dimanche 12 avril 2015

Ces écrivains dont la France ne veut plus 5 : Pierre Emmanuel.

Au commencement des années 1970, on m'offrait en cadeau les albums reliés trimestriels du journal "Spirou". Ces albums avaient ceci de particulier qu'ils contenaient encore, en certains de leurs numéros, les référendums périodiques destinés à sonder, à évaluer, la popularité des personnages de bédés publiés en ses pages. Or, pour beaucoup de gens, et pour moi en particulier, certains héros ne disaient absolument rien : c'était en particulier le cas des vedettes de mini-récits. Ces référendums, je les faisais tout de même, bien qu'ils ne fussent plus d'actualité depuis un à trois ans.
C'était la raison pour laquelle, alors que "Spirou" proposait d'attribuer à chaque personnage vedette des notes allant de zéro à trois, j'avais tendance, parce qu'ils m'étaient inconnus, à sacquer systématiquement les séries de mini-récits, leur mettant un zéro pointé, notamment, et je le regrette rétrospectivement, celles de Noël Bissot, par exemple les Eskimos Youk et Yak dont j'ignorais à peu près tout. 
Quant à "Sam et l'Ours" de Lagas ou encore "Le Petit Roy Prosper" de Michel Motti, ils obtenaient avec difficulté un tout petit "un" qui sous-entendait que ces séries étaient à peine moyennes selon mon goût subjectif d'alors. (Souvenirs de Moa)

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Ne vous attendez pas, lectrices et lecteurs de ce blog, que j'offre en ces lignes une anthologie détaillée de l'oeuvre du poète et académicien Pierre Emmanuel (1916-1984), et encore moins que je me livre à un panégirique de l'art versificateur de cet écrivain.
Non, mon entreprise a pour objectif de dénoncer l'oubli sciemment entretenu autour d'une oeuvre que plus personne ne visite, indisponible depuis belle lurette en commerce, sauf (et encore) chez quelques bouquinistes chevronnés, encore doivent-ils être exclusivement installés en la Capitale. Autefois, dans les anthologies de Pierre Seghers publiées à la fin des années 1960, Pierre Emmanuel figurait en excellente place, notamment dans les ouvrages des éditions Marabout consacrés à la poésie française contemporaine. Etait-ce du parti pris ?
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Ce n'est plus le cas aujourd'hui  car il semble que l'on a enterré Pierre Emmanuel de son vivant même.
La fin de siècle délaissa la poésie, de moins en moins rentable pour des maisons d'édition davantage préoccupées par leur chiffre d'affaire et par les concentrations accrues dans le secteur. Alors, autant dire qu'elles s'en balancent de Pierre Emmanuel. 
Commit-il la faute d'une élection relativement précoce à l'Académie française, en 1968, à seulement 52 ans (ce qui, selon le commentaire de l'anthologie Marabout, était "jeune pour un poète" - je cite évidemment de mémoire) ? Pourquoi donc fut-il élu la même année que le très contestable Paul Morand ?
Eut-il le tort de choisir de succéder au maréchal Juin, au 4e fauteuil ? 
Se montra-t-il trop tonitruant lorsqu'en 1975, il eut le courage de claquer la porte de cette même Académie afin de protester contre l'élection du Belge Félicien Marceau qui avait été un partisan du rexisme de Léon Degrelle (1906-1994) ? Car Pierre Emmanuel fit là la preuve de sa fidélité à la Résistance et à la France Libre, montrant qu'il demeurait un homme de conviction face aux tièdes, aux retournements de vestes et compromissions de toutes sortes. Non aux vendus !
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Pierre Emmanuel était un gaulliste sincère et authentique, un résistant, un gaulliste ouvert, qui, dit-on postula au poste de ministre de la culture lors de l'élection de François Mitterrand le 10 mai 1981. De fait, ses idées, le programme culturel qu'il suggéra, furent repris par Jack Lang. 
Il faudrait que les éditions de l'Âge d'Homme se bougent pour rendre à nouveau disponibles les recueils poétiques de Pierre Emmanuel alias Noël Mathieu.
Pour quelques citations (que je me permets de reprendre à la fin de ce billet), rendez-vous sur le site de Babelio. Son site officiel, pour ne point l'oublier, vaut aussi le détour.
Pierre Emmanuel nous quitta en toute discrétion le 24 septembre 1984. Il fut sans doute la première victime illustre d'une dénécrologie informationnelle télévisuelle qui n'en parla que fort peu, avec désinvolture, comme si le poète n'avait plus aucune importance dans un monde branché et high tech, comme s'il n'avait plus un mot à nous dire... Peut-être fut-il le témoin posthume du commencement de cette entreprise de démolition, de démantèlement systématique, de ce que l'esprit résistant nous légua ?
 Il faudra bien qu'un jour tant de saisons stériles
le cédent au miracle ingénu des bourgeons;
mais saurons-nous te reconnaître ô vert fragile
Pierre Emmanuel : Combats avec les défenseurs suivi de La Liberté guide nos Pas.

Orgue de barbarie la ville est dans mon cœur
Pierre Emmanuel : Epave urbaine. 
O peuples prisonniers de vos terreurs profondes
et dont l'âme croupit dans le sang de vos morts
O peuples sans écho que nul cri ne révolte
Pierre Emmanuel : Combats avec les défenseurs op.cit.



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