Ô, personnes innombrables connectées sans fin aux écrans nomades, smartphones, tablettes et montres, comme je vous plains ! Vous êtes des victimes addictives qui s'ignorent. Vous êtes pistés, fliqués, par les marchands ! Big Hayek is watching you ! (chroniques de Moa)
Social d'abord ! (l'anti Charles Maurras)
Le ravi est de plus en plus ravi. (Jaf : Monsieur Jujube in Le Provençal vers 1980)
Et voilà : vous voyez ce que ces pages ont fait de moi ? Je ne serais pas surpris si ce récit participait encore un peu plus à l'extrême-droitisation de la pensée en France. (Laurent Nunez A dire vrai : "Edouard Louis en pleine complaisance." In Marianne n° 978 8-14 janvier 2016 p. 70)
Dans la littérature, les sujets qui concernent les aventures amoureuses ou, plus crûment, les relations sexuelles, sont bien entendu les pièces de choix. Ainsi, chaque année fleurissent des "angoteries" (à la manière de Christine Angot), des romans racontant comment l'auteur ("d'après une histoire vraie") a été violé par son père, a couché avec sa mère, vit en ménage avec sa soeur, a sodomisé son frère (ou sa soeur, sa mère, son père, son chien etc.). A partir de ces données de base se greffent toutes les variations possibles sur les protagonistes : catholique fervente devenue musulmane intégriste, monstre aux difformités physiques répugnantes, anorexique spécialiste de Heidegger ou ancien des Einsatzgruppen (unités d'extermination de l'Allemagne nazie), boulimique graphomane adepte du kung-fu etc. Ce serait comique si ces niaiseries et leurs hérauts n'occupaient tout le territoire des lettres et ne repoussaient les romans affrontant la montagne littérature dans les bantoustans solidement protégés par les barbelés afin que nul n'en sorte. (Gérard Mordillat : "Le sujet ! le sujet ! le sujet !" in Le Monde diplomatique n° 742 janvier 2016 p. 28)
L'autofiction est devenue, en ce premier quart du XXIe siècle, un topos autodestructeur de la littérature. Les deux dernières citations, véridiques et toutes récentes en ouverture de ce billet, surtout la longue diatribe de Gérard Mordillat, sont en totale adéquation et harmonie avec ma propre opinion. On ne peut taxer ces auteurs et chroniqueurs remarquables de dérive extrémiste et haineuse à la Richard Millet ou de dérapage non contrôlé à la Jean Clair. Non, ces citations méritent qu'on s'y attarde tant elles trahissent un avachissement, une déréliction, un dépérissement de la littérature au profit de l'a-littérature. Je puis parler en toute connaissance de cause d'anti-écriture contemporaine dans laquelle le souffle, l'épopée, mais aussi la dénonciation de l'horreur sociale, de l'injustice, se sont effacés au profit d'une doxa du renoncement, du repli en position foetale. Le tout se conjugue avec une disneylandisation croissante de la culture, des musées, des sites, des monuments, métamorphosés en parcs d'attractions, en fêtes foraines mercantiles et factices, dérives déjà dénoncées en leur temps par Douglas Preston et Lincoln Child dans leur chef-d'oeuvre du thriller La Chambre des Curiosités au sujet des muséums d'histoire naturelle américains. Le marché proliférant tel un cancer, a contaminé la culture, s'étant d'abord attaché au démantèlement de celle du peuple, impulsée d'en bas, au profit d'une culture de masse uniformisée, impulsée d'en haut. Lisez les travaux de Robert Muchembled...
Il est donc logique, significatif, en ce monde littéraire topique tournant au diktat hayekien, qu'après le scandale du boycott critique quasi général du dernier roman d'Alexis Jenni au printemps 2015, La nuit de Walenhammes, les tenants de la doxa officielle a-littéraire se soient attachés à ignorer plusieurs titres parus cet automne, ou à à peine les évoquer le temps d'un article unique et volatil, tant ils n'entraient pas dans le moule stalinien inverti par Hayek et Friedmann, tant ils n'étaient pas conformes à la ligne du parti unique littéraire topique.
J'en évoquerai quelques-uns. Après une brève parenthèse située entre août 2014 et janvier 2015, flambée éphémère au cours de laquelle la critique s'intéressa enfin à des romans historiques remarquables tels Karpathia de Mathias Menegoz et Evariste, de François-Henri Désérable, il semblerait qu'elle soit retombée depuis dans ses travers ignorantins habituels, à l'exception notable de Solstice de François Taillandier et du Fleuve Guillotine d'Antoine de Meaux, seuls en leur genre à avoir trouvé les faveurs de "la bande des quatre", ainsi que je surnomme le quatuor composé de Télérama, du Monde des livres, de Lire et du Magazine littéraire. Ce quatuor tend à donner le la, et malheur aux romancières et romanciers ignorés par lui.
