William Turner : The burning of the houses of Lords and Commons.
Et cela :
Francis Bacon : Study after Velazquez, portrait of Pope Innocent X.
selon les officiels de la culture pontifiant sur Arte et sur d'autres médias "culturels", aucun art plastique britannique n'a existé ! Soit cent années de traversée du désert !
Cela rappelle fâcheusement cette thèse soigneusement entretenue jusqu'au poncif durant des décennies dans les traités français de musicologie et d'histoire de la musique occidentale d'après lesquels, s'il fallait bien les croire, aucun compositeur britannique ne s'était manifesté de la mort de Haendel en 1759
aux premières compositions d'Edward Elgar à la fin de l'époque victorienne !
De bien excessives mauvaises langues allaient jusqu'à prétendre qu'il avait fallu attendre Benjamin Britten (1913-1976) pour que la musique anglaise renaquît de ses cendres ! Quid en ce cas de Ralph Vaughan Williams, de Frederick Delius et d'autres ? On pourrait en dire autant de la pseudo nullité de la musique française des années 1764-1830 (de la mort de Rameau à la symphonie fantastique de Berlioz).
On devine que tous ces prétendus historiens de la musique et des beaux-arts se sont méjugés, on fait preuve de parti pris flagrant et de mépris pour ce qui ne correspondait pas à leur esthétique "nationale".
La belle affaire qui permettait d'escamoter aisément les courants esthétiques d'avant-garde victoriens animés par les préraphaélites et de les évacuer de tout discours à prétention historiciste !
Dante Gabriel Rossetti : Proserpine.
Ce fut ainsi que tous les abus devinrent possibles dans les médias, qui s'arrogèrent le droit à l'ignorance et se permirent de ne rien traiter, de ne rien dire, y compris tout récemment (voir un de mes derniers billets consacré à l'exposition L'Ange du bizarre), à propos de l'ensemble des arts non-français (ou non-avant-gardistes selon eux) du XIXe siècle, abrités qu'ils étaient derrière le paravent falsificateur et auto-justificatif de leurs certitudes, d'un discours tronqué et orienté, subjectif en diable.
Mesdames, messieurs les responsables de la vulgarisation artistique en France, je vous le demande solennellement : cessez donc là cette comédie et réhabilitez enfin les arts britanniques des années 1760-1930 pour la musique et 1850-1940 pour les arts plastiques ! Ce sera enrichissant pour tout le monde ! Il est temps que vous combattiez toutes les idées reçues !
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dimanche 14 juillet 2013
Du rejet de l'art britannique de Turner à Bacon par nos antimédias français officiels se targuant de culture.
Entre ceci :
mardi 9 juillet 2013
Aurore-Marie de Saint-Aubain et le fétichisme de la juvénilité 2 : les poupées à l'effigie des pensionnaires de Moesta et Errabunda.
Zé né pouvais quand même pas dire que z'en avais fait oun troisième (téléviseur) avec lé reste des pièces ! (Adolphe, le Mainate aux Hormones (Spirou 1966) : citation en mémoire du dessinateur et scénariste de bédés Jean Mahaux décédé le 27 mars 2013 à l'âge de 79 ans)
Trois extraits du sulfureux roman d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, Le Trottin (1890), où il est une fois de plus question de l'attirance trouble que cette poétesse décadente éprouvait pour les préadolescentes de la fin du XIXe siècle. Un avertissement préalable s'impose comme une mise en garde à cause du caractère saphique et déviant de cette prose pourtant magnifique et maniérée. Une partie des illustrations de ce billet est constituée de photos de poupées et bébés de porcelaine de Casimir Bru, que je trouve bien plus intéressants et ambigus que les plus convenus bébés Jumeau : une sensualité gênante se dégage de ces jouets officiellement enfantins fort ouvragés et luxueux, et il faut imaginer les "amies-enfants" de Cléore de Cresseville, l'héroïne du roman, ainsi parées et ornementées d'atours redondants qui en font des Nana miniatures, des fétiches vénéneux surchargés et coquets, pleins d'affèterie, en bref, des Lolita 1880 fort perverties... C'est la raison pour laquelle Le Trottin demeure strictement réservé à un public averti et mentalement sain d'esprit. Cette ambiguïté ou ambivalence sexuelle s'est perpétuée du temps du cinéma muet : les photos de comédiennes canadiennes et américaines que j'utilise comme portraits d'Aurore-Marie de Saint-Aubain (Mary Pickford, Bessie Love, Mary Miles Minter) étaient souventes fois à peine adolescentes et elles ressemblaient à s'y méprendre à des poupées de porcelaine vivantes très sexuées. A chaque époque ses perversions.
