José Ramon Larraz Gil (1929-2013),
alias Gil, Dan Daubeney ou Watman, scénariste de bandes dessinées, réalisateur gothico-fantastique et horrifique de cinéma et de télévision, entré dans Spirou en 1967 avec la série d'aventures maritimes du XVIIIe siècle Christian Vanel, parti en 1979 après une ultime apparition de la série Paul Foran, lorsque enfin la rédaction de l'illustré révéla sa véritable identité, déclarant "tout ça, c'est Larraz," expliquant qu'il était avant tout un réalisateur qui pouvait se targuer d'être parvenu à faire sélectionner un film d'horreur Les Symptômes, représentant le Royaume-Uni, au festival de Cannes 1974, avant de réaliser Vampyres (Daughters of Dracula), au saphisme affirmé, film qui semble avoir eu une postérité parodique récente avec le Lesbian Vampyre Killers de Phil Claydon où joue notamment Louise Dylan par ailleurs interprète d'Harriet Smith dans l'adaptation par la BBC d'Emma, de Jane Austen, avec Romola Garai dans le rôle titre.
Une atroce photo de Vampyres illustrait cet article de Spirou : Larraz, dans ses oeuvres de director aux côtés du macabre accessoire d'un couple de squelettes pas mal putréfiés. Plus déjanté, tu meurs...
Si cet article avait été consacré à l'imagerie de l'Afrique en bédé, j'aurais mis le paquet sur Michaël, où l'un des personnages principaux était un portrait craché de Marlon Brando, série publiée de 1967 à 1971, qui souffrait de ce j'ai appelé dans mon doctorat et mon DEA d'Histoire le syndrome d'Elsa la lionne, avec une représentation de l'Afrique immédiatement post-coloniale comme un Paradis perdu.
Mais nous sommes ici dans le fantastique gothique, à la recherche des réminiscences des bédés de Larraz (dont les dessinateurs étaient en fait Jesus Blasco-Montero et Jordi Bernet) dans la prétendue oeuvre hétéronyme d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, Le Trottin en l'occurrence.
Paul Foran apparaît dans les pages de Spirou en 1968, à l'époque où Charles Dupuis assure l'intérim d'Yvan Delporte à la tête de la rédaction du journal. Le départ de plusieurs auteurs phares comme Morris, le ralentissement de la production d'autres, laisse craindre une pénurie aiguë de planches et de vides qu'il faut combler : c'est pourquoi Dupuis fait alors appel à des auteurs d'Outre-Pyrénées (Blasco, Larraz, Bernet) afin que les 52 pages que compte Spirou soient complètes chaque semaine.
A l'exception de Tif et Tondu, les auteurs espagnols sont les seuls à oser s'aventurer dans une veine fantastico-policière courante dans le cinéma britannique ou italien (le film Danger : Diabolik de Mario Bava est contemporain du démarrage de Paul Foran).
Ce que Larraz va alors faire, c'est instiller dans Spirou une dose du genre en question, dose singulière à la fois dérivée quelque peu du Giallo transalpin et des productions gothiques de la Hammer, sans omettre Roger Corman.
Paul Foran appartient à la Brigade spéciale qui se mêle d'enquêter sur des affaires où transparaît le surnaturel : sans le faire exprès, Foran est une sorte d'ancêtre d' X Files. Le Mystère du Lac est la première aventure de Foran, parue à compter d'octobre 1968. L'accueil de la série demeure longtemps mitigé, jusqu'à l'imprévisible succès, en 1975, de L'Ombre du Gorille, dont j'ai par ailleurs développé l'analyse des superbes premières planches du prologue africain dans mon DEA et ma thèse consacrés à la vision de l'Afrique coloniale dans la bande dessinée franco-belge (bon, je sais, les auteurs ici sont espagnols et Larraz est de surcroît catalan). C'est du fantastique africain pur, absolument génial, dû au crayon virtuose de Jordi Bernet, dont on connaît le talent. Tout y est question d'hypnose, de sujétion mentale, par le sinistre comte Baroff et par son descendant. Devant ce succès inattendu au référendum de 1975, Thierry Martens, alors rédac'chef, se résolut à créer une série d'albums brochés.
