Les classes dites "moyennes" étoient fiscalement coincées entre ceux qui ne pouvoient pas ou plus payer d'imposts et ceux qui avoient les moyens de les payer, mais refusoient de s'en acquitter. (Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon)
Ainsi donc la richesse est
tout et les hommes ne sont absolument rien ? En vérité, il ne reste plus qu’à
désirer que le roi demeuré tout seul dans l’île, en tournant constamment une
manivelle, fasse accomplir par des automates tout l’ouvrage de l’Angleterre. (Leonard Simonde de Sismondi – Nouveaux
principes d’économie politique, 1819).
Je ne savais pas ce dont il s'agissait, sinon, je n'aurais pas permis que soit touché l'ancien ; pourquoi faites-vous ce qui peut être fait dans d'autres endroits, et avez-vous défait ce qui était singulier dans le monde ? (Charles Quint, à propos de la dénaturation de la Mezquita, mosquée-cathédrale de Cordoue).
Pourquoi sont-ce toujours les mêmes gugusses qu'on voit à la télévision ? (Cyber Louis Ferdinand Céline).
Je sais distinguer la critique légitime de la cabale généralisée. (Pensée profonde de Moa).
Donnez donc une caméra à un critique de film pour voir ce qu'il en fera ! (Réflexions d'un cinéaste malmené).
Il existe un syndrome Claude Autan-Lara (1901-2000), du nom de ce cinéaste, à l'origine adulé par la critique puis lâché par celle-ci, qui, par rancoeur, puis haine, par vengeance aussi, devint l'un des piliers d'un parti politique indésirable, qui, d'abandons en renoncements culturels, de lâchages sociaux en délitements sociétaux, de lynchages médiatiques jdanoviens maladroits en sectarismes bien-pensants inconsidérés brandis telles des fatwas, a hélas toujours plus le vent en poupe en ce XXIe siècle régressif, dont certains souhaitent qu'il revienne au bon vieux temps ultra libéral de 1820-1860, tandis que d'autres, au nom d'une foi déformée par le fanatisme le plus abject, lorgnent vers un improbable califat universel et une restauration des moeurs et coutumes des VIIe-VIIIe siècles.
J'ai, voici près de deux ans, évoqué dans ce blog les cas de Maurice Pialat et de James Ivory, plus ou moins victimes de ce phénomène de dénigrement orchestré par des camarillas, des cabales qui n'ont de cinéphiles que le nom. Dénigrement parfois non sans conséquences politiques fâcheuses et redoutables, pourvoyeur d'une résurgence de l'abjection et de la honte, de revenez-y à une époque feldgrau sinistre.
Aujourd'hui, j'aborde des cas et exemples divers, multipliés en ces vingt-cinq dernières années, de cinéastes, pourtant grands, pourtant célèbres, qui, du jour au lendemain, ont cessé de plaire aux princes ou prétendus tels de l'intellectualisme le plus abstrus et coupé des masses, désormais agrégées au parti que l'on sait.
Ces cinéastes ont nom : Andrzej Wajda, Francis Ford Coppola, Dario Argento, Peter Greenaway et Brian de Palma.
Des maîtres, dis-je, mais des maîtres désormais bannis, déboulonnés du piédestal où on les avait autrefois statufiés.
Tout débuta pour Wajda au festival de Cannes 1990, avec l'affaire Korczak, sorte d'origine du Mal du bashing ordurier excrémentiel cinématographique, comme Le Louvre, en 1985, ouvrit le bal de toutes les décrépitudes télévisuelles culturelles que l'on connaît.
