Extrait des Mémoires du Nouveau Cyber Saint-Simon.
Nos nouveaux représentants de la culture étoient de fort singuliers personnages, de par les goûts personnels qu'ils imposoient en tant que mode officielle médiatique du Royaume, que parole d'évangile à suivre.
Ainsi, ils avoient boycotté le 20 septembre de l'an 2012 la célébration des deux cent vingt années de la République une et indivisible. De même, ils n'avoient en l'an 2006 point fait entendre la moindre parole du Sieur Corneille, en l'an 2007 renouvelé ladite cuistrerie méprisante à l'encontre du Sieur Alfred Jarry, et en 2008 et 2009 point du tout fait résonner la moindre note des maistres de chapelle Rimsky-Korsakov et Albeniz. En 2010, Jules Renard, Mark Twain et le douanier Rousseau avoient été autant de nouvelles victimes illustres de leur méprisante ignorance imposée comme l'un des beaux-arts en refusant toute commémoration médiatique et audiovisuelle les concernant.
La plus grave récidive fut constatée en l'an 2012 à l'encontre du Sieur Charles Dickens, illustre combattant du paupérisme du peuple anglois.
De fait, ils ignoroient et méprisoient toutes les manifestations du Haut Génie de la culture anglo-saxonne antérieure à ce qui les agréoit : de Dickens justement à Frank Lloyd Wright, des préraphaélites à Jackson Pollock car pour eux, rien n'existoit de britannique ou d'américain avant les Beatles, les beatniks et le pop art.
Par leur branchitude obstinée et irrépressible, par leur éternel attachement à l'immédiateté "de mode", en décrétant ce qui étoit ringard, ce qui ne l'étoit pas, ils faisoient le lit de toutes les extrêmes droites, leur abandonnant des niches culturelles entières, mais aussi celui des turbans noirs de toute obédience, creusant ainsi et leur tombe et la nôtre, en aigrissant derechef les tenants de la véritable culture qu'ils déclassoient à tout crin, et faisoient, par leur mépris ire et médisance, basculer dans le camp de la réaction la plus vile, les vouant à l'opprobre générale de ceux de leur caste après qu'ils les eurent bannis par leurs oukases.
Pour justifier leur bannissement à vie, ils avoient accusé Corneille d'esclavagisme, Mark Twain de racisme anti afro-américain, alors qu'ils avoient en grande pompe singulièrement concélébré en 2005 Jules Verne, nationaliste, antisémite et anti-dreyfusard.
Quoiqu'ils fussent fustigés par un certain romancier issu de la Corrèze qui avoit fini par péter les plombs et étoit, de pamphlet en pamphlet, tombé dans l'abjection et avoit été exclu de leur parti pour fascisme, bien qu'une part de vérité eût empli son discours vénéneux (il se trompoit cependant de cible, par haine du multiculturalisme, oubliant de dénoncer le véritable responsable : le friedmano-hayekisme
qui avoit intérêt au nivellement culturel par le bas et à la fabrication de cerveaux d'esclave dociles incapables de réfléchir, idéologie ultralibérale qui n'avoit, depuis 1906, jamais accepté que le grand Teddy Roosevelt
eût reçu l'inoubliable auteur de La Jungle, Upton Sinclair, et qu'il eût conséquemment à cette historique entrevue savante démantelé le trust chicagolais de la viande, car cette clique craignoit par-dessus tout que les paroles clôturant ledit roman "Chicago sera à nous", devinssent un slogan de ralliement des quatre-vingt-dix-neuf centièmes d'exclus et indignés du Tiers-Etat planétaire), nos représentants officiels de cette a-culture instituée avoient fini par faire accroire à leur indéboulonnable position et à l'invincibilité de leur rente de situation.
De fait, ils se coupoient du peuple, le méprisoient en vérité, l'abandonnoient au désespoir du rêve brun, ou embrun marin,
étoient des complices et agents à la fois subjectifs, inconscients mais consentants de tous les ultracismes, puisque manipulés en mesme temps par les hommes de Davos et ceux des centres religieux à barbus, parce qu'ils permettoient, grâce au cheval de Troie issu des libelles du Sire de Kerouac et de ses épigones, de saper et d'ébranler l'ancien Occident des Lumières, de la Révolution françoise, du CNR antinazi et de John Maynard Keynes. Ils montoient au pinacle le présentisme éternel, faisoient table rase de tous les passés et patrimoines quels qu'ils fussent au nom de l'ultra-individualisme et du système libéral-libertaire issu de la réaction de 1968 qui avoit eu le keynésianisme comme principale victime.
Ils se coupoient donc du peuple tout entier, disais-je, et de toutes ses traditions, au profit de leur seul nombrilisme narcissique égotiste conté au présent de narration, vivant de toute évidence dans cet éternel présent même pas anacouklésique et qui n'existoit point en physique. Ils faisoient, de par leur individualisme exclusif, forcené et dément, le lit, rappelai-je, de toute la réaction ultralibérale qui démanteloit et détricotoit tous les acquis sociaux obtenus depuis 1841, mais aussi celui des intégrismes et fanatismes obscurantistes alto-médiévaux (parce qu'il y eut un Moyen Age éclairé qu'ils faignoient d'ignorer - le traitant d'archi barbare et sanguinaire - en boycottant médiatiquement toutes les expositions muséales que Cluny ou le Louvre ou encore le Grand Palais offroient à ce sujet) qui lors sapoient tout...
Adonc, pour ce, ils ne causoient, ne débattoient, ne disputoient jamais de ceux qui écrivoient encore une bonne littérature en bon françois, préférant étaler dans leurs revues d'art officiel ce qu'ils connaissoient déjà en long, en large et en carré.