Trois extraits du sulfureux roman d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, Le Trottin (1890), où il est une fois de plus question de l'attirance trouble que cette poétesse décadente éprouvait pour les préadolescentes de la fin du XIXe siècle. Un avertissement préalable s'impose comme une mise en garde à cause du caractère saphique et déviant de cette prose pourtant magnifique et maniérée. Une partie des illustrations de ce billet est constituée de photos de poupées et bébés de porcelaine de Casimir Bru, que je trouve bien plus intéressants et ambigus que les plus convenus bébés Jumeau : une sensualité gênante se dégage de ces jouets officiellement enfantins fort ouvragés et luxueux, et il faut imaginer les "amies-enfants" de Cléore de Cresseville, l'héroïne du roman, ainsi parées et ornementées d'atours redondants qui en font des Nana miniatures, des fétiches vénéneux surchargés et coquets, pleins d'affèterie, en bref, des Lolita 1880 fort perverties... C'est la raison pour laquelle Le Trottin demeure strictement réservé à un public averti et mentalement sain d'esprit. Cette ambiguïté ou ambivalence sexuelle s'est perpétuée du temps du cinéma muet : les photos de comédiennes canadiennes et américaines que j'utilise comme portraits d'Aurore-Marie de Saint-Aubain (Mary Pickford, Bessie Love, Mary Miles Minter) étaient souventes fois à peine adolescentes et elles ressemblaient à s'y méprendre à des poupées de porcelaine vivantes très sexuées. A chaque époque ses perversions.
Extrait n° 1 : chapitre XIII.
(...)
De chacune
de ses nouvelles élèves, elle commanda à d’habiles et merveilleux artisans et
façonniers brabançons, autrichiens ou franc-comtois qu’ils fabriquassent des
poupées grandeur nature, comme autant de portraits réalistes en trois
dimensions, où, parmi les divers matériaux nobles entrant dans leur façonnage
exquis, se mêlaient la cire des anciens hanséates, l’ambre, le copal du
Mexique, le marbre de Carrare, l’ivoire, l’or, l’onyx, le brésil et le biscuit.
Elle fit revêtir ces effigies, ces petites déesses lares, d’atours anciens des
cours des Médicis, des Valois, des Borgia ou des Tudor. Les costumes
s’inspiraient des peintures de Botticelli, Ghirlandaio, Holbein, Lucas Cranach,
Pourbus l’Ancien ou Jean Clouet. La poupée de Délia fut ainsi une parfaite
Lucrèce Borgia impubère, aussi vénéneuse et tentatrice que son modèle adulte.
Les tissus de tous ces mannequins revêtaient
une qualité spéciale, étudiée pour qu’ils fissent vieux, usés, passés, pour
qu’ils s’étiolassent, se fanassent et s’altérassent, pour que se ternît l’éclat
de leurs couleurs, de leurs cramoisis damassés, de leurs velours pourprins,
afin qu’augmentât chez le visiteur ou la visiteuse éventuels de cette bien
particulière et turbide collection l’impression de contempler d’authentiques
reliques, mannequins cireux et chryséléphantins des beautés passées de la
Renaissance dans leur prime jeunesse alors qu’elles étaient encor vierges. Quitterie
fut une splendide Anne de Bretagne de Jean Bourdichon tandis que Jeanne-Ysoline
la toisait en Mary Tudor et Phoebé en Marguerite d’Autriche du maître de
Moulins. Cléore poussa le réalisme mortifère jusqu’à la production chimique
d’un jaunissement artificiel des dentelles et ruchés ajourés, jusqu’à l’ajout
d’une effluence de moisissure, jusqu’à la reproduction d’une carnation blafarde
de consomption et de chlorose sur ces joues ivoirines passées par les ans.