La projection de Korczak sous les feux cannois éphémères et dérisoires donna lieu à des concerts de casseroles, à des jets de tomates pourries sans fin, à des polémiques passionnées et injustes, sur l'impossibilité de filmer la Shoah, sur les ambiguïtés antisémites de la Pologne contemporaine... On reprocha au film sa scène finale onirique inappropriée, presque négationniste, puisque le réalisateur se refusait à montrer explicitement le sort exterminateur qui attendait Januscz Korczak et les enfants orphelins israélites avec lesquels il avait accepté de partager la mort. On a omis dans cette affaire qu'Agnieszka Holland était la scénariste du film, elle qui allait démontrer avec brio quelques mois plus tard l'absurdité intégrale des totalitarismes soviétique et nazi dans le remarquable Europa Europa, histoire véridique du jeune Solomon Perel, que l'Allemagne nazie prit pour un aryen balte enrôlé dans les jeunesses hitlériennes !
A la suite de ce scandale illégitime, Andrzej Wajda ne retrouva plus jamais son lustre passé, tandis que Korczak se retrouvait distribué en catimini, ne sortant discrètement en France qu'en janvier 1991 (après le film d'Agnieszka Holland, à l'affiche chez nous dès novembre 1990 !), revêtu d'une aura sulfureuse collante comme une tunique de Nessus exsudant ses poisons. En Allemagne, cela fut pis : la sortie de l'oeuvre fut retardée au mois de mars 1991. Je connais à l'heure actuelle des films qui finissent par ne plus sortir du tout, par exemple le Wilde Salomé d'Al Pacino, mondialement invisible, mais, dans le contexte de l'orée des années 1990, le préjudice réservé à Korczak paraissait déjà considérable.
Le cas de Francis Ford Copolla mérite aussi qu'on s'y arrête.
Voilà un des chantres du nouveau cinéma américain des années 70, qui avait su concilier impératifs commerciaux, industrie d'Hollywood et art consommé de la cinéphilie, qui, bardé de récompenses et de reconnaissance mondiale, avait réconcilié les tenants d'une exigence plastique aiguë et ceux d'un divertissement de bon aloi. Francis Ford Copolla incarnait parmi d'autres réalisateurs phares ce nouvel Hollywood post studio system, post âge d'or, post règne sans partage des majors. Il était le meilleur représentant du nouveau cinéma indépendant américain, avant que, parmi d'autres, il soit récupéré par le nouveau commerce briseur de rêves.
En ce cas, pourquoi, brusquement, l'intelligentsia s'est-elle comportée telle cette fameuse phrase du baptême de Clovis : adore ce que tu as brûlé ; brûle ce que tu as adoré ?
Aurait-elle châtié Francis Ford Copolla, ne lui aurait-elle pas pardonné un certain virage commercial ? S'est-elle acharnée sur le créateur vieillissant, forcément moins inspiré, moins inventif, moins audacieux ? Fut-ce un meurtre du père par la fille, la critique lui préférant désormais, à compter de la fin des années 1990, la surdouée Sofia, dont il finança les films ? Oui, je le reconnais, Francis Ford Coppola a connu une perte d'influence dans le milieu cinéphilique, accompagnée de difficultés financières, mais, après son Dracula, profitant du ralentissement de son rythme créatif, les critiques acerbes, déjà dubitatives vis à vis de son Parrain numéro trois (où Sofia jouait) se sont outrancièrement déchaînées. Coppola en a été réduit d'abord à des films de commande, ensuite au recommencement à zéro dans la presque confidentialité du seul circuit art et essai, en particulier lorsque selon moi, il parvint à se relancer brillamment ces dernières années, sans pour autant convaincre les cuistres à la pensée toute faite engoncée, confite dans les apriorismes et les préjugés.
Oui, il faut sauver les films du come-back de Francis Ford Coppola, à compter de 2007, après une décennie de silence forcé en tant que director. Ces trois films, L'Homme sans âge (mention spéciale pour la fascinante et trop rare Alexandra Maria Lara), Tetro et Twixt sont admirables, bouleversants quoiqu'on ait pu écrire à leur encontre, en un flingage en règle. Ils prouvent que l'inspiration et l'art demeurent intacts avec le talent, malgré les années. Le cinéma, ce n'est pas comme la médaille Fields en mathématiques : on peut rester fort bon après quarante ans, et continuer à exprimer des choses magnifiques.