Tous les friedmano-hayekiens, quant à eux, tout en faisant mine de soutenir le système démocratique qu'ils manipuloient à leur guise, en amont des votes, afin que le résultat fût sûr ad vitam aeternam, en contrôlant les médias et l'ensemble des divertissements pascaliens évitant que le peuple s'attaquoit aux bonnes cibles et les pendissent à la lanterne comme ils le méritoient tous, abhorroient en fait 1789 : c'étoit la raison pour laquelle ils avoient engendré icelle crise économique, qui se prolongeoit depuis quarante années, afin qu'ils pussent s'enrichir davantage et prendre leur attendue revanche sur la Révolution françoise, 1929 et 1945 qui les avoient grandement grevés. Ils idolâtroient Burke (sans Hare), un autre homme, un maistre assez maçonnique, dont le frère cadet avoit uniquement voyagé autour de sa chambre, et une espèce de créature anthropomorphe à teste de furet, aussi hideuse que le veau d'or qui étoit leur seul guide, si ce n'étoit un baphomet, ainsi qu'il en étoit chez les anciens Egyptiens, qui, comme on le savoit, aimoient à embaumer les bestes hybrides, fabuleuses ou réelles, fausses ou concrètes, tels les aegypans, les capricornes, les rhinogrades ou les coquecigrues. Ils eussent conséquemment souhaité que la Révolution de 1789 n'eût jamais eu lieu, car, selon leurs dires, ç'avoit été la Terreur robespierriste dès le 5 mai de cet an de grâce. D'après leurs menteries, à qui vouloit les entendre sans les contredire, les réformes nécessaires au parfait fonctionnement du royaume avoient jà été faites par le Roy, qui pourtant, avoit limogé les Sieurs Maupeou, Turgot et Necker avec perte et fracas.
Mieux eût valu pour eux une évolution à l'angloise, avec sa corruption généralisée à la Hogarth et ses bourgs chancis à électeur unique se déplaçant à bord d'une barque pour remplir son devoir électoral.
dimanche 30 septembre 2012
vendredi 21 septembre 2012
Le nouveau Musée d'Orsay et ses tableaux manquants.
"Toutes les choses de la Culture étoient tombées à un niveau si bas que plus personne ne se souvenoit du temps où elles étoient encore hautes." (Mémoires du nouveau cyber Saint-Simon).
Ceci n'est pas une polémique gratuite mais un constat, indépendant de l'affaire révélée ces jours-ci par Le Canard enchaîné.
Visiteurs qui avez fort bien connu l'ancien musée d'Orsay, si vous vous êtes comme moi rendu l'été dernier au Nouvel Orsay, vous avez pu y constater, nonobstant l'accrochage d'alléchantes nouveautés et autres acquisitions récentes, l'absence cruelle de tableaux majeurs (je ne parlerai pas des sculptures que je connais moins bien) :
- Luxe, Calme et Volupté d'Henri Matisse,
Henri Fantin-Latour : Un Coin de table,
Henri Fantin-Latour : La Famille Dubourg,
Henri Gervex : Portrait de Mlle Valtesse de La Bigne,
Auguste Renoir : La Danse à la Ville,
Auguste Renoir : La Danse à la Campagne,
Henri Fantin-Latour : Autour du piano,
Alfred Stevens : le Bain,
Comme nous avons pu le constater aujourd'hui même 25 septembre 2012 sur Internet, mon intuition concernant l'absence de certaines toiles à cause de la préparation de l'expo sur les impressionnistes et la mode était juste, du moins concernant les deux danses de Renoir et le Madame Gaudibert de Monet, mais, ce qui me trouble, c'est que, parmi les tableaux montrés à cette occasion, j'avais tout de même pu en admirer quelques uns, non encore enlevés, dans les collections générales cet été ! De plus, il n'y a pas que des impressionnistes dans cet événement culturel bien parisien : j'ai bel et bien reconnu du James Tissot et du Jean Béraud dans les vidéos du net... peut-être aussi du De Nittis (il faudra vérifier) et même la Dame au gant, célébrissime portrait mondain de 1869 de Carolus-Duran (présent aussi l'été dernier...). Mais où est passée cette chère Valtesse de la Bigne dans tout ça, cette rousse fantastique qu'eût pu interpréter la jeune comédienne Lola Naymark ?
Quant à Fantin (tiens, il y a son portrait de Manet à l'expo...), pour illustrer le petit dédain ou dénigrement implicite dont il fait semble-t-il parfois l'objet en tout son oeuvre peint (ses natures mortes de fleurs jugées répétitives surtout), je prendrai la métaphore du paravent de soie derrière lequel se dissimuleraient des critiques empreintes faussement de mutisme, n'osant exprimer en face, sans masque, qu'elles méjugent désormais ce peintre ni impressionniste, ni de l'Institut, pourtant encore en vogue dans les années 80 (la rétrospective superbe du Grand Palais de 1982, dont je me rappelle encore le reportage, en témoigne), tandis, qu'en parallèle, elles adulent et réhabilitent le clinquant et exécrable Jean-Léon Gérôme, sorte de Jeff Koons ou de Damien Hirst bancable et ultra-commercial de son temps, qui n'eut raison en matière d'art que sur un point unique : oui, Monsieur Gérôme, les statues grecques étaient bien polychromes. Qu'en aurait pensé Charlotte Dubourg dans mon court roman "Etoffe nazca" ?
Ceci n'est pas une polémique gratuite mais un constat, indépendant de l'affaire révélée ces jours-ci par Le Canard enchaîné.
Visiteurs qui avez fort bien connu l'ancien musée d'Orsay, si vous vous êtes comme moi rendu l'été dernier au Nouvel Orsay, vous avez pu y constater, nonobstant l'accrochage d'alléchantes nouveautés et autres acquisitions récentes, l'absence cruelle de tableaux majeurs (je ne parlerai pas des sculptures que je connais moins bien) :
- Luxe, Calme et Volupté d'Henri Matisse,
Henri Fantin-Latour : Un Coin de table,
Henri Fantin-Latour : La Famille Dubourg,
Henri Gervex : Portrait de Mlle Valtesse de La Bigne,
Auguste Renoir : La Danse à la Ville,
Auguste Renoir : La Danse à la Campagne,
Henri Fantin-Latour : Autour du piano,
Alfred Stevens : le Bain,
Maurice Denis : Jeu de volant,
Maurice Denis : Portrait d'Yvonne Lerolle en trois aspects,
Giovanni Boldini : portrait du comte Robert de Montesquiou,
Claude Monet : Madame Louis Joachim Gaudibert,
Etc. Ceci pour les manques les plus flagrants constatés de visu, la préparation de l'exposition Les impressionnistes et la mode et les prêts consentis au Quai d'Orsay (non encore survenus à ce moment) n'expliquant pas toutes ces absences. Je sais bien qu'un musée, ça aime effectuer un roulement des accrochages, mais là, tout de même ! Henri Fantin-Latour apparaît comme une des victimes majeures des nouveaux accrochages de ce Nouvel Orsay, puisque désormais dispersé aux quatre vents du vaste lieu, alors que, dans l'ancienne muséographie, il avait droit à son emplacement réservé dans le parcours évolutif pictural, comme si ce peintre, embarrassant, inclassable car ni impressionniste, ni académique, était devenu impossible à situer dans l'histoire de la peinture du XIXe siècle, d'où l'actuelle dispersion malheureuse des tableaux encore exposés de ce maître !