Cela prodiguait l’illusion d’ensemble de poupées
pourrissantes de trois-quatre siècles, avec çà et là une touche, une nuance
fœtale attardée, horrible, de momies d’enfants gaufrées et gainées dans un
vernis préservateur altéré et craquelé de tableautin antique, tel un vieux cuir
de Russie. Quelques uns de ces mannequins, qui se multipliaient comme en un
musée de monsieur Grévin d’un type nouveau au fil des recrutements, telle une
sorte d’attraction malséante d’un Egyptian Hall londonien, ressemblaient
à des statues de bronze poliades vert-de-grisées qu’on eût repêchées des restes
d’une ancienne galère de la Mer Égée.
D’autres apparaissaient à la semblance
d’ex-voto verdâtres rongés d’algues, de goémons, comme moussus de sphaignes,
récupérés d’un sanctuaire breton, d’une grotte de Locmariaquer, des vestiges
sans doute immémoriaux de l’antique cité légendaire engloutie d’Ys. (...)
Extrait n° 2 : chapitre XX.
Ce bébé Bru a été vendu 14 500 US dollars ! |
(...) Cléore, la
mine pâle et pincée, détourna son chemin et pénétra enfin en l’antre des
poupées de cire, des effigies de théâtre de toutes les actrices de Moesta et
Errabunda.
Nikola Tesla n’avait pas installé
l’électricité dans toute la propriété : beaucoup s’en fallait. Aussi, en
ce lieu insigne, Cléore devait conserver sa lampe. La région manquait
d’aménagements modernes, isolée qu’elle était des grandes métropoles. Les
ingénieurs et experts prévoyaient un lent progrès, uniquement ou presque parmi
les classes privilégiées. Les usines à dynamos productrices de cette énergie
nouvelle devaient s’implanter, en tant que centrales électriques, à
proximité des gisements houillers (on parlerait de centrales à charbon) ou des
torrents pyrénéens ou alpins, à condition que le courant fût alternatif selon
les vœux du savant serbe.
Cléore se découvrit elle-même parmi le groupe
des fillettes statufiées, toujours à sa place de reine présidant cette petite
assemblée de mannequins historiés. Puisque rousse, elle avait choisi
d’incarner Elisabeth, la Reine Vierge, en sa magnificence de velours, de
pierreries et de brocarts qu’eût chantée William Byrd. Jugeant son teint d’une
suffisante lactescence, la comtesse de Cresseville avait refusé de pousser
au-delà la fidélité de la reproduction, en ne plâtrant pas sa face, en ne
l’enfarinant pas comme cette monarque d’une coquetterie et d’un artifice
excessifs, parée telle une idole, qui, des jours durant, avait préféré agoniser
assise dans un fauteuil plutôt que de gésir. En ce sanctuaire de ses chéries,
Cléore recherchait le réconfort et la délectation esthétique, le ravissement
désintéressé, se recueillant longuement auprès de ces répliques fidèles
ambiguës, damassées et gaufrées, aux yeux de verre iridescents. Elle y
murmurait quelques païennes prières. Toutes ces poupées idoles apparaissaient
figées dans des postures séculaires, transies en leurs matériaux composites où
dominait la cire jaunie, d’une rigidité évocatrice du cadavre, immémoriales et
non point éternelles du fait de l’aspect volontairement étiolé, effiloqué, de
leurs atours mignards et vieillots. C’étaient de bien turbides et morbides
fétiches, des sortes de momies factices pro mortem, anticipatrices, qui
accentuaient en l’esprit malade de Mademoiselle de Cresseville la conviction
qu’elle approchait de la fin. Ces poupées quasi bletties jouaient lors le rôle
dramaturgique et sépulcral de shaouabti antiques accompagnateurs en un au-delà
anticipé, de mannequins de catafalques monarchiques du Moyen Âge déclinant,
selon une théorie qui se faisait jour parmi les plus éminents historiens
germaniques, d’après lesquels deux corps eussent pu coexister en chaque roi,
l’un quintessentiel mais symbolique, l’autre constitué de chair périssable,
resucées christianisées du dualisme platonicien entre l’âme éternelle et le
corps corruptible, du ka ou de la psyché et du pneuma des Anciens. C’avait été
l’âge des transis, de la Mort triomphante, de la représentation de la
putréfaction en toute son abjection réaliste et crue par les ciseaux et les
gouges des sculpteurs d’Henry le cinquième et de Charles le fol.
