Les Mystères de l'Est.

Une nuit de Paris réparera tout ça ! (Napoléon, à la bataille d'Eylau).

En hommage à la mythique série culte américaine Les Mystères de l'Ouest et pour honorer la mémoire du comédien Robert Conrad disparu récemment, j'ai voulu - sans oublier son compère Ross Martin - apporter une touche d'humour à ce blog en me souvenant de la manie qu'avait chaque épisode d'être intitulé La Nuit de quelque chose. 

 

Quoi de mieux que de transposer la donne et le cadre aussi bien dans la Russie des tsars que dans l'ex-URSS afin de vous fournir une liste décapante et roborative de titres nouveaux bien intégrés dans la saga des Mystères de l'Est ?
 

- La Nuit des Cosaques zaporogues.

- La Nuit du Tigre de Sibérie.

- La Nuit du Samovar fou.

- La Nuit du Moujik ivre.

- La Nuit de l'Isba hantée.

- La Nuit de la résurrection de l'Okhrana.

- La Nuit du Rapport secret du petit Homme chauve au XXe Congrès.

- La Nuit des Opritchniks.

- La Nuit du Palais d'Hiver.

- La Nuit du Vojd.

- La Nuit des Streltsy.

- La Nuit du Pope Gapone.

- La Nuit des zakouskis empoisonnés.

- La Nuit de la Raspoutitsa.

- La Nuit de la révolte des Soviets.

- La Nuit des Komsomols.
- La Nuit de la vodka frelatée.
- La Nuit de l'Escalier Richelieu.
- La Nuit des marins de Kronstadt.
- La Nuit du Tracteur de Staline.
- La Nuit des procès de Moscou.
- La Nuit de la dissolution de la Douma.
- La Nuit de Pougatchev.
- La Nuit des Chevaliers teutoniques.
- la Nuit des Mencheviks.
- La Nuit du vampire nihiliste.
- La Nuit des faux Dimitri.

- La Nuit des Pygmées de Gardes blancs.

- La Nuit de l'assassinat du Tsar Pierre III.
- La Nuit de la datcha paranoïaque.
- La Nuit des stakhanovistes.
- La Nuit des Spartakiades.
- La Nuit du retour de Lyssenko.

- La Nuit du complot des Blouses blanches.
- La Nuit où fut volée la momie de Lénine.
- La Nuit de Mister West au pays des Bolcheviks.
- La Nuit du Décret de Moscou.
- La Nuit de l'exécution de Beria.
- La Nuit du Caviar de la Nomenklatura.
- La Nuit du chamane Toungouze.
- La Nuit de la Troïka de Sibérie.
- La Nuit de Tsarskoïe Selo.
- La Nuit du Knout.
- La Nuit du Tsarévitch.
- La Nuit où la Grande Catherine fit fusiller le joueur d'échecs El Turco.
- La Nuit de l'Agitprop.
- La nuit du fantôme de Trotsky.
- La Nuit de la Dame de Pique.
- La Nuit de l'EBE de la Toungouska.
- La Nuit du Prince Kropotkine.
 
- La Nuit des Varègues.
- La Nuit d'Anne de Kiev.
- La Nuit de Paul Sernine.
- La Nuit du Groupe des Cinq.
- La Nuit du Coq d'Or.
- La Nuit du Monstre de la Taïga.
- La Nuit de la fonte du Permafrost.
- La Nuit du Kolkhoze aux morts-vivants.
- La Nuit du Tsar Saltan.
- La Nuit de la Matriochka.
- La Nuit de Moscou en flammes.
- La Nuit des Partisans ukrainiens. 
- La Nuit du train blindé de Petrograd.
- La Nuit de la momie du Mammouth rouge.
- La Nuit russe du Chevalier d'Eon.
 
- La Nuit d'Anastasia.
- La Nuit des Samizdats.
- La Nuit du massacre des Koulaks.
- La Nuit des Zombies du Bolchoï.
- La Nuit du Goum.
- La Nuit du Prince Igor.
- La Nuit des Poupées russes.
- La Nuit de l'assassinat de Kirov.
- La Nuit du Procureur Vychinski.
 
