Aléxis Tsipras, le premier ministre grec, après son conséquent retournement de veste en faveur des plans d'austérité ultralibéraux, me faisait irrésistiblement songer à James Ramsay MacDonald, premier ministre travailliste élu sur un programme de gauche en 1929, qui, au bout de deux ans, avait tourné casaque, s'alliant aux conservateurs dans un gouvernement d'union nationale consécutif à la crise économique. Pour se maintenir au pouvoir à tout prix, ce renégat continua à gouverner avec une forte majorité tory jusqu'en 1935. (Journal politique d'un inconnu du XXIe siècle).
Aléxis Tsipras ? C'est Daniel Kaluuya, ce grand acteur afro-britannique qui, dans l'épisode remarquable de la série Black Mirror "Quinze millions de mérites", après avoir incarné la rébellion, l'insoumission, est récupéré, neutralisé, domestiqué par le système médiatico-hayekien. Désormais, nous n'avons plus affaire qu'à une sorte de Jean Richepin opportuniste et inoffensif. (Réflexions politiques de Môa)
La gazette Le Monde, non contente de marquer ses préférences nécrologiques, procédoit à des choix infâmes en cette matière. Ainsi, tandis que s'effaçoient les ultimes figures de la Résistance à l'ordre noir teutonique gammé, elle les ignoroit, ne leur consacroit nul mot d'hommage posthume, nulle ligne de ses presses, qu'elles eussent été de la France libre de Londres ou de la Résistance intérieure. Par contre, lorsque mouroit un quelconque échotier qui avoit été employé par icelui, ou mieux, un ancien porteur de sacs de louis d'or qui avoit aidé la rébellion barbaresque de la Régence d'Alger contre le Royaume, Le Monde ne l'oublioit point : il rendoit ainsi hommage non seulement à sa propre corporation égotique, mais aussy au mythe fondateur de la révolte contre la colonisation par le Roy de la Barbarie turque d'Afrique. (Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon)
C'est par Le Monde que je sus qu'Arthur Piroton, dessinateur de Jess Long, nous avait quittés.
C'est par Le Monde que je fus informé de la perte de Marcel Remacle, l'auteur de Vieux Nick et Barbe- noire.
C'est par Le Monde que je fus tenu au courant de la mort de Will, qui anima Tif et Tondu de 1949 à 1989.
C'est par Le Monde que j'appris le décès de Dupa, le créateur du chien Cubitus.
C'est par Le Monde que me fut communiquée l'annonce de la disparition de François Craenhals, l'auteur de Chevalier Ardent.
C'est par Le Monde que l'on porta à ma connaissance le départ outre-tombe de Mic Delinx, qui fit les beaux jours de Pif Gadget avec La Jungle en folie.
C'est par Le Monde que l'événement "décès de Mittéi", le bien connu ancien scénariste des Petits Hommes, adaptateur remarquable des Lettres de mon Moulin en bédé, me fut révélé.
C'est par Le Monde que j'obtins un renseignement capital : Maurice Maréchal, le géniteur de Prudence Petitpas, n'était plus.
C'est par Le Monde que mon cerveau enregistra l'information selon laquelle la camarde avait fauché la vie de Raymond Macherot.
Désormais, ce n'est plus par Le Monde que je sais que tel ou tel auteur de bédé classique, y compris italien (Marcello, Sergio Toppi entre autres), s'est absenté pour toujours.
Alors, ne nous étonnons nullement que, deux ans après la mort de son époux le grand Fred Funcken, déjà passablement occultée par nos anti médias, la disparition de sa veuve, Liliane Funcken, une des premières dessinatrice et scénariste de bandes dessinées à avoir joui de la reconnaissance professionnelle, ait été intégralement ignorée, au point de ne même pas figurer, tel Rémy Chauvin en 2009, dans la liste des nécrologies mensuelles de Wikipedia.
Liliane Funcken nous a quittés le 26 septembre 2015. Nul ne l'a su, hormis quelques sites spécialisés sur Internet. Elle est ainsi la personnalité décédée de l'année 2015 qui a suscité le moins de réactions, d'articles des médias officiels. Pourquoi ? L'avait-on inhumée, oubliée depuis un temps immémorial ?