Hélas, il faut croire que notre propension au jeunisme abusif a aussi pesé chez les trois cinéastes qui vont suivre, tous septuagénaires désormais.
Brian de Palma : encore un nom qui pour certains, est démodé, dépassé, plus en phase. Passer le cap des 70 berges serait-il stérilisant, dangereux ? Le lâchage de ce grand maître, qu'on présenta à l'origine comme l'héritier présomptif d'Alfred Hitchcock, remonte à Mission to Mars en 2000, alors que son opus précédent, Snake eyes, avait été bien accueilli, pour ne pas dire encensé. Après la brosse à reluire est venu le temps du rejet, de l'opprobre, sentiments tellement exprimés que Brian de Palma s'est retrouvé longtemps écarté des plateaux de tournage jusqu'à son retour l'an passé, avec Passion, remake de Crime d'amour, ultime opus d'Alain Corneau. On a bien sûr jeté du bois vert par volées sur ce film, sorti dans une semi indifférence, en un circuit de copies insuffisant pour qu'il puisse prétendre à une carrière brillante. Il est amusant qu'après coup, lors de sa programmation sur les chaînes de Canal Plus, le jugement, originellement excessif et injuste à l'encontre d'une oeuvre crashée au box office, a été révisé à la hausse...
Que dire du cas désespéré de Dario Argento, maître du Giallo, de l'horreur à l'italienne ? Son Dracula archi massacré, couvert d'ordures liquéfiées en putréfaction terminale et intégralement coulé dans les fosses abyssales du nombre inexistant de copies et d'entrées représente un cas d'école de la haine exacerbée et inconsidérée exprimée à l'encontre d'un artiste de la caméra de genre qui n'attendait pas de tels déversements éhontés de vomissures croupies. Ce film pose la question épineuse de la quintessence du nanar... Qu'est-ce au fond qu'un navet, un vrai ? Il y a des giga nanars en 600-800 copies... Le long métrage vampirique de Dario Argento est devenu l'emblème même des Tchernobyl cinématographiques. Je pense aux courageux spectateurs - ils furent à peine plus de sept cents ! (source Allo ciné) qui ont pu se frayer un chemin ( par brasse, papillon ou crawl ?) parmi le flux de purin fragrant qui entourait cette oeuvre afin de pouvoir la voir tout leur saoul.
Songez-y : une combinaison de salles si ridicule qu'elle en était obscène, pornographique d'insanité, une exclusion de facto des bonnes séances (celles de 14 heures) pour une diffusion quasi unanime au-delà de 20 heures ! Les homuncules de la distribution et les criticulets picrocholins intumescents de fatuité intellectuelle dévoyée (ils haïssent même les musées et les zoos nouveau style, c'est tout dire !) n'ont même pas laissé la chance du verre et de la cigarette du condamné au Dracula de Dario Argento, passé de mode depuis longtemps pour eux, parce que trop âgé pour forcément encore bien filmer (heureusement, un Manoel de Oliveira et un Alain Resnais qui jusqu'au bout de sa vie a persévéré dans son ouvrage sont là pour les contredire!).
Un ultime cas encore plus problématique mérite qu'on l'évoque : le baroqueux et maniériste Peter Greenaway, sorte de Des Esseintes, d'Aurore-Marie de Saint-Aubain (mais mâle), d'esthète décadent égaré à la fin du XXe siècle et au début du XXIe.