- La Nuit du Détachement féminin rouge chinois.
- La Nuit de la fondation de Brejnevgrad.
- La Nuit de la Grande Guerre patriotique.
- La Nuit de Jdanov.
- La Nuit du réalisme socialiste.
- La Nuit où Khabarovsk attaqua Tchita.
- La Nuit de Makhno.
 
- La Nuit d'Aerograd.
- La Nuit du Tupolev 144.
- La Nuit de Mig Alley.
- La Nuit du Pacte de Varsovie.
- La Nuit des VoPos.
- La Nuit de l'Archipel du Goulag.
- La Nuit des Peuples allogènes.
- La Nuit des Latrines aux Tchétchènes débusqués.
- La Nuit de Fouchine.
- La Nuit d'Octobre rouge.
- La Nuit où mourut le Petit Père des Peuples.
 
- La Nuit du Patriarche.
- La Nuit des Moscoutaires du Tsar rouge.
- La  Nuit de la grande Lueur à l'Est.
- La Nuit du Dissident schizo-névrosé.
- La Nuit du Koursk.
- La Nuit de l'Oeil de Moscou.
- La Nuit de la Famille du Vourdalak.
- La Nuit du Spectre de la garde d'Astapovo.

- La Nuit du Docteur Gogol.
- La Nuit des Faussaires en roubles.

Ad libitum...

Une "madelen" que vous aimeriez pouvoir recracher mais que vous ne pourrez pas dégurgiter facilement.

Jamais on n'avoit autant parlé des sans logis et des handicapés et autres autistes depuis que sévissoit l'épidémie. (Chroniques de Cyber Jean de Venette sur la peste pulmonique de Cathay)

 Lectrices et lecteurs de ce blog, tenez-vous le pour dit : le présent article est la résultante de ce que je vous contais précédemment et son objet constitue une conséquence indirecte des fâcheux et turbides événements de septembre 1992. 

Ainsi naquirent successivement Ina.fr, Ina premium et désormais Madelen, ultime avatar de la déliquescence intentionnellement organisée de la présence du patrimoine fictif télévisuel national sur le petit écran.

 

