Guillaume Apollinaire et les commémorations 2018 des personnalités de la culture antérieure à la télévision : un bilan consternant.

A l'exception des commémorations factuelles (1918, mai-68) et de quelques émissions consacrées à des personnalités comme Leonard Bernstein
 
 ou - d'une manière tardive et programmée en catimini la nuit - Claude Debussy, force est de dresser un constat sans appel de l'attitude de la télévision dans les programmations autour des anniversaires de personnes marquantes de la culture antérieure nées ou mortes dans des années en 18 ou en 68. Je résumerai ce constat en deux mots : consternant et inquiétant. 

Consternant, car une fois de plus, le service public français ne fut nullement à la hauteur et Arte guère plus que France Télévisions, qui souvent se contenta de reportages ponctuels dans Entrée Libre de Claire Chazal (Debussy justement, mais aussi Edmond Rostand ou Paul Claudel)
 
 faute d'une volonté politique et financière d'investir dans la production de documentaires de 55 ou 90 minutes dignes de ce nom. Guillaume Apollinaire était à la portée d'Arte et France Télévisions qui n'en firent rien. Arte est coutumière des retards comme Dickens en 2014 pour 2012 et Rameau en 2015 pour 2014. Grâce à l'investissement du ministère des armées, Arte a cependant rattrapé en novembre dernier Georges Guynemer
 
 et les as de 14-18 à l'occasion du centenaire de la fin de la Grande Guerre. De facto, seul Charles Maurras (comme Edouard Drumont)
 
 méritait l'exclusion légitime de toute commémoration nationale. 

Inquiétant, parce que ces exclusions télévisuelles multiples témoignent d'une culture antérieure, autrefois scolaire puis universitaire qui meurt à petit feu et que la télé a renoncé à transmettre. C'est la fin du rêve éducatif et la culture officielle actuelle - y compris chez les élites de l'argent et des médias auto-proclamées - ne correspond plus à celle qu'on m'a apprise et que j'ai perçue dans mon enfance et ma jeunesse. 

Inquiétant aussi dans un contexte économique catastrophique pour le livre et la librairie. Aix-en-Provence, ville universitaire emblématique où je fis mes études supérieures, perd ses librairies indépendantes les unes après les autres. Fin mars 2019, une seule sans doute demeurera, sur le cours Mirabeau, fort malmené ces derniers temps par les travaux et l'élimination des platanes. Un conservateur de bibliothèque que j'ai connu à l'IUFM d'Aix avait prophétisé dès 1997 la fermeture de ces librairies "non rentables" bien que l'ogre Amazon existât à peine à l'époque. Cette hécatombe semble autant due à la spéculation immobilière (flambée des baux commerciaux) qu'à la désaffection pour le livre papier jugé trop onéreux, qu'au déclin du nombre des gros lecteurs et à la crise des commerces matériels au profit de la dématérialisation numérique et de l'explosion du e-commerce qui a tué la chaîne Virgin Megastore en 2013.
 

Pour en revenir aux personnalités pas ou mal commémorées en 2018, Arte, qui se dit féministe, n'a pas su profiter d'un centenaire de la mort de Debussy qu'elle a failli exclure pour faire découvrir au grand public Lili Boulanger, morte quelques jours avant lui.
 

Je suis totalement consterné par l'absence de tout documentaire autour d'Apollinaire en 2018, comme je le fus pour Léo Ferré en 2016 ou Baudelaire en 2017. Guillaume Apollinaire est pour moi une icône poétique de la littérature.Comme Debussy au printemps avec le japonisme, Apollinaire s'est retrouvé dans la situation de la personne citée en marge de documentaires consacrés à Picasso et au cubisme. Les pontes qui choisissent les lignes éditoriales de la télé semblent fâchés avec la poésie.

Deux autres personnalités marquantes de la musique et de la littérature ont désespérément manqué à l'appel des 365 journées de l'année 2018 : Charles Gounod et Chateaubriand.

Même Stéphane Bern semble n'avoir rien projeté au sujet de ce dernier ! Quant à Gounod, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu le moindre fragment d'un de ses opéras cette année sur le petit écran. Je ne suis pas doté des mille yeux du docteur Mabuse de Fritz Lang. Gounod paie-t-il encore le scandale artificiel suscité il y a près d'une décennie par le Mireille de Nicolas Joel à l'opéra Garnier ? Par ricochet, Frédéric Mistral aussi le paya cher, sans doute réduit à la dimension d'un fieffé maurrassien "calendal" s'exprimant dans un patois anti-mondialiste bon pour une certaine Marine vêtue d'un gilet jaune...
Ce n'est pas avec de telles mesquineries imbéciles sous-jacentes et sous-entendues que la culture fera un retour remarqué dans une lucarne non plus étrange, mais totalement dépassée et terrassée par les croupières que lui taille la Toile. CQFD.

Prochainement : je débuterai l'année 2019 par une reprise de la série d'articles consacrée aux peintres dont on ne veut plus en m'attaquant au Dominiquin, ce peintre italien baroque de la première moitié du XVIIe siècle dont plus personne ne parle.
Qui se souvient encore que sa Sibylle de Cumes illustra la couverture d'un roman d'Anne Rice ?