Ce succès relatif ne dura pas : dès l'épisode suivant de Paul Foran, Le Retour de Ling-Hur, suite de Baroud dans l'île (1973), que Spirou fit paraître fin 1976, l'enthousiasme retomba à un étiage fort bas, et la série s'éteignit trois ans plus tard avec Le Repaire de la mort lente, traité dans un style aussi Hammer que les autres avec toutefois quelques relents hitchcokiens .
Pourtant, Le Retour de Ling-Hur contient une séquence intéressante : celle où les héros sont prisonniers de bonzes vampires adorateurs de la chauve-souris, moines bouddhistes dissidents et déviants qui arborent tous des trognes à la Nosferatu aux canines bien aiguisées. Leur aspect n'est pas sans faire songer aux moines momifiés vivants de Tsampang Randong, disciple de Kukaï, auquel Aurore-Marie de Saint-Aubain fait ainsi allusion au chapitre XIX du Trottin, à l'occasion de la démonstration du robot à tête de squelette de la Mère supérieure, conçue par Nikola Tesla, automate cauchemardesque à la fois inspiré par Les Masques de Mort de Jess Long (1973) et par la momie du pharaon de la XVIIe dynastie Seknenré-Taâ :
Cette longue citation méritait qu'on s'y attardât.
Dans l'ultime épisode de Paul Foran, on trouve un personnage de brute muette, un peu simiesque, le domestique Oloff, brutalisé par le "méchant" de l'aventure : il ne s'exprime que par des mmm et meurt criblé de balles. On retrouve l'idée du muet inquiétant avec le Bourreau de Béthune, hommage à un catcheur des années 60, certes, mais avant tout client sado-maso de Moesta et Errabunda, qui adore se faire fouetter par Adelia O'Flanaghan, l'amante de l'héroïne Cléore de Cresseville (chapitre XI du Trottin) :
Paul Foran apparaît dans les pages de Spirou en 1968, à l'époque où Charles Dupuis assure l'intérim d'Yvan Delporte à la tête de la rédaction du journal. Le départ de plusieurs auteurs phares comme Morris, le ralentissement de la production d'autres, laisse craindre une pénurie aiguë de planches et de vides qu'il faut combler : c'est pourquoi Dupuis fait alors appel à des auteurs d'Outre-Pyrénées (Blasco, Larraz, Bernet) afin que les 52 pages que compte Spirou soient complètes chaque semaine.
A l'exception de Tif et Tondu, les auteurs espagnols sont les seuls à oser s'aventurer dans une veine fantastico-policière courante dans le cinéma britannique ou italien (le film Danger : Diabolik de Mario Bava est contemporain du démarrage de Paul Foran).
Ce que Larraz va alors faire, c'est instiller dans Spirou une dose du genre en question, dose singulière à la fois dérivée quelque peu du Giallo transalpin et des productions gothiques de la Hammer, sans omettre Roger Corman.
Paul Foran appartient à la Brigade spéciale qui se mêle d'enquêter sur des affaires où transparaît le surnaturel : sans le faire exprès, Foran est une sorte d'ancêtre d' X Files. Le Mystère du Lac est la première aventure de Foran, parue à compter d'octobre 1968. L'accueil de la série demeure longtemps mitigé, jusqu'à l'imprévisible succès, en 1975, de L'Ombre du Gorille, dont j'ai par ailleurs développé l'analyse des superbes premières planches du prologue africain dans mon DEA et ma thèse consacrés à la vision de l'Afrique coloniale dans la bande dessinée franco-belge (bon, je sais, les auteurs ici sont espagnols et Larraz est de surcroît catalan). C'est du fantastique africain pur, absolument génial, dû au crayon virtuose de Jordi Bernet, dont on connaît le talent. Tout y est question d'hypnose, de sujétion mentale, par le sinistre comte Baroff et par son descendant. Devant ce succès inattendu au référendum de 1975, Thierry Martens, alors rédac'chef, se résolut à créer une série d'albums brochés.
Ce succès relatif ne dura pas : dès l'épisode suivant de Paul Foran, Le Retour de Ling-Hur, suite de Baroud dans l'île (1973), que Spirou fit paraître fin 1976, l'enthousiasme retomba à un étiage fort bas, et la série s'éteignit trois ans plus tard avec Le Repaire de la mort lente, traité dans un style aussi Hammer que les autres avec toutefois quelques relents hitchcokiens .