Mes récriminations et mes griefs sont faciles à comprendre : comment être satisfait d'une offre appauvrie et amoindrie sans diminution de prix sans penser à ce que l'on qualifie de "moins disant" lorsqu'on parle des marchés publics  ? Ainsi va la "madelen", nous offrant seulement 13 000 heures de programmes en lieu et place des 35 000 précédentes. Et les victimes devenues indisponibles hors professionnels inscrits à Ina media pro sont innombrables ! Evoquons des exemples éloquents qui furent peu de temps disponibles sur Premium avant de disparaître : la collection d'émissions musicales du début des années 1970, Arcana connaissance de la musique, presque intégralement rentrée sur le site de l'Ina au printemps 2019 appartient à ce club de vidéos sacrifiées, demeurées moins d'une année à la disposition du grand public. En créant Madelen, l'Ina prétendait supprimer plutôt les vidéos sportives (Roland-Garros) et d'émissions enfantines, mais il s'agissait là d'un mensonge éhonté, puisque, semble-t-il, des critères d'audience des vidéos ont été déterminants dans la sélection (épuration ?) de décimation de cet institut, dois-je le rappeler ? de service public... Ainsi, le loup audimat introduit dans la bergerie Ina.fr a saccagé le poulailler des trésors de notre patrimoine télé...
Disparues la plupart des vidéos entrées en catimini au premier semestre 2019 sur le site sans qu'on m'en informât ! Bien sûr, des vidéos dont nul ne savait qu'elles avaient été postées ne pouvaient d'évidence être lues ou brièvement consultées !
Amusons-nous (cela ne me fait pas rire) à énumérer une bonne partie de ce qui figura un temps sur mes playlists d'Ina premium ou fut autrefois commandé au service de gravure à la demande de l'Ina (supprimé encore sans crier gare en octobre 2019) et ne se retrouve plus sur Madelen :
- Martin Eden (les Cent livres des Hommes), avec Nicolas Silberg (1972) ;
- Turcaret, version filmée en vidéo en 1968 de la pièce de Lesage, pourtant bien mieux conservée que certains films postés sur Madelen et dont il manque parfois plusieurs minutes de son voire la fin des films ! ;
- L'épingle noire (1982) : un feuilleton costumé mythique avec Pierre Arditi et Gérard Desarthe, dont l'Ina n'informa jamais de sa venue sur son site au printemps 2019 ;
- Marcheloup (1985), adapté de Maurice Genevoix ;
- L'affaire Caillaux (1985), avec le regretté Marcel Bozzuffi et Brigitte Fossey ;
- Félicien Grevèche (1986) avec le tout autant regretté Sylvain Joubert, dont le feuilleton phare Ardéchois coeur fidèle, bien qu'extrêmement renommé et apprécié, n'a jamais été disponible sur Ina.fr !
Le jeu de massacre est tout autant préoccupant et intolérable lorsqu'on aborde les pièces de théâtre :
- les deux pièces de Gabriel Marcel (Un homme de Dieu, avec Edith Scob y figurait) ;
- envolée La Répétition ou l'Amour puni adapté en 1958 de Jean Anouilh avec les pourtant incontournables Jean Desailly et Simone Valère ;
- évaporés en on ne saurait préciser quelles limbes Les Rustres de Goldoni, version 1963 de Michel Galabru (que j'eus heureusement  la chance de voir en chair et en os dans la même pièce en 2005 ;
- passée à la trappe outre nulle-part Athalie dans sa version de 1962 !
- désintégrés Les Plaideurs de 1967, unique comédie du grand Racine !
Madelen semble avoir une dent particulière contre les anciennes dramatiques à la thématique chrétienne : mais où sont donc passés des films intéressants de l'ORTF comme La première Légion (1963) sur les jésuites au début du XXe siècle ou Il est passé par ici (1965), sur une visite du diable en 1906 dans une institution scolaire avec une curé loufoque, diable interprété de façon truculente par Jacques Monod ? Quid de cette dramatique de l'orée des années 1960 consacrée à l'enquête en canonisation de Sainte Thérèse de Lisieux ?
Madelen est un naufrage et repose sur le mensonge d'une épuration-purge stalino-hayekienne, audimateuse pour tout écrire avec franchise, purge soi-disant limitée à Nounours et à Roland-Garros... Pourquoi s'en être aussi impunément pris au Manteau, ce fleuron de la littérature russe dans une version ORTF de 1966 ? Quid de Babek (1964) de Guy Lessertisseur, oeuvre délirante avec Alice Sapritch, Michel Vitold et (encore) Edith Scob qui ne sera demeuré disponible que quelques couples de mois sur le défunt site Ina premium ?
Et j'oublie les arbitraires suppressions par les sires à casque à nasal de l'Ina de tous les débats de l'Avenir du Futur du très regretté Robert Clarke (qui n'eut pas la moindre ligne nécrologique dans Le Monde) et de l'émission mythique en deux parties des animaux du Monde de février 1972 consacrée à la paléontologie, avec l'image inoubliable du diplodocus du Muséum d'Histoire naturelle du Jardin des Plantes qui, à l'âge de 7 ans me fit avoir envie de voir la vraie bestiole, souhait exaucé enfin en avril 1980 (j'ignorais alors qu'il s'agissait d'un moulage) ! Que dire également à propos de l'Hypothèse du tableau volé, ce téléfilm expérimental de Raoul Ruiz
 