Bien sûr, on l'encensa à l'orée des années quatre-vingts, bien sûr, on en fit des louanges, des éloges, des apologies sans fin : c'était le temps de Meurtre dans un jardin anglais. Peter Greenaway est un peintre-cinéaste authentique ; l'écran est son tableau, la caméra ses pinceaux (je sais, je plagie un peu le génial champion de formule 1 Graham Hill, qui déclara un peu la même chose au sujet de la course automobile et de ses bien-aimés bolides). Mais toute médaille a son revers, et la critique a commencé à se fâcher à l'encontre de Peter Greenaway du temps du Baby of Mâcon, il y a jà vingt-et-une années de cela (voilà que j'emploie les tics d'écriture de cette chère blondine d'Aurore-Marie maintenant). On a commencé à juger le style du Master excessif, surchargé, intello, indéchiffrable, maniéré, prétentieux, élitiste, trop référentiel vis à vis d'un langage de connoisseur d'un autre temps, puisque nos modernes critiques, souventes fois déculturés, presque analphabètes lorsqu'ils sont confrontés aux beaux-arts à l'ancienne, ont perdu les codes nécessaires à la lecture, au déchiffrement des arcanes recelés par les films de Greenaway. Ils se complaisent voire macèrent ainsi que des porcs dans du lisier bourbeux, dans ce que Rudy Ricciotti, architecte du Mucem, appelle le salafisme (je dirais le cistercianisme ascétique ou anachorétique, laconique, hyper dépouillé, spartiate etc. afin qu'on ne me qualifie pas d'islamophobe, ce que je ne suis pas du tout et ne serai jamais, parce que j'ai toujours eu des copains d'origine musulmane, ce dès le CE 1 !), ne tolérant plus le moindre ornement, la moindre fioriture, le moindre style fleuri : bref, avec son dernier opus qui contredit en son entièreté esthétique cette tendance de fond regrettable, Goltzius et la compagnie du Pélican, Peter Greenaway ne pouvait qu'aller au désastre annoncé ! On sous-distribua ce film, d'évidence inintelligible ; on le sous-exposa dans les médias dits "culturels" (rien à son sujet sur Arte !). On lui fit payer chèrement son antinomie, son refus d'être dans le vent. Fut-ce juste, équitable ? Que non pas ! Pourtant, je pressens que ce long métrage, tout en démesure, en exubérance bachique et dionysiaque, en gaillardise faunesque, en paillardise rabelaisienne orfévrée et chantournée, virtuose, doit être séduisant et génial. Si Fellini, autre baroqueux autrefois reconnu, était encore vivant et réalisait de nos jours un de ses délires filmiques dont il avait le secret, plus personne n'en voudrait : le jansénisme sévère et coincé a triomphé partout, cette intransigeance fondamentaliste des St. John Rivers, crise et austérité obligent. Aridité, tout n'est plus qu'aridité, dessiccation de la beauté, désenchantement, désillusion, dessèchement ultime des arts et des esprits ! L'épure cycladique ne constitue plus qu'un prétexte à la médiocrité de ceux qui ne savent plus ouvrager quelque chose, alors que la nature, ce véritable réel, est toute en foisonnement et en luxuriance ! Et, fait significatif, nous la saccageons...
Après un tel tour d'horizon désabusé (j'aurais pu au passage rappeler les traversées du désert subies en certains stades de leur carrière par David Lynch et par Robert Altman), force est de tirer ma révérence pour cette fois. Au revoir et à bientôt pour un nouveau texte en colère.
J'ai, voici près de deux ans, évoqué dans ce blog les cas de Maurice Pialat et de James Ivory, plus ou moins victimes de ce phénomène de dénigrement orchestré par des camarillas, des cabales qui n'ont de cinéphiles que le nom. Dénigrement parfois non sans conséquences politiques fâcheuses et redoutables, pourvoyeur d'une résurgence de l'abjection et de la honte, de revenez-y à une époque feldgrau sinistre.
Aujourd'hui, j'aborde des cas et exemples divers, multipliés en ces vingt-cinq dernières années, de cinéastes, pourtant grands, pourtant célèbres, qui, du jour au lendemain, ont cessé de plaire aux princes ou prétendus tels de l'intellectualisme le plus abstrus et coupé des masses, désormais agrégées au parti que l'on sait.
Ces cinéastes ont nom : Andrzej Wajda, Francis Ford Coppola, Dario Argento, Peter Greenaway et Brian de Palma.