A la suite de cette dommageable énumération non exhaustive, une impression douloureuse m'habite : le Musée d'Orsay, que j'ai tant aimé voilà un quart de siècle, merveilleux lieu de culture insigne auquel j'ai rendu hommage dans mon incompris et jamais assez lu et commenté "Translateur pictural", ne serait-il plus qu'un blockbuster ultra-commercial gonflé aux anabolisants ultralibéraux et populistes qui aurait relégué au rencart des réserves infernales une foultitude de toiles et d'autres oeuvres importantes sous prétexte de ce sacro-saint roulement nécessaire muséographique ?
Et cette pratique, pourtant courante, témoignerait-elle de révisions historiographiques fâcheuses, déchirantes et embêtantes à l'encontre notamment de Fantin-Latour, qui ferait ainsi les frais d'un semi ostracisme, d'une demi damnatio memoriae, depuis que le grand Hector Obalk (dont Arte, de plus en plus chébrantudienne et présentiste a supprimé la géniale et trop rare émission Grand'art) le qualifia de peintre académique, mettant Fantin dans le même sac douteux que les atroces et boursouflés Jean-Léon Gérôme et Alexandre Cabanel ?
A la suite de cette dommageable énumération non exhaustive, une impression douloureuse m'habite : le Musée d'Orsay, que j'ai tant aimé voilà un quart de siècle, merveilleux lieu de culture insigne auquel j'ai rendu hommage dans mon incompris et jamais assez lu et commenté "Translateur pictural", ne serait-il plus qu'un blockbuster ultra-commercial gonflé aux anabolisants ultralibéraux et populistes qui aurait relégué au rencart des réserves infernales une foultitude de toiles et d'autres oeuvres importantes sous prétexte de ce sacro-saint roulement nécessaire muséographique ?
Et cette pratique, pourtant courante, témoignerait-elle de révisions historiographiques fâcheuses, déchirantes et embêtantes à l'encontre notamment de Fantin-Latour, qui ferait ainsi les frais d'un semi ostracisme, d'une demi damnatio memoriae, depuis que le grand Hector Obalk (dont Arte, de plus en plus chébrantudienne et présentiste a supprimé la géniale et trop rare émission Grand'art) le qualifia de peintre académique, mettant Fantin dans le même sac douteux que les atroces et boursouflés Jean-Léon Gérôme et Alexandre Cabanel ?
Comme nous avons pu le constater aujourd'hui même 25 septembre 2012 sur Internet, mon intuition concernant l'absence de certaines toiles à cause de la préparation de l'expo sur les impressionnistes et la mode était juste, du moins concernant les deux danses de Renoir et le Madame Gaudibert de Monet, mais, ce qui me trouble, c'est que, parmi les tableaux montrés à cette occasion, j'avais tout de même pu en admirer quelques uns, non encore enlevés, dans les collections générales cet été ! De plus, il n'y a pas que des impressionnistes dans cet événement culturel bien parisien : j'ai bel et bien reconnu du James Tissot et du Jean Béraud dans les vidéos du net... peut-être aussi du De Nittis (il faudra vérifier) et même la Dame au gant, célébrissime portrait mondain de 1869 de Carolus-Duran (présent aussi l'été dernier...). Mais où est passée cette chère Valtesse de la Bigne dans tout ça, cette rousse fantastique qu'eût pu interpréter la jeune comédienne Lola Naymark ?
Quant à Fantin (tiens, il y a son portrait de Manet à l'expo...), pour illustrer le petit dédain ou dénigrement implicite dont il fait semble-t-il parfois l'objet en tout son oeuvre peint (ses natures mortes de fleurs jugées répétitives surtout), je prendrai la métaphore du paravent de soie derrière lequel se dissimuleraient des critiques empreintes faussement de mutisme, n'osant exprimer en face, sans masque, qu'elles méjugent désormais ce peintre ni impressionniste, ni de l'Institut, pourtant encore en vogue dans les années 80 (la rétrospective superbe du Grand Palais de 1982, dont je me rappelle encore le reportage, en témoigne), tandis, qu'en parallèle, elles adulent et réhabilitent le clinquant et exécrable Jean-Léon Gérôme, sorte de Jeff Koons ou de Damien Hirst bancable et ultra-commercial de son temps, qui n'eut raison en matière d'art que sur un point unique : oui, Monsieur Gérôme, les statues grecques étaient bien polychromes. Qu'en aurait pensé Charlotte Dubourg dans mon court roman "Etoffe nazca" ?
samedi 1 septembre 2012
Une nouvelle bonne feuille du roman Cybercolonial : Aurore-Marie/Marie d'Aurore.
Une nouvelle nuit de tourments s’offrit à
l’inconscient de la blessée dont le traumatisme persistait, dont la douleur au bras
se refusait à toute trêve, bien que la lésion fût légère. C’était selon elle
une manière d’expier son crime impardonnable, plutôt, l’un de ses crimes du
fait qu’elle savait : oui, cette Yolande, cette gourgandine adepte tout
comme elle des mœurs de Psappha, avait dégorgé aux boulangistes l’exacte et
abjecte vérité : Aurore-Marie de Saint-Aubain avait assassiné, froidement,
par le poison antique, sa double d’un
autre monde. Parce qu’elle était heureuse, parce qu’elle ne portait point
le deuil de sa tendre maman, parce qu’elle l’enviait, la jalousait, parce que
son talent versificateur surpassait le sien propre, parce qu’elle avait de
splendides cheveux noirs brillants, parce que… Elle pouvait à loisir multiplier
les explications, les causes justifiant son acte : c’était à cause de cela, de ce crime fondateur, de cette faculté
révélée de passer outre-monde, que les Tétra-épiphanes avaient détecté son
exceptionnalité. C’était ainsi, pour cela, qu’elle était devenue
Aurore-Marie de Saint-Aubain, l’enfant prodige des lettres, l’unique ! Nul
double ailleurs désormais, si ce n’était elle-même… ou Lise, ou Deanna, qu’elle
enlèverait demain.