Certes, Cléore s’était sentie investie d’une
mission particulière, mais elle ne l’avait point vécue comme un apostolat.
C’eût été blasphématoire, bien qu’elle eût renié toute référence au
catholicisme. Elle avait voulu prêcher la bonne parole de sa cause saphique et
désormais, tout s’altérait, se délitait. L’étau policier se resserrait autour du
fruit mûri prêt à choir de l’arbre moribond, et la justice, en sa cécité
crasse, condamnerait toute l’entreprise. Trop en avance sur notre temps en
matière de mœurs, adepte d’une révolution du sexe par trop prématurée, Cléore
prit conscience de l’échec patent. L’avenir des quarante petites filles
restantes l’inquiéta. Elle vivait l’évulsion de ses illusions. L’euphorie des
débuts s’était évanouie et ce n’était pas en adoptant une attitude évasive, en
se dérobant devant l’évidence, que la comtesse de Cresseville sauverait ce qui
pouvait encore l’être. Elle devait tailler dans le vif, retrouver Délia coûte
que coûte et s’arranger pour qu’elle fût éliminée, dans le sens littéral et
cruel du terme. Mais jamais la maîtresse de Moesta et Errabunda ne se
résoudrait à une solution aussi radicale : instaurer une forme de peine de
mort dans l’Institution, un tribunal d’exception allant plus loin que les
simples châtiments corporels énoncés par le faux-semblant de la Mère,
cet androïde lors dérisoire dont le pouvoir de dissuasion se lézardait, bien
qu’en quelque sorte elle eût jà implicitement appliqué cette peine capitale à
l’encontre de l’infortunée Ursule Falconet. Cléore pensa donc à une destruction
symbolique de celle qui avait assassiné l’adorable Daphné : pourquoi ne
point brûler Adelia en effigie au cours d’une cérémonie publique, comme la
populace l’avait fait à l’encontre d’un Loménie de Brienne ? Mais d’autres
vers introduits par erreur dans le fruit de Moesta et Errabunda l’avaient
rongé… surtout l’insoumise, Odile Boiron… Cléore examina le groupe de poupées
cireuses et chryséléphantines constellées de copal, à la recherche de la
réplique de l’impétrante. Celle-ci repérée, elle poursuivit ses réflexions
passionnelles, ses méditations devant celle qui était la dernière statue
achevée : Cléophée la maudite, telle qu’elle-même, et pour Cléore, cause
de tous ses malheurs de par sa désobéissance… Cléophée en Ninon de Lenclos, la
grande figure féministe des salons du Roy Soleil. La tentation de briser sur-le-champ
la reproduction de la coupable saisit Mademoiselle de Cresseville, lorsqu’un
bruit feutré retint son attention. Quelqu’un d’autre était là…
En ce cabinet des figures fermentées, Cléore
captait une présence étrangère, furtive, indésirable… Elle brandit son lumignon
et tenta de localiser la provenance de ce bruit importun. Les ombres des
effigies de cire se firent mouvantes, indéterminées, déformées comme en une
fantasmagorie de théâtre qu’on eût voué aux seules pantomimes lumineuses
gothiques, évocatrices de la Mort. Ses yeux ne purent discerner l’intrus ; il
devait bien se cacher, profiter des moindres recoins de cette salle de
sous-sol, de ce musée malsain peuplé des fétiches fantômes des juvéniles
aimées. Cléore se résolut donc à entreprendre l’autodafé symbolique de
Cléophée, d’immoler le mannequin de la maudite, du grain de sable corrupteur.