 de 1979 en noir et blanc, sombré en quelque éther invisible ? Le summum de l'absurde à propos de ce film réside dans sa migration inexpliquée au sein du site "Cinetek" réservé à la cinéphilie pure, Cinetek qui se vante de la présence d'Au Hasard Balthazar de Robert Bresson que Madelen vient de proposer ces jours derniers ! Comme synergie singulière, il n'y a pas mieux. Si l'on veut tout voir, devra-t-on s'abonner aussi à Cinetek et ainsi payer double ?
Si encore Madelen était techniquement irréprochable ! Que nenni, hélas ! Combien de lectures qui bloquent en cours de route, qui décrochent, m'obligeant à basculer d'un navigateur à l'autre pour reprendre une lecture chaotique m'obligeant sans cesse à des retours en arrière de 10 secondes ou des projections "flash forward" de la même durée ? Nous avons adapté Madelen à la lecture sur smartphone (le dieu technologique de tous les zorglhommes panurgiques de ce monde putrescent) qu'ils disaient ! Au détriment de la lecture classique sur un ordi normal ?
Une poignée de belles surprises émerge pourtant çà et là de cette mélasse bérézinesque. Ces "divines" surprises se comptent pratiquement sur les doigts d'une main...
D'abord, Les Rosenberg ne doivent pas mourir de Stellio Lorenzi (1975), qu'autrefois, en 1990, parce qu'il croyait aux ressources de l'Ina contrairement à ses successeurs (cf. mon précédent article en ce blog), feu Philippe Guilhaume avait exhumé en hommage au téléaste qui venait de mourir (ce qu'HB ne fit aucunement en 1991 après le suicide de Jean Prat, différence ô combien révélatrice, déjà !). Ce téléfilm en deux parties eût dû être posté sur le site Ina premium dès le décès de la regrettée Marie-José Nat,
 
 soit dès octobre dernier. Il appert que ledit téléfilm avait été brièvement présent en 2015 sur le site de l'Ina avant une suppression inexplicable, comme demeurent inexplicables à ce jour celles, survenues à l'automne 2009, de La Case de l'Oncle Tom et du Magicien de Montreuil-sous-Bois (sur Georges Méliès) dramatiques signées Jean-Christophe Averty.
Deuxième "rare" surprise de Madelen : le Rigoletto de 1966 en deux parties d'après le Roi s'amuse de Victor Hugo avec les formidables François Chaumette et François Maistre.
Surprise n° 3 : Mademoiselle de la Ferté (1965) avec le grand Bernard Noël, disparu décidément trop tôt. Cette dramatique, adaptée du roman éponyme de Pierre Benoit,

compense largement la version filmée de 1949 avec Jany Holt, sauvagement déprogrammée par TMC en juillet 1992 (!) et jamais diffusée nulle part depuis, à croire que le film est soit perdu, soit dans un état de conservation immontrable...
Surprise n° 4 : l'intégralité de ce qui a pu être conservé et restauré des Enigmes de l'Histoire d'Alain Decaux et André Castelot (l'épisode sur Le Temple et Louis XVII paraît perdu). Après une trop brève présence sur le site Ina.fr au printemps 2019 (vidéos enlevées à cause d'Elephant films qui détient les droits en DVD ?), voilà notre bon vieil ancêtre de la Caméra explore le Temps judicieusement de retour sur Madelen...  

Surprise n° 5 : L'épreuve, une adaptation de Marivaux de 1982 due à Claude Santelli, avec André Dussollier et Jacques Villeret.

    