Bien qu’elle eût absorbé maints remèdes
opiacés et puissants afin qu’ils assommassent la douleur, son membre la lançait
encore. Madame la baronne, avec une obstination obtuse, se contraignait chaque
soir, depuis ce duel maléfique, à l’absorption de doses accrues d’opiats de
toutes sortes, de laudanum et de chloral, afin d’apaiser son sommeil de malade.
En vain. Elle tournait et se retournait
dans son lit, le front luisant, les sudations insanes trempant sa chemise de
nuit, les diaphorétiques manifestations de ses angoisses témoignant, en ces
suées nocturnes, des progrès inexorables de son mal pulmonaire. Elle toussait,
expectorait. De malséantes sérosités s’écoulaient de sa bouche pourprine.
Alors, dans l’état de stupéfaction
intermédiaire entre la conscience et le somme où ses drogues la plongeaient,
elle ressassa le meurtre accompli lorsqu’elle avait treize ans.
Septembre 1876 était là, en son jour premier,
clôture d’un été de chagrins, saison néfaste, obituaire, couronnée par Dame la
Mort d’un diadème d’ossements qui s’était allé coiffer la tête décharnée de sa
mère emportée par ce cancer horrible. Jà cadavre, jà transie avant même le
trépas effectif, telles ces images sculptées du Moyen Âge tardif, puis bière
refermée et close, corps inerte, inerme de par son renoncement à lutter contre
les fins dernières. Baroque vanité par excellence.
Le mois d’août, en ce château de
Lacroix-Laval, près de Marcy, avait été accablant ; accablement de la
canicule, des miasmes, exhalaisons des chairs mourantes, des médicaments
inutiles, émanations d’une pré-pourriture due à ce squirre, à toutes ces
tumeurs chancies multipliées en cet organisme débilité d’une adorée maman,
unique et si belle autrefois, si semblable à sa fille qui tenait par trop
d’elle. Au porche, dans le vestibule, dans les chambres et corridors, dans les
escaliers, jusqu’au grenier, planaient encore les fragrances de la
décomposition squirreuse, de la chancissure, de la blettissure de la mère
bien-aimée malgré toutes les cassolettes odoriférantes de substances camphrées
et mentholées s’épreignant, se répandant partout en la demeure. Bien qu’elle
n’eût pas eu le droit d’assister aux obsèques, à l’inhumation, Aurore-Marie
avait été prise de nombreuses défaillances causées autant par sa peine
irrémissible que par sa fragilité de primerose. Réfugiée à l’air libre, au
belvédère, nauséeuse, elle avait extravasé d’abondance près d’une persicaire,
comme après l’absorption d’un puissant émétique, d’ipéca ou d’autre chose.
Engoncée dans sa robe noire de deuil, qui ne lui allait point, Aurore-Marie
s’était évanouie. La fidèle Alphonsine l’avait prise en charge, fait porter
dans sa chambre, allongée sur le lit orfrazé, surchargé, au ciel empli de
damassures tombant mal à propos, parce qu’y étaient représentées des bergeries
joyeuses, allègres et enchanteresses. Elle était demeurée tout habillée, même
pas déchaussée, et, quoique corset et autres carcans qu’on lui avait imposés
pour la première fois ce jour là au nom des convenances la tourmentassent
grandement, Alphonsine était parvenue à l’apaiser, parce qu’au verre d’orgeat
qu’elle lui avait donné à boire, elle avait ajouté quelques gouttes de
laudanum, prémices à une accoutumance inextinguible. La domestique avait été
frappée par l’incarnat pellucide de la fillette de treize ans, par ses yeux
grand ouverts, fanaux d’ambre embrumés par les pleurs et par le stupéfiant
coupant le sirop.
Une psyché, enchâssée dans une armature
précieuse d’ébène toute sculptée de moulures tarabiscotées, s’imposait au
regard de la petite malade. C’était le speculum
par excellence, le miroir révélateur des contes. Aurore-Marie, attirée par
le reflet tentateur, tremblotant toute, se leva, essaya de surmonter les
trémulations de son corps chétif, combattant l’enfièvrement de son front.
Eût-elle été sobre, aurait-elle vu ce qu’elle aperçut dans la glace ? Non,
elle ne s’illusionnait pas !
L’inversion normale du reflet n’était pas seule en cause, l’éventuelle fata morgana causée par l’opiat non
plus. De l’autre côté, la chambre lui parut meublée différemment, plus claire,
plus jolie. Sur une étagère, des poupées s’y trouvaient alors qu’ici, le sévère
et intransigeant Albéric avait imposé à son enfant que toutes ses petites amies
fussent enfermées dans un placard, avec interdiction qu’elle y touchât, parce
qu’elle n’avait plus l’âge des joujoux, parce qu’il ne fallait pas qu’une
fillette portant le deuil de sa génitrice, inondée de chagrin, de ce mourning anglais, se réfugiât dans le
giron sécurisant mais inconvenable de ces confidentes faciles et mutiques pour
qu’elles la consolassent de l’irréversible perte. Elle avait supplié Père,
voici déjà trois jours, dès après l’exsufflation du dernier souffle de celle
qui l’avait engendrée. Elle l’avait vu refermer le placard de ténèbres sur ses
amies de cire, de porcelaine et de biscuit, sur Ellénore, sur Ysoline, sur
Ondine, sur Phidylé, pour toujours, à jamais. Père avait caché la clef,
sciemment, en un endroit inaccessible. Il
l’avait placée peut-être dans la bière, dans les jupes du cadavre de Mère, fantasmait
la pauvre enfant. Les poupées étant lors
de l’autre côté, Mademoiselle de
Lacroix-Laval décida d’aller les reprendre, là-bas, outre-lieu.