Elle extirpa une boîte d’allumettes soufrées de son aumônière. Une fois, deux
fois, elle essaya d’en craquer une.
L’humidité des aîtres, l’atmosphère viciée, rancie, toute cette cire
empoussiérée, ces étoffes vieillies, ces artifices de chancissure prématurée,
étaient-ils la cause du mauvais fonctionnement d’un objet aussi trivial et
élémentaire destiné à brûler ? Alors, la comtesse de Cresseville sentit une main
lisse et glacée l’empoigner. Elle cria tandis que ce membre, jeune et habile,
s’emparait avec prestesse des allumettes défectueuses. La flamme de la lampe à
pétrole éclaira une figure féminine redoutée entre toutes, non pas statufiée,
mais vivante : c’était Adelia, la favorite en disgrâce, l’assassin de Daphné,
qui ainsi, se dévoilait. Cléore s’en trouva révulsée.
C’était une vision lugubre, qui ajoutait une
touche de mysterioso troublant à cette pièce renfermée, confinée, qui
servait de réceptacle à toute une collection d’idoles confites et figées,
presque momiformes dans leur roideur suprême. Adelia jeta, d’une voix aux
inflexions vipérines :
« Tu
te trompes de statue, Cléore ; c’est la trépassée, celle qui n’est plus, qu’il
te faut anéantir… Laisse-moi donc officier à ta place. »
La comtesse de Cresseville ne put qu’hurler :
« Assassine
! Assassine ! Phoebé avait raison !
- Je n’ai
fait que me venger d’une avanie subie, d’une humiliation supportée. J’ai mon
amour propre, Cléore ! »
Sa bouche pourprée de petite catin crachait
presque ces mots haineux à la figure blêmie de la maladive jeune femme, tandis
que ses doigts affairés prenaient plaisir à réussir là où ceux de son ancienne
maîtresse avaient échoué.
« Je
constate que tu as déjà un pied dans la tombe, Cléore ! Tu es tellement sans
force que tu ne sais même plus te servir d’une banale boîte d’allumettes
! »
Alors, dans un geste désespéré, tandis que
l’odeur soufrée du bâtonnet igné s’épandait dans le cabinet des poupées de
cire, les mains de Mademoiselle de Cresseville empoignèrent celles de son giton
déchu, de sa diablesse-ange pervers chuté d’un Paradis de bamboche et
d’opprobre. Quoiqu’elles tentassent de faire, de prévenir, leur étreinte
s’avéra dérisoire, impuissante, et, à la lueur incertaine de la lampe à
pétrole, libre à nouveau, l’Irlandaise de la discorde, après qu’elle eut griffé
sans retenue la peau diaphane de son ancien amour turpide, s’amusa à jeter
l’allumette enflammée aux pieds délicatement chaussés de l’effigie de Claude de
France, qui jouxtait celle de Cléore. L’ourlet de la robe s’embrasa d’un coup
et le feu se communiqua aux étoffes damassées et aux dentelles roidies,
éraillées et empoissées du siècle de François le débauché. L’amidon, la cire et
les matières diverses composites, ainsi que les produits chimiques subtils et
morbides ayant permis l’alchimie du vieillissement artificiel de la réplique de
Daphné de Tourreil de Valpinçon, facilitèrent la propagation du sinistre qui se
communiqua au mannequin de Cléore elle-même. Ce fut un embrasement de crémation
de bûcher indien, le sacrifice d’une Jehanne d’Arc sombrée dans l’apostasie et
la démonologie. En se consumant, les tissus antiques dégageaient une
efflorescence roussie, écrouie, prégnante, qui asphyxiait les gorges. Les
parfums fanés, acidulés, de poudre de riz, mêlés à ceux des moisissures sèches,
finirent en un âcre dégradé consomptif. Le feu remonta les échines, les bustes,
s’en prit aux guimpes, atteignant les têtes. Les coiffes tuyautées, les
coqueluchons, les chevelures, brûlèrent aussi facilement que s’ils eussent été
faits d’étoupe.
