samedi 25 juin 2016

"The Witch" et le cinéma fantastique réservé seulement aux multiplexes : une tautologie ?

Il n'y aura plus d'accident sur cette ligne tant que je veillerai. (Ernest Borgnine dans Le Fantôme du vol 401 téléfilm américain de Steven Hilliard Stern (1978)) 

J'aborde l'article de ce jour à l'heure où les distributeurs affûtent leurs armes afin de saborder la sortie de Conjuring 2.
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Ils me font irrésistiblement songer à ces araignées embusquées, que j'aime à observer, jeûnant des heures durant jusqu'à ce que la proie opportune et rêvée se présente à leurs crochets venimeux après s'être piégée en leur toile. J'admire la patience de ces bêtes que l'on hait ainsi que l'écrivait Hugo, arachnides qui répugnent à l'être humain et sont pourtant utiles à l'équilibre naturel puisqu'ils prélèvent leur juste part d'insectes.
Hélas, les araignées sont plus dignes que les fomenteurs de complots distributifs détestant les films de genre ! Leur dernier trophée au tableau de chasse s'intitule The Witch,
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 film fantastique hors normes académiques de Robert Eggers (j'insiste sur cet aspect de l'oeuvre). Mention doit être donnée à la jeune comédienne Anya Taylor-Joy, révélation qui assume le rôle principal de cette fiction d'époque obscurantiste. Si la possibilité désormais hautement improbable m'avait été donnée de voir ce film en projection traditionnelle, peut-être aurais-je pu, çà et là, y détecter des influences et citations appartenant à l'histoire du cinéma fantastique. Peut-être eussè-je pu affirmer que The Witch était marqué par Les sorcières de Salem de Raymond Rouleau (1957), par Into the woods de Rob Marshall (2014) ou encore Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro (2006). Sans doute aurais-je spéculé, glosé, sur d'autres sources d'inspirations référentielles multiples : Les Diables de Ken Russell (1971) mais aussi un cinéma moins baroque, plus austère, ascétique : les oeuvres de Carl Theodor Dreyer comme Vampyr (1932) et Dies Irae (1943) 
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 sans omettre évidemment Ingmar Bergman avec  Le septième sceau (1957) et La Source (1960), où déjà s'impose la figure de l'innocente jeune fille blonde s'aventurant dans une forêt pleine de périls, motif courant depuis les contes médiévaux où l'espace forestier était perçu comme répulsif et redoutable. The Witch partage avec la plupart de ces films les thématiques de la sorcellerie, du diable et de la possession démoniaque, commune à l'ère des bûchers de sorcières ouverte au XVe siècle (Thomasin, interprétée par Anya Taylor-Joy, est soupçonnée de sorcellerie, de commerce avec le démon, d'infanticide), si bien étudiée par Robert Mandrou dans son ouvrage maître Magistrats et sorciers.  A la différence de la jeune Thomasin, c'étaient des femmes mûres, âgées, solitaires, isolées, qui étaient considérée comme des sorcières : des asociales et marginales dirait-on aujourd'hui. Dans The Witch, c'est toute la famille qui vit isolément. les personnages isolés en forêt de The Witch, en ce no man's land, sont les ancêtres des "sauvages blancs" de Délivrance et de Massacre à la tronçonneuse.
Notre production indépendante découverte tantôt au festival de Sundance puis récompensée à Gérardmer a "bénéficié" d'un cadeau empoisonné, dont Eggers a eu tort de se réjouir : une distribution internationale par la Universal, qui en a acheté les droits mondiaux, donc par ricochet français.
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Car il est désormais certain que faire distribuer The Witch par Universal a été une erreur fondamentale, que dis-je, une gaffe monumentale, cause de malentendu, de divorce consommé entre le public archi formaté et catégorisé des salles de multiplexes auxquelles on a restreint le film et la critique intellectuelle favorable au travail de Bob Eggers. Mieux eût valu qu'un distributeur indépendant français s'en occupât, le prît en charge afin que le circuit art et essai en bénéficiât aussi.  C'eût été amplement mérité, vu les qualités esthétiques et narratives de The Witch. En lieu et place, le film a dû se contenter d'une combinaison chiche d'environ 146 copies, conforme désormais, depuis la catastrophe industrielle Annabelle, au parc d'écrans que les grosses boîtes comme Universal (et les autres) acceptent d'attribuer à un long métrage de genre sans vedettes bankables. Autrement dit, seuls les multiplexes maillant nos périphéries urbaines ont eu droit à ce film. Adieu les centres villes non parisiens, les petites cités provinciales, les quartiers de proximité. Même Aix-en-Provence, dépourvue de tout méga complexe, a été privée de The Witch !