Flageolante, Aurore-Marie tendit un doigt,
juste un doigt, et attoucha la glace. Son reflet accomplissait le même geste.
Les deux doigts coïncidèrent, semblèrent n’en faire plus qu’un. Puis, sans crier gare, la substance de verre
fondit. Il se produisit un phénomène incongru de fluidification de la matière
de la psyché. Avait-elle lu Alice,
connaissait-elle Dodgson ? Elle s’engagea toute en cette glace fluide, y
pénétra résolument. L’enfant maladive ne se posa aucune question. Ce qui était,
était. Qu’importait que ce fût une simple manifestation illusoire de son délire
obituaire ! Elle fut lors outre, ailleurs, dans sa chambre bis.
Aurore-Marie ne pouvait expliquer comment
cette faculté de franchir la glace de la psyché lui était venue, elle qui
portait le deuil tout frais de sa mère. Etait-ce une opération du Saint
Esprit ? Etait-elle mue, guidée, par quelque tiers supra-humain, un ange
gardien qu’elle n’appréhendait pas, dont elle ignorait nature et
provenance ? C’était la première fois qu’un tel phénomène lui
arrivait. Elle s’en ébaudit.
Aussitôt, une nouvelle impression la
domina ; c’était comme un sentiment d’allègement optimal. Elle ne pesait plus rien. Même, elle flottait,
légèrement, au-dessus du parquet latté et vernissé. Etait-elle devenue ectoplasme ? Elle avait eu écho des
expériences spirites, des manifestations ectoplasmiques, des tables tournantes
que parfois, feues ses grand-tantes Philippa et Olympe avaient pratiquées en
séances régulières, avant que le fameux prêtre s’imposât à la vieille Olympe,
lui intimant l’ordre de délaisser toutes ces fadaises du diable au risque de la
damnation éternelle. Non, elle n’était pas morte ! Ce n’était pas une
décorporation. Observant la face du miroir qu’elle avait quittée, son monde,
elle n’aperçut pas son double allongé sur le lit, mais se vit debout, telle
qu’ici, inverse. Elle toucha la glace de nouveau : la fluidité avait
disparu, le passage était clos. Y aurait-il non-retour ?
Elle observa la literie, le mobilier plus clair,
plus XVIIIe siècle, regarda les poupées. C’étaient bien elles toutes, avec des
vêtures identiques, bien qu’elles différassent par d’infimes détails, dans la
coupe des robes, dans la coiffure tout particulièrement. Elle voulut s’en
saisir, tendant les mains vers celle qu’elle préférait, Ellénore, d’un blond
roux, aux joues rosées, à la longue natte tressée ornée d’une faveur
émeraude.
« Mignarde mie, ô mignarde mie »,
murmura-t-elle.
Les pantalons de la poupée dépassaient de ses
jupes empesées ; on les portait donc ici aussi longs que trente années
plus tôt. Aurore-Marie allait serrer Ellénore contre son cœur, la bercer,
lorsqu’elle se ravisa : « Et si je volais quelqu’un ? Si la
propriétaire de ces poupées n’était pas moi-même mais une autre fillette…fort
différente ? » soliloqua-t-elle.
Bien que les persiennes fussent ouvertes
(c’était le plein jour d’un début de septembre semblable, vit-elle à la
fenêtre), Aurore-Marie avait l’impression d’une relative opacité des aîtres. La
clarté de cette pièce n’était certes point obscurcie, mais surnaturelle. Elle s’approcha de la méridienne, meuble absent de
l’autre côté. Oui, c’était cela : un camaïeu sépia, flouté, rendait les
contours incertains, les couleurs presque monochromes. Aurore-Marie croyait
s’être aventurée dans une photographie, une de ces épreuves préraphaélites,
pictorialistes, qu’elle aimerait adulte, notamment les œuvres de Misses Julia Margaret Cameron. De fait,
elle pensa que la monochromie ocrée, jaunâtre, était imposée par la nature même
de cet outre-lieu cliché tridimensionnel : qui disait reflet, alter ego
photographique signifiait négatif.
Alors, elle se résolut à quitter la chambre,
à partir à la rencontre de celles et ceux qui habitaient ce Lacroix-Laval-là.
Elle ouvrit la porte, franchit le seuil, referma l’huis avec délicatesse. Plus
rien dans l’agencement des corridors ne sembla correspondre à son décorum
familier : tout était inversé.
Elle marcha, ayant toujours l’impression de
se déplacer, de se mouvoir en flottant comme un pur esprit. Elle glissait dans
le flou, au sein d’une propriété dédaléenne où elle ne se repérait plus. Elle
franchissait pièces, antichambres, escaliers, avec une facilité déconcertante,
ne ressentant aucun effort musculaire, se promenant en cet outre-monde, ce Lacroix-Laval
second, dupliqué telle l’autre partie d’un sablier, château à la vastitude
insoupçonnée, aux dimensions bouleversées, tourneboulées, dans des enfilades de
salons démultipliés à loisir. Ce lacis
de couloirs, de pièces, dont ses narines humaient les émanations d’encaustique
et de fines poussières, dégageait une impression d’immensité non fortuite. Un
sentiment des plus dérangeants traversa le cerveau de la jeune orpheline,
sentiment qui muta en questionnement insoluble : elle crut que sa propre
pensée engendrait, créait tout cet univers parallèle au fur et à mesure qu’elle
y songeait, que l’idée lui en venait. Il suffisait qu’Aurore-Marie imaginât en
ses méninges, conçût chacun des détails de ces lieux improbables, pour qu’ils
devinssent réels, palpables… pour qu’ils se concrétisassent. Elle hasarda ses
doigts aux murs, effleura les meubles, les bibelots. Tout était matériel, tangible bien que turbide.