Pourtant, Le Retour de Ling-Hur contient une séquence intéressante : celle où les héros sont prisonniers de bonzes vampires adorateurs de la chauve-souris, moines bouddhistes dissidents et déviants qui arborent tous des trognes à la Nosferatu aux canines bien aiguisées. Leur aspect n'est pas sans faire songer aux moines momifiés vivants de Tsampang Randong, disciple de Kukaï, auquel Aurore-Marie de Saint-Aubain fait ainsi allusion au chapitre XIX du Trottin, à l'occasion de la démonstration du robot à tête de squelette de la Mère supérieure, conçue par Nikola Tesla, automate cauchemardesque à la fois inspiré par Les Masques de Mort de Jess Long (1973) et par la momie du pharaon de la XVIIe dynastie Seknenré-Taâ :
"Elle se fût
attendue à une épure, à une représentation symbolique, réduite à des
signifiants essentiels de ce que devait incarner et évoquer, dans les
mentalités collectives, la mère supérieure d’un monastère. En lieu et
place, le regard de Cléore se trouva confronté à une religieuse baroque, à
l’espagnole, presque à la semblance d’une de ces statues processionnelles
bariolées et surchargée de dorures, mais scélérate, parce que son visage,
vitriolé, vérolé, horrible, n’était plus qu’une tête de mort au stade ultime de
la lèpre ou de la syphilis, à moins qu’elle souffrît d’érésipèle ou de ce que
l’on nommait lupus érythémateux. C’était Alphonse Rabe, l’homme de
lettre défiguré – qui fort beau fut – fait femme ; c’était une momie
pharaonique vivante aussi, à moins que Tesla se fût inspiré des bonzes japonais
auto-momifiés du sectateur Kukaï dont les dépouilles, séchées, mitrées,
couvertes de leurs habits sacerdotaux damassés et moisis par les affres du
temps, étaient des objets d’adoration turbides. Ces momies bouddhiques, qui
dégageaient une odeur à la fois suave et rance de pourriture passée, pullulaient
semblait-il au Thibet. Elles étaient légions dans des excavations creusées de
niches, grottes peinturlurées de fresques de Bodhisattvas, et autres divinités
infernales du Bardo Thödol, que les lamas disaient communiquer avec
l’antre souterrain du Roi du Monde ou Agartha. Ces nécropoles se
réclamaient d’un disciple dissident de Kukaï ayant vécu au XVe siècle : Tsampang
Randong Lama. Moi, Faustine, je sais cela ; je l’affirme sous serment,
parce qu’un témoin irréfutable, que j’ai rencontré à Venise, me l’a expliqué[1].
« Pour
l’effrrrroyable visage de la Mère, pérora l’inventeur, je me suis
inspiré d’une dépouille pharaonique célèbre d’une putridité évocatrrrrice…
Connaissez-vous l’Egypte et l’affaire de la cache des momies rrroyales de Deir
el-Bahari, découverrte par Emile Brugsch bey en 1881 ? Certes, les
Français l’avaient signalée d’aborrrrd mais…
- J’avoue,
Monsieur, mon ignorance… Ce Brugsch n’est-il pas allemand ?
- Cette cache
servait de dépôt secrrret à toutes les momies des pharaons du Nouvel Empirre,
du moins, à prresque toutes. Il y en avait quarante en tout. Afin qu’elles
fussent exclues de l’avidité et de la convoitise des pillards d’hypogées, les
prrrêtres leur avaient aménagé cet abrrri secrret.
- Quel est donc
le lien avec l’aspect épouvantable de la Mère ?
- Sa face
défigurée et morbide reproduit les traits décomposés de la plus mal conservée
de toutes ces momies désorrrmais cairotes : le dernier pharaon de la
dix-septième dynastie Sekenenré Taâ, qui pérrrit au combat, lors de la victoire
présumée qui chassa les Hyksos du pays de Kemi. On l’embauma à la hâte alors
que la putrrrréfaction faisait jà son œuvrrrre. Il fut primitivement inhumé en
la nécrrrropole de Dra Abou el-Naga, avant que les prrrêtres ne le déplaçassent
comme les autrrres…
- Ne serait-ce
pas plutôt le nom d’une créature de foire, l’homme momie-vivante, que le comte
Galeazzo di Fabbrini exhiba de village en village dans l’Italie profonde des
années 1860 ?