Cette immolation sacrificielle de ces images,
de ces reflets en ronde-bosse, par celle que la comtesse avait longtemps
couvée, déconcertait Cléore. Mais l’œuf Adelia était pourri, couvi. Les figures
des deux poupées mourantes, léchées par les flammes, pleuraient leurs larmes de
cire, coulures jaunâtres, expression d’une matière en fusion en putréfaction
liquide apicole, qui s’épreignait en stalactites toujours plus longues sur le sol,
gouttait en solutions aqueuses ardentes, comme en une combustion spontanée
cadavéreuse provoquée par les gaz formant les feux follets des cimetières. Les
masques se défaçonnaient, se défiguraient, transsudaient de leur propre
substance. Les deux figures, désormais inhumaines, n’étaient plus que des
mascarons déformés fondus, partant en couches liquéfiées successives, perdant
leurs yeux de verre après que la rétractation des orbites dissoutes eut achevé
de leur ôter toute ressemblance avec leurs modèles vivants. Les gaufrures,
damassures et crêpures embrasées, comme soulevées par le souffle et l’énergie
du feu, s’envolaient en lambeaux fuligineux qui voletaient et se cendraient,
puis retombaient en une pulvérulence bouillante sur le parterre beurré de rigoles
de cire fondue. Quel poëte oserait composer la complainte digne des funérailles
de ces princesses papillons de nuit qui n’eurent qu’un éphémère semblant de vie
? Feu monsieur Jules Laforgue, ou un autre fol ?
« De
l’eau ! De l’eau ! s’écriait Cléore, prise d’une panique incoercible. Adelia !
Sois maudite ! Mes trésors, mes petites filles, ô, mes aimées ! Ne mourez point
! Pitié ! Adelia ! Pitié ! Sauve mes filles !
- Tu es
folle Cléore ! ricana la goule d’Erin.
- Va-t’en,
maudite ! Va-t’en ! »
En sa gorge de poitrinaire, son cri de rejet
se métamorphosa en pleurs.
Désormais, Phoebé, puis Jeanne-Ysoline, et
d’autres encore, s’embrasaient à leur tour. C’était un sinistre horrible,
l’anéantissement symbolique, l’holocauste, l’autodafé de ce wax museum saphique,
marqué du sceau du péché de chair, de la Faute, de la fascination pour la
juvénilité. Dieu punissait la comtesse de Cresseville, la châtiait par les
symboles, sans aucun espoir de rédemption. Noyée dans son chagrin, s’étouffant
sous les fumées toxiques dégagées par la consomption des vêtures des statues
périssables, proies faciles des flammes d’un Yahvé de courroux vengeur, Cléore
se recroquevilla sur elle-même, attendant la mort au milieu des copies de
celles qu’elle avait adorées, célébrées, gâtées et suries de ses penchants.
Délia, s’éclipsa, laissant là, en son péril, celle dont elle ne voulait plus,
qui, pourtant, l’avait extirpée du néant et modelée dans l’argile en Pygmalion
femelle. Il était bien étrange que Mademoiselle de Cresseville n’eût jamais
songé à rebaptiser aucune de ses pensionnaires du prénom évocateur de Galatée.