Dans ce château onirique, en négatif, à
l’envers, elle finit par croiser diverses personnes ne la remarquant pas. A la
différence de la matière inerte ou anciennement organique (les boiseries, en
particulier), ces vivants demeuraient
fantomatiques. C’étaient des ombres, à la consistance de celles des spirites,
des domestiques peut-être ? Il
s’agissait non point de morts, de lémures des enfers antiques ; elle
n’avait pas imité Orphée. Elle voyait, devinait, captait des virtualités
d’êtres, des silhouettes d’ondes de psychés humaines, irréelles, non totalement
matérialisées, car, eût expliqué Daniel Wu ou un physicien d’Hellas, intriquées
quantiquement entre deux univers parallèles. Dans chacun, elles eussent donc
paru non substantifiques aux observateurs les étudiant. Ces
« esprits », Aurore-Marie ne s’en inquiéta pas ; elle les ressentait
comme rassurants, familiers. Elle pensait que certains étaient ses
grands-parents disparus, sa mère, ses tantes, son petit frère, qu’elle voyait,
obombrés d’onirisme. Oui, là, il y avait un garçonnet pareil à Louis, mais
d’une autre nuance de cheveux, plus brune ! Il transportait une boîte de
soldats de plomb. Tous ces faux fantômes s’affairaient en leurs occupations
quotidiennes, indifférents à elle. Rassérénée par ces présences d’outre-tombe
ici vivantes mais floutées, Aurore-Marie recouvra d’instinct l’itinéraire, le
tracé comme inné du chemin vers l’autre
elle-même qu’elle pressentait s’approchant. Après un dernier escalier à la
boule de rampe sculptée dans l’opale, elle débusqua le boudoir où elle nichait.
Elle entendit, un peu distante, avec une émotion qui la remua, la voix aimée de
la mère appelant :
« Marie-Aurore, il est l’heure de dîner.
Alphonsine monte te chercher.
- J’arrive dans un instant, Mère. »
Le prénom aussi était inversé. Lors, retenant
un sanglot, elle franchit le seuil du boudoir, s’offrant toute, avec franchise,
à la vue de l’autre elle-même divergente. Enfin,
elles se rencontraient. Aurore-Marie ne put réprimer un hoquet à cette
apparition, à cette concrétisation désirée et sidérante de vénusté.
Elle était assise, devant une écritoire, en
train de composer un poème en strophes monorimes, entrecroisées ou embrassées. Elle écrivait de la main gauche. Elle était brune, d’un brun
de jais lumineux, orfévré de reflets bleus, coiffée d’anglaise, splendide,
grand’ belle ! La coupe de sa robe ivoirine soyeuse différait de celles en
usage là-bas, en l’autre (son) 1876 : elle avait conservé cet aspect
apprêté, évasé, empesé d’empois, encagé d’osier, en usage encore dix ans plus
tôt. De même, Aurore-Marie fit le même constat : comme pour les poupées de
tantôt, la mode des dessous était demeurée aux longs pantalons de broderie
tombant jusqu’aux chevilles, de coupe Louis-Philippe. Cela seyait à ravir à la
noire enfant à l’incarnat mat, dont les prunelles d’alabandine, graves,
observèrent, dévisagèrent l’intruse, la visiteuse blonde. Son corsage, lacé par
derrière, s’agrémentait d’un tablier et d’une ceinture aussi blanche que le
reste de sa toilette. Elle affirmait ainsi sa qualité de vierge, de vestale des
belles-lettres. De plus, ses longues anglaises d’ébène à la brillance hors
normes, ornées de padoues roses, rappelaient celles de la courtisane Marie
Duplessis, l’authentique Dame aux Camélias,
ajoutant à sa beauté d’exception.
Seule au fond la forme de son visage, cet ovale triangulaire, félin, elfique,
rappelaient sa jumelle inverse. Mais ses attitudes, sa gestuelle affectée, les
expressions de sa face, revêtaient un je-ne-sais-quoi troublant, parce que,
dans sa remémoration présente de 1888, telle une reviviscence, Aurore-Marie
venait de se rendre compte ô combien Marie-Aurore ressemblait à Lise. Elle eût voulu Lise brune ; toujours, elle
avait préféré les cheveux, les yeux noirs. Son affection dérangée pour
Angélique de Belleroche en témoignait. Un esprit perspicace comme Daniel Wu
aurait trouvé à la fillette un côté Anna
de Noailles préadolescente.
Cela signifiait que, chaque fois qu’elle
s’amourachait, s’entichait d’une jeune nymphe à la chevelure foncée,
Aurore-Marie essayait de racheter sa faute, son crime, par une affection
trouble et déviante, recherchant, en substitut, en compensation, en exutoire
sensuel, celles du même âge que l’innocente assassinée, toutes celles à sa
semblance d’obsidienne moghole. Des Mumtaz Mahal pré-nubiles du Ponant, aurait
pensé le regretté Shah Jahan,
ce merveilleux et vaillant compagnon d’aventures
de Daniel, qui s’était sacrifié bravement lors de leur lutte commune pour
anéantir Fu la Splendeur céleste[1].
De plus, cette affection allait au-delà d’un simple saphisme éphébophile. Elle
revêtait une autre forme, variante du narcissisme : en aimant les
fillettes aux cheveux noirs, Aurore-Marie s’enamourait de son double disparu,
donc de l’autre elle-même en négatif, les substituant à elle, s’essayait à
concrétiser la relation charnelle qui, immanquablement, aurait surgi entre
elles-deux après la nubilité… si la jalousie criminelle ne l’avait pas emporté.
Ç’aurait été une affection sororale saphique irrépressible… un inceste anandryn
entre fausses jumelles, un onanisme dual…
Double,
ô mon Double, je suis Toi, Tu es moi…
Aimons-nous
de tout notre cœur, de toute notre âme,
De
toute notre chair et de toutes nos forces,
Unissons
nos corps en une unique Femme…
écrirait en 1891 Aurore-Marie en ces vers
interdits, immoraux, modernes par leur abandon de la rime, en cette expression
sublime des amours gémellaires, d’entre
soi-même, constituant la matière infâme de son recueil posthume Pages arrachées au Pergamen de Sodome.
