L'homme avançait dans la rue d'un pas mécanique et régulier. (Franquin et Greg : Z comme Zorglub planche 1 case 1)
Ne vous en faites pas pour moi, Capitaine. J'espère que vous me pardonnerez mon audace. Mais j'estime... j'estime que j'ai accompli ma mission...dans la grande tradition de la cavalerie. (Rudy Bowman (1890-1972), acteur américain dépourvu de cordes vocales dans La Charge héroïque de John Ford, d'après Pierre Bellemare : C'est arrivé un jour : le Rôle de sa vie).
Du temps de la Guerre froide, de l'URSS, il était de bon ton que je me gausse du ministre soviétique des affaires étrangères de l'époque, Andreï Gromyko. Je prétextai son nom pour user de calembours douteux, assimilant son patronyme à une marque célèbre de crèmes glacées. Contrefaisant la voix du perroquet des fameuses pubs Bahlsen qui mettaient en scène le personnage loufoque de Monsieur Plus, j'y allais gaiement avec mes gros Miko ! Gros Miko ! De nos jours, il suffit de faire sauter la syllabe médiane, "mi" pour obtenir l'expression GroKo, et, toujours contrefaisant le jacquot jactant, de m'exclamer à chaque apparition télé de la chancelière d'Allemagne : GroKo ! GroKo ! (Cyber Louis-Ferdinand Céline)
Si vous lisez avec régularité et fidélité la chronique hebdomadaire que le journaliste Olivier Cena consacre dans Télérama à l'art contemporain, vous conviendrez que le navire ready-made et conceptuel prend désormais eau de toute part, et qu'on ne risque plus l'ostracisme et le qualificatif de fasciste lorsqu'on se permet de fustiger cet art de marché et ses dérives. Même Le Monde diplomatique, peu suspect de sympathie pour la marine bleue, y met son grain de sel, sans nul affect réactionnaire. Ces écrits enragés et justes s'inscrivent clairement dans un contexte de retournement de tendance dans l'art contemporain, dans un regain de faveur s'exerçant au bénéfice de celles et ceux qui créent en sculptant et peignant, tendance toujours plus lourde et renforcée au fil des mois, que les milieux intellectuels nationaux, toujours en retard d'une guerre, peinent à prendre en compte. Il est notable que ce nouvel axe de l'art contemporain vient de s'exposer à l'occasion de la dernière biennale de Venise au mois de mai dernier. Un peintre roumain, Adrian Ghenie, né en 1977, vient symboliquement de tuer le père de l'art officiel déjà agonisant, ce désormais presque cadavre aux soubresauts galvaniques grêlés d'ordures et d'humeurs de pestilence mercantile. Monsieur Ghenie a pondu une peinture magistrale, symbolique, historicisante, bref, dans la tradition de la grande peinture d'Histoire, oeuvre qu'on peut baptiser Les Funérailles de Marcel Duchamp.
A dessein, ce nouveau génie d'une peinture revivifiée, réhabilitée, tue intellectuellement celui qui avait proclamé la mort de cet art, en utilisant une technique traditionnelle mais sciemment lacunaire, laissant à ce nouveau monument érigé au déshonneur de la putridité conceptuelle et "ready-madeuse" des surfaces, parties, inachevées, citation explicite de la nouvelle manière de restaurer l'art ancien : les restaurateurs et conservateurs, instruits de toutes ces restaurations abusives qui avaient cours au XIXe siècle et encore dans la première moitié du dernier siècle, préfèrent désormais conserver les manques, les parties lacunaires, perdues, telles quelles.
Souvenez-vous, savantissimes lecteurs de ce blog, des inondations dont Florence fut frappée en 1966, avec, parmi les victimes artistiques, le Crucifix de Santa Croce, du musée de l'Oeuvre de Santa Croce, réalisé par Cimabue vers 1272-1288. On opta pour une restauration partielle afin que ce Christ témoignât des outrages des eaux qu'Il avait subis. Hé bien, la démarche d'Adrian Ghenie rappelle cela, s'y apparente, la personnifie quelque peu. Il est d'ailleurs significatif qu'aucune version française de l'article consacré par Wikipedia à cet artiste neuf n'existe...
A dessein, ce nouveau génie d'une peinture revivifiée, réhabilitée, tue intellectuellement celui qui avait proclamé la mort de cet art, en utilisant une technique traditionnelle mais sciemment lacunaire, laissant à ce nouveau monument érigé au déshonneur de la putridité conceptuelle et "ready-madeuse" des surfaces, parties, inachevées, citation explicite de la nouvelle manière de restaurer l'art ancien : les restaurateurs et conservateurs, instruits de toutes ces restaurations abusives qui avaient cours au XIXe siècle et encore dans la première moitié du dernier siècle, préfèrent désormais conserver les manques, les parties lacunaires, perdues, telles quelles.