- Cerrtes oui,
aussi… Mes ouvrriers et moi-même, nous nous inspirrâmes des souvenirrs de
l’aventurirrrier Frrédéric Tellier, l’adversaire le plus corriace du comte di
Fabbrini. »
La momie de Sekenenré Taâ était réputée pour
son fumet, son musc pesteux. Julien, avec son franc-parler populaire, aurait
dit que cette dépouille était tombée dans la mistoufle. Cléore eût rectifié :
dans la déliquescence.
Tesla procéda à la mise en route de
l’androïde sous les yeux d’une Cléore fascinée par tout ce qui touchait à
l’altérité, à la monstruosité. Inerte et ballante, cette Coppélia, adonisée en
symbole de la raideur fanatique du Siècle d’Or espagnol, s’érigea d’un seul
coup, ce qui suscita des frissons de surprise et de crainte en l’épiderme
laiteux de la comtesse de Cresseville. La seule vue de cette mère fouettarde
à la face de fins dernières, de vanité baroque, suffirait à dissuader les
fillettes de se complaire en leur abjection de pécheresses juvéniles. Nikola
Tesla avait élucubré une horreur géniale."
[1] Aurore-Marie
de Saint-Aubain fait allusion à sa rencontre non officielle en 1888 à Venise
avec celui qu’elle nomme Daniel, sans autre détail sur son identité,
dans son poème Le voyage magique. Ce mystérieux personnage, dont aucune
trace historique ne subsiste à cette époque, lui aurait démontré l’inanité de
ses desseins boulangistes et le caractère vain et infondé théologiquement de la
secte qu’elle dirigeait, les Tétra-épiphanes.
Cette longue citation méritait qu'on s'y attardât.
Dans l'ultime épisode de Paul Foran, on trouve un personnage de brute muette, un peu simiesque, le domestique Oloff, brutalisé par le "méchant" de l'aventure : il ne s'exprime que par des mmm et meurt criblé de balles. On retrouve l'idée du muet inquiétant avec le Bourreau de Béthune, hommage à un catcheur des années 60, certes, mais avant tout client sado-maso de Moesta et Errabunda, qui adore se faire fouetter par Adelia O'Flanaghan, l'amante de l'héroïne Cléore de Cresseville (chapitre XI du Trottin) :
"Le bourreau de
Béthune arborait une cagoule de cuir pourpre, dotée de deux ouvertures
orbitales et d’une fente nasale, mais l’emplacement de la bouche demeurait
clos, obturé. Par ailleurs, afin qu’il accentuât son tourment, il operculait
toujours cette bouche avec un sparadrap. Conséquemment, il ne pouvait parler.
Cela lui conférait un mutisme inquiétant et il ne pouvait marmotter que des mmm…mmm…
ou des hu…hu… d’idiots congénitaux déshérités de cirque que Délia se
devait de décrypter si elle voulait que s’exécutassent correctement les
souhaits morbides de ce client illustre quoiqu’il vînt incognito.
Sous l’anonymat de la cagoule de cuir, le
bourreau de Béthune n’empêchait aucunement les spéculations de courir au sujet
de son identité. D’aucuns prétendaient qu’il s’agissait d’un ministre
important, celui de l’Intérieur sans doute. Il dissimulait ainsi ses vices et
affichait en public une vertu de façade fort commode, lui qui luttait
officiellement contre la prostitution et appuyait l’action de la Mondaine
ou de ce qu’il en restait depuis 1881. D’autres pensaient que
c’était un important industriel, membre du Comité des Forges, mais la thèse du
ministre de la police semblait la plus probable : la ventripotence du
client correspondait de manière troublante avec celle de Monsieur V**."