Notre poétesse inspirée saurait s’en souvenir aussi dans une autre œuvre, en un
roman odieux d’obscénité : Le
Trottin. Aime-toi toi-même par le biais des autres, le royaume de Pan Logos te
sera ouvert pour les siècles des siècles, avait écrit en l’an 150
Cléophradès d’Hydaspe comme premier commandement du décalogue hérésiarque
ouvrant la Tetra Epiphaneia.
A l’intromission duale, Marie-Aurore n’avait
pas tressailli. Cette intrusion, attendue, n’était pas une surprise. Elle
attendait la doublure Dioscure de longue date. Elle avait senti son esprit à la
coiffe blondine, mêlée de cendres et de miel de Venise, planer, de l’autre côté
de sa propre psyché.
Malgré les obombrures de ce boudoir,
obscurcissements sépias communs à toute l’architecture interne de cet au-delà
photographique pictorialiste, Marie-Aurore était la seule qui apparût nette au
regard de sa déjà rivale. Le boudoir lui servait de sanctuaire, de petit coin
secret, intime, de matrice, de conceptacle nécessaire à son inspiration. Elle y
sollicitait les muses. L’engendrement littéraire suivait. Lacroix-Laval était
le corps macrocosme symbolique, le ci-présent boudoir la gésine placentaire où
les poèmes-fœtus se développaient jusqu’à leur accouchement de papier. Aurore-Marie avait en quelque sorte violé
le sanctuaire, remonté ses voies naturelles architectoniques en quête du Saint
des Saints où se concevaient les œuvres de la plume. Elle était l’infestation intruse de l’outre-lieu. La psyché avait
servi de sexe, d’Origine du Monde,
d’interface entre l’extérieur et l’intérieur de cet organisme maternel. La femme ne pouvant féconder
la femme, il y avait risque qu’Aurore-Marie fût traitée en germe indésirable,
en parasite, que le Lacroix-Laval numéro deux pouvait éradiquer. Or, il n’en
était rien. Nulle réaction de rejet ne se produisait pour l’instant. Les
dissemblances physiques ne l’avaient pas emporté sur la dualité gémellaire, sur
les identités partagées, sur les semblances : Aurore-Marie avait été
identifiée, reconnue, acceptée car
désirée par l’alter ego brun.
Afin que la destination de ce lieu utérin fût des plus explicites,
Marie-Aurore avait fait installer une petite bibliothèque taillée dans l’if
dans cette pièce aux dimensions modestes. Sur les rayonnages, les auteurs du
Bas Empire romain dominaient : Ammien Marcellin, Ausone, Orose, Macrobe,
Boèce, Sidoine Apollinaire. Les maroquins cramoisis alternaient avec les
volumes reliés d’un cuir de Russie à la teinte anthracite. L’ouvrage le plus
consulté, un peu jauni, fatigué par les lectures multiples, était le fascinant Commentaire sur le Songe de Scipion de
Cicéron.
C’étaient toutes des œuvres rédigées en un latin de la décadence, des
invasions barbares, en une langue altérée, chancie, gâtée, polluée par les
fermentations putrides de la mort
annoncée de la civilisation antique. Marie-Aurore était donc une décadente
juvénile…comme sa duale. Toutes deux pourraient communier en une entente
intellectuelle complète. Merveilleux… mais trop inespéré.
Oui, tout était trop beau là-bas, trop
parfait, trop idéal ! C’était lénitif, euphorisant, puéril ! Toute
une famille vivante, point de solitude d’épeurée désespérée chagrine à
combattre ! Dès l’enterrement de Louise-Anne de Boscombe O' Meara
achevé, Albéric avait abandonné sa fille alitée, prenant une voiture attelée
jusqu’à la gare lyonnaise, avec l’intention de s’embarquer sur-le-champ pour
l’Irlande afin de régler la succession de sa défunte épouse, s’apprêtant à spolier
alors la cousine inconnue, cette Betsy farouche et miséreuse. Il ne reviendrait
qu’au bout d’un mois, laissant sa fille en deuil livrée à ses spéculations, ses
maladies languides, à ses tribulations. Lors, Marie-Aurore ouvrit la bouche.
« Vous prîtes une excellente décision à
me rejoindre diligemment, fit-elle de la ciselure de ses lèvres doucereuses. Je
vous attendais, ma mie. Je vis tout ; comment expira votre
mère – paix à ses cendres ! – la manière dont vous succombâtes à votre
crise de chagrin, lorsque vous franchîtes l’horizon
de cette psyché pendant de la mienne ! »
La préciosité de ses paroles aux inflexions
doucereuses battait Aurore-Marie sur son propre terrain.
« Vous vous affranchîtes fort bien de
cet outre-espace-ci ! Bien joué, ma sœur d’ailleurs ! Nous sommes
sœurs, n’est-il pas ? Vous coïncidâtes avec moi dans votre action
d’extirpation de la matrice maternelle, me trompé-je ? Vous naquîtes bien,
comme moi, le 4 mai 1863 à matines ?
- Oui-da », se contenta d’acquiescer
Aurore-Marie à la plus précieuse qu’elle.
« Figurez-vous, ô jumelle aux cheveux de
vieil or, que le poëme présentement en voie d’achèvement, ici, sur l’écritoire,
doit vous être dédié. J’irai le classer dans cette chemise, là, où se trouvent
tous mes vers constitutifs de mon recueil, Le
Cénotaphe théogonique, voué à une publication prochaine. »
Elle était tout en
grâce. Elle s’exprimait avec des
tournures de phrases anglomanes, peu communes. Elle usait à ravir de ce passé
simple si peu goûté dans l’art de la conversation.
Elle désigna d’un geste doux une chemise
in-quarto de carton, allumant une lueur d’avidité dans les yeux orangés de la
rivale.
« Vous avez de bien belles prunelles. Au
miroir, je ne m’en étais point aperçue. Veuillez me pardonner. Peut-être faudrait-il que vous lisiez
quelques unes de mes œuvres ? »
Elle se saisit de l’objet convoité, en
extirpa un poème sans titre, dont le folio, marqué d’une écriture délicate bien
que décidée et franche, fut remis aux mains d’Aurore-Marie.