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En constatant les dégâts causés à The Witch du fait de cette situation, en mesurant les conséquences de ce divorce, je me remémore le sort encore plus lamentable de tous ces petits films restreints à une poignée de salles, films si discrets que pas même la critique n'a remarqué leur existence : films presque sans cinémas pour les projeter, sans critique et sans public. Ainsi sont, depuis le 22 juin 2016, Rosenn d'Yvan Le Moine, restreint à dix copies à peine, qui a mis deux ans et demi pour décrocher quelques écrans dérisoires et Futur antérieur de Franck Llopis, qui fluctue selon les jours entre trois et quatre salles ! L'un pèche par son appartenance à la catégorie historico-romanesque costumée rétro (l'action se déroule à La Réunion en 1909), l'autre par son concept science-fictionnesque mis en scène avec un micro budget : le voyage dans le temps et ses conséquences. Pour rappel, les cartésiens casaniers haïssent la SF et le fantastique.
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C'est la raison pour laquelle, depuis longtemps se développe ce que je puis qualifier de tautologie absurde : le film fantastique, d'horreur, c'est pour les multiplexes, et uniquement réservé pour eux. C'est formaté pour les ados chahuteurs en quête de sensations fortes à 21-22 h (y compris les minettes) qui provoquent boucan, grabuge, tintouin, esclandre, font semblant d'écouter ce qui se déroule sur l'écran, pourrissent les fauteuils et le sol de soda, de pop-corn ou  lacèrent leur siège au cutter, et jouent avec leur smartphone... L'affaire Annabelle constitua la confirmation de cet état des choses qui atteignait les films réservés aux plus de douze ans. En cela, Annabelle a engendré une espèce de jurisprudence culturelle exclusive, ghettoïsante, privant le public adulte raisonnable de l'accès à ces films de genre divertissants. Auparavant, en la précédente décennie, le phénomène de comportement indiscipliné, incivil et dégénératif des publics juvéniles, vis à vis cette fois des films classés gore, hyper violents, d'horreur pure sanglante, réservés aux plus de seize et de dix-huit ans, avait forcé les exploitant, du temps des films de la franchise Saw, par exemple, à pousser à la restriction drastique du nombre de copies consacrées à ces oeuvres "trash" terrorisantes et terrifiantes.
De fait, ces jeunes sont les héritiers de ceux qui, il y a quarante ans de cela, grâce à la permissivité anti Anastasie des patrons exploitants d'une ville comme Albagrad où alors j'habitais, se ruaient à la découverte des films d'horreur interdits en ce temps-là aux moins de treize ans voire du X transgressif, étalant ensuite complaisamment leur expérience en classe, narrant les salauderies auxquelles leurs yeux et leurs oreilles avaient primairement (limbiquement ?) goûté, me persécutant  car je ne partageais pas leurs goûts insanes. Nous sommes dès lors confrontés à un troupeau moutonnier, "panurgique", dont les goûts filmiques sont dictés, modelés par le haut, décidés d'en haut, c'est-à-dire par les transnationales de la distribution du "septième art" industriel qui classent, quantifient, orientent, modèlent et modulent les cervelles. Ainsi en était-il de ces marches militaires allemandes modelant le patriotisme pangermaniste détestées par Einstein, qui instillaient l'envie de s'engager, de partir au front se faire trouer la peau ou fracasser la gueule en 1914 au nom de Vaterland,  de Germania ou d'Heimat. Cervelles limbiques, pavloviennes, des publics jeunes, vieux ou familiaux, programmés "mécaniquement" (ô l'homme-machine post-cartésien !) pour uniquement se rendre dans les salles obscures jouant soit les dessins animés américains 3 D (au détriment des chefs-d'oeuvre français primés à Annecy, sous-exposés, et qui ne trouvent pas leur public grâce à la "frilosité" ultra commerciale des programmateurs eux-mêmes vendus au système sous peine de mettre la clef sous la porte et de baisser le rideau après l'ultime séance), soit  les comédies françaises hénaurmes et franchouillardes de populisme puant, dégoulinant tel un camembert putride, soit enfin des produits de franchise Marvel et Cie rabâchant les mêmes formules pyrotechniques et de baston jusqu'à plus soif ... Ceci est du divisionnisme culturel, de la parcellisation du "diviser pour régner d'Hayek et Friedman...
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Paradoxe vain : désormais, je ne crains plus les films fantastiques, et c'est au moment où ils ne me terrorisent plus que je ne parviens plus à les voir, puisque leur exploitation obéit toujours plus systématiquement au fil des mois à la doxa tautologique du "film d'horreur de série B pour jeunes de multiplexe", même lorsqu'il s'agit de The Witch, davantage formaté pour l'art et essai (il eût mérité qu'on le vît en VO, dois-je le répéter ?) que pour un public juvénile ignare et archi stupide, incapable de se concentrer sur l'action se déroulant à l'écran, zappant sans cesse.
A cause de cela, il me faudra patienter plusieurs mois encore (jusqu'à l'éventuelle sortie en blu-ray si le support existe encore et n'a pas succombé au flot de la dématérialisation) pour apprécier enfin le film en costumes fantastique de Robert Eggers, qui vaut, par le reflet de mentalités archaïques et fanatiques du XVIIe siècle puritain qu'il nous donne à voir,  baignant dans l'ignorance et dans l'irrationnel, les plus grands travaux des historiens français de l'époque moderne : Jean Delumeau, Robert Mandrou, Robert Muchembled, Philippe Ariès, François Lebrun et Michel Vovelle.