Des maîtres, dis-je, mais des maîtres désormais bannis, déboulonnés du piédestal où on les avait autrefois statufiés.
Tout débuta pour Wajda au festival de Cannes 1990, avec l'affaire Korczak, sorte d'origine du Mal du bashing ordurier excrémentiel cinématographique, comme Le Louvre, en 1985, ouvrit le bal de toutes les décrépitudes télévisuelles culturelles que l'on connaît.
La projection de Korczak sous les feux cannois éphémères et dérisoires donna lieu à des concerts de casseroles, à des jets de tomates pourries sans fin, à des polémiques passionnées et injustes, sur l'impossibilité de filmer la Shoah, sur les ambiguïtés antisémites de la Pologne contemporaine... On reprocha au film sa scène finale onirique inappropriée, presque négationniste, puisque le réalisateur se refusait à montrer explicitement le sort exterminateur qui attendait Januscz Korczak et les enfants orphelins israélites avec lesquels il avait accepté de partager la mort. On a omis dans cette affaire qu'Agnieszka Holland était la scénariste du film, elle qui allait démontrer avec brio quelques mois plus tard l'absurdité intégrale des totalitarismes soviétique et nazi dans le remarquable Europa Europa, histoire véridique du jeune Solomon Perel, que l'Allemagne nazie prit pour un aryen balte enrôlé dans les jeunesses hitlériennes !
A la suite de ce scandale illégitime, Andrzej Wajda ne retrouva plus jamais son lustre passé, tandis que Korczak se retrouvait distribué en catimini, ne sortant discrètement en France qu'en janvier 1991 (après le film d'Agnieszka Holland, à l'affiche chez nous dès novembre 1990 !), revêtu d'une aura sulfureuse collante comme une tunique de Nessus exsudant ses poisons. En Allemagne, cela fut pis : la sortie de l'oeuvre fut retardée au mois de mars 1991. Je connais à l'heure actuelle des films qui finissent par ne plus sortir du tout, par exemple le Wilde Salomé d'Al Pacino, mondialement invisible, mais, dans le contexte de l'orée des années 1990, le préjudice réservé à Korczak paraissait déjà considérable.
Le cas de Francis Ford Copolla mérite aussi qu'on s'y arrête.
Voilà un des chantres du nouveau cinéma américain des années 70, qui avait su concilier impératifs commerciaux, industrie d'Hollywood et art consommé de la cinéphilie, qui, bardé de récompenses et de reconnaissance mondiale, avait réconcilié les tenants d'une exigence plastique aiguë et ceux d'un divertissement de bon aloi. Francis Ford Copolla incarnait parmi d'autres réalisateurs phares ce nouvel Hollywood post studio system, post âge d'or, post règne sans partage des majors. Il était le meilleur représentant du nouveau cinéma indépendant américain, avant que, parmi d'autres, il soit récupéré par le nouveau commerce briseur de rêves.
En ce cas, pourquoi, brusquement, l'intelligentsia s'est-elle comportée telle cette fameuse phrase du baptême de Clovis : adore ce que tu as brûlé ; brûle ce que tu as adoré ?
Aurait-elle châtié Francis Ford Copolla, ne lui aurait-elle pas pardonné un certain virage commercial ? S'est-elle acharnée sur le créateur vieillissant, forcément moins inspiré, moins inventif, moins audacieux ? Fut-ce un meurtre du père par la fille, la critique lui préférant désormais, à compter de la fin des années 1990, la surdouée Sofia, dont il finança les films ? Oui, je le reconnais, Francis Ford Coppola a connu une perte d'influence dans le milieu cinéphilique, accompagnée de difficultés financières, mais, après son Dracula, profitant du ralentissement de son rythme créatif, les critiques acerbes, déjà dubitatives vis à vis de son Parrain numéro trois (où Sofia jouait) se sont outrancièrement déchaînées. Coppola en a été réduit d'abord à des films de commande, ensuite au recommencement à zéro dans la presque confidentialité du seul circuit art et essai, en particulier lorsque selon moi, il parvint à se relancer brillamment ces dernières années, sans pour autant convaincre les cuistres à la pensée toute faite engoncée, confite dans les apriorismes et les préjugés.