Autre surprise : cette multitude imprévue de petits téléfilms des années 1980, plus ou moins fantastiques (ou classés comme tels), inconnus à mon bataillon personnel, comme s'il s'agissait de productions des antennes régionales de la 3 (je n'ai pas vérifié), jamais diffusées sur l'antenne nationale.
Mis à part quelques dramatiques fort anciennes (remontant aux années 1950 !) dont une consacrée à Charles VI le fol, il y a peu à ajouter. Toujours est-il qu'hier, j'ai eu l'impression d'avoir été le dindon de la farce de la transmutation de Premium en Madelen quand la presse en ligne a informé de la création d'une chaîne YouTube jeunesse de l'Ina, Ina Kids ! Bref, les vidéos enfantines, prétendues, avec celles de sport, victimes principales du régime amaigrissant de l'offre (22 000 heures de moins, dois-je encore l'assener ?), ont bénéficié d'un site de rattrapage, que maintes productions représentatives de ce que j'aime à nommer la culture antérieure (le cas le plus grave étant pour moi le feuilleton l'Epingle noire, jamais sorti en commerce en VHS puis en DVD) n'ont pas eu le privilège de recevoir !
Pour conclure, je demanderai trois choses à l'Ina :
- primo, élargir l'offre du site Madelen au fur et à mesure, sinon, ça ne tiendra pas la route devant les colosses comme Amazon prime video ou Netflix, qui misent sur une pléthore, une corne d'abondance sans cesse enrichie, c'est-à-dire de reposter les vidéos victimes des désinformations dysfonctionnelles du premier semestre 2019 ;
- secundo : enfin intégrer dans le site des oeuvres prestigieuses qui ne furent jamais présentes sur Ina.fr, comme les trois saisons de Rocambole, Le Chevalier d'Harmental ou Une fille du Régent sans omettre Richelieu, Mazarin et d'autres (les youtubeurs ne se sont pas gênés avec ces feuilletons éternellement manquants sur les sites de l'Ina...) ;
- tertio, mettre enfin un terme à la clause inique, absurde et scandaleuse, qui a permis à la TF1 privée de conserver la mainmise sur toutes les productions des cinq dernières années de la première chaîne publique, soit entre le 1er juillet 1982 et le 30 juin 1987 ! TF1 s'en fiche de ce patrimoine-là, qu'elle laisse se putréfier lentement, qu'elle n'exploite ni ne restaure... Par exemple la version de 1982-83 de Bel Ami avec Jacques Weber, déjà fort dégradée lorsque TMC la passa au milieu des années 1990 ! (le feuilleton serait officiellement passé sur la "une" avant le fatal 1er juillet 1982).

Prochainement : Les mystères de l'Est, hommage loufoque à Robert Conrad, récemment disparu, et Ross Martin.

France Télévisions et le patrimoine des fictions françaises de l'Ina : histoire d'un divorce.

Par Cyber Léon Bloy.

Annonçons d’emblée la couleur : cet article sera fortement polémique.

A l’occasion de la mise en place par l’Ina de la nouvelle plate-forme de streaming (ah, l’affreux mot anglo-saxon !) intitulée « Madelen » (sur les imperfections de laquelle je reviendrai dans un prochain article), Télérama, par la plume de Pierre Langlais (article posté sur le site du magazine le 19 mars dernier) faisait judicieusement remarquer :

La France a un problème de mémoire. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les chaînes traditionnelles diffusent les classiques des années 1950 à 1980, et les téléspectateurs, même les plus jeunes, ont vu au moins quelques épisodes de I Love Lucy (1951), Dragnet (1951) ou Doctor Who (1963). En France, ne parlez pas de L’Homme du Picardie, de Belphégor ou des Cinq Dernières Minutes aux moins de 30 ans, sans doute convaincus que les séries françaises dignes de ce nom sont apparues en 2005 avec Engrenages, et que notre préhistoire, c’est la période AB Productions, Hélène et les garçons, Salut les Musclés et autres sitcoms consternantes des années 1990 ! Or, pour bien appréhender un art, mieux vaut en connaître les racines. Dans leur longue et laborieuse marche en avant, les séries hexagonales souffrent d’être perçues comme hors-sol, ou descendantes de la fiction anglo-saxonne.

La France a donc un problème de taille avec son patrimoine télévisuel, mais ce problème ne remonte qu’au… 7 septembre 1992, grâce à un président de France Télévisions qui, lors de son décès, a eu droit à deux pleines pages du Monde tandis que certains de ses successeurs, lorsqu’ils passèrent de vie à trépas, ne bénéficièrent pas de la moindre ligne nécrologique dans le même quotidien, autrefois de référence. Avant cette date funeste à marquer d’une irréversible pierre noire, la télé ancienne avait amplement droit de cité sur les chaînes publiques, en particulier les fictions.