Enfin, le vampirisme saphique cher à Larraz, bien qu'absent de Paul Foran, si ce n'est dans le deuxième épisode de la série, paru début 1969 et demeuré inédit en album Dupuis, se retrouve illustré par les liens unissant les jumelles Daphné et Phoebé de Tourreil de Valpinçon avec leur patiente : la comtesse Olenska (chapitre VIII du Trottin) :
La comtesse Nadia
Olenska Allilouïevna était âgée d’à peine trente ans. Bien qu’elle eût conservé
jeunesse et beauté, elle paraissait hors d’âge du fait d’une maladie de
langueur qu’on prétendait causée par son veuvage précoce. Elle était crêpe et
deuil, voiles et désolation, toute l’année durant. Feu son époux, le comte
Stanislas Grigorievitch Olensky, s’était brûlé la cervelle cinq ans auparavant
sur la table de jeu de Monte-Carlo. Descendant d’un patriote polonais qui avait
eu pignon sur rue au temps du Grand-Duché de Varsovie, le comte Olensky n’avait
connu qu’exil et ruine après que sa famille eut été décimée lors de la
répression qui avait suivi la révolte polonaise de 1863. Jà mort avant même
qu’il n’eût plus ni sou, ni maille, il n’avait pu épouser une compatriote qu’en
sacrifiant son argenterie et son dernier haras. Rien n’y avait fait :
Olensky avait dilapidé la dot de Nadia en accumulant les dettes de jeu,
jusqu’au geste fatal.
Depuis cinq ans, la comtesse ruinée vivait
des aides de Madame la vicomtesse de**. Elle était sans enfant, et afin qu’elle
pût se distraire quelque peu, Madame de** l’avait aiguillée vers l’Institution
de Cléore au point qu’elle en devint la cliente la plus assidue, reportant son
affection bien particulière sur les jumelles dont la beauté blonde aussi
languide que la sienne la fascinait. Elle ne manquait aucun rendez-vous, aucune
séance hebdomadaire de soins spéciaux du jeudi après-midi. Sa longue
silhouette voilée descendait d’un hansom cab anglais marqué de ses armoiries,
et elle se rendait, à pas de trotte-menu, jusqu’à la salle où officiaient ses
adorées enfants. On devinait sous la gaze noire un merveilleux visage de blonde
aux longues mèches de lin nouées en un lourd chignon, aux yeux immenses de
quartz rose, d’une grâce d’albinos. Sa face était ivoire et marbre immaculé.
Son incarnat était albâtre, craie, talc, falaise de Douvres de pierre blanche,
roche tendre de peau qui, au moindre choc, pouvait s’effriter toute, se rayer
au moindre coup d’ongle. Elle promenait
son corps anonchali de Triste Pepa[1] poitrinaire au regard mélancolique insigne jusqu’au pavillon principal.
On eût dit quelque gracieux navet exsangue. Elle incarnait à loisir l’automne
de la fleur, lorsque se tarit la sève. Messieurs Diksee et Waterhouse, ces
grands peintres d’Albion, n’eussent point dédaigné un si joli modèle, tout en
neurasthénie. Lorsqu’elle était parvenue en la place et que les jumelles
étaient accourues à sa rencontre en trottinant sur leurs bottines, leurs grands
rubans flottants dans leurs cheveux de soleil, avec des cris et des babils
joyeux, ses longues mains de
chlorotique, une fois dégantées, puisaient dans une bonbonnière qu’elle avait apporté
une poignée de douceurs avec lesquelles Madame la comtesse amadouait les deux
fillettes afin qu’elles se soumissent à sa volonté expresse. Les jumelles,
enrubannées et parfumées jusqu’à l’ostentation, l’escortaient alors jusqu’à la
salle spéciale en suçotant leurs sucreries avec une délectation bruyante,
presque grossière. Daphné et Phoebé s’en gâtaient les dents au risque des
caries et des mauvaises odeurs de bouche.
Parfois, quand le fond de son réticule le lui
permettait, notre comtesse polonaise s’en revenait avec les derniers joujoux et
Bébés de porcelaine de Paris, qu’ils fussent Jumeau, Bru ou Huret, mais la
plupart du temps, outre les bonbons, Daphné et Phoebé devaient se contenter de
babioles de deux sous. Elles s’en emparaient et venaient en la pièce avec
elles.