Oui, il faut sauver les films du come-back de Francis Ford Coppola, à compter de 2007, après une décennie de silence forcé en tant que director. Ces trois films, L'Homme sans âge (mention spéciale pour la fascinante et trop rare Alexandra Maria Lara), Tetro et Twixt sont admirables, bouleversants quoiqu'on ait pu écrire à leur encontre, en un flingage en règle. Ils prouvent que l'inspiration et l'art demeurent intacts avec le talent, malgré les années. Le cinéma, ce n'est pas comme la médaille Fields en mathématiques : on peut rester fort bon après quarante ans, et continuer à exprimer des choses magnifiques.
Hélas, il faut croire que notre propension au jeunisme abusif a aussi pesé chez les trois cinéastes qui vont suivre, tous septuagénaires désormais.
Brian de Palma : encore un nom qui pour certains, est démodé, dépassé, plus en phase. Passer le cap des 70 berges serait-il stérilisant, dangereux ? Le lâchage de ce grand maître, qu'on présenta à l'origine comme l'héritier présomptif d'Alfred Hitchcock, remonte à Mission to Mars en 2000, alors que son opus précédent, Snake eyes, avait été bien accueilli, pour ne pas dire encensé. Après la brosse à reluire est venu le temps du rejet, de l'opprobre, sentiments tellement exprimés que Brian de Palma s'est retrouvé longtemps écarté des plateaux de tournage jusqu'à son retour l'an passé, avec Passion, remake de Crime d'amour, ultime opus d'Alain Corneau. On a bien sûr jeté du bois vert par volées sur ce film, sorti dans une semi indifférence, en un circuit de copies insuffisant pour qu'il puisse prétendre à une carrière brillante. Il est amusant qu'après coup, lors de sa programmation sur les chaînes de Canal Plus, le jugement, originellement excessif et injuste à l'encontre d'une oeuvre crashée au box office, a été révisé à la hausse...
Que dire du cas désespéré de Dario Argento, maître du Giallo, de l'horreur à l'italienne ? Son Dracula archi massacré, couvert d'ordures liquéfiées en putréfaction terminale et intégralement coulé dans les fosses abyssales du nombre inexistant de copies et d'entrées représente un cas d'école de la haine exacerbée et inconsidérée exprimée à l'encontre d'un artiste de la caméra de genre qui n'attendait pas de tels déversements éhontés de vomissures croupies. Ce film pose la question épineuse de la quintessence du nanar... Qu'est-ce au fond qu'un navet, un vrai ? Il y a des giga nanars en 600-800 copies... Le long métrage vampirique de Dario Argento est devenu l'emblème même des Tchernobyl cinématographiques. Je pense aux courageux spectateurs - ils furent à peine plus de sept cents ! (source Allo ciné) qui ont pu se frayer un chemin ( par brasse, papillon ou crawl ?) parmi le flux de purin fragrant qui entourait cette oeuvre afin de pouvoir la voir tout leur saoul.
Songez-y : une combinaison de salles si ridicule qu'elle en était obscène, pornographique d'insanité, une exclusion de facto des bonnes séances (celles de 14 heures) pour une diffusion quasi unanime au-delà de 20 heures ! Les homuncules de la distribution et les criticulets picrocholins intumescents de fatuité intellectuelle dévoyée (ils haïssent même les musées et les zoos nouveau style, c'est tout dire !) n'ont même pas laissé la chance du verre et de la cigarette du condamné au Dracula de Dario Argento, passé de mode depuis longtemps pour eux, parce que trop âgé pour forcément encore bien filmer (heureusement, un Manoel de Oliveira et un Alain Resnais qui jusqu'au bout de sa vie a persévéré dans son ouvrage sont là pour les contredire!).