Est-ce la traduction inconsciente d'un profond mépris pour la bédé historique et pour l"histoire des uniformes où le couple excella ? Est-ce une ignorance culturelle crasse exercée à l'encontre de tous les acteurs culturels antérieurs à la génération pop ? Est-ce un rejet d'auteurs qui parvinrent à synthétiser dans le 9e art tout à la fois Alexandre Dumas et Michel Zévaco, à traduire en images une littérature feuilletonnesque populaire, de cape et d'épée, que nos éducateurs rassis ont toujours du mal à digérer, bien qu'elle soit jubilatoire et appartienne à la lecture plaisir, de loisir, loin de morceaux imposés scolaires barbants ?
J'étais âgé de 9 ans et des poussières lorsque je fis la connaissance de l'oeuvre de Liliane et Fred Funcken par le truchement d'un ouvrage de vulgarisation consacré à l'uniformologie : l'Uniforme et les armes des soldats du premier Empire, éditions Casterman, que mon grand-père m'offrit pour mes étrennes. C'était au commencement du mois de janvier 1974. L'ouvrage était préfacé par Son Altesse Impériale le Prince Napoléon, rien que ça ! A partir de là, je collectionnai au fil des ans et des publications l'ensemble des bouquins que le couple belge consacra à l'histoire des tenues militaires.
Reprocherait-on à Liliane Funcken un certain militarisme ? La critiquerait-on du fait qu'il était difficile de déterminer ce qui était dû à son pinceau, de distinguer son travail de celui de son mari ? Il s'agissait à tout le moins d'une collaboration symbiotique, fusionnelle, d'une osmose stylistique unique en son genre, tellement étroite qu'il paraissait impossible aux experts de briser l'unité graphique de l'oeuvre des Funcken, d'en désaccorder et disjoindre l'intrication. Liliane et Fred Funcken étaient de fait indissociables, et leur secret de création difficile à révéler. Il me semble bien qu'à la fin des années 1960, tous deux s'étaient expliqués dans Tintin sur leur démarche artistique. Chaque partie de personnage, de décor, d'objets... était dessinée ensemble. Chaque trame scénaristique conçue ensemble.
Plusieurs années durant, je ne connus de Liliane et Fred Funcken que leur série éblouissante d'uniformologie, complétée chaque année par un nouveau volume paraissant à l'automne bien que j'eusse su, par le biais de divers livres d'histoire de la bande dessinée que j'acquis, l'existence de ce couple comme auteurs du 9e art à part entière. Il fallut attendre l'achat à la fin de l'été 1984 de l'album relié n° 64 de Tintin (édition française) pour que je découvrisse enfin le talent protéiforme de raconteurs d'histoires de cape et d'épée de Liliane et Fred Funcken. L'aventure en question, habile fusion évoquée plus haut de Michel Zévaco et d'Alexandre Dumas, s'intitulait : Capitan défie d'Artagnan. Inconvénient de cet album relié de 1000 pages contenant des numéros à cheval entre 1964 et 1965 : j'attrapai la série en cours de route !
De la bédé traditionnelle certes, classique et divertissante, au graphisme soigné à défaut d'être révolutionnaire, mais ne faut-il pas rappeler que les années 1950-60 et début 70 baignaient dans le genre cape et d'épée, avec diverses adaptations cinématographiques et télévisuelles de plusieurs chefs-d'oeuvre du genre (souvenez-vous des films d'André Hunebelle avec Jean Marais, Le Bossu et Le Capitan en l'occurrence ? Doit-on fustiger, condamner ce classicisme de bon aloi comme réactionnaire ?)
Ultérieurement (c'était en 1990-1991), tandis que j'entamais des recherches qui devaient m'amener à soutenir un DEA puis une thèse sur la vision de l'Afrique coloniale dans la bande dessinée franco-belge, je découvris que Liliane et Fred Funcken avaient aussi réalisé quelques Belles histoires de l'oncle Paul pour Spirou. Qu'importe s'il s'agissait là de travaux alimentaires pour ce couple illustre et désormais occulté, dénigré, qui se rencontra après guerre.
