a un problème de
mémoire. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les chaînes traditionnelles
diffusent les classiques des années 1950 à 1980, et les téléspectateurs, même
les plus jeunes, ont vu au moins quelques épisodes de I Love Lucy (1951),
Dragnet (1951) ou Doctor Who (1963). En France, ne parlez pas de L’Homme du
Picardie, de Belphégor ou des Cinq Dernières Minutes aux moins de 30 ans, sans
doute convaincus que les séries françaises dignes de ce nom sont apparues en
2005 avec Engrenages, et que notre préhistoire, c’est la période AB Productions,
Hélène et les garçons, Salut les Musclés et autres sitcoms consternantes des
années 1990 ! Or, pour bien appréhender un art, mieux vaut en connaître les
racines. Dans leur longue et laborieuse marche en avant, les séries hexagonales
souffrent d’être perçues comme hors-sol, ou descendantes de la fiction
anglo-saxonne.
La France a donc un problème de
taille avec son patrimoine télévisuel, mais ce problème ne remonte qu’au… 7
septembre 1992, grâce à un président de France Télévisions qui, lors de son
décès, a eu droit à deux pleines pages du Monde tandis que certains de
ses successeurs, lorsqu’ils passèrent de vie à trépas, ne bénéficièrent pas de
la moindre ligne nécrologique dans le même quotidien, autrefois de référence. Avant
cette date funeste à marquer d’une irréversible pierre noire, la télé ancienne
avait amplement droit de cité sur les chaînes publiques, en particulier les
fictions.
Sachez, lectrices et lecteurs de
ce blog, qu’à titre personnel, j’estime que l’audiovisuel public – je me
restreins ici au seul petit écran - n’a eu que trois bons présidents depuis
1986 : l’éphémère Philippe Guilhaume, parce qu’il aimait l’Ina et savait
bien y recourir, Marc Tessier et Patrick de Carolis, parce qu’ils ne
méprisèrent jamais les fictions littéraires et historiques costumées, qui
connurent un incontestable revival, depuis tué, durant leurs mandats.
A l’été 1990, Philippe Guilhaume
démontra la grande valeur de notre patrimoine télé et, en d’extraordinaires programmations, sut le faire redécouvrir au peuple français.
démontra la grande valeur de notre patrimoine télé et, en d’extraordinaires programmations, sut le faire redécouvrir au peuple français.
Ainsi pus-je apprécier une
dramatique mythique de La Caméra explore le Temps : l’Affaire Calas et
la fameuse version de 1960 de Cyrano de Bergerac réalisée par Claude
Barma avec dans le rôle-titre un comédien autant apprécié qu’il fut regretté à
cause de sa disparition prématurée : Daniel Sorano. Mais, on dit que
toutes les bonnes choses ont une fin, et je ne m’étendrai pas sur les
circonstances qui conduisirent à la démission – ou éviction ? – de
Philippe Guilhaume, qui lui-même mourut encore jeune.
Son successeur - faut-il le
nommer ? – avait officié à TF1 avant l’éhontée et putrescente
privatisation de la chaîne à laquelle il contribua indirectement par sa
politique programmatique, après s’être initialement tenu à une réserve prudente
d’une année respectant encore le service public, en métamorphosant à compter de
septembre 1984 ce fleuron en chaîne publique commerciale
« populaire » (dois-je écrire populiste ?) de soi-disant qualité
convertie au seul veau d’or de l’audimat. Pour la première fois, alors que,
jusqu’à présent, les causes des suppressions d’émissions sur les chaînes publiques
avaient toujours obéi à un arbitraire politique ou de censure (ce qui revient
plus ou moins au même), ce grand homme (je l’exprime avec ironie) supprima des
programmes pour les seules raisons de leur audience considérée comme
« insuffisante », jetant définitivement la télé française dans les
bras des entreprises privées et des annonceurs publicitaires. Les initiales du
nom de ce monsieur, mort récemment et honoré de deux pleines pages de
nécrologie dans Le Monde qui souventes fois prive d’anciens chefs de
gouvernement étrangers notoires et de notables prix Nobel scientifiques de la
moindre ligne d’hommage, évoquent une certaine qualité de mine de crayon
couramment imposée dans les fournitures scolaires de rentrée. Ce fut lui qui
interrompit la diffusion de la série documentaire franco-japonaise de 1985
consacrée au Louvre après seulement six numéros (diffusés exprès à des heures
malaisées), les autres étant programmés à la sauvette en pleine nuit au mois de
juin 1987 dans les derniers jours d’existence de la première chaîne publique.