Un ultime cas encore plus problématique mérite qu'on l'évoque : le baroqueux et maniériste Peter Greenaway, sorte de Des Esseintes, d'Aurore-Marie de Saint-Aubain (mais mâle), d'esthète décadent égaré à la fin du XXe siècle et au début du XXIe.
Bien sûr, on l'encensa à l'orée des années quatre-vingts, bien sûr, on en fit des louanges, des éloges, des apologies sans fin : c'était le temps de Meurtre dans un jardin anglais. Peter Greenaway est un peintre-cinéaste authentique ; l'écran est son tableau, la caméra ses pinceaux (je sais, je plagie un peu le génial champion de formule 1 Graham Hill, qui déclara un peu la même chose au sujet de la course automobile et de ses bien-aimés bolides). Mais toute médaille a son revers, et la critique a commencé à se fâcher à l'encontre de Peter Greenaway du temps du Baby of Mâcon, il y a jà vingt-et-une années de cela (voilà que j'emploie les tics d'écriture de cette chère blondine d'Aurore-Marie maintenant). On a commencé à juger le style du Master excessif, surchargé, intello, indéchiffrable, maniéré, prétentieux, élitiste, trop référentiel vis à vis d'un langage de connoisseur d'un autre temps, puisque nos modernes critiques, souventes fois déculturés, presque analphabètes lorsqu'ils sont confrontés aux beaux-arts à l'ancienne, ont perdu les codes nécessaires à la lecture, au déchiffrement des arcanes recelés par les films de Greenaway. Ils se complaisent voire macèrent ainsi que des porcs dans du lisier bourbeux, dans ce que Rudy Ricciotti, architecte du Mucem, appelle le salafisme (je dirais le cistercianisme ascétique ou anachorétique, laconique, hyper dépouillé, spartiate etc. afin qu'on ne me qualifie pas d'islamophobe, ce que je ne suis pas du tout et ne serai jamais, parce que j'ai toujours eu des copains d'origine musulmane, ce dès le CE 1 !), ne tolérant plus le moindre ornement, la moindre fioriture, le moindre style fleuri : bref, avec son dernier opus qui contredit en son entièreté esthétique cette tendance de fond regrettable, Goltzius et la compagnie du Pélican, Peter Greenaway ne pouvait qu'aller au désastre annoncé ! On sous-distribua ce film, d'évidence inintelligible ; on le sous-exposa dans les médias dits "culturels" (rien à son sujet sur Arte !). On lui fit payer chèrement son antinomie, son refus d'être dans le vent. Fut-ce juste, équitable ? Que non pas ! Pourtant, je pressens que ce long métrage, tout en démesure, en exubérance bachique et dionysiaque, en gaillardise faunesque, en paillardise rabelaisienne orfévrée et chantournée, virtuose, doit être séduisant et génial. Si Fellini, autre baroqueux autrefois reconnu, était encore vivant et réalisait de nos jours un de ses délires filmiques dont il avait le secret, plus personne n'en voudrait : le jansénisme sévère et coincé a triomphé partout, cette intransigeance fondamentaliste des St. John Rivers, crise et austérité obligent. Aridité, tout n'est plus qu'aridité, dessiccation de la beauté, désenchantement, désillusion, dessèchement ultime des arts et des esprits ! L'épure cycladique ne constitue plus qu'un prétexte à la médiocrité de ceux qui ne savent plus ouvrager quelque chose, alors que la nature, ce véritable réel, est toute en foisonnement et en luxuriance ! Et, fait significatif, nous la saccageons...
Après un tel tour d'horizon désabusé (j'aurais pu au passage rappeler les traversées du désert subies en certains stades de leur carrière par David Lynch et par Robert Altman), force est de tirer ma révérence pour cette fois. Au revoir et à bientôt pour un nouveau texte en colère.
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