Mais Nikola Tesla avait tout prévu. Il avait inventé un dispositif inédit,
digne de celui avec lequel il s’était querellé, Thomas Edison ; un dispositif
de sécurité qui permettait d’étouffer le feu. Alors, une douche diluvienne se
déclencha en ce cabinet à demi ravagé, trop tard pour sauver les effigies, les
figures aimées de la jeune Dioscure morte et de Cléore, mais à temps pour que
les autres ne terminassent point leur existence d’œuvres d’art en flaques de
cire déliquescente. La bouche de la comtesse but cette eau salvatrice, la
capta, la lapa, s’en gava, comme autrefois celle de l’orage de la Saint-Jean,
du temps où elle et Délia fusionnaient souventefois en un être unique. La
plupart des poupées, leurs atours, velours et étoffes empesées à peine roussis,
leur figures cireuses à peine mollies, l’éclat hyalin et adamantin de leurs
pupilles de verre à peine troublé et terni, s’épargnèrent les affres d’une
agonie d’objets quasi vivants, elles qui, auparavant, avaient constitué autant
de figures de la morbidité et des princesses trépassées. Il n’avait manqué que
les catafalques d’infantes pour en parfaire l’illusion macabre et ténébriste…
Extrait n° 3 : chapitre XXIII
(...) Tandis que
la bataille finale se déroulait désormais dans les murs de Moesta et
Errabunda, Jules et Albert avaient conduit Cléore vers l’issue salvatrice
située aux sous-sols, là même où la collection des effigies des pensionnaires
s’exposait dans toute sa splendeur troublante. Les regards hyalescents de ces
poupées aux joues noircies d’une crasse d’abandon instillaient toujours le même
malaise dans la conscience de celles et ceux qui s’enhardissaient à leur rendre
visite. Mais elles n’étaient plus l’objet de la sollicitude de Cléore, dont le
but était d’échapper à la police. Nuls prolégomènes, nulle cérémonie expiatoire
en ce lieu voué à l’oubli où demeuraient des traces de l’incendie, des flaques
durcies de cire fondue ; Cléore n’avait plus le temps de céder à la prière
d’intercession et à la demande de pardon car elle devait fuir. L’eau salvatrice
qui avait servi à éteindre le sinistre avait stagné, croupi, et la pièce
désormais dégageait une forte odeur de moisi. Les poupées rescapées de la
catastrophe étaient elles-mêmes rongées, attaquées par les moisissures, leurs
robes surtout. Lors, elles devenaient irrécupérables, quasi vestigiales.
Ninon de Lenclos alias Odile-Cléophée la
maudite avait été reléguée à part, mise au rebut par une main inconnue
(peut-être s’agissait-il de la pauvre Adelia en personne – hypothèse
fascinante ?). On l’avait remisée dans le recoin le plus humide, obscur et
obombré du sanctuaire perdu, de cette pièce souterraine destinée à tomber dans
l’oubli, et son effigie, comme par caprice, s’altérait plus doucement que les
autres. Son visage cireux de courtisane lettrée, qui vous fixait de ses yeux de
verre inexpressifs, apparaissait terni, délavé, décoloré, quoique ses joues se
marbrassent d’une crasse insidieuse.(...)
samedi 6 juillet 2013
L'Ange du bizarre, remarquable exposition du Musée d'Orsay quasiment ignorée du "Monde" et d'Arte.
Le serviteur a voulu complaire unilatéralement à ses maîtres. (le Nouveau Victor Hugo, à propos de la télévision grecque)
Lorsque tous les bouleversements se déclencheront en même temps, lorsqu'ils feront universellement boule de neige, le fiedmano-hayekisme ne pourra pas faire face et s'effondrera comme le château de cartes artificiel qu'il est, imposé par de faux Seigneurs temporaires à des gouvernants gnomes. (un spécialiste de l'eschatologie contemporaine)
Après Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde en 2012 (voir mon billet du 12 octobre 2011 sur ce blog), c'est au tour de la dernière exposition majeure non impressionniste du Musée d'Orsay, L'Ange du bizarre : le romantisme noir de Goya à Marx Ernst, d'avoir été à peu près passée sous silence par les mêmes médias accoutumés à ce genre de non exercice : Arte et Le Monde.
L'expo a fermé ses portes le 9 juin dernier. Jusqu'au bout, j'ai espéré de la part du Monde qu'il réparât son erreur de 2012, qu'il se résolût à autre chose que cette chiche mention laconique sur son site Internet. Peine perdue, hélas ! Alors que le Figaro, qui a coutume de réagir sous les quarante-huit heures à l'ouverture d'une exposition importante d'art non contemporain, avait pondu dans la foulée de l'inauguration de l'Ange du bizarre un bon article de couverture de l'événement, Le Monde, inexplicablement, demeura coi hors de la Toile. Il est vrai que son édition papier est de plus en plus dominée et phagocytée par la parasitose de l'économisme libéral pur et dur au détriment du traitement de tous les autres aspects de l'actualité terrestre (ajoutons-y un zeste obligé d'écologie et le goût de l'investigation "dérangeante" secouant le cocotier gorgé de secrets de Polichinelle et de lapalissades).