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La prochaine fois, il sera encore question de cinéma avec "The Neon Demon et Moi, Daniel Blake ou la glace à deux faces".

samedi 18 juin 2016

"Daddy Love", le dernier roman de Joyce Carol Oates paru en France presque ignoré par la critique.

Par Cyber Léon Bloy.

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 Et maintenant nous travaillons à l’union de la nation française contre les 200 familles et leurs mercenaires. Nous travaillons à la véritable réconciliation du peuple de France.
Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques parce que tu es notre frère et que lu es comme nous accablé par les mêmes soucis.
Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix de feu parce que tu es un fils de notre peuple que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux comme nous éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe.
(Maurice Thorez, Discours de la main tendue 17 avril 1936)

A l'occasion de cet article, dois-je remercier Monsieur Eric Neuhoff, dont je ne partage aucunement les idées, d'avoir été une des rares personnalités à avoir consacré une critique à Daddy Love, dernier roman de l'immense Joyce Carol Oates paru en français chez Philippe Rey... le 7 avril 2016 ? Pourquoi faut-il qu'un néo Hussard officiant au Figaro Littéraire ait été l'unique professionnel hexagonal compétent à s'exprimer au sujet de ce livre remarquable auquel il a attribué quatre coeurs sur cinq ? Pourquoi donc les pages de Télérama, du Magazine littéraire, du Monde des livres, de Lire, demeurent-elles en ce jour désespérément silencieuses, aussi vides que le journal de ce gros despote stupide, paresseux et tumescent de Louis XVI  le 14 juillet 1789 ? Pour quelle raison nada, nada, nada, la vacuité ressassée jusqu'à plus soif par cette presse instituée "culturelle" ?  Non, mesdames et messieurs, je ne cherche point midi à quatorze heures ! L'heure s'avère gravissime pour qui, comme moi, défend encore la culture littéraire en ce royaume bancroche menaçant ruine, royaume jà entouré d'un agrégat de mouches attirées par les fumets putrides qu'il dégage. 
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Oui, le silence critique au sujet de Daddy Love relève du boycott plus ou moins intentionnel et conscient, de la négligence la plus crue, la plus crasse, la plus ignorantine, la plus infâme ! Ici, qui ne dit mot ne consent pas... Que les "intellectuels" opposés à ce livre aient le cran, les génitoires pour exprimer la raison déraisonnable pour laquelle ils font fi de Daddy Love !
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 Je ne suis pas tribun ; mon nom n'est pas Georges-Jacques Danton. Je cherche simplement, en citoyen honnête et éclairé, à connaître la vérité sur le boycott du dernier ouvrage de Joyce Carol Oates, sur cette fiction remarquable, dérangeante, en phase avec une actualité qui me débecte souventes fois : l'actualité de la perversion pédophile. 
Est-ce parce que Daddy Love, le prédateur, ne correspond pas à la doxa communément admise ? Oui, vous l'avez compris : Daddy Love n'appartient pas à la prêtraille, à l'espèce des curaillons priapiques éduqués par Hadrien, déviants, horribles, espèce qui pullule dans nos a-médias friands de faits divers sordides ! Daddy Love est, hélas pour nos critiques, un prédicateur protestant itinérant dans la lignée de tous ces Elmer Gantry de bazar, qui firent l'intérêt du chef-d'oeuvre dénonciateur de Sinclair Lewis, adapté au cinéma en 1960 par Richard Brooks avec Burt Lancaster et Jean Simmons. Daddy Love est aussi dans la lignée du Robert Mitchum de la Nuit du chasseur... pasteur fou, inquiétant, dangereux, révérend tueur en série comme Daddy Love, Landru du fanatisme réformé. C'est de cela, de cet exemple filmique et romanesque (Charles Laughton et Davis Grubb) que Joyce Carol Oates se réclame. Les non-cultureux illettrés de la connaissance qui ont considéré Daddy Love comme sans intérêt n'ont pas compris les références sous-jacentes de Joyce Carol Oates, ayant oublié l'ancienne domination WASP de l'Amérique que la grande romancière a contribué à critiquer, à ébranler et à déboulonner.
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Il est d'autant plus singulier que cet "oubli" conscient de Daddy Love est contemporain de maints autres, touchant, en la majorité des cas, des romans édités tout récemment dans la collection blanche de Gallimard qui partagent en commun leur non appartenance au présentisme immédiat : Otage de marque d'Antoine Billot, Tout a une fin, Drieu de Gérard Guégan, L'Année pensionnaire d'Isabelle Lortholary, Je ne pense plus voyager de François Sureau... La critique de ce dernier livre, un récit davantage qu'un roman historique, fut restreinte à la seule presse catholique, Charles de Foucauld, son sujet, étant jugé trop "religieux", trop "colonialiste" voire "fondamentaliste" pour notre bien-pensance ancrée dans un présent tout aussi putrescent que le passé dont il a toutes les leçons à recevoir. Rien qui ne fasse consensus chez les bourgeois-bohèmes déculturés, donc décérébrés comme un foetus anencéphale à spina bifida.