Le cas le plus emblématique est constitué par Re-vive l'Empereur de Romain Puértolas.
Le Monde feint l'étonnement à propos de l'insuccès notable de ce bouquin - presque une exception parmi d'autres fictions abordant avec plus ou moins de brio le problème du fondamentalisme musulman - alors qu'il y a contribué en ne publiant strictement aucune ligne à son sujet, après pourtant l'avoir cité dans la liste des parutions de la rentrée littéraire 2015. Sans doute a-t-il été considéré comme une pochade pour potaches non politiquement correcte à cause de son sujet et de son humour gênant, vu qu'il parle d'un retour inopiné et rocambolesque de Napoléon au XXIe siècle, l'Empereur recrutant une nouvelle Grande Armée hétéroclite pour combattre les islamistes. La thématique n'était pas nouvelle, un peu usée peut-être : le retour des grands personnages historiques, bons ou méchants, a été récemment illustré par Benoît Duteurtre avec de Gaulle (Le Retour du Général), Timur Vermes avec Hitler (Il est de retour) sans omettre la parution début 2015 de Monsieur Mozart se réveille de Eva Baronsky. De même, on peut penser à L'Homme à l'oreille cassée d'Edmond About, voire au film Hibernatus et à la bande dessinée Onkr de Tenas, Malac et Yvan Delporte, qui fit les beaux jours du Journal de Mickey entre 1961 et 1972.
Pourtant, Romain Puértolas s'était taillé un joli succès de librairie avec son Extraordinaire voyage du fakir coincé dans une armoire Ikea.
Parmi d'autres titres ayant eu un faible écho, force est de constater que cet écho faiblard, ténu, s'est limité soit à un silence radio, soit à une unique ou presque critique négative, soit à une mention en retard, soit enfin à quelques articles réduits, trop laconiques, sans analyse de fond. Or, la plupart de ces écrits se rattachent comme par hasard à la fiction historique et l'on connaît la propension de la majorité des écrivains en vogue et de leurs thuriféraires mal emplumés de ne traiter que l'éternel présent immédiat narratif. Concernant le genre historique si malmené et négligé, la sélection des meilleurs romans 2015 de Lire trahit la préférence indiscutable des critiques pour des ouvrages privilégiant, à l'érudition (soi-disant étouffante, moi, personnellement, je ne trouve pas), l'audace de l'anachronisme assumé, comme dans Evariste. Il s'agit là d'un retour partiel à Dumas, dont les erreurs, flagrantes, n'enlevaient rien au souffle de l'ensemble (pour rappel, dans Le Vicomte de Bragelonne, il faisait mourir Gaston d'Orléans après Mazarin).
Cependant, ces critiques instruisent un mauvais procès à l'encontre d'auteurs et d'auteures dont les oeuvres, loin d'être négligeables, reposent sur une documentation solide et incontestable, qui est loin de noyer et d'affadir leur style comme ils ou elles le prétendent. Tout roman de fiction historique peut certes se permettre de prendre des libertés avec l'histoire, en particulier celle des universitaires, mais les critiques préférant Evariste (que j'adore) à tout le reste, contredisent un autre courant de doctes esprits détestant les fictions trop libres, notamment celles relevant du cinéma, ou de la télévision, qui assument leur liberté foutraque imaginative telles par exemple les séries Da Vinci's Demons, The Musketeers ou Versailles fourmillant d'erreurs volontaires, véritables relectures plus ou moins jubilatoires de la science historique : ce sont des romans-feuilletons filmés, des réinterprétations, des revisites dépoussiérées de la grande Histoire, non point des oeuvres de doctes chercheurs empesés, encroûtés en leur académisme, alors, pourquoi d'un côté rejeter les romans érudits comme Opéra anatomique de Maja Brick, sorti depuis 4 ans sans que personne n'en ait jamais causé, y compris sur le site Babelio, et de l'autre vouer Da Vinci's Demons aux gémonies ? Quelle contradiction !