Mais j’ai déjà traité cela il y a quelques années en ce même blog… Bref, TF1
devenue la « Une », fut désormais surnommée par moi la
« Der ».
Au commencement, en 1991, H.B.
parut caresser l’Ina dans le sens du poil. Il créa, initiative audacieuse qui,
si elle eût perduré, aurait évité que je dépensasse un argent fol en VHS puis
DVD de fictions télé anciennes, un « télé-club » à l’image des ciné-clubs
d’Antenne 2 et FR3 voués au seul 7e art tandis qu’il réserva l’été à
la rediffusion des meilleurs téléfilms de la collection Cinéma 16 des années
1970-80. Ce ne fut qu’illusions !
Après un premier cycle prometteur consacré aux dramatiques de l’immense Alice
Sapritch (dont La Bonifas, adaptation remarquable d’un roman de Jacques
de Lacretelle à propos duquel le regretté Bertrand Poirot-Delpech – qui succéda
au même Lacretelle à l’Académie française – disait qu’il s’agissait, avec Silbermann,
d’un des seuls romans de cet écrivain encore trouvable en commerce hors
bouquinistes) le fait du prince « mine de crayon » provoqua la
suppression de ce « télé-club » après seulement trois mois
d’existence cahotante, tel l’éphémère ministère Georges Leygues en 1920-21.
Certes, au premier semestre 1992,
quelques recours aux fictions patrimoniales existaient encore sur le service
public, comme les anciens Maigret de Jean Richard en noir et blanc,
mais, le 7 septembre 1992, jour néfaste et funeste dans le sens de la Rome
antique, H.B. claironna la création de France Télévisions, dont le dégât
collatéral majeur fut – hors recours à des extraits illustratifs dans certaines
émissions – la disparition terminale sur les nouvelles antennes publiques de
toute rediffusion de fiction antérieure à cette même date car non estampillée
« France Télévisions ». Un acteur populaire, Robert Etcheverry,
souffrit de cette nouvelle situation : l’ensemble des fictions dans
lesquelles il avait officié fut bloqué jusqu’à sa mort survenue fin 2007 !
TMC, appliquant illico presto la « jurisprudence » H.B. interrompit
en plein milieu la rediffusion du Chevalier Tempête. Je dus attendre le
déblocage post-mortem que l’on sait pour enfin acquérir en 2010 à prix d’or par
gravure DVD via Ina.fr ce feuilleton génial de la fin des années 1960.
Au fur et à mesure que France
Télévisions intégra une chaîne (la Cinquième devenue France 5, Festival devenue
France 4), celle-ci fut « assimilée » à la manière des Borgs
assimilant le vaisseau Enterprise, c’est-à-dire que les feuilletons et
téléfilms patrimoniaux étaient bannis définitivement de leur
antenne ! D’où l’article de Télérama cité au commencement de ce
texte.
Je l’admets : il y eut
deçà-delà quelques soubresauts et persistances de nos anciennes fictions sur
des chaînes toujours moins nombreuses au fil des années, entre 1993 et 2019. Aucune
de ces chaînes ne se nommait France 2 ou France 3, sauf quelques Brigades du
Tigre repassées sur la Trois en 1995. D'aucuns m'objecteront que Le Roi Mystère, un feuilleton costumé un peu fantastique se déroulant au XIXe siècle, daté de 1991, parvint à être rediffusé par France Télévisions en août 1993, mais cela reste une des rares exceptions avec Les Brigades du Tigre.