"Bizarre autant qu'étrange et je dirais même plus..." eussent pu déclarer deux fameux policiers pinkertoniens de carnaval hergéen, coiffés de leur sempiternel melon anthracite, aux moustaches brunes grotesques, champions hors pair de la contrepèterie involontaire... Couple trop bien assorti, mimétique, siamois, rattaché par le même point commun : la stupidité intégrale. En fait, rien ne m'étonne dans cette lamentable affaire qui lèse la réception en France d'un de nos plus grands écrivains vivants, écrivaine devrais-je écrire pour me conformer à un usage de genre imposé d'en haut.  Y-aurait-il un mauvais procès instruit contre Joyce Carol Oates après qu'elle eut critiqué l'attribution du prix du courage à Charlie Hebdo ? Il est en notre France sectaire et abrutie par l'ultralibéralisme, par le stupre d'Hayek et Friedman, des actes,  des paroles, des gestes, des opinions, des idées, que les gardiens du Temple ne pardonnent jamais...
L'on sait que Joyce Carol Oates aime à brasser les genres littéraires, et qu'elle excelle en l'art du détournement du roman policier, du gothique, de l'histoire contemporaine des Etats-Unis. Le désintérêt pour Daddy Love, hors Figaro est selon moi tout à fait contestable, d'autant plus que notre auteure reprend à sa manière, en les sublimant, des recettes éprouvées par des prédécesseurs, qu'ils ou elles soient des cinéastes ou des écrivains de best-sellers (ce qui ne signifie pas absence de qualité). Pour qui sait fouiller dans la fange de la surproduction livresque initiée depuis plusieurs décennies, il est possible d'extirper çà et là des pépites dignes des plus grands chefs-d'oeuvre universels, bien qu'elles appartinssent et s'apparentassent à l'origine au genre tant honni de la "para-littérature" : j'ai nommé L'Aliéniste de Caleb Carr
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 et Cérémonies barbares d'Elizabeth George. Avec Daddy Love, Joyce Carol Oates reprend le flambeau de ces auteurs remarquables qui défrayèrent la chronique de la littérature de genre de la fin du XXe siècle. Tout comme elle avec la figure troublante du prêcheur itinérant subjuguant adultes et gamins qu'il enlève afin de les instrumentaliser, Caleb Carr et Elizabeth George furent en leur temps de salutaires démolisseurs d'idées reçues au sujet de l'indicible pédophilique, prouvant d'une part que ce crime ne se restreignait pas à la seule prêtraille catholique pervertie et dévoyée et, d'autre part, que les dérives du système social du XIXe siècle, jà dominé par le lucre boursicoteur, engendraient des abominations comme la prostitution de gamins travestis en fillettes dans le New York de Theodore Roosevelt. Elizabeth George mettait en scène le milieu huppé des collèges anglais protestants de bon ton, où les pires salauderies sont possibles, où les pires déviances se font dans le plus grand secret, à moins qu'un enquêteur de renom y vienne fouailler l'immondice.
Le Prédicateur était fascinant pour Daddy Love, mais seulement pendant une période de temps limité. Et puis le Prédicateur gagnait de l'argent de temps à autre. Vous ne pouviez croiser le regard gravement bienveillant du Prédicateur sans être démangé par l'envie de lui ouvrir votre portefeuille car lui donner de l'argent, c'était le donner à Jésus-Christ lui-même semblait-il. (Joyce Carol Oates: Daddy Love p. 61. Traduction Claude Seban. Editions Philippe Rey 2016).
Une Eglise qui  se nourrit ainsi d'argent est une Eglise corrompue, honteuse, pervertie. Joyce Carol Oates énonce tous les péchés de l'Amérique. Son roman dérange d'autant plus que les victimes de Daddy Love (qu'il conserve jusqu'à l'âge de 12 ans) souffrent d'une forme ambiguë du syndrome de Stockholm, s'entichent de leur horrible bourreau... Ainsi est le petit Robbie, devenu "Gideon", rebaptisé par Daddy Love. Le monstre (il est dit depuis Anna Arendt que le mal, les monstres, revêtent l'aspect le plus banal) use d'un accessoire frappant pour dissimuler ses proies : une espèce de vierge de bois, évocatrice des cercueils, mais aussi des vierges ouvrantes du Moyen Âge tardif, pour ne pas dire des tristement célèbres sarcophages inquisitoriaux hérissés de piquants létaux internes bien connus sous le nom de vierges de fer : un "beau" spécimen vous est montré au début du film de Paul Leni  L'Homme qui rit. "Gideon", en principe, la puberté approchant, lasse notre prédateur tueur en série qui devrait l'éliminer tout comme ses prédécesseurs. Dans Daddy Love, l'horreur suprême accoutumée n'adviendra pas.  Certes, le pervers pédophile, de son vrai nom Chet Cash, sera arrêté par la police. Certes, l'on pressent pour lui la justice immanente des prisons, où les autres détenus règlent eux-même le compte des gens comme lui... Le roman s'achève dans la crainte que tout recommence avec un autre détraqué.