Sachez, lectrices et lecteurs de ce blog, qu’à titre personnel, j’estime que l’audiovisuel public – je me restreins ici au seul petit écran - n’a eu que trois bons présidents depuis 1986 : l’éphémère Philippe Guilhaume, parce qu’il aimait l’Ina et savait bien y recourir, Marc Tessier et Patrick de Carolis, parce qu’ils ne méprisèrent jamais les fictions littéraires et historiques costumées, qui connurent un incontestable revival, depuis tué, durant leurs mandats.

A l’été 1990, Philippe Guilhaume
 
 démontra la grande valeur de notre patrimoine télé et, en d’extraordinaires programmations, sut le faire redécouvrir au peuple français.

Ainsi pus-je apprécier une dramatique mythique de La Caméra explore le Temps : l’Affaire Calas et la fameuse version de 1960 de Cyrano de Bergerac réalisée par Claude Barma avec dans le rôle-titre un comédien autant apprécié qu’il fut regretté à cause de sa disparition prématurée : Daniel Sorano. Mais, on dit que toutes les bonnes choses ont une fin, et je ne m’étendrai pas sur les circonstances qui conduisirent à la démission – ou éviction ? – de Philippe Guilhaume, qui lui-même mourut encore jeune.

Son successeur - faut-il le nommer ? – avait officié à TF1 avant l’éhontée et putrescente privatisation de la chaîne à laquelle il contribua indirectement par sa politique programmatique, après s’être initialement tenu à une réserve prudente d’une année respectant encore le service public, en métamorphosant à compter de septembre 1984 ce fleuron en chaîne publique commerciale « populaire » (dois-je écrire populiste ?) de soi-disant qualité convertie au seul veau d’or de l’audimat. Pour la première fois, alors que, jusqu’à présent, les causes des suppressions d’émissions sur les chaînes publiques avaient toujours obéi à un arbitraire politique ou de censure (ce qui revient plus ou moins au même), ce grand homme (je l’exprime avec ironie) supprima des programmes pour les seules raisons de leur audience considérée comme « insuffisante », jetant définitivement la télé française dans les bras des entreprises privées et des annonceurs publicitaires. Les initiales du nom de ce monsieur, mort récemment et honoré de deux pleines pages de nécrologie dans Le Monde qui souventes fois prive d’anciens chefs de gouvernement étrangers notoires et de notables prix Nobel scientifiques de la moindre ligne d’hommage, évoquent une certaine qualité de mine de crayon couramment imposée dans les fournitures scolaires de rentrée. Ce fut lui qui interrompit la diffusion de la série documentaire franco-japonaise de 1985 consacrée au Louvre après seulement six numéros (diffusés exprès à des heures malaisées), les autres étant programmés à la sauvette en pleine nuit au mois de juin 1987 dans les derniers jours d’existence de la première chaîne publique. Mais j’ai déjà traité cela il y a quelques années en ce même blog… Bref, TF1 devenue la « Une », fut désormais surnommée par moi la « Der ».

Au commencement, en 1991, H.B. parut caresser l’Ina dans le sens du poil. Il créa, initiative audacieuse qui, si elle eût perduré, aurait évité que je dépensasse un argent fol en VHS puis DVD de fictions télé anciennes, un « télé-club » à l’image des ciné-clubs d’Antenne 2 et FR3 voués au seul 7^e art tandis qu’il réserva l’été à la rediffusion des meilleurs téléfilms de la collection Cinéma 16 des années 1970-80.  Ce ne fut qu’illusions ! Après un premier cycle prometteur consacré aux dramatiques de l’immense Alice Sapritch (dont La Bonifas, adaptation remarquable d’un roman de Jacques de Lacretelle à propos duquel le regretté Bertrand Poirot-Delpech – qui succéda au même Lacretelle à l’Académie française – disait qu’il s’agissait, avec Silbermann, d’un des seuls romans de cet écrivain encore trouvable en commerce hors bouquinistes) le fait du prince « mine de crayon » provoqua la suppression de ce « télé-club » après seulement trois mois d’existence cahotante, tel l’éphémère ministère Georges Leygues en 1920-21.
 