Souvenez-vous, savantissimes lecteurs de ce blog, des inondations dont Florence fut frappée en 1966, avec, parmi les victimes artistiques, le Crucifix de Santa Croce, du musée de l'Oeuvre de Santa Croce, réalisé par Cimabue vers 1272-1288. On opta pour une restauration partielle afin que ce Christ témoignât des outrages des eaux qu'Il avait subis. Hé bien, la démarche d'Adrian Ghenie rappelle cela, s'y apparente, la personnifie quelque peu. Il est d'ailleurs significatif qu'aucune version française de l'article consacré par Wikipedia à cet artiste neuf n'existe...
Pour en revenir à notre chroniqueur de Télérama, dans le numéro de l'hebdomadaire culturel paru le 17 juin 2015, Olivier Cena écrit à propos du peintre Eugène Leroy (1910-2000) :
Il existe dans le milieu de l'art des empêcheurs de penser en rond. Ce sont des artistes dont les oeuvres non seulement ne correspondent pas aux dogmes en vigueur, mais pulvérisent ces dogmes par leur qualité.
L'article est illustré par la photo d'une sculpture de Denis Monfleur, autre artiste inclassable - c'est-à-dire indépendant de la doxa ou trinité ready-made, art vidéo et art conceptuel.
Récidivant avec audace quinze jours après, soit dans Télérama daté du 1er juillet 2015, Olivier Cena achève de prendre le contre-pied de l'académisme actuel omniprésent dans les médias en consacrant son article non pas à un énième "artiste" oubliable, mais, ô hardiesse, à une expo ignorée jusqu'à présent de tous, sise en un musée (voir le billet de Cyber Léon Bloy du 1er mai 2013) dont il est de bon ton de ne jamais parler : le musée national du Moyen Âge, des thermes et de l'hôtel de Cluny. Il s'agit des sculptures souabes de la fin du Moyen Âge, dont nul ne s'est occupé jusqu'à ce 1er juillet historique. Olivier Cena intervient à peine trois semaines avant la clôture de l'exposition, et s'en donne à coeur joie pour fustiger les dérives et les provocs dogmatiques de l'art officiel de marché ultra spéculatif et creux. Un art insincère, vide, qu'il confronte à l'admirable Christ en prière de Niklaus Weckmann sculpté il y a cinq siècles.
Il prend pour cibles, à leur désavantage, Anish Kapoor, dont on fait un foin à Versailles et Raqib Shaw, qu'il accuse d'être kitch. Olivier Cena note :
Il prend pour cibles, à leur désavantage, Anish Kapoor, dont on fait un foin à Versailles et Raqib Shaw, qu'il accuse d'être kitch. Olivier Cena note :
Une partie du monde de l'art actuel apparaît plus préoccupée par le discours que par la forme, avec laquelle il se montre d'une complaisance affectée.
Or, l'art exige la foi - non la croyance aux dogmes d'une religion, mais un engagement total et sincère, absolu. C'est un risque. Beaucoup d'artistes contemporains préfèrent fabriquer. Ils ne croient plus en rien d'autre qu'à l'argent.
Cependant, la rupture du silence conspirateur et complice autour de Cluny par Olivier Cena ne suffit pas à briser aussi ce mur artificiel de forteresse qui entoure nos autres musées lorsqu'ils osent consacrer une exposition temporaire à l'art médiéval décrié.
Ainsi en est-il du pourtant fort médiatisé à l'origine Louvre Lens, qui, dans une indifférence intentionnelle, consacre depuis la fin du mois de mai ses surfaces d'exposition à un thème passionnant : l'influence de l'art français gothique rayonnant sur l'art italien, plus exactement toscan, préparant au surgissement de la Renaissance.
D'or et d'ivoire : Paris, Pise, Florence, Sienne 1250-1320 se tient au Louvre Lens jusqu'au 28 septembre, et le silence médiatique aberrant et ahurissant qui pour le moment entoure cette manifestation savante rappelle un précédent fâcheux du musée d'Orsay en 2014 : nul ne fit à l'époque cas, hormis les éditions Faton, de l'expo Carpeaux !
Ce sont d'ailleurs les éditions Faton, avec leur récent numéro spécial, qui m'ont informé de l'existence de la manifestation culturelle de Lens ! C'est lamentable et il serait temps d'en finir avec tous ces silences, ces préjugés accablants qui courent à l'encontre des beaux-arts médiévaux. Cette désinformation systématique et durable me révulse.
Je ne puis conséquemment rendre compte d'une expo sous-traitée par une télévision et une presse écrite ignares, quelque superbe qu'elle soit. Je n'aurai pas l'occasion de m'y rendre cet été. Ferait-on payer aux sculpteurs siennois ou florentins du milieu du Moyen Âge classique (les Français aussi) leur goût pour la matière noble de l'ivoire merveilleusement travaillé, ce qui sous-entend le massacre d'éléphants innocents contemporains de Saint Louis ? Ce serait alors le prétexte exact, pseudo écolo-correct, du silence médiatique intégral entourant cette manifestation artistique lensoise projetée depuis dix ans. Nous ne sommes plus à une stupidité près...
Le Monde s'est enfin décidé à pondre un article consacré à l'expo du Louvre Lens... moins de 3 semaines avant sa fermeture !
RépondreSupprimer