Prochainement :   The Witch et le cinéma fantastique pour multiplexes seulement : une tautologie ?

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dimanche 5 juin 2016

Quand Arte censurait ses documentaires et ses soirées Thema en les déprogrammant.

Le boycott critique constitue le premier stade de la censure (Aphorisme de Cyber Oscar Wilde)

Les critiques institués n'ont même pas de prétexte idéologique officiel à brandir pour boycotter les derniers romans d'Antoine Billot et de Joyce Carol Oates édités en France ; ils boycottent tout de même, sans même savoir pourquoi, sans justification, comme s'ils obéissaient à de simples stimuli pavloviens ou behaviouristes limbiques. (propos du savantissime éthologue humain du XXIe siècle)

La nocivité révolutionnaire et anti-système des bobos et de Pedro Almodovar équivaut à celle du poète Jean Richepin (1849-1926) lorsqu'il fut élu en 1908 à l'Académie française et  de James Ramsay Macdonald resté en 1931 à la tête du gouvernement britannique d'union nationale dominé par les tories. (sentence de Moa jouant à l'historien)

Ils critiquoient ce qu'ils aimoient ; ce qu'ils n'aimoient pas, ils ne le critiquoient point. (le Nouveau Cyber Saint-Simon : propos sur les romans et leurs critiques)