Le rituel commençait lors. Madame la comtesse
refermait l’huis de cette salle gothique, fort obscure, éclairée uniquement aux
chandelles, où brûlaient des braseros et où ardait un feu de cheminée quelle
que fût la saison. L’ornementation se voulait terrifiante, propre à prodiguer
des sensations de terreur inquisitoriale : tables de géhenne, vierges de
fer, brodequins, tenailles, fouets, planches et cordes d’élongation,
entonnoirs, encombraient ces aîtres de supplices tout en clair-obscur. Nadia
Olenska prenait place sur une espèce de faudesteuil ou de cathèdre en chêne,
sculpté de scènes du Jugement Dernier, représentant des légions d’anges et de
démons, d’âmes sauvées ou damnées tourmentées par des succubes bestiaux aux
poitrails agressifs de sphinges. La chaire était conçue spécialement afin que
trois personnes s’y assissent, une calée sur le siège, deux à croupetons ou à
califourchon sur chaque accoudoir capitonné. Ce siège était dérivé, adapté,
Cléore ne le cachait point, d’un modèle en usage dans certaines maisons que
l’on ne nomme pas. Des lanières de cuir
attachaient les poignets de la comtesse à ces accoudoirs sièges secondaires,
réservés à des personnes de petite stature, donc à ces demoiselles, tandis que
son buste demeurait en quelque sorte scellé au dossier de la cathèdre
par une ceinture ornée de clous, qui vous meurtrissait si, par mégarde, on la
serrait trop.
Une fois la comtesse Olenska bien sanglée,
Daphné et Phoebé procédaient à un déshabillage rituel partiel de la
cliente : elles ôtaient voiles de veuve et chapeau, dénouaient le chignon
dont elles extrayaient les épingles une à une en prenant garde de ne point se
piquer, laissant les mèches de lin retomber jusqu’aux reins, s’épandre au
dossier du faudesteuil, dégageaient le cou de cygne translucide en enlevant le
camée du col et en délaçant le jabot du chemisier de batiste et de dentelle.
Une fois ledit cou à nu, les doigts gaillards des fillettes le caressaient et
le lissaient longuement ; leurs bouches pourprées le baisaient aussi,
tâchant d’y déceler les bonnes veines, de faire la part belle entre veines et
artères, entre la carotide et le reste, afin qu’elles se prémunissent de tout
accident fâcheux lors de la saignée qui suivrait. La sève du désir
montait en Madame, surtout lorsque les caresses tactiles ou buccales de Daphné
et Phoebé parcouraient avec insistance la nuque duveteuse, d’un duvet blond
presque blanc. Ses extrémités, pieds, mains, même les lèvres et les paupières,
étaient prises de tremblotements convulsifs de feuilles nervurées à l’infini,
secouées par un zéphyr subtil. Nadia frémissait, tentait à son tour d’attoucher
les fillettes qui profitaient de cette montée de tension pour exciter encore
davantage la volupté tortue de notre Polonaise souffreteuse. Il régnait en
général une chaleur d’enfer doloriste dans cette pièce confinée, sans fenêtre,
chaleur des sens alimentée par les multiples foyers. C’était prétexte à ce que
les jumelles se dénudassent, une fois la Dame bien entreprise ; Daphné et
Phoebé, en un ensemble parfait, bien coordonné, en des gestes langoureux d’une
exaspérante lenteur, faisaient choir un à un leurs atours mignards sur le sol,
tout en s’arc-boutant aux accoudoirs du faudesteuil, lèvres pointées vers les
joues exsangues de Madame, jusqu’à ce qu’elles n’eussent plus sur elles que
leurs derniers dessous, pantalons et chemise virginaux de coton ouaté aux
fragrances de lavande émollientes. Leurs cheveux blonds, libérés, tombaient en
torsades sensuelles jusqu’à leurs mollets poupins. Il était amusant de voir les
poupées de porcelaine, lorsqu’il y en avait des neuves, aussi dorlotées
qu’elles fussent, sagement assises dans leur coin, spectatrices indiscrètes,
assister, impavides, de leurs grands yeux de verre inexpressifs, à cette séance
thérapeutique d’une brûlante volupté.