Arte, quant à elle, nous a accoutumés depuis longtemps (surtout depuis son retournement éditorial jeuniste de 2006) à de telles négligences qui reflètent ô combien ses journalistes méconnaissent la culture. Ils sont aussi compétents en cette matière que le roi d'Angleterre Guillaume IV (1830-1837) dans la science du commandement d'un vaisseau de guerre malgré son uniforme de la Navy. Un ancien manuel scolaire ne le qualifiait-il pas justement de "marin ignare" ? Arte fait avant tout plaisir aux bobos férus d'hermétisme chébran archi-contemporain avignonesque et autre, dans la lignée, dit-on, des Inrockuptibles, réputés fort prescripteurs en ce peu sibyllin domaine. Ce n'est pas pour rien qu'elle s'en fout impérialement du festival off comme de la première couche-culotte d'un mouflet.
En réalité, c'est une injustice à l'encontre des Inrock, que je ne blâme aucunement, de prétendre qu'ils négligent la culture patrimoniale non branchée : il suffit de taper sur Google le titre Inrockuptibles : L'Ange du bizarre, pour tomber sur l'article qu'ils consacrèrent à ladite expo. Certes, il s'agit surtout d'une mention informationnelle accompagnée d'une vidéo promotionnelle due au musée d'Orsay lui-même, d'un minimum syndical logique chez eux. C'est tout de même mieux que le presque rien du Monde qui le déshonore grandement. Se rappelle-t-il, ce quotidien, qu'il fut l'un des seuls à traiter l'autre grande expo victorienne d'Orsay, Une ballade d'amour et de mort : photographie préraphaélite en Grande-Bretagne ? Quelle décadence en aussi peu de temps !
De fait, c'est bien Arte qui est la plus fâchée de nos chaînes et de nos médias (en dehors de ceux ultra commerciaux) avec un certain patrimoine culturel antérieur à l'explosion "jeune" des années 60. Par exemple, elle n'a pas consacré une seule attoseconde à la disparition d'Henri Dutilleux.Trop daté ?
Au final, en dehors de l'inattendu reportage de l'émission Entrée Libre de France 5 (très bien fait), il faut une fois de plus se tourner vers l'incontournable et indispensable site La Tribune de l'Art pour lire un compte rendu exhaustif et analytique jusqu'au petit détail de cette exposition non-impressionniste d'Orsay (ce sont ces expos qui font réellement avancer la recherche en histoire de l'art, les autres ne sont là que pour drainer le péquenot et engranger des sous pour l'acquisition d'oeuvres).
Pendant ce temps, le Musée de l'Orangerie a fort judicieusement rappelé qu'une peinture d'avant-garde italienne exista dans les années 1860 : les Macchiaioli. Cela, dans l'évidente indifférence générale et cuistre des médias, qui, de plus, tendent à rejeter la culture populaire comme étant populiste, démagogique, et la poussent dans les bras de la seule extrême droite.
De fait, c'est l'idée de démocratisation de la Grande Culture qui est sans cesse mise à mal, laminée par la flatterie des bas goûts officiels de politiciens incultes d'une part, et par l'exclusive mise en avant d'une pseudo avant-garde hermétique, commerciale et provocatrice coupée du Peuple d'autre part. Claude Santelli et Alexandre Dumas doivent se retourner dans leur tombe. S'ils revenaient, ils ne seraient pas du tout contents...
Je rappelle que j'appartiens à cette méritocratie républicaine à
laquelle on offrit la chance insigne de s'ouvrir à la Grande Culture, à la curiosité insatiable pour toute chose et au
rêve.
Terence a écrit : Homo sum ; humani nihil a me alienum puto. Je suis un homme ; rien de ce qui est humain ne m'est étranger.
Telle est ma devise.
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