Trois romans historiques des éditions Gallimard apparaissent comme les plus grands perdants de l'automne littéraire 2015 :
- Daniel Avner a disparu, d'Elena Costa, sur la Shoah (un micro article dans Le Monde des Livres ; seul L'Huma a fait son boulot en proposant sur son site la lecture gratuite des premières pages de l'oeuvre, tiens tiens...) ;
- Le Censeur, de Clélia Anfray, sur les rapports houleux entre Victor Hugo et le critique officiel Charles Brifaut (dont la vie de ponte nous est contée) sous Charles X (un article dans Télérama, deux mois après la sortie du livre) ;
- Le Secret de l'Empereur d'Amélie de Bourbon Parme, sur Charles Quint et les horloges (presque rien à l'exception de périodiques à la marge de la critique littéraire qui n'est pas leur spécialité, Le Monde n'ayant consacré qu'un article en ligne hostile à l'auteure : Le grand écart littéraire d'Amélie de Bourbon Parme, parce qu'elle promeut l'édition sur Amazon tout en étant publiée par le plus classique et fondamental des grands éditeurs papier traditionnels français). En dehors de la blogosphère, nada pour ce dernier titre. Fait-on payer à l'écrivaine son union avec le controversé Igor Bogdanov ? Si c'est avéré, je trouve cela mesquin.
D'ailleurs, vaut-il mieux un article de presse négatif que pas de critique du tout ? A l'heure où Richard Millet, que l'on sait avoir rompu avec son milieu et s'être marginalisé volontairement, tel un Léon Bloy, se retrouve parmi les auteurs les plus boycottés de l'automne 2015, peut-être vaudrait-il mieux une descente en flammes ayant le mérite de la franchise qu'un silence embarrassant.
Je connais un exemple de critique négative ne s'étant pas gênée : il concerne La Saison des Bijoux, d'Eric Holder. Une collègue du café littéraire que je fréquente mensuellement reprochait à l'intelligentsia critique d'avoir insuffisamment parlé de ce bouquin, passé quelque peu inaperçu, et que c'était un fait regrettable, parce qu'il s'agissait de son "coup de coeur" personnel. Le roman d'Holder, selon elle, a le mérite de bien se terminer, et c'est un point positif en ce monde baignant dans un cortège quotidien d'horreurs anxiogènes. Or, ce roman, qui parle du milieu des forains, des marchands ambulants, malgré un avis favorable de Télérama (même écho positif chez Bibliobs), a reçu un coup de semonce de l'hebdomadaire Marianne. Dans son numéro 957 du 21 août 2015, le magazine consacrait tout un dossier intitulé : "Rentrée littéraire : les flops", où Christine Angot, un fois n'est pas coutume, en prenait encore pour son grade, Delphine de Vigan aussi. Elles furent cependant primées, au contraire d'Eric Holder dont La Saison des Bijoux est qualifié par la critique Juliette Einhorn de "camelots de la camelote".
La prochaine fois, j'aborderai enfin le cas Anna de Noailles.
Le cas le plus emblématique est constitué par Re-vive l'Empereur de Romain Puértolas.
Le Monde feint l'étonnement à propos de l'insuccès notable de ce bouquin - presque une exception parmi d'autres fictions abordant avec plus ou moins de brio le problème du fondamentalisme musulman - alors qu'il y a contribué en ne publiant strictement aucune ligne à son sujet, après pourtant l'avoir cité dans la liste des parutions de la rentrée littéraire 2015. Sans doute a-t-il été considéré comme une pochade pour potaches non politiquement correcte à cause de son sujet et de son humour gênant, vu qu'il parle d'un retour inopiné et rocambolesque de Napoléon au XXIe siècle, l'Empereur recrutant une nouvelle Grande Armée hétéroclite pour combattre les islamistes. La thématique n'était pas nouvelle, un peu usée peut-être : le retour des grands personnages historiques, bons ou méchants, a été récemment illustré par Benoît Duteurtre avec de Gaulle (Le Retour du Général), Timur Vermes avec Hitler (Il est de retour) sans omettre la parution début 2015 de Monsieur Mozart se réveille de Eva Baronsky. De même, on peut penser à L'Homme à l'oreille cassée d'Edmond About, voire au film Hibernatus et à la bande dessinée Onkr de Tenas, Malac et Yvan Delporte, qui fit les beaux jours du Journal de Mickey entre 1961 et 1972.
Pourtant, Romain Puértolas s'était taillé un joli succès de librairie avec son Extraordinaire voyage du fakir coincé dans une armoire Ikea.
Parmi d'autres titres ayant eu un faible écho, force est de constater que cet écho faiblard, ténu, s'est limité soit à un silence radio, soit à une unique ou presque critique négative, soit à une mention en retard, soit enfin à quelques articles réduits, trop laconiques, sans analyse de fond. Or, la plupart de ces écrits se rattachent comme par hasard à la fiction historique et l'on connaît la propension de la majorité des écrivains en vogue et de leurs thuriféraires mal emplumés de ne traiter que l'éternel présent immédiat narratif. Concernant le genre historique si malmené et négligé, la sélection des meilleurs romans 2015 de Lire trahit la préférence indiscutable des critiques pour des ouvrages privilégiant, à l'érudition (soi-disant étouffante, moi, personnellement, je ne trouve pas), l'audace de l'anachronisme assumé, comme dans Evariste. Il s'agit là d'un retour partiel à Dumas, dont les erreurs, flagrantes, n'enlevaient rien au souffle de l'ensemble (pour rappel, dans Le Vicomte de Bragelonne, il faisait mourir Gaston d'Orléans après Mazarin).