Retournons un cheveu en arrière dans le temps. Pas de beaucoup, juste en la première décennie du XXIe siècle, lorsqu'il arrivait à Arte qu'elle pratiquât une certaine autocensure. Trois exemples historiques, risibles, grotesques, injustifiables lorsqu'on pense que l'un d'eux arriva peut-être trop tôt, lorsqu'on songe au déballage médiatique qui s'en suivit. Je pense bien sûr au scandale de la FIFA qui a défrayé la chronique en 2015. 
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Dès 2006, Arte savait que la FIFA était pourrie de l'intérieur, mais ses programmateurs n'eurent pas les génitoires et le courage investigateur de maintenir à l'antenne toute une soirée Thema consacrée à ses pratiques douteuses, cela sans doute pour ne pas effaroucher l'Allemagne puisque ce dévoilement serait tombé fort mal à propos en pleine coupe du monde de foot organisée outre-Rhin ! 
Ladite soirée Thema avait pour titre "Carton jaune pour la FIFA". Nous étions le 28 juin 2006 et il faut lire dans les archives du Monde les circonvolutions juridiques et jésuitiques ayant servi de prétexte à nos Anastasie pour ne pas diffuser ces documentaires "dangereux". Permettez-moi d'employer une formule lapidaire : l'autocensure est la science des lâches. Il eût fallu en ce cas précis que l'Arte de l'époque fît preuve d'une audace qu'en d'autres circonstances, elle nous a accoutumés à apprécier, même si personnellement je ne partage pas toujours ses points de vue.
La Thema de juin 2006, judicieusement intitulée "Carton jaune pour la FIFA" comprenait deux documentaires "tendancieux" :
- For the good of the game ? ;
- Quand la FIFA dicte sa loi à l'Allemagne.
La raison officielle invoquée, oiseuse comme on le devine, était que ce second titre n'était pas encore terminé à la date prévue pour sa diffusion ! C'est plus fort que moi : ma mémoire d'éléphant me pousse à remuer les vieilles couches et strates de boues immondes et malodorantes. J'aime à laver le linge sale, à ouvrir les vieilles armoires, les vieux placards recelant des squelettes...
De fait, le contentieux concernait le premier documentaire. La ZDF, gros acheteur et fournisseur d'Arte, avait agi avec prudence, pour ne pas dire pusillanimité : elle avait souhaité vérifier la fiabilité des informations "scandaleuses" révélées par ce film de la BBC, que BBC One n'hésita pas à diffuser. Sepp Blatter était déjà dans le collimateur et ce docu ne faisait qu'adapter le livre d'investigations du journaliste britannique Andrew Jennings, Carton rouge pour la FIFA, que Les Presses de la Cité venaient de publier en France.
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Lorsqu'on se remémore la série de scandales et de révélations qui  l'an passé ont poussé Sepp Blatter vers la sortie, force est de manifester son amertume devant aussi peu de clairvoyance de la part de programmateurs ayant voulu ne pas avoir maille à partir avec la justice. Le "pas de vagues" a tenu lieu de politique de l'autruche.
Une année auparavant, Arte annulait définitivement une autre soirée Thema, que Télérama avait pourtant critiqué de manière positive. Elle tournait autour du documentaire "Mana, le pouvoir des choses" de Peter Friedman et Roger Manley, réalisé en 2004. Seulement, il y avait le contexte : les agonies conjointes de Jean-Paul II et du prince Rainier de Monaco. Là où le bât blessa, ce fut qu'une seconde soirée Thema, tout à fait futile et "branchée", consacrée au strip-tease, déprogrammée elle aussi la semaine qui suivit, eut droit elle, à une seconde chance de diffusion ! C'était l'époque des soirées Thema du vendredi soir en seconde partie de soirée, supprimées depuis (il semble que les "affaires" de l'an 2005 leur portèrent un coup fatal).