Certes, au premier semestre 1992, quelques recours aux fictions patrimoniales existaient encore sur le service public, comme les anciens Maigret de Jean Richard en noir et blanc, mais, le 7 septembre 1992, jour néfaste et funeste dans le sens de la Rome antique, H.B. claironna la création de France Télévisions, dont le dégât collatéral majeur fut – hors recours à des extraits illustratifs dans certaines émissions – la disparition terminale sur les nouvelles antennes publiques de toute rediffusion de fiction antérieure à cette même date car non estampillée « France Télévisions ». Un acteur populaire, Robert Etcheverry,

 souffrit de cette nouvelle situation : l’ensemble des fictions dans lesquelles il avait officié fut bloqué jusqu’à sa mort survenue fin 2007 ! TMC, appliquant illico presto la « jurisprudence » H.B. interrompit en plein milieu la rediffusion du Chevalier Tempête. Je dus attendre le déblocage post-mortem que l’on sait pour enfin acquérir en 2010 à prix d’or par gravure DVD via Ina.fr ce feuilleton génial de la fin des années 1960.

Au fur et à mesure que France Télévisions intégra une chaîne (la Cinquième devenue France 5, Festival devenue France 4), celle-ci fut « assimilée » à la manière des Borgs assimilant le vaisseau Enterprise, c’est-à-dire que les feuilletons et téléfilms patrimoniaux étaient bannis définitivement de leur antenne ! D’où l’article de Télérama cité au commencement de ce texte.

Je l’admets : il y eut deçà-delà quelques soubresauts et persistances de nos anciennes fictions sur des chaînes toujours moins nombreuses au fil des années, entre 1993 et 2019. Aucune de ces chaînes ne se nommait France 2 ou France 3, sauf quelques Brigades du Tigre repassées sur la Trois en 1995. D'aucuns m'objecteront que Le Roi Mystère, un feuilleton costumé un peu fantastique se déroulant au XIXe siècle, daté de 1991, parvint à être rediffusé par France Télévisions en août 1993, mais cela reste une des rares exceptions avec Les Brigades du Tigre. 
Faute de débouchés sur les canaux historiques qui auraient dû légitimement continuer de les abriter, les programmes fictionnels patrimoniaux de la télé française s'éparpillèrent un peu partout ailleurs, en particulier entre 1993 et 2006, que ce fût sur TMC, sur la Cinquième, sur Festival, sur Canal Jimmy, sur Ciné classics (anciennement Ciné-cinéfil), sur AB1, sur Arte, sur Ciné FX, sur TV5 et j'en passe...En 2006, Direct 8, l'ancêtre de C8 se mit de la partie : je lui dus la diffusion de téléfilms désespérément indisponibles sur le site de l'Ina comme le Louis XI en deux parties de 1977-78 avec Denis Manuel

 et La Nuit de l'Eté (1979) de Jean-Claude Brialy,
 
 avec Henri Tisot et Marina Vlady. Ce téléfilm traitait de manière romancée de la fuite à Varennes. Une tentative de ressusciter Festival (assimilée à la manière Borg par France Télévisions) avec l'Ina et Canal + fit long feu et, le bannissement de la télé ancienne à la télévision devenant toujours plus intégral et irréversible, l'Ina décida de désormais tout miser sur Internet : Ina.fr naquit. Ce site devint de facto l'unique lieu où l'on put découvrir ce qu'autrefois fut la télévision tandis que d'errement en errement, de renoncement en renoncement, d'évacuation cuistre en évacuation cuistre, nous aboutîmes bientôt à la réduction de l'accès aux anciens programmes fictionnels, hors toile, en l'unique canal intitulé alors La Chaîne Histoire, avant qu'elle devînt tout récemment Histoire TV. Les Dames de la Côte, en cours de rediffusion en boucle sur cette même chaîne satellitaire, seront-elles l'ultime témoin feuilletonnesque transmis via un médium traditionnel à la mémoire et au ravissement d'un public qui ne les connut pas il y a quarante et quelques années ?

Prochainement : une "madelen" que vous aimeriez pouvoir recracher mais que vous ne pourrez pas dégurgiter facilement.