Cependant, ces critiques instruisent un mauvais procès à l'encontre d'auteurs et d'auteures dont les oeuvres, loin d'être négligeables, reposent sur une documentation solide et incontestable, qui est loin de noyer et d'affadir leur style comme ils ou elles le prétendent. Tout roman de fiction historique peut certes se permettre de prendre des libertés avec l'histoire, en particulier celle des universitaires, mais les critiques préférant Evariste (que j'adore) à tout le reste, contredisent un autre courant de doctes esprits détestant les fictions trop libres, notamment celles relevant du cinéma, ou de la télévision, qui assument leur liberté foutraque imaginative telles par exemple les séries Da Vinci's Demons, The Musketeers ou Versailles fourmillant d'erreurs volontaires, véritables relectures plus ou moins jubilatoires de la science historique : ce sont des romans-feuilletons filmés, des réinterprétations, des revisites dépoussiérées de la grande Histoire, non point des oeuvres de doctes chercheurs empesés, encroûtés en leur académisme, alors, pourquoi d'un côté rejeter les romans érudits comme Opéra anatomique de Maja Brick, sorti depuis 4 ans sans que personne n'en ait jamais causé, y compris sur le site Babelio, et de l'autre vouer Da Vinci's Demons aux gémonies ? Quelle contradiction !
Trois romans historiques des éditions Gallimard apparaissent comme les plus grands perdants de l'automne littéraire 2015 :
- Daniel Avner a disparu, d'Elena Costa, sur la Shoah (un micro article dans Le Monde des Livres ; seul L'Huma a fait son boulot en proposant sur son site la lecture gratuite des premières pages de l'oeuvre, tiens tiens...) ;
- Le Censeur, de Clélia Anfray, sur les rapports houleux entre Victor Hugo et le critique officiel Charles Brifaut (dont la vie de ponte nous est contée) sous Charles X (un article dans Télérama, deux mois après la sortie du livre) ;
- Le Secret de l'Empereur d'Amélie de Bourbon Parme, sur Charles Quint et les horloges (presque rien à l'exception de périodiques à la marge de la critique littéraire qui n'est pas leur spécialité, Le Monde n'ayant consacré qu'un article en ligne hostile à l'auteure : Le grand écart littéraire d'Amélie de Bourbon Parme, parce qu'elle promeut l'édition sur Amazon tout en étant publiée par le plus classique et fondamental des grands éditeurs papier traditionnels français). En dehors de la blogosphère, nada pour ce dernier titre. Fait-on payer à l'écrivaine son union avec le controversé Igor Bogdanov ? Si c'est avéré, je trouve cela mesquin.
D'ailleurs, vaut-il mieux un article de presse négatif que pas de critique du tout ? A l'heure où Richard Millet, que l'on sait avoir rompu avec son milieu et s'être marginalisé volontairement, tel un Léon Bloy, se retrouve parmi les auteurs les plus boycottés de l'automne 2015, peut-être vaudrait-il mieux une descente en flammes ayant le mérite de la franchise qu'un silence embarrassant.
Je connais un exemple de critique négative ne s'étant pas gênée : il concerne La Saison des Bijoux, d'Eric Holder. Une collègue du café littéraire que je fréquente mensuellement reprochait à l'intelligentsia critique d'avoir insuffisamment parlé de ce bouquin, passé quelque peu inaperçu, et que c'était un fait regrettable, parce qu'il s'agissait de son "coup de coeur" personnel. Le roman d'Holder, selon elle, a le mérite de bien se terminer, et c'est un point positif en ce monde baignant dans un cortège quotidien d'horreurs anxiogènes. Or, ce roman, qui parle du milieu des forains, des marchands ambulants, malgré un avis favorable de Télérama (même écho positif chez Bibliobs), a reçu un coup de semonce de l'hebdomadaire Marianne. Dans son numéro 957 du 21 août 2015, le magazine consacrait tout un dossier intitulé : "Rentrée littéraire : les flops", où Christine Angot, un fois n'est pas coutume, en prenait encore pour son grade, Delphine de Vigan aussi. Elles furent cependant primées, au contraire d'Eric Holder dont La Saison des Bijoux est qualifié par la critique Juliette Einhorn de "camelots de la camelote".
La prochaine fois, j'aborderai enfin le cas Anna de Noailles.
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