Nul ne se soucia de la non-reprogrammation de "Mana le pouvoir des choses", événement ne provoquant aucune vague d'indignation, comme si ce documentaire eût symbolisé une forme de paganisme ésotérique hideux, sacrilège, irrationnel, anti-scientifique. Nos zététiciens auraient-ils veillé au grain afin que nul ne vît jamais ce "mana"-là ? C'est dans cette optique qu'il faut peut-être penser pour comprendre le pourquoi de l'occultation médiatique du film de Friedman et Manley qui sans-doute rappelait trop les anciennes thèses d'anthropologues du début du XXe siècle émules de Lévy-Bruhl et Marcel Mauss. Pour rappel, le mana est un concept  polynésien, d'essence magico-religieuse, que Marcel Mauss étudia. La notion a été remise en cause par l'anthropologie récente.
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Remontons jusqu'à l'année 2003 afin d'aborder un ultime exemple. Il s'agit de "Jenine Jenine", réalisé en 2002 par Mohammed Bakri et qu'Arte aurait dû diffuser en principe l'année suivante. Cette oeuvre controversée due à un Arabe Israélien fut interdite par le comité de censure du cinéma israélien dans le contexte événementiel explosif de l'époque. Jugé comme un film de propagande, considéré comme partial, non objectif, Arte pensa que, par sécurité, il valait mieux qu'elle ne le programmât pas. Des polémiques que cette décision a suscité à l'époque, il reste des traces d'archives çà et là sur le net. Je ne puis juger un documentaire que je n'ai pas vu et je préfère rester prudent en l'affaire, au-dessus de la mêlée, tel Romain Rolland en 1915, refusant de me compromettre en cette guerre proche-orientale éternelle qui finit par lasser les âmes de bonne volonté elles-mêmes. Faudra-t-il que l'humanité soit menacée d'extinction pour que les deux camps cessent à la parfin leur lutte fratricide stupide ?
Certes, je pourrais qualifier l'acte d'Arte de lâcheté ordinaire... La chaîne de ces années-là craignait de prendre trop ouvertement parti pour l'une ou l'autre cause, sachant qu'elle est franco-allemande, le passé allemand que l'on sait intervenant sans doute  aussi dans le contexte. Je ne me mouille pas. Toujours est-il qu'en 2016, la situation est tout autant bloquée et désespérante, sans nul bout du tunnel à entrapercevoir... à moins qu'il soit à des années-lumières de nous, hélas ! Napoléon disait : "Ce n'est pas en criant "Paix !" qu'on l'obtient."
Peut-être eût-il mieux valu, pour ces trois exemples de déprogrammation peu édifiants, qu'on les laissât voir à des téléspectateurs seuls juges et plus adultes qu'on ne croit. Peut-être eût-il été préférable qu'on accompagnât chaque diffusion d'un avertissement et qu'on fît jouer le droit de réponse, puisque nous sommes en démocratie...participative. C'était avant l'existence des réseaux sociaux, encore embryonnaires, prompts à la réaction épidermique, à l'emballement laissant libre cours à l'expression des dérapages les plus nauséabonds.
Le contenu du prochain billet est sous-entendu par les fausses citations de polémiste que j'aime à placer en ouverture de chacun de mes textes. Joyce Carol Oates en sera le personnage central...

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