« Lisez à haute-voix, je vous
prie. »
Aurore-Marie débuta. Marie-Aurore feignit une
écoute attentionnée, mais, se ravisant, préféra terminer la poésie en cours,
avant de la signer. Elle mit le point final au vers ultime, y apposa sa
signature, de sa plume affectée : Marie
d’Aurore. La date compléta le poème : 1er septembre 1876.
Là-bas, Louise-Anne avait rendu son âme à Dieu le 29 août. Tirant une montre
dont la chaîne pendait à sa châtelaine, la brune enfant marmotta :
« Alphonsine tarde bien. Je l’ai connue plus prompte à venir me chercher.
Louis a dû maugréer, faire des siennes comme souvent ! »
Cependant, Aurore-Marie dodelinait, se
balançait, hallucinée, bercée par le rythme et la musicalité nonpareille des
strophes :
La rose
ptolémaïque
Le suc au doigt blessé du
grain d'ampélopsis
Par l'amuïssement fortuit des
novices d'Eleusis
Dégoutta de la trémière rose
aux pétales blancs du lys.
Pétrarque renaissant, muse de
Volubilis !
Ménade qu'en Agrigente lors
voué à Myrtis,
L'épigone de Scopas modela
pour Isis !
Péléen volcan, lapillis qu'aux
rives de Thétys,
Emplirent les cinéraires urnes
fleuries d'amaryllis !
Belluaire thébain, esclave de
Sérapis !
Quête encor avec moi les
larmes d'Anubis !
Sacrifices opimes qu'à l'ombre
de Némésis,
Les dieux oubliés reçurent du
grand Aménophis !
Roi des Rois, retiens le bras
vengeur occulté en l'ophrys !
Préfère en moi la Vie, blonde
rose de Nephtys !
Belle d'entre les belles,
goûte encor avec moi à l'iambe d'oaristys !
Des larmes perlaient de ses joues. Jamais elle n’atteindrait un tel
niveau d’écriture toute seule, elle qui s’escrimait vainement depuis l’âge de
huit ans, ne produisant que des bluettes naïves, infantiles, insignifiantes.
Enfonçant le couteau dans la plaie vive de l’orgueil, de l’envie, Marie
d’Aurore tortura la duale en récitant l’autre œuvre, ce sans titre à
l’encre encor fraîche :
Je pleure l’amour enfui
seulette en mon palais.
Tourangelle de buis,
morvandelle de blé.
Pastourelle au flageolet
flutiau qui en la prime enfance
Jouait la tarentelle et encor
d’autres danses.
Je pleure l’amour parti
pauvresse en ma chaumine.
Grand’ belle suis, petite
blonde aussi.
Inerme est la rose, blettie
est l’étamine.
Eclisses du bois d’or dites
alors me voici !
Je pleure l’amour volé blasée
du bel été.
Arantelle des bois, aulnaie
aux passeroses.
Que la bergeronnette en cet
arbre étêté,
Entonne son trille festif
auprès des primeroses !
Je pleure l’amour fané en
l’étiolée jonchée.
Malemort, tu te ris, vilenie,
tu me blesses !
Mauvaiseté des sens, moques-tu
mes péchés ?
Menterie du faux Dieu, veux-tu
donc que tout cesse ?
Je pleure l’amour fini en ma
bière gaufrée.
Partie par le trépas, d’une
fluxion emportée,
Flaccide lys suri, failli est
l’hyménée.
Lors est la tige hispide…et
j’ai pourri sur pieds.
C’en fut trop, trop de tourments.
Aurore-Marie se résolut : il lui fallait convaincre Marie-Aurore de passer
de l’autre côté avec ses poèmes. Elle
l’enjôlerait, la duperait…puis, elle éliminerait la rivale, d’une manière définitive. Il ne devait exister qu’une
Aurore-Marie poétesse sur terre. Tandis que le pas lourd de la domestique se
faisait enfin entendre, Mademoiselle Aurore-Marie Victoire de Lacroix-Laval
empoigna par surprise la main gauche de Marie-Aurore Victorine de
Lacroix-Laval. La puissance inespérée de cette poigne droite la subjugua. La
future baronne de Lacroix-Laval subodorait que Marie-Aurore était son négatif
complet, une jumelle gauchère inversée. En Marie d’Aurore, elle supposait que
tous les viscères s’opposaient aux siens, étaient disposés en miroir, à
contre-sens, asymétriques, ce qui posait la question de sa viabilité, de sa
survie, en l’autre monde. Le contact de ces deux mains eut des effets
inattendus. L’une l’autre se comportèrent comme s’il se fût agi d’un léger
heurt matière-antimatière, en deux mondes reflets positif-négatif (le négatif
n’étant pas celui que l’on croyait), souffrant l’un l’autre d’une ténue
dissymétrie des forces, d’un déséquilibre, d’une dichotomie les rendant
incompatibles, théoriquement inéchangeables, irréversibles. C’était comme un
blason aux armes à enquerre, qui présentait une énigme, une singularité, une
irrégularité à éclaircir.
Les deux extrémités parurent fusionner,
s’accoler, en émettant force rayonnements, force éclairs bleutés à ce simple
contact épidermique, aucune d’elle n’étant gantée.
Un observateur extérieur, apercevant les
jumelles, fasciné par cette dualité, par cette gémellité inversée, l’une blonde
frêle aux longs cheveux incoiffables, mal retenus par une résille, d’où
s’échappaient des mèches désordonnées tombant jusqu’aux mollets, l’autre brune
en excellente santé, apprêtée avec soin d’anglaises bleutées, un observateur
donc, se serait cru atteint de diplopie, mais d’une diplopie différentielle.
Et, de plus, des rayons d’énergie inconnue émanaient des deux mains fusionnées,
s’en extrayaient, en une diffraction, une déviation quantique des photons.
« Viens avec moi avec tes poëmes, dit
tout simplement Aurore-Marie. Tu es mon invitée. Je suis si seule et triste.
Console-moi. »
Marie d’Aurore fléchit, trop facilement.
Alphonsine arrivait, aussi spectrale que les autres hôtes de cette demeure.
Elle était sans danger pour Aurore-Marie, mais pouvait-elle retenir l’autre ?
**********
[1]
Lire pour en savoir plus le précédent roman du cycle des aventures de Daniel
Wu : Le Nouvel Envol de l’Aigle.
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