Lors de la récente canicule, prétextant que la
chaleur, ce jour-là, avait dépassé les limites, Nadia Olenska Allilouïevna
avait voulu que les choses allassent plus loin, que les jumelles se missent
torse nu, qu’elles dévoilassent leurs pousses roses afin qu’elle en bécotât et
mordillât la chair tendre, qu’elles entrouvrissent leurs pantaloons (car
la comtesse n’employait ce terme impudique qu’en anglais) à l’endroit
stratégique ourlé de replis mystérieux en principe non encore boisés à leur âge
(elle se trompait sur ce point), afin qu’elle pût jouir du spectacle de toutes
ces chairs de vierges impubères ainsi offertes et que ses mains pussent se faire
plus hardies et caressassent à leur tour ces gamines à leur entrefesson. Daphné
et Phoebé, à cheval sur le règlement strict de Moesta et Errabunda, refusèrent
d’exhiber leur jeune poitrine, mais accordèrent une faveur perverse à la
comtesse : elles ouvrirent le petit bouton nacré de l’entrejambes de leurs
pantalons, puis s’amusèrent à se frotter à califourchon contre les accoudoirs
bien enrobés de velours, à la manière de Délie sur le parquet. Ce fut pour
Madame un supplice de Tantale ; l’emplacement des liens de cuir des
poignets était calculé juste de manière à ce que les doigts impatients de la
belle languide, aussi longs qu’ils fussent, ne parvinssent pas à effleurer et
attoucher cet entrejambes ainsi offert à la tentation. Ils étaient pris de
spasmes incoercibles, et la Dame allait jusqu’à en baver de frustration. Son
cœur s’emballait au risque de la mort. Son sang entrait en ébullition. Elle
était lors mûre pour la saignée. Daphné et Phoebé se gaussaient d’elle
tandis que l’extase inassouvie de la cliente atteignait des sommets
intolérables. Elles-mêmes prises dans leur délire orgasmique, échauffées et
pourpres, trempées d’une sueur malsaine, les perverses se saisissaient alors
chacune d’une lancette et, à tour de rôle, tout en poursuivant les frottements
obsessionnels de leur conque intime irritée et rougie sur le tissu des bras de
la chaire, saignaient la Dame au cou, lui arrachant de petits cris de chatte en
détresse. Deux calices tarabiscotés, constellés de pierreries, incrustés d’un
double camée représentant les profils des enfants de France, Louis XVII
et Madame Royale, servaient à recueillir les pintes vermeilles qui y
gouttaient. Puis, les fillettes buvaient ce sang et s’essuyaient la bouche.
Elles achevaient leur travail en s’arc-boutant à nouveau aux accoudoirs, tandis
que la comtesse murmurait, presque évanouie, de son accent polonais
étrange : « Mes choux d’amour…Mes choux d’amour…non, pitié… ».
Elles suçaient et léchaient ce qui perlait encore de la plaie, afin qu’aucune
trace du liquide vital, même la plus ténue, n’échappât à leur gustative
jouissance. Sur ce fauteuil de supplice, cela formait une figure grotesque,
enchevêtrée, un enlacement horrible d’empuses et de sangsues en lingerie de
vierges trempée de sudations, empuses ou lamies dont les ventouses obscènes
mordillaient, suçotaient et pompaient ce
qui restait encore à déguster. Le cou de cygne meurtri, marqué par ces
écorchures, ces plaies béantes et ces suçons létaux, réclamait qu’on le pansât.
C’était lors chose faite par mesdemoiselles, avec un art insigne. Puis, la
comtesse, repartait, plus faible, plus titubante, plus transparente, cireuse et
crayeuse que jamais, prenait congé de la maisonnée, gratuitement car
désargentée, Madame la vicomtesse de** payant sa note. Chacune des fillettes,
la séance achevée, s’apercevait alors que son rut l’avait inondée de plaisir et
qu’il fallait aller au tub d’urgence.
J'aurais pu aussi épiloguer sur La Momie, 4e et ultime album de Foran que Dupuis édita en 1979, bien que cette aventure remontât à 1970 : j'en eus longtemps très peur, les momies, égyptiennes ou Inca faisant partie de mes fantasmes issus de l'enfance. (celle de Foran fut fortement inspirée par les films de la Universal et de la Hammer avec ses bandelettes pendantes moisies).
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