Faute de débouchés sur les canaux historiques qui auraient dû légitimement continuer de les abriter, les programmes fictionnels patrimoniaux de la télé française s'éparpillèrent un peu partout ailleurs, en particulier entre 1993 et 2006, que ce fût sur TMC, sur la Cinquième, sur Festival, sur Canal Jimmy, sur Ciné classics (anciennement Ciné-cinéfil), sur AB1, sur Arte, sur Ciné FX, sur TV5 et j'en passe...En 2006, Direct 8, l'ancêtre de C8 se mit de la partie : je lui dus la diffusion de téléfilms désespérément indisponibles sur le site de l'Ina comme le Louis XI en deux parties de 1977-78 avec Denis Manuel
et La Nuit de l'Eté (1979) de Jean-Claude Brialy,
avec Henri Tisot et Marina Vlady. Ce téléfilm traitait de manière romancée de la fuite à Varennes. Une tentative de ressusciter Festival (assimilée à la manière Borg par France Télévisions) avec l'Ina et Canal + fit long feu et, le bannissement de la télé ancienne à la télévision devenant toujours plus intégral et irréversible, l'Ina décida de désormais tout miser sur Internet : Ina.fr naquit. Ce site devint de facto l'unique lieu où l'on put découvrir ce qu'autrefois fut la télévision tandis que d'errement en errement, de renoncement en renoncement, d'évacuation cuistre en évacuation cuistre, nous aboutîmes bientôt à la réduction de l'accès aux anciens programmes fictionnels, hors toile, en l'unique canal intitulé alors La Chaîne Histoire, avant qu'elle devînt tout récemment Histoire TV. Les Dames de la Côte, en cours de rediffusion en boucle sur cette même chaîne satellitaire, seront-elles l'ultime témoin feuilletonnesque transmis via un médium traditionnel à la mémoire et au ravissement d'un public qui ne les connut pas il y a quarante et quelques années ?
Prochainement : une "madelen" que vous aimeriez pouvoir recracher mais que vous ne pourrez pas dégurgiter facilement.
Faute de débouchés sur les canaux historiques qui auraient dû légitimement continuer de les abriter, les programmes fictionnels patrimoniaux de la télé française s'éparpillèrent un peu partout ailleurs, en particulier entre 1993 et 2006, que ce fût sur TMC, sur la Cinquième, sur Festival, sur Canal Jimmy, sur Ciné classics (anciennement Ciné-cinéfil), sur AB1, sur Arte, sur Ciné FX, sur TV5 et j'en passe...En 2006, Direct 8, l'ancêtre de C8 se mit de la partie : je lui dus la diffusion de téléfilms désespérément indisponibles sur le site de l'Ina comme le Louis XI en deux parties de 1977-78 avec Denis Manuel
et La Nuit de l'Eté (1979) de Jean-Claude Brialy,
avec Henri Tisot et Marina Vlady. Ce téléfilm traitait de manière romancée de la fuite à Varennes. Une tentative de ressusciter Festival (assimilée à la manière Borg par France Télévisions) avec l'Ina et Canal + fit long feu et, le bannissement de la télé ancienne à la télévision devenant toujours plus intégral et irréversible, l'Ina décida de désormais tout miser sur Internet : Ina.fr naquit. Ce site devint de facto l'unique lieu où l'on put découvrir ce qu'autrefois fut la télévision tandis que d'errement en errement, de renoncement en renoncement, d'évacuation cuistre en évacuation cuistre, nous aboutîmes bientôt à la réduction de l'accès aux anciens programmes fictionnels, hors toile, en l'unique canal intitulé alors La Chaîne Histoire, avant qu'elle devînt tout récemment Histoire TV. Les Dames de la Côte, en cours de rediffusion en boucle sur cette même chaîne satellitaire, seront-elles l'ultime témoin feuilletonnesque transmis via un médium traditionnel à la mémoire et au ravissement d'un public qui ne les connut pas il y a quarante et quelques années ?
Prochainement : une "madelen" que vous aimeriez pouvoir recracher mais que vous ne pourrez pas dégurgiter facilement.
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