Je ne puis résister au plaisir de vous communiquer la liste des ouvrages d'uniformologie que ces deux dessinateurs et scénaristes publièrent pour mon plus grand plaisir :
- Le costume et les armes des soldats de tous les temps
- Tome 1 : des pharaons à Louis XV
- Tome 2 : de Frédéric II à nos jours
- L'uniforme et les armes des soldats du premier Empire
- Tome 1 : des régiments de ligne français aux troupes britanniques, prussiennes et espagnoles
- Tome 2 : de la garde impériale aux troupes alliées, suédoises, autrichiennes et russes
- L'Uniforme et les armes des soldats de la guerre 1914-1918
- Tome 1 : infanterie-blindés-aviation
- Tome 2 : cavalerie-artillerie-génie-marine
- L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre 1939-1945
- Tome 1 : France, Allemagne, Autriche, U.R.S.S., Tchécoslovaquie, Pologne, Belgique, 1933-1941 Infanterie-Cavalerie-blindés-Aviation
- Tome 2 : Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie, Finlande, Norvège, Croatie, Slovaquie Bohème-Moravie, légions russes, 1939-1943. Infanterie - Cavalerie - Blindés - Aviation - Marine
- Tome 3 : États-Unis, Japon, Chine - Évolution des grandes armées 1943-1945. France libre, Milice, volontaires en Grande-Bretagne, Pays-Bas, États balkaniques et danubiens. Parachutistes, commandos, artillerie, engins balistiques, sous-marins.
- L'uniforme et les armes des soldats de la guerre en dentelle
- Tome 1 : France: maison du Roi et infanterie sous Louis XV et Louis XVI, Grande-Bretagne et Prusse: infanterie (1700 à 1800).
- Tome 2 : 1700-1800 - France, Grande-Bretagne et Prusse: Cavalerie et artillerie. Autres pays:Infanterie, cavalerie, artillerie
- le Costume, l'armure et les armes au temps de la chevalerie
- Tome 1 : du huitième au quinzième siècle
- Tome 2 : le siècle de la renaissance
- L'Uniforme et les armes des soldats des États-Unis: Les guerres d'indépendance, de sécession, du Mexique, L'épopée du Far west.
- Tome 1 : l'infanterie et la marine
- Tome 2 : la cavalerie et l'artillerie
- L'Uniforme et les armes des soldats du XIXe siècle
- Tome 1 : 1814-1850:France, Grande-Bretagne, Allemagne. L'infanterie, la cavalerie, le génie et l'artillerie.
- Tome 2 : 1850-1900:France, Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche, Russie. L'infanterie, la cavalerie, le génie et l'artillerie
Désormais, Liliane Funcken repose en paix avec son époux et moi, non ingrat à la différence de tous ces médias déculturés ignares, je ne l'oublierai pas, en lui réservant une petite place douillette en mon coeur d'amateur d'Histoire et d'épopée enflé de regret en voyant s'effacer peu à peu celles et ceux qui bercèrent mon enfance et ma jeunesse. Car le silence qui a entouré la disparition de Fred en 2013, puis de Liliane en 2015, dénote plus que jamais le mépris de nos élites intellectuelles contemporaines formatées à l'économisme utilitariste immédiat pour une culture populaire "milieu de siècle", avant l'abêtissement et l'asservissement général des masses occidentales par les forces de l'argent, tandis qu'ici et ailleurs, d'autres obscurantismes fanatiques, par la violence et l'abjection, tentent d'effacer les Lumières des tablettes de l'Histoire. Souhaitons ardemment qu'ils ne parviennent jamais à leur fin.Prochainement : retour à nos écrivains dont la France ne veut plus : Eugène Labiche, curieux cas dont on eût dû célébrer le bicentenaire de la naissance cette année, mais que les pouvoirs publics feignent d'ignorer alors que, paradoxe, il est toujours joué sur de nombreuses scènes de France, de Navarre et